Jean-Louis Garac vit à Nice et est passionné par la littérature et la poésie, l'art et le
cinéma. Il aime également écrire sur des sujets divers des « billets d'humeur ». Il possède une maîtrise de lettres modernes et son sujet de mémoire a été consacré à Colette. Il tient
un blog personnel d’une excellente qualité et participe au fonctionnement de plusieurs associations. Jean-Louis, qui n’est pas responsable du titre de sa chronique
(c’est un mauvais jeu de mots, spécialité du chef Daniel C. Hall), entre avec classe dans la grande famille du blog Les Toiles Roses…
01.
L’ARBRE ET LA FORÊT
Leave the rotten towns
of your father
Leave the poisoned wells
& bloodstained streets
Enter now the sweet forest
in Jim Morrisson, La Nuit américaine, Collection Titres, 107
Pourquoi certains films connaissent-ils une gloire immédiate et d’autres non ?
Mystère, mais il est vrai qu’avec une diffusion « confidentielle » et une quasi absence de publicité
ce film a toutes les malchances de passer inaperçu !
Et ce serait bien dommage car L'Arbre et la forêt d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau offre un moment d’émotion autour de
thèmes encore rarement abordés au cinéma : celui d'un choix de vie opposé à des penchants profonds et celui des persécutions nazies envers les homosexuels.
Ce film cependant ne se déroule pas dans ces années de guerre mais bien après. Le héros du film
Frédéric, superbement incarné par Guy Marchand, est aujourd’hui un vieux monsieur réfugié dans son monde, habitant une maison au cœur d'une forêt, près d’un tilleul planté durant la guerre par
ses soins. Il vit ainsi baigné dans la musique wagnérienne. C’est dans cet espace que se déroule ce drame à deux niveaux.
Tout d’abord l’insoutenable secret qu’il garde au fond de lui : celui d’une année d’emprisonnement, de
martyre, de folies et d’absurdité dans un camp de concentration nazi en Alsace parce qu'il était homosexuel. Mais si les racines de cette histoire sont particulièrement douloureuses, ce n'est pas
selon moi l'objet principal du film mais un contexte secondaire qui sert à alimenter le vrai propos du long métrage : le choix d'une vie qui ne correspond pas à la sensibilité profonde d'un
homme. J'ai regretté toutefois qu'il n'y ait pas eu quelques flash-back sur ce passé pour justement associer les angoisses toujours présentes de Frédéric à ce qu'il a pu vivre dans ce camp et que
beaucoup de nos contemporains ne connaissent pas encore.
Le drame qui se joue tourne autour de la révélation de l'homosexualité de Frédéric vis-à-vis de son
fils défunt, de sa femme puis de toute la famille qui lui reste. Frédéric fait partie de ces homosexuels qui ont vécu avec la « honte » de ce qu'ils sont, vu le conditionnement de la société de
leur époque dans lequel ils ont baigné, comme les jeunes juifs qui, selon leurs propres témoignages, dans les années de guerre et la déportation finissaient par croire à leur prétendue «
culpabilité » !
Peut-on, sous prétexte d'essayer de vivre dixit « normalement » ou si vous préférez comme un hétéro,
se mentir à soi-même et, en fondant une famille, mentir à ceux qui vous entourent ? C'est tout le propos du film qui pose ainsi plus de questions qu'il n'apporte de réponse. Mais y-a-t-il
d'ailleurs une réponse simple à donner ? De nos jours encore, combien de garçons et de filles se marient et au bout de quelques années divorcent et reviennent à leurs premières impulsions qu'ils
pensaient oublier ou occulter dans un mariage en trompe-l’œil ?
Cependant, les sentiments, l'affection, la tendresse ne sont jamais absents de ces histoires, ce qui
complexifie un peu plus les choses : Frédéric a aimé à sa façon sa femme et celle-ci, très dignement joué par Françoise Fabian, a accepté après une première rupture cette situation, participant à
sa façon à proposer une histoire de déportation acceptable par tous et passant sous silence les raisons initiales de cet emprisonnement durant la guerre. Le non-dit est donc double.
Le clash vient par le rejet du fils aîné, décédé au moment où l'action du film commence, qui à l'âge
de la puberté, donc dans les années cinquante pour le restituer dans la chronologie du film, à force de questions reçoit l'aveu de son père de son terrible passé et de son homosexualité. Pour un
enfant vivant à une époque qui ne se posait encore aucune question sur ces sujets, le choc a du être terrible et la fracture irrémédiable.
Je suppose qu'à un âge où l'identification à des figures référentes participe à la construction de
chaque individu, cette révélation a brisé une image idéale créée par notre société à vision étroite. Comme en parallèle l'aveu de l'homosexualité du père brisait son image d'homme conforme au
moule de cette même société qui a participé, pour reprendre un terme clef du film, à l'absurdité de ce monde plombé. D'où aussi l'image symbolique de l'arbre (du tilleul) qui représente une
permanence et une beauté sans conflit face aux errements et aux haines humaines. La présence hostile du fils, certes décédé, est en quelque sorte le symbole d'une société qui a repoussé sans
remords toutes les questions liées à l'homosexualité et à la déportation des homosexuels.
Avec courage Frédéric va, tardivement, confesser à sa famille son secret. Le tabou est enfin levé, le
regard qu'il porte sur sa vie n'empêche pas les regrets de n'avoir pu vivre son rêve avec un compagnon. Ce film d'une grande richesse et délicatesse renvoie ainsi à des problématiques toujours
d'actualité.
Cette histoire rappelle également le témoignage de Pierre Seel, un des rares homosexuels déportés à
avoir témoigner par un livre en 1994 sur ce qu'il a vécu face aux abominations nazies. Mais cette prise de conscience sur ces crimes a mis du temps à être reconnue. Ce n'est en effet que très
récemment que les États ont pris en compte ces faits, en France grâce à Lionel Jospin en 2001 et à Jacques Chirac en 2002.
Il est difficile de donner un chiffre sur la déportation des homosexuels durant la guerre, les nazis
ont surtout déportés les homosexuels allemands considérés comme des dégénérés afin de purifier l'Allemagne aryenne. Les homosexuels des autres pays ont été un peu moins inquiétés puisque selon
les nazis ils participaient à l'abâtardissement de leur race ! Un film et une pièce raconte avec force cette descente aux enfers : Bent, film de Sean Mathias, en 1997, tiré de la pièce
du même nom de Martin Sherman et également le téléfilm français Un Amour à taire, réalisé par Christian Faure en 2005.
Pour en savoir plus également sur ce sujet, il faut absolument voir le film documentaire
Paragraphe 175, de Jeffrey Friedman et Rob Epstein, sorti en 2005, sur la déportation des homosexuels durant la seconde guerre mondiale. À noter que ce paragraphe 175 du code pénal
allemand avait été institué à l'époque de Bismarck, réactivé et utilisé principalement par les nazis, mais abrogé uniquement en 1994 !
NOTES :
La journée nationale des déportés, fixée au 25 avril 2010, est l'occasion de rendre un hommage à tous
les déportés, y compris homosexuels, de la deuxième guerre mondiale victime de la folie nazie.
Informations sur Pierre Seel, voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Seel
Informations sur la persécution des homosexuels sous le III° Reich, voir :
http://www.ushmm.org/wlc/article.php?lang=fr&ModuleId=74
Voir également sur la déportation des homosexuels, le site :
http://www.france.qrd.org/spip.php?page=rubrique&id_rubrique=14
Informations sur le paragraphe 175, voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Paragraphe_175
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