LES TOILES ROSES
Logiquement, un déménagement se prépare longtemps à l’avance. Malheureusement, je suis l’homme de la dernière minute. Il faut penser à tant de choses et s’efforcer de ne rien oublier que cela en devient flippant. Cette fois, il ne s’agit pas d’un faux départ comme en 2002 lorsque je suis parti travailler en Belgique. Cette fois, je ne reviendrai jamais. En tout cas, jamais dans cet appartement que je quitte.
Mercredi 8 août, le ciel de Paris était en larmes pour mon dernier jour de présence. J’ai horreur qu’il pleuve quand des gens viennent chez moi, c’est salissant. Le temps était à peine meilleur deux jours auparavant lorsque certains effets personnels furent ramenés de province, et échangés avec d’autres qui ne devaient pas partir outre-Atlantique. Lundi 6, c’était ma dernière vraie soirée de liberté à Paris. Entre le désœuvrement total et des loisirs plus classiques, j’ai opté pour une séance de ciné au Pathé Wepler, où je suis allé voir Ratatouille. Ce film d’animation est un vrai bijou et je m’en suis délecté… sur fond de nostalgie. L’action se déroule à Paris. Si je voulais forcer la dose, j’irais voir aussi 2 Days in Paris de Julie Delpy, mais il ne faut pas exagérer. J’ai déjà le dvd collector de Paris je t’aime et c’est bien suffisant.
Paris je t’aime. Paris, je te quitte. Tout doit disparaître et les visages familiers s’en vont aussi. Comme un signe supplémentaire de ce changement, ma boulangère préférée a pris sa retraite le 2 août. Dans trois ans, viendra le tour de la gardienne de mon immeuble. Trois ans : soit la durée moyenne de ma mission au Canada. Ce même 2 août, je lui ai fait mes adieux avant qu’elle parte en vacances au Portugal. Ce même jour, je quittai mes fonctions au bureau de Paris.
Mardi 7, j’ai couru comme un dératé pour finir les derniers cartons. Le come-back de ma mère venue jouer les inspectrices des travaux pas finis n’a rien arrangé à mon speed (1). Mercredi matin, les déménageurs étaient à l’heure, même un peu trop. Un grand alsacien dégingandé et édenté, aux cheveux noirs, et un allemand blond aux yeux bleu, plutôt potable celui-là.
Il y a toujours des abrutis qui se garent mal et là où il ne faut pas. Je me suis donc transformé en agent de la circulation, poteau de déviation, engueulant ces connards d’automobilistes parisiens qui feraient mieux de se branler plus souvent au lieu de s’acharner comme des malades sur le klaxon. J’ai même houspillé la blonde pervenche qui stationnait aux abords de ma rue dans une bagnole estampillée PPP (2). En mode total parano, je croyais qu’elle venait me chercher des noises. Bordel ! J’avais une autorisation de la PUP (3), merde ! Rien que d’y repenser, ça m’énerve.
Sous la drache, j’aurais pu attraper la crève, mais le Noni aidant il n’en fut rien, heureusement. Laissant les casques à pointe faire leur
boulot, je suis allé reporter le matériel de la télévision par câble. Les commerciaux au téléphone sont des imbéciles. Ils m’ont promené loin en ville alors qu’une boutique à 300 mètres de
chez moi pouvait récupérer le matos. Franchement, je ne suis pas fâché de partir de cette ville de m***.
Je soupçonne la société de déménagement d’avoir gonflé la facture après que j’eus commis l’imprudence de dire que mon employeur prenait les frais à sa charge. C’est vrai jusqu’à un certain
point. Le fait est que ces usuriers ont fait exploser mon budget. Résultat : 7 000 euros dans les lattes. Pour ce prix-là, ils ont intérêt à faire un travail impeccable. Et pour ce
prix-là, ces salauds de déménageurs m’ont volé mes lunettes de soleil Emporio Armani !
Tout doit disparaître, et tout a disparu… ou presque. Maintenant, c’est à mon tour.
(1) Depuis, elle me gave d’anxiolytiques et nous nous sommes gravement disputés au point que j’ai hâte de la quitter pour ne plus jamais la revoir.
(2) Préfecture de Police de Paris.
(3) Police Urbaine de Proximité.