LES TOILES ROSES


Fiche technique :
Avec Ornella Mutti, Jeremy Irons, Alain Delon, Fanny Ardent, Marie-Christine Barrault, Jean-Louis Richard, Anne Bennent, Charlotte de Tur
ckheim, Jean-François Balmer et Roland Topor. Réalisé par Volker Schlöndorff. Scénario de Jean-Claude Carrière, Peter Brook, Marie-Hélène Estienne et Volker Schlöndorff, d’après le roman de Marcel Proust. Directeur de la photographie : Sven Nykvist. Compositeur : Hans-Werner Henze.
Durée : 110 mn. Disponible en VF.

Résumé :
Swann, un homme de la haute société, voue une passion infinie à une demi-mondaine au passé mystérieux. Ces sentiments ravageurs entretiennent chez Swann le feu de la jalousie et remettent sans cesse en question la poursuite de cet amour destructeur.
L'avis de Jean Yves :
Quand on a lu et relu À la recherche du temps perdu, quand on porte sur la rétine de l'imaginaire, la blondeur altière de la Duchesse de Guermantes, la minceur élégante de Swann, une Miss Sacripant devenue Odette de Crécy, grande rousse osseuse au profil proéminent (transformée par le mariage, plus tard, en une blonde moelleuse), quand il est impossible de donner un physique au narrateur, ce Marcel de la coulisse, voyeur, écrivain, peut-on se réjouir d'une adaptation cinématographique du roman de Proust ?
Volker Schlöndorff a osé... ce travail difficile. C'est que l'œuvre de Proust présente une vision du temps où s'imbriquent passé et présent, et parfois avenir. Les personnages vieillissent, rajeunissent (ne voit-on pas Albertine, au gré du désir du narrateur, se transformer de toute jeune fille aux grosses joues roses et aux cheveux roux en brune émaciée au teint cireux ?) parce qu'ils sont contenus dans ce qui est l'essentiel du roman, un immense mouvement passionnel de la mémoire.
Schlöndorff, pour vaincre l'absence de véritable structure de récit, a choisi Un amour de Swann, qui est une sorte de roman dans le roman. Schlöndorff a aussi choisi de concentrer sa mise en scène sur une seule journée de 1885 parce qu'Un amour de Swann est la seule enclave du roman qui dessine un temps véritable, c'est le temps d'une passion, la cristallisation de l'amour de Swann pour Odette, les affres de la jalousie qui conduisent Swann au mariage.
Plus tard, le lecteur retrouvera cette Odette installée dans le grand monde, tenant salon ; plus tard encore, elle s'affine dans la vie mondaine tandis que Swann, peu à peu, se déprend d'elle. Nous la suivrons dans ses métamorphoses, veuve, remariée à Forcheville, puis, plus tard encore, maîtresse du Duc de Guermantes. Sa fille Gilberte Swann épousera Saint-Loup, neveu de monsieur de.Charlus et des Guermantes.
En choisissant l'épisode « Swann », Schlöndorff réduit considérablement l'histoire des personnages.
Par exemple, Charlus n'est, dans Un amour de Swann qu'un personnage secondaire, grand ami de Swann, amant supposé d'Odette dans le passé. Il n'est pas encore le superbe inverti, l'homosexuel « officiel » qu'il deviendra dans la suite du roman. C'est là tout l'art de Proust qui ne décrit pas ses personnages mais les fait découvrir par le lecteur, progressivement, à travers le discours d'autres personnages et selon les nouveaux éléments du récit et de son suspense.
Schlöndorff a donc dû « épaissir » le rôle de Charlus joué par Alain Delon en greffant sur son apparition dans Un amour de Swann des épisodes de sa vie que nous connaîtrons plus tard mais qui « existent » déjà mais ne sont pas connus, d'après le système narratif fragmenté et ralenti cher à Proust.
Charlus est tout au long de La recherche un personnage de premier plan. Loin des jérémiades ou de l'illusion, Proust a montré un homosexuel dans sa plus forte véracité, un homosexuel de son temps bien sûr, mais qui, par nombre d'aspects, pose l'éternité psychologique de l'homosexualité. Il est le premier écrivain à avoir su réunir des images apparemment discordantes. Le baron de Charlus, c'est l'inverti avide d'amour (cf. tous les magnifiques passages avec Morel), c'est aussi le dragueur de tous les instants, le masochiste qui se fait enchaîner dans un bordel et demande le fouet à des soldats ou des ouvriers. Proust n'a pas craint de dire que l'homme n'est ni grand, ni vil, mais tout simplement multiple, sensuel, obsédé, pervers mais délicat, douloureux, érudit...

La recherche, à mesure que le temps s'écoule, nous dévoile que la plupart des hommes avaient du goût pour les garçons. Proust a traqué toutes les formes d'homosexualité, dans tous les milieux sociaux.
Je crains que le film de Schlöndorff ne réduise le roman de Proust (pour les spectateurs ne connaissant pas l’œuvre écrite) à cet « extrait filmé » qui ne traduit pas l'apport considérable que l'auteur a introduit dans l'univers romanesque quant à ce qu'on appelait alors l'inversion.

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Mer 16 nov 2005 Aucun commentaire