LES TOILES ROSES
Fiche technique :
Avec Jeroen Krabbe, Thom Hoffman, Renee Soutendijk Dolf de Vries, Hans Veerman, Hero Muller, Caroline de Beus et Geert de Jong. Réalisé par Paul Verhoeven. Scénario de Gerard Soeteman, d’après le
roman de Gerard Reve. Compositeur : Loek Dikker.
Durée : 95 mn. Disponible en VO, VOST et VF.
Résumé :
Un écrivain célèbre alcoolique et fauché épouse Christine une jeune, belle et riche veuve. C'est le quatrième mari de Christine. Les trois
autres sont tous morts de façon tragique et mystérieuse. Prix spécial du jury au festival d'Avoriaz 1984, Hugo d'argent, Chicago 1984.
L’avis d’Olivier Nicklaus :
Intrigue captivante et perfection plastique font de ce thriller sexuel et métaphysique un pur chef-d'œuvre.
Le Quatrième Homme peut faire figure de bande-annonce pour
l'ensemble de l'œuvre de Paul Verhoeven puisqu'on y retrouve les principaux ingrédients qui ont fait la renommée de son cinéma : provocation, sexe, violence, blasphème, etc. Mais ce thriller
métaphysique est surtout une pure réussite, captivante de bout en bout, évoquant les meilleurs films de Bunuel ou de Lynch tant la dimension onirique ne perd jamais le spectateur en route mais
lui tient au contraire la main loin dans les méandres des visions de l'auteur. On y suit un écrivain à la fois catholique et homosexuel qui se rend dans une petite ville hollandaise pour une
lecture. Là, une mystérieuse blonde ne cesse de le filmer. Il finit la nuit chez elle, et découvre peu à peu dans quel engrenage il a mis le doigt...
Verhoeven recourt abondamment au symbolisme : dès la première scène, une araignée tisse sa toile, et le scénario nous fera bientôt comprendre très clairement qui est l'araignée en question. Les
(nombreux) détracteurs du film y ont vu de la misogynie (sous prétexte que le personnage de Christina est une mante religieuse, mais ils oublient alors celui, métaphorique, de Marie, qui sauve le
héros), de l'homophobie et du blasphème (ridicule : Verhoeven rend au contraire l'homosexualité et la religion catholique aussi universelles l'une que l'autre grâce à autant de visions érotiques
et "cuméniques", jusqu'au Christ en croix halluciné en slip rouge moulant). La vérité, c'est qu'il a su bâtir une intrigue captivante et la porter (avec Jan de Bont à la photo) à un rare niveau
de perfection plastique.
L'avis de Jean Yves :
Le Quatrième homme est une révélation, de bout en bout. Il est
essentiel de ne pas rater le générique qui noue en gros plan les sciences naturelles et le surnaturel : une ignoble araignée arpente un Christ en croix, y ingère un coléoptère expiatoire. Toute
mante est religieuse, comme le suggère si bien la langue. L'image s'élargit bientôt sur un homme flageolant, plus nu que le Crucifié en personne, mais certainement moins sobre, lequel va se raser
un étage plus bas, et fantasme l'assassinat de son ennuyeux petit copain violoniste : il l'étrangle en pensée avec un soutif de dentelles noires, un ceinturon... Et finalement, arrive à lui
emprunter la voiture.
Le ton est donné : sexe, violence, mysticisme aigu. Le réel a même statut que l'imaginaire. Tout est possible, dans la tête du héros : l'image ne nous privera pas de ses divagations morbides.
