LES TOILES ROSES
Huitième article de notre série. Steven Carrington, Matt Fielding, Xéna, Jack McPhee, Willow Rosenberg, Will Truman, Brian Kinney, Shane McCutcheon... Si vous ne voyez pas le point commun, c'est que vous n'avez pas la télé ! Par notre collaborateur : Kim, 31 ans.
Les préjugés viennent souvent d’une mauvaise information sur l’homosexualité. La mauvaise information découle d’une absence d’instruction (l’absence d’éducation et de prévention par exemple), mais aussi d’un manque de débats qui peuvent démolir les préjugés et les réticences à partir d’arguments. Si les préjugés et les réticences ont diminué, c’est qu’il y a eut soit information, soit débat, ou les deux. Vous remarquerez que je saute le mot prévention : c’est intentionnel, car c’est actuellement encore trop embryonnaire, mais nous y reviendrons dans un autre article.
Pour avoir débat contradictoire, il faut avoir en face de soi une personne ne disposant pas de préjugés homophobes. Or, au départ, dans une société homophobe, ce sont principalement les victimes d’homophobie qui pourraient en discuter et en débattre. Mais cela revient à se dévoiler. Or, dans une société homophobe, la tendance est plutôt de rester caché ou en tout cas de rester discret pour éviter cette homophobie. C’est un instinct de survie. Mais pour le coup, cela provoque un manque d’interlocuteur, en dehors des militants affichés. La baisse des préjugés ne vient donc pas en premier lieu de la rencontre et du dialogue avec des personnes luttant contre l’homophobie.
Donc, il faut regarder du côté de l’information. Pour être efficace, la transmission de l’information doit être facilement accessible, massive, suffisamment longue pour capter l’attention, et continue, voir répétitive.
Où la population peut-elle s’informer ? Il y a les livres et les journaux bien sûr. Mais surtout la télévision, car elle est le premier média de masse, de par sa quasi-gratuité, sa présence dans la quasi-totalité des foyers, et de par l’absence d’effort à fournir pour accéder à l’information (eh oui, pas d’effort de lecture à faire !).
Mais où se transmet l’information à la télévision ? Dans les journaux télévisés ? Dans l’article précédent, nous avions vu que les reportages duraient en moyenne deux à trois minutes. C’est donc trop court. Dans les magazines et les talk-shows ? Ils sont suffisamment longs pour retenir l’attention, mais le traitement de l’homosexualité est irrégulier.
En fait, le format de télévision à la fois long et fréquent qui peut traiter de l’homosexualité est … la série télévisée. Si celle-ci possède au minimum un personnage gay ou lesbien, elle permet au téléspectateur chaque semaine de voir ce qu’est l’homosexualité (ou en tout cas ce qu’on en montre), et donc en partie inconsciemment de s’informer, ce qui peut permettre de défaire les préjugés et les réticences envers l’homosexualité.
Ainsi, nous allons voir que les séries télévisées ont grandement participé à l’évolution des mentalités. Car il y a un quart de siècle, l’homosexualité était totalement absente du petit écran : il faudra attendre en France l’année 1982 pour voir un rôle d’homosexuel à la télévision ! Mais à partir de cette date, la machine vers plus de visibilité sera lancée ! Et de par là même la machine à informer. Modestement, bien sûr, mais suffisamment pour donner une autre image de l’homosexualité, plus visible, plus affichée, plus positive.
A partir de l’apparition du premier personnage gay à la télévision française, on assista à une triple évolution de la présence des personnages gays et lesbiens dans les séries télévisées, à la fois quantitative, qualitative, et segmentaire, qui se fera en quatre étapes.
1982-1983 : L’apparition des premiers personnages gays à la télévision.
La visibilité gay apparait vers les années 1982-1983. C’est en 1982 qu’apparait le premier personnage gay, Kitt Mainwearing, dans la série « Dallas » sur TF1. Il est un riche héritier de la famille Mainwearing, et accepte de se marier avec Lucy Ewing, la nièce de JR. Mais se rendant compte que Lucy Ewing l’aime vraiment, il décide de lui révéler son homosexualité et de rompre les fiançailles pour ne pas la rendre malheureuse. Il n’apparait que dans un épisode, mais c’est un début. Il faudra attendre l’année suivante, soit 1984, pour que soit diffusée sur FR3 la série « Dynastie » qui possède le premier personnage gay récurrent, Steven Carrington, appartenant pleinement à la distribution.
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1983-1996 : les débuts de la visibilité.
