LES TOILES ROSES
Fiche technique :
Avec Frédéric Andrau,, Vincent Branchet, Urs Peter Halter, Martin Schenkel, Jean-Pierre von Dach et Jessica Frueh. Réalisé par Marcel Gisler.
Durée : 92 mn. Disponible en VF.
Résumé :
Beni tombe amoureux de Fogi, leader et chanteur d'un groupe de rock. L'attitude rebelle de Fogi favorise le désir de liberté de Beni et lui donne la force de vivre sa vie hors du milieu social dont il est issu. Il se dévoue corps et âme à son amant, à tel point qu'il n'arrive plus à réaliser quel homme est vraiment Fogi. Quand il se rend compte que Fogi est au bord de la déchéance physique et morale, Beni tente de se raccrocher à cet amour et se trouve bientôt confronté à la décision la plus terrible de sa vie.
L'avis de Francis Lamberg et Laurent Mullens (La lucarne) :
Le F du titre désigne Foggy, charismatique chanteur de rock dont Benny tombe amoureux. Benny sort de l'adolescence et a tout pour mordre dans la vie à pleine dent. Foggy est désabusé, redoute la vieillesse et est narco-dépendant. Assez vite, Benny s'installe chez Foggy et, après une période de grâce, Foggy finit par projeter son autodestruction latente sur et en Benny. Ce dernier est amoureux fou et malléable. Sans identité propre, il est prêt à tout recevoir de son compagnon, y compris le pire. Il devient donc littéralement le chien de Foggy : toute marque d'intérêt, fût-elle violente, est perçue aveuglément comme une preuve d'amour. Il va alors vivre un semblant de bonheur d'animal domestique (« Le bonheur, c'est ne plus être responsable de rien » ira-t-il même jusqu'à avouer) jusqu'à ce que le clash du groupe de rock de Foggy et sa replongée dans la drogue ne donne à Benny l'ascendant sur son maître.
F., cela aurait tout aussi bien pu être l'initiale de fascination, fantasme ou fugue. Sur fond de sexe, drogue, yaourt & rock'n roll, ce film aborde avec densité et force le thème sempiternel de la passion destructrice et de l'amour en déséquilibre. Le jeu tantôt lumineux, tantôt sombre de Vincent Branchet est magnifique de nuances et de justesse. Plus habitué aux planches qu'à la caméra, son jeu reste empreint d'une grande théâtralité mais son interprétation réellement canine du personnage est une réelle performance d'acteur ! L'interview en bonus montrera également combien une certaine alchimie reste nécessaire entre les acteurs pour que les personnages fonctionnent. Pari gagné pour ce film ! Pour on ne sait quelle sombre raison, ce film magnifique a connu une sortie plus que confidentielle en salle. Par exemple, certains festivals de films gay ont essuyé un refus à leur demande de diffusion. Sa sortie en DVD est une aubaine de (re)découverte.
L'avis de Gabriel de Monteynard :
Ne vous est-il jamais arrivé, en sortant du cinéma, dépité, de vous dire : « Mais quand est-ce qu'il sortira une simple histoire d'amour entre deux mecs (ou deux femmes) qui ne soit ni un film glauque ni une comédie pour beauf ! ». Une histoire qui nous ferait rêver d'amour, certes un peu comme un roman de gare, et c'est là toute la limite du genre. F. n'est pas ce film mais il aborde un point essentiel des rapports amoureux : cet inévitable déséquilibre des sentiments dans le couple, qui rend l'un esclave de l'autre. Cette logique que nous connaissons est poussée ici jusqu'à son paroxysme, celle du premier amour et de l'aliénation qu'il constitue.
Sur fond de décor années 70, cheveux longs et milieu rock underground, F. est une vision cruelle mais juste de la passion amoureuse que voue un adolescent (Beni) à sa star de rock favorite (Fögi). L'adolescent aime une image qu'il idolâtre. Comme tout adolescent immature, il se complaît dans un imaginaire qu'il croit être l'image de la réalité. Son besoin d'affection et sa peur de ne pas être aimé en retour finissent par engendrer l'agacement, voire la haine de Fögi, qui devient plaisir de dominer, seule issue à ce stade de la relation. Cette mise en scène de la dépendance affective dans un rapport amoureux est l'idée maîtresse du film.
Une lente progression nous entraîne vers une relation dominant-dominé jusqu'à la folie de Beni, refuge dans lequel il s'abandonne totalement, découvrant cette sensation d'absolue liberté qu'elle engendre. N'avoir plus d'amour propre à défendre. Se laisser aller. Devenir le chien de son maître. Cette folie est parfaitement traduite à l'image par une mise en scène inspirée et onirique. Ce ne sont que quelques moments du film mais leur importance justifie d'autant plus cet effort particulier.
Ce rapport sado-maso n'a rien de sordide. Il constitue plutôt une transition nécessaire dans la relation exacerbée du couple, vers un équilibre des sentiments et une vraie réciprocité. Car les rapports s'inversent et l'image que l'on a de l'un et de l'autre n'est plus aussi claire et définie, les pistes se brouillent, et les deux protagonistes révèlent leur complexité et leurs contradictions.
Seule ombre au tableau est la trop lente progression du début ou l'on attend la suite des événements pendant un bon tiers du film. L'évolution des deux personnages se doit d'être lente pour donner plus de poids à la suite, certes. Mais toute cette première partie manque d'une atmosphère soutenue, d'une tension dramatique, que la suite possède réellement. Le jeu approximatif de l'ensemble des seconds rôles y est pour beaucoup. Il crée une distanciation pas très heureuse. Le couple Beni-Fögi, lui, s'en tire bien, et c'est malgré tout l'essentiel.
Le film prend corps dès qu'il devient huit clos. Quelques moments de pure émotion, sans aucun pathos, entre Beni et Fögi, nous laissent cloué sur notre siège. Certes l'amour entre mecs est encore une fois synonyme d'instabilité et de marginalité, pratiqué chez des « voyous » qui s'adonnent notamment à la drogue. Mais ce mode de vie est associé ici plutôt à une époque et à un certain milieu, celui du rock. F. n'est pas la limpide histoire d'amour gay dont on pourrait rêver mais sa force vaut le déplacement.
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