L'homme, sous les traits du comédien Jeroen Krabbé (excellent) se révèle être un écrivain, brillant et fauché, catho pour faire bonne mesure. Sur le chemin, Gérard Reve (c'est son nom, emprunté à
l'auteur dont le film est l'adaptation) mate un très beau gosse en débardeur, genre prolo craquant. Trop tard pour lever le gibier, le train pour Köln déjà l'emporte au loin. Dépité, Reve ira
faire sa conférence devant un public de mamies, qu'il provoque à plaisir : « Être catholique, c'est avoir de l'imagination. »
De fait, le film dérape dans l'onirisme blasphématoire : le compartiment de chemin de fer s'empare du pire cauchemar hôtelier ; à l'arrivée, il croit lire son nom sur le ruban d'une couronne
mortuaire ; il s'envoie en l'air, plus tard, avec la trésorière de la société littéraire. Il lui dit : « Tu ressembles à un beau garçon » et jouit, les mains aplatissant ses
seins, en criant « Jésus Marie » Elle fait aussi profession d'esthéticienne : aussitôt il se rêve castré par son ciseau de pédicure, pris au piège du Beauty Salon. Ses visions
ne le lâcheront pas d'une semelle : caveaux, bœufs écorchés pendus à des crocs de boucherie... Tout est menace, toute séquence peut incongrûment glisser dans l'horreur.
Le génie stupéfiant du film, c'est de maintenir le péril du fantastique autour des faits concrets, mais parfaitement ordonnancé à la logique paranoïaque. Tout se tient, mais dans un ordre
rigoureusement fantasmatique. Le Quatrième homme est donc moins un film sur le désir, que le film du désir lui-même, dans ses parcours mentaux : pulsions, inhibitions, tabous,
transgressions. Un film organique, chauffé à blanc, sans artifice.
Il n'y a pas d'autre fil conducteur à cette histoire méandreuse que celui de l'inconscient. D'où cette sorte de touffeur apparemment gratuite, qui débride le scénario de toute attache
vraisemblable, mais l'ancre dans des référents religieux, culturels et scientifiques. Tandis que la mère androgyne et abusive le bichonne, l'entretient, il découvre en elle une veuve vorace, qui
a pris le jeune gars du train pour amant. « Quel corps... quel morceau... », souffle-t-il, devant sa photo. Dès lors, Gérard Reve ne songe plus qu'à utiliser la libido de la
femme pour avoir le corps du garçon. Elle lui avoue qu'Herman, le pauvre petit, est affecté d'éjaculation précoce : l'écrivain, bonne âme, se proposera de l'en guérir... Christine – féminisation
du nom du Christ – ramène donc son plombier-gigolo de Cologne. Et voilà Herman, contre toute attente, qui se prête au jeu de la séduction et s'offre à lui... au fond d'un caveau : « Jamais personne ne m'a parlé comme ça », soupire l'adolescent.
Gérard, quant à lui, se sera d'abord branlé devant la serrure, en observant le bel ouvrier sauter la bourgeoise fatale. Dans une hallucination supplémentaire, il aura visionné son giton en
crucifié, vêtu d'un seyant maillot de bain rouge aussitôt descendu aux chevilles… Attouchements prémonitoires, interrompus, comme il se doit, par l'arrivée de la veuve joyeuse (et jouisseuse)
dont, entre parenthèses, l'écrivain a fini par découvrir la mort « accidentelle » de ses trois maris successifs : par noyade, saut en parachute accéléré, partie de ski nautique qui
finit dans l'hélice... Sera-t-il le « Quatrième homme » ? Qui est la femme en bleu qui lui apparaît de temps en temps ?
Ayant enfin compris que Christine manipule tout et chacun à sa guise, il tente de sauver in extremis le bel Herman des griffes de cette femme assassine, dans une fuite tragique,
à tombeau ouvert, en décapotable... Voyage pour une ultime vision sanguinolente, que Verhoeven nous réserve, non sans malice, en guise de digestif horrifique.
Qui donc, pour finir, aura empêché que le Quatrième homme soit la quatrième victime ? La fugitive dame en bleue : la Vierge ! Une mère sans désir, donc. Immaculée, sainte, virginale. Pouvait-on
rêver profession de foi homosexuelle plus accomplie ?
Pour plus d’informations :
A chaque critique du net, je vois le même résumé de l'histoire faux et archifaux. Gerard n'est en aucune sorte le mari de Christine, qui est bel et bien célibataire.
Sinon bonne critique, même si je ne partage pas ton avis sur la profession de foi homosexuelle