Le personnage Steven Carrington sera pendant une décennie la seule véritable référence gay sur le petit écran. Et quelle référence : mal accepté par son père, ses petits amis ont une fâcheuse tendance à mourir, censure des gestes d’affection … Bref, même si Steven peut attirer la sympathie, on ne peut pas dire qu’il vit une vie joyeuse et ouverte. Il donnera à de nombreux parents téléspectateurs l’image qu’être homosexuel ne conduit pas spécialement au bonheur et rend la vie plus difficile qu’autre chose. Et ce, jusqu’en 1990, date de la fin de la dernière saison de la série en France. Il faut dire que peu d’autres personnages gays apparaitront entretemps.
En 1984 est diffusée sur la chaine Canal + la sitcom américaine « Soap » (1977-1981). Cette sitcom délirante, vaudevillesque, burlesque, et subversive, parfois poussant jusqu’à l’absurde, racontait l’histoire de deux familles, les Tate et les Campbell, et brisait énormément de tabous : majordome irrespectueux, prêtre qui se marie, mari volage, etc…. L’un de ces tabous fut la présence d’un personnage ouvertement gay : Jodie Dallas, interprété par Billy Cristal. Durant la première saison, il a pour petit ami le quaterback Dennis Phillips, mais celui-ci préfère rompre pour éviter que leur liaison s’ébruite. La série ne rencontrant pas de succès, Canal + interromps la diffusion … ce qui n’est pas plus mal vu ce qui arrive à Jodie par la suite : remise en cause de son homosexualité, volonté de changer de sexe, puis hétérosexalisation puisqu’il sortira avec Carol David, et même se fiancera avec Maggie Chandler. Bref, Jodie est un personnage maltraité de bout en bout par les scénaristes qui en font un inconstant. Dommage. Quoiqu’il en soit, cela entretient dans la tête du téléspectateur qu’un gay peut devenir hétérosexuel avec un peu de bonne volonté.
En 1989, toujours sur Canal +, est diffusée la série britannique « Allo Allo » (1982-1989). Ce chef d’œuvre d’humour anglais raconte comment durant la Seconde Guerre Mondiale, en zone occupée par les nazis, René Artois, un tavernier Français, tente de survire en travaillant pour la résistance, notamment en cachant deux parachutistes anglais complètement perdus ne pouvant renter chez eux, tout en collaborant à moitié avec l’occupant nazi, plus occupé à essayer de retrouver le tableau de « La Madone aux gros roploplos » qu’à traquer les résistants, et tout ceci en tentant de voir ses maîtresses sans se faire remarquer par sa femme Edith. Dans cette joyeuse et loufoque distribution, on trouve le lieutenant Hubert Gruber, un allemand donc, occupant de son état … et follement amoureux de René (qui décidemment à beaucoup de succès). Plutôt du genre sensible, pas franchement violent et autoritaire, légèrement efféminé. Finalement très sympathique, mais malheureux en amour car son objet de désir ne lui répondra jamais, hétérosexualité oblige, il est ici utilisé à des ressorts comiques. Comme tous les autres personnages de la série, car vous aurez devinez qu’il s’agit ici d’une comédie. Mais son principal ressort comique reste son amour impossible envers René, et tous les services qu’il peut lui rendre pour essayer d’obtenir discrètement ses faveurs. Il reste donc un personnage asexué condamné à ne pouvoir trouver l’amour.
En 1991, Canal + toujours diffuse le dessin animé « Les Simpsons » (1989). Subversif, critique, cette série toujours en cours montre le personnage de Waylon Smithers, l’homme de main du richissime Charles Montgomery Burns, dont il est secrètement amoureux. eh oui, car si des indices nous montrent bien qu’il est gay, tout n’est au départ que sous-entendus. En tout cas il reste un personnage « in the closet », au placard.
Dans « Une famille formidable » (1992), cette série française qui tous les deux-trois ans nous offre trois épisodes d’une heure trente nous contant les aventures du couple Catherine et Jacques Beaumont et de leur famille, montre le personnage gay d’Alexis qui fait son coming-out à son meilleur ami Nicolas Beaumont, fils ainé du couple phare de la série. Si Alexis est bien accueilli par la famille Beaumont, et qu’il se met en couple, montrant une image du bonheur, le problème est que l’on reste sur un cliché : car Alexis est en couple avec un homme bien plus âgé que lui. L’idée de l’homosexuel qui préfère les jeunes reste ancrée … et continue de se transmettre aux téléspectateurs.
Bref, pendant une dizaine d’années, la présence de l’homosexualité à l’écran reste rare, et conforte toujours les clichés, voire les renforce.
