LES TOILES ROSES
Fiche technique :
Avec Johnny Deep, Martin Landau, Patricia Arquette, G.D. Spradlin, Mike Starr, Max Casella, Melora Walters, Rance Howard, Bill Murray,
Sarah Jessica Parker, Jeffrey Jones, Lisa Marie et Vincent D’Onofrio. Réalisation : Tim Burton. Scénario : Scott Alexander & Larry Karaszewski. Directeur de la
photographie : Stefan Czapsky. Compositeur : Howard Shore.
Durée : 126 mn. Disponible en VO, VOST et VF.
Résumé :
Évocation de la vie d'Ed Wood, réalisateur considéré de son vivant comme le plus mauvais de tous les temps, aujourd'hui adulé et venéré par
des milliers d'amateurs de bizarre et de fantastique à travers le monde.
L’avis de merovingien02 :
Si Ed Wood est un des plus gros échecs dans la carrière de Tim Burton, il n'en demeure pas moins un de ses meilleurs films. Un des meilleurs réalisateurs s'attaque à la biographie du
plus mauvais ? Le résultat est une des oeuvres les plus personnelles de l'auteur qui, à travers Wood, nous parle de lui même : sa marginalité et son combat contre Hollywood.
Hollywood... Burton ne s'y est jamais senti à l'aise, incapable de rentrer dans le moule du conformisme. La pression exercée par les studios lors des tournages des Batman ne l'a pas laissé sans séquelles. Aussi, lorsque le projet d'Ed Wood arrive sur sa table, le réalisateur y voit l'occasion de travailler sur un petit budget sur lequel il aura une grande liberté artistique (Touchstone lui fait les yeux doux alors qu'il est habituellement rattaché à la Warner). Et c'est tant mieux car cela lui permettra d'exploiter admirablement toutes les possibilités d'un script afin d'en tirer un magnifique auto-portrait subtil. Ed Wood, c'est tout simplement l'histoire de ce metteur en scène nullissime qui croyait néanmoins dur comme fer à la « Magie du Cinéma » et qui tentait de vivre en dehors des contraintes des producteurs. Plus généralement