La réapparition significative de personnages gays se fait au dans les années 1990’, notamment dans des séries à succès. Ainsi, en 1993, dans la sitcom « Roseanne » (1988-1997) diffusée sur M6, apparait le personnage de Leon Carp, le patron de Roseanne justement. Rien d’étonnant là encore car cette sitcom était très subversive pour l’époque, brisant elle aussi beaucoup de tabous. Leon Carp est un personnage secondaire, qui n’apparait pas dans tous les épisodes, mais suffisamment régulièrement pour être récurrent et marquant, d’autant qu’il s’affiche ouvertement homosexuel, et connaitra plusieurs histoires de cœur. Il est intéressant de voir qu’en plus le personnage permet aux autres personnages de parler parfois d’homosexualité. Ainsi, un jour que Dan, le mari de Roseanne, organise une partie de cartes dans la cuisine avec des amis à laquelle arrive et participe à l’improviste Léon, lorsque ceux-ci apprennent son homosexualité, un lourd silence s’installe… La conversation a du mal à être relancée. Le départ rapide de Léon soulage quelque peu le groupe de joueurs, ce qui ne passe pas inaperçu de l’œil de Jackie Harris, la sœur de Roseanne. Celle-ci lui reproche son attitude, et lui demande ce que cela lui ferait si l’un de ses enfants était homosexuel. Tout ce qu’il trouve à dire est qu’il ne préfère pas y penser et que cela n’arrivera pas. Lorsque Jackie réinsiste, il redit fermement les mêmes propos, à la limite de l’énervement. Cette scène, aussi réaliste soit-elle, mais violente, montre bien pour le spectateur lambda que l’homosexualité d’un enfant n’est pas désirée … ni forcément désirable pour un nombre important de personnes à l’époque.
Mais c’est surtout en 1994, sur TF1, qu’est diffusée la série « Melrose place » (1992-1999), où apparaît le personnage de Matt Fielding. Là, c’est un des personnages principaux de la distribution. C’est donc un tournant. Mais pourtant il restera un personnage « clean », alors que la série était quand même assez trash puisque tout le monde couchait avec tout le monde : peu de petits-amis et rarement pour longtemps, comme ce militaire qui se découvrait gay et n’a pas osé rester avec lui (durée = deux épisodes), des baisers censurés … Bref, un condamné au célibat. Et lorsqu’enfin on pense qu’il trouve l’amour et engage une relation sérieuse avec un autre homme, on apprend que celui-ci avait monté toute une machination pour faire accuser Matt du meurtre de sa femme (bon, en même temps, là, c’est vraiment du Melrose Place).
Toujours en 1994, toujours sur TF1, la sitcom « Les filles d’à côté » d’AB production est diffusé en semaine en accès prime time. C’est dans cette série que marquera pour une génération entière l’image de la « folle ». Gérard, le prof de gym qui tient la salle de sport au sous-sol de l’immeuble, est un homme très musclé, qui s’habille moulant et montre ainsi toujours ses muscles … mais beaucoup considère qu’il n’est pas très viril car il est très maniérée, a toujours le petit doigt en l’air, une voix très aigüe surtout lorsqu’il pique une colère ou une crise d’angoisse... Bref vous l’aurez compris, Gérard est une gym-queen efféminée. Qui plus est complètement asexué (aucun petit ami en vue à l’horizon, rien). Le personnage, certes, éminent gentil et plutôt populaire, va marquer durablement les esprits en renforçant les clichés homophobes…
La visibilité des lesbiennes sera plus tardive. Il faudra attendre 1996 pour voir apparaitre les premiers personnages lesbiens, elles-aussi dans des séries à succès. Eh oui, le sexisme existe aussi à la télévision. Sur TF1 apparait la série « Xena, la princesse guerrière » (1995-2001), où l’on voit deux femmes, Xena et Gabrielle, vivre à travers leurs aventures une profonde amitié, mais avec tant de sous-entendus que les personnes équipées d’un gaydar ont facilement reconnu des personnages cryto-lesbiens. Si dans les premières saisons, tout est dans le sous-entendu (plus difficile d’ailleurs à cerner dans la version française, tant le doublage a censuré des dialogues utiles pour comprendre leur relation, mais heureusement les regards ne trompaient pas), elles montreront leur amour vers la fin de la série.
La même année, sur Canal Jimmy, sont diffusés les premiers épisodes de la célèbre sitcom « Friends » (1995-2004), racontant l’amitié de Ross, Rachel, Joey, Chandler, Joey et Phoebe. Ross Geller doit se séparer de sa femme Carol qui est devenu lesbienne depuis qu’elle a rencontré Susan. Mais la séparation se fait lorsque Carol est enceinte de Ross ! Tous les trois décident que l’enfant, qu’ils appelleront Ben, sera élevé par Carol et Susan, et Ross restera présent et disponible pour son fils. Il s’agit ainsi non seulement de la première présence de lesbiennes à l’écran, mais en plus en couple, et qu’y plus est, faisant l’expérience de l’homoparentalité ! Homoparentalité plutôt réussi visiblement car Ben, en grandissant au fil des saisons, ne montrera pas de questionnement sur sa situation familiale. Il fut un moment question de créer un spin-off (série dérivée) centré sur ces personnages secondaires mais à la trame bien construite. Mais le projet n’eut pas de suite. Quoiqu’il en soit, ce couple lesbien, heureux en ménage et parents, est montré à la France entière face au succès de la série dès son passage sur France 2 deux ans plus tard.
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1996-2003 : la phase de l’affirmation
Après cette période de début de visibilité (entre 1982 et 1996 donc), la seconde moitié des années 1990’ voit la multiplication des séries télévisées ayant son ou ses personnages homosexuels. Désormais, c’est une période de profusion de l’offre de personnages gays et lesbiens à la télévision, aussi bien dans des rôles d’apparition que des rôles secondaires et surtout principaux. Tous les ans, au minimum trois nouvelles séries apparaissent sur les écrans avec au moins un personnage gay ou lesbien récurrent, le pic étant en 2001 avec douze séries recensées. Bref, il y a du choix. Cette profusion donne au téléspectateur lambda l’idée que les personnes LGBT existent, sont nombreuses et loin d’être une minorité invisible, et aux personnes LGBT isolées, particulièrement les plus jeunes en quête d’identité et de modèles, qu’elles ne sont pas seules.
Mais l’évolution est aussi qualitative : il ne s’agit plus seulement de multiplier les personnages gays et lesbiens, il s’agit de les développer, de les rendre plus consistants, et de par là même plus réels, plus proche de la réalité. Et donc de leur faire vivre de réelles histoires de cœur. Ainsi, la phase comprise entre 1996 et 2003 correspond à une période d’affirmation, c'est-à-dire une période où, contrairement à la précédente, les personnages gays et lesbiens vivent heureux, sans contrainte, ni tabou.
Chez les personnages gays, une série va apporter sa révolution : c’est « Oz » (1997-2003), la série américaine sur l’enfer carcéral. Diffusée sur la chaine Série Club qui s’en servit comme produit d’appel avec succès dès 1998. Cette série suit dans la prison d’Emerald City toute une série de prisonniers qui vivent dans une ambiance de répression des gardiens, de drogues, de violence et de meurtres, de viols. On suit notamment le personnage de Tobias Beecher, notre candide qui va découvrir l’horreur de l’univers carcéral. Dès le premier épisode, il est emprisonné pour meurtre involontaire par conduite en état d’ivresse. Il est accueilli par Vern Schillinger, un nazi qui va rapidement en faire son objet sexuel. A force de viols, Tobias finit par se révolter et à humilier Schillinger au plus haut point en lui déféquant sur le visage. Dès lors, Vern n’attend que sa vengeance. Il fait appel à un ancien de ses « protégés », Chris Keller, qui est chargé de le charmer pour gagner sa confiance, pour ensuite le briser psychologiquement. Ce travail d’approche va largement réussir, et se conclure par une scène de baiser mémorable (qui conduira d’ailleurs Chris en cellule d’isolement). Tobias tombant finalement amoureux de Chris, la supercherie est démasquée : abasourdi, il ne peut se défendre contre Vern et Chris qui lui brisent les bras et les jambes. La vengeance de Vern est totale car Tobias est totalement dévasté physiquement et moralement. Mais Chris regrette sa trahison envers Tobias… Ceci n’est que le début de la complexe histoire d’amour, de sexe, et de haine qui va lier les deux personnages. C’est ainsi que pour la première fois on verra à la télévision un baiser entre homme sans censure, et même avec passion, mais aussi des relations sexuelles entre hommes (même si la plupart du temps il s’agit plutôt de viols). Une telle liberté de ton ne fut possible que parce que cette série fut produite par la chaine du câble américaine payante HBO. D’ailleurs, à dire vrai, il ne s’agit pas seulement d’un baiser gay : il s’agit en fait d’un baiser bisexuel ! Tobias était avant un mari et père de famille, mais il devient bisexuel en tombant amoureux de Chris. Quand à Chris, même s’il a été marié à plusieurs reprises, il avait déjà eut des relations homosexuelles, certes en prison, puisqu’initié par Vern, mais aussi à l’extérieur (même si pour le coup il est aussi devenu un meurtrier homophobe… le personnage est très complexe et inquiétant, mais fascinant). Une série innovante et inégalée, mais uniquement visible sur le câble/satellite à l’époque.
Pour le grand public ne disposant pas du câble/satellite, il faudra attendre 2001 pour voir un personnage gay s’affirmer. Dans la série américaine pour adolescents « Dawson » (1998-2003), qui raconte les amours et amitiés d’un groupe d’amis dans la petite ville de Capside, le personnage de Jack McPhee apparait durant la saison 2. Le personnage avait déjà fait grand bruit lorsqu’il fit son coming-out dans la série. La première fois en plein cours, de manière forcée, parce que son professeur de littérature, qui avait donné comme devoir de rédiger un poème, le força à le lire devant toute la classe : sauf que le poème contenait ses confusions et ses troubles envers les garçons. La seconde fois à son père, dans les cris et les larmes, mais bouleversant. Ces deux épisodes furent très commentés, et touchèrent de nombreux jeunes téléspectateurs, mais particulièrement des gays et lesbiennes, dont certains firent leur coming-out sitôt après avoir éteint la télévision. Et bien dans la saison 3, il finit par tomber sous le charme d’un jeune garçon prénommé Tobey et échangent un baiser … en gros plan, sans coupe ni censure. Une première à heure de grande écoute. Il est dommage que le personnage de Jack McPhee fût mal construit après le départ du scénariste Kevin Williamson. Il n’y aura que des histoires d’amours chastes, le plus souvent conclus par un baiser au final de la saison … avant que la liaison ne se termine. Bref, si le personnage de Jack McPhee a ouvert des portes, il ne les a pas ouverte en grand. Frustrant.
Comme précédemment, les personnages lesbiens qui s’assument apparaissent plus tardivement. Lorsque le coming-out de l’actrice Ellen DeGeneres, aussi bien dans la vrai vie que celui de son personnage Ellen Morgan dans la sitcom éponyme « Ellen » (1994-1998), fait un battage médiatique qui réussit à traverser l’Atlantique en 1997, alors même que l’actrice et la série sont totalement inconnue, la chaine RTL9 décide d’acheter la série qu’elle diffusa en 1999. Ellen Morgan devient alors le premier personnage principal lesbien officiellement out (contrairement à Xena et Gabrielle dans « Xena la princesse guerrière qui en sont encore restées au crypto-lesbien). Toutefois son impact sera très limité en France, car d’une part c’était sur le câble/satellite, d’autre part elle a fait peu d’audience (la preuve, elle ne sera pas rediffusée). Qui plus est, même si ce personnage s’affirme lesbienne après un coming-out tonitruant dans une salle d’aéroport avec micro, les scénaristes vont ensuite lui écrire des histoires d’amour maladroites … avant qu’elle ne ressorte avec un garçon. Bref, un coup pour rien.
Les choses vont en fait bouger en France avec une autre série, populaire celle-ci. La série américaine pour adolescent « Buffy pour les vampires » (1997-2003), diffusée sur Série Club et M6, ira plus loin. La série raconte les aventures de Buffy Summers - l’Elue - la Tueuses de vampires, et de ses amis du scooby gang, dont fait partie Willow Rosenberg. Durant la saison 4, s’initiant à la magie, elle tombe sous le charme d’une autre magicienne : Tara Maclay. Après des interrogations sur ces sentiments (son ancien amour, Oz, était un garçon), Tara accepte ses sentiments et toutes deux échangent un baiser, là encore en gros plan, ni coupe, ni censure. Il s’agit du premier baiser lesbien sur une grande chaine française. Et ce qui est mieux encore par rapport à Jack McPhee de « Dawson », c’est que leur relation durera et sera très visible, surtout durant la saison 6, où leur liaison sera affichée, pleine de mots tendres et de gestes d’affection. La mort de Tara à la fin de la saison 6 fera pleurer plus d’un(e) adolescent(es). La même série franchira encore une nouvelle limite, la dernière possible peut être, en mettant dans la saison 7 en 2003 une relation physique entre Willow et Kennedy, sa nouvelle amante. On attend toujours l’équivalence pour une scène gay dans une série à grande écoute !
Ainsi, cette phase d’affirmation a été une phase d’amélioration qualitative de la représentation de l’homosexualité sur le petit écran. Car s’il l’on récapitule, on représentait au début les homosexuels plutôt de la façon suivante:
- caricaturaux, efféminés (Gruber dans « Allo Allo », Gérard dans « les filles d’à côté », John Irvin dans « NYPD Blues, Jack McFarland dans « Will and Grace », Philippe Gatin dans « Camera café » notamment)
- changeant tout simplement de sexualité aussi facilement que l’on peut dire ouf (Steven Carrington de « Dynastie », Jodie Dallas de « Soap », Ellen Morgan dans « Ellen »...)
- souvent célibataires (Matt Fielding au début dans « Melrose Place », Gérard dans « les filles d’à côté », Will Truman pendant de nombreuses années dans « Will and Grace », Carter Heywood dans « Spin City », etc…)
- malheureux en amour (Steven Carrington dans « Dynastie » et ses petits amis qui ont une fâcheuse tendance à mourir ; ou Matt Fielding dans « Melrose Place »…)
- s’ils avaient des petits amis, on ne montrait quasiment jamais de sexualité ou de gestes affectueux avec un partenaire (Steven Carrington, Matt Fielding, Gérard, Will Truman, Jack McPhee dans Dawson, etc…)
- généralement seul homo dans leur environnement amical et familial
- généralement un mec (les lesbiennes, çà n’existe pas voyons)
- parfois suicidaires (Gaël dans « La vie devant nous »)
Enfin bref, pas de quoi forcément sauter de joie. Ni de contredire les préjugés. Pourquoi croyez-vous que des parents pensent que leur enfant risque d’être malheureux lorsque celui-ci/celle-ci a fait un coming-out ? Parce que c’est la télévision qui le dit voyons !
Heureusement, les choses changent progressivement pour montrer :
- la parité : oui enfin les lesbiennes prennent une plus grande place
- des coming-out
- des couples, qui s’embrassent voire font l’amour en plus (Carol et Susan dans « Friends », Willow Rosenberg et Tara, puis Kennedy dans « Buffy », David Fisher et Keith Charles dans « Six feet under », Dylan ou Alex et Paige dans « Degrassi », Thomas et Nicolas dans « Plus belle la vie », Laurent Zelder avec ses compagnons successifs dans « Avocats et associés », Alex et ses compagnons successifs dans « Et Alors ? », etc…)
- on commence même à mettre des personnes de couleurs (Keith dans « Six feet under », Original Cindy dans « Dark Angel »…)
- et même l’homoparentalité (Carol et Susan dans « Friends », David et Keith dans « Six Feet Under », Lindsay et Mélanie dans « Queer as folk US »…)
Cette meilleure représentation, où ils sont désormais traités comme les autres personnages, permet de faire changer les mentalités en brisant les préjugés (les pds sont des malades, pervers et malheureux…) : c’est en bonne partie ainsi que les gays et les lesbiennes ont conquis par l’effort de scénaristes une image moins caricaturale et plus « normalisée » au sein de la société. D’autant plus que cela permet de donner des modèles pour les jeunes générations encore marginalisées par le manque d’éducation ou de prévention. Ainsi, la multiplication des personnages gays et lesbiens à la télévision suit l’évolution de la tolérance et de leur acceptation dans la société.
Et demain ? Vers la segmentation ou l’intégration ?
Il ne faut toutefois pas idéaliser ce qui vient de précéder. Les gays et les lesbiennes peuvent désormais être traité de manière égale aux autres personnages, vivre des histoires d’amour et de sexualité, s’embrasser à l’écran, certes. Les tabous sont donc tombés. Mais de là à dire qu’ils se sont généralisés serait abuser. C’est bien pour cela que l’histoire d’amour entre Andrew Van de Camp et Justin dans la série « Desperate housewives » (2004) déchaine de telles réactions : parce que cela reste relativement rare, surtout dans une série à grosse audience. C’est bien à partir de cette frustration de ne pouvoir avoir plus régulièrement ce type d’histoire et de traitement qu’ont commencé à émerger des séries se concentrant sur des personnages gays ou lesbiens et leurs histoires. C’est en 1999 qu’apparaissent deux séries de ce type.
La chaine Canal + diffusa en 1999 la série britannique « Queer as folk » (1999-200). Elle raconte l’histoire d’un triangle amoureux composé de Nathan, jeune gay de 15 ans qui découvre le quartier gay de Manchester et tombe follement amoureux de Stuart, un adulte dont la principale satisfaction est de plaire, ce qui lui permet de collectionner les conquêtes d’un soir, dont Nathan, qui s’avère beaucoup plus collant qu’il ne l’aurait penser. Vince vient compléter ce trio : c’est le meilleur ami de Stuart, lui aussi gay, mais beaucoup moins confiant en lui, ce qui ne lui permet pas d’avoir beaucoup de succès et explique aussi en partie son célibat. De toute façon, son cœur est en fait déjà pris car il n’ose s’avouer qu’il est amoureux de Stuart. Pour la première fois à l’écran, une série racontait uniquement des histoires gays. Elle était aussi beaucoup plus crue, puisqu’elle contenait des scènes de baiser et de sexe nombreuses et non censurées. Bref la série rendait visible ce qui ne pouvait être vue ailleurs.
Le succès de la série allait progressivement s’essaimer. Une version américaine, « Queer as folk » (version US donc), débarque elle aussi sur Canal + dès 2002. Son succès encourage la programmation d’autres programmes exclusivement gays ou lesbiens qui vont se multiplier à partir de 2005 : pour l’instant on compte « The L world » (2004), « Dante’s cove » (2005), et « Noah’s arc » (2005-->). Mais ces séries ne sont diffusées que sur des chaines payantes, Canal + ou Pink TV. De ce fait, elles ne sont pas visibles par une très grande partie de la population et ne permettent pas de changer les mentalités. Il s’agit donc de séries ayant pour but de satisfaire un public homosexuel, et non populaire. Voilà pourquoi on peut parler de segmentation … et certains diront même de repli identitaire, ce qui n’est pas forcément souhaitable. Tout dépend en fait de la volonté de chaines nationales de diffuser ce type de programme … à une case horaire descente. La diffusion en 2006 de la série « Queer as folk version UK » sur M6 après minuit montre pour l’instant leurs réticences : la sexualité gay affichée fait encore peur (en même temps les scènes de sexe sont assez « chaudes ».) La question est posée : les séries gays peuvent-elles en même temps répondre aux désirs des gays et des lesbiennes de se voir mieux représenter tout en restant grand public ?
Le deuxième type de série qui apparait en France en 1999 est la série « multi sexuelle ». Sur la chaine Téva débarque la série américaine « Les chroniques de San Francisco » (1994-2001), adaptation de l’œuvre d’Armistead Maupin. La série raconte les aventures des habitants d’une résidence tenue par Mme Madrigal (une transsexuelle) : Mary Ann et Brian sont hétérosexuels, Michael « Mousse » est gay, Mona bisexuelle … Bref toutes les sexualités et tous les genres sont présents. La série permet de suivre leurs histoires sentimentales … tout en évitant de montrer trop de nudité. Elle est donc plus grand public.
Ce type de série va elle aussi se multiplier et débarquer confidentiellement à la télévision française : en 2001 est diffusée sur Canal Jimmy la série britannique « Metrosexuality » (2001) ; la série britannique « Tinsel town » (2000-2001) arrive sur la même chaine en 2005 ; l’année 2005 voit aussi arriver la série canadienne « Bienvenue à Paradise Fall » (2001-2004) et la série américaine « Godiva’s » (2005-->) sur Pink TV. Ces séries vont ainsi montrer toutes les formes possibles de sexualité, et notamment la bisexualité jusqu’ici sous représentée. Ces séries sont en général construites pour être regardées par un large public … même si elles ne l’ont pas forcément trouver, en tout cas en France, soit au vue de leur chaine ou de leur horaire de diffusion, soit à cause de leur qualité scénaristique, voir les trois. L’amorce est en tout cas en route, d’autant qu’au Royaume-Uni est en train de naitre le phénomène « Torchwood » (2006), encore inédit en France.
« Torchwood » est un spin-off (série dérivée) de la populaire série britannique « Dr Who ». Torchwood est le nom d’un institut secret créé par la reine Victoria au 19e siècle pour lutter contre les phénomènes étranges ou extraterrestres (une conséquence de la rencontre avec le docteur Who – ah oui, pour ceux qui ne connaissent pas, ce docteur peut voyager dans le temps). La série se concentre sur l’une de ses cellules basée à Cardiff. Elle est composée de 5 membres : le chef de la cellule, soit le capitaine Jack Harkness (un ancien criminel qui s’est reconvertit grâce à Rose dans « Dr Who », ouvertement bisexuel), qui dirige les membres Gwen Cooper, Owen Harper, Toshiko Sato et Ianto. En fait, dans cette série, tout le monde est plus ou moins bisexuel. Les scénaristes se sont amusés à dessiner des relations multiples entre les différents personnages, aussi bien hétérosexuelles qu’homosexuelles.
Ainsi, lors d’une conversation entre quatre membres de l’équipe pour savoir qu’elle était la sexualité du capitaine Jack, Toshiko le décrit parfaitement comme étant quelqu’un que se taperait n’importe qui du moment que la personne est suffisamment belle. Toshiko est plus ou moins attirée par Owen, mais a aussi eut une relation sexuelle avec Marie, une fille venue du passé dans l’épisode « Greeks bearing gifts ». Dans l’épisode « Everything changes », Owen Harper séduit une femme dans un bar à l’aide d’un spray, une technologie extraterrestre qui rend la personne en face dingue de vous. Sauf que cette femme a déjà un petit ami, qui, pas content, les rattrape et le menace de lui casser la figure. Pour s’en tirer, Owen utilise le spray … pour charmer l’agressif petit ami ! Mais surtout, et c’est ce qui passionne le public outre-manche, Ianto est montré dans une relation hétérosexuelle avec Lisa, l’amour de sa vie, qu’il tente de ressusciter dans l’épisode « Cyberwoman », mais engage progressivement une relation avec le Capitaine Jack, d’abord par des allusions sexuelles (dans l’épisode « They keep killing Suzy », Ianto fait des avances très coquines à Jack en proposant d’utiliser une montre capable de jouer avec le temps) puis plus clairement (comme la scène du baiser final entre eux deux dans « End of days »). Ce type de série montre en fait l’intégration de toutes les sexualités pour la première fois dans une série populaire et grand public (ce n’est pas là qu’il faut aller voir de la nudité) : elle les banalisent, les romancent même, et permettent de faire effondrer des préjugés basés sur l’orientation sexuelle. Les fans français attendent sa diffusion à la rentrée sur Europe2TV.
Pour conclure
Ainsi, en l’espace de deux décennies, l’homosexualité dans les séries a profondément évolué vers une amélioration quantitative et qualitative. Cette évolution accompagne la progression de la tolérance et de l’acceptation de l’homosexualité en France, même si elle reste difficile à évaluer. On peut bien évidemment poursuivre le même raisonnement avec le cinéma, la littérature, la publicité, la téléréalité, la musique, etc…
Il se profile actuellement deux voies pour la présence de personnages gays et lesbiens affirmés dans les séries télévisées. La première est la voie de la segmentation, qui s’est développée en même temps que les chaines gays : on montre plus, on montre même parfois tout, ce qui n’en font pas tous des séries grand public. La deuxième est la voie de l’intégration, ou toutes les formes de sexualité sont montrés sans voyeurisme pour un public populaire. Le futur nous dira ce qui se passera…
Dans notre prochain article, nous montrerons l’impact des séries télévisées sur le public gay et lesbien.
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Petite biographie
* Des articles sur la présence lesbienne à la télévision des écrans mauves « parce que la visibilité importe »
http://ecranmauve.canalblog.com/archives/series/p0-0.html
Un classement des 10 meilleures séries à présence lesbienne d’après l’univers-L
http://www.univers-l.com/top_ten_series_page1.htm
* Une liste extrêmement complète des séries ayant des personnages gays, lesbiens, bisexuels, transsexuels des années 1960’ à nos jours (en anglais)
David A. Wyatt, "Gay/Lesbian/Bisexual Television Characters”
http://home.cc.umanitoba.ca/~wyatt/tv-characters.html#1961
http://home.cc.umanitoba.ca/~wyatt/tv-char1970s.html#1971
http://home.cc.umanitoba.ca/~wyatt/tv-char1980s.html
http://home.cc.umanitoba.ca/~wyatt/tv-char1990s.html#1991
http://home.cc.umanitoba.ca/~wyatt/tv-char2000s.html#2001
* Une liste moins complète en français sur Wikipedia
- « Homosexualité dans les séries télévisées »
http://fr.wikipedia.org/wiki/Homosexualit%C3%A9_%C3%A0_la_t%C3%A9l%C3%A9vision
* Des annuaires encyclopédiques plus généralistes
annuséries. com : http://www.leflt.com/annuseries/encyclopedie/
allo ciné : http://www.allocine.fr/
Lun 1 déc 2008
1 commentaire
Je suis ébahi par la pertinence et la qualité de la synthèse et surtout par le champ arpenté; cependant je constate un oubli. Celui du personnage de Maxxie dans la série Skin qui est diffusée actuellement, et depuis un certain temps sur la chaine britannique Channel four (qui pourrait me procurer les enregistrements?). Maxxie est un jeune gay. Il est joué par Mitch Hewer (on peut voir les images de cette merveille sur mon blog). La série dépeint avec réalisme la vie quotidienne de jeunes de 16 à 18 ans dans la ville anglaise de Baltimore.
Bernard Alapetite - le 30/10/2007 à 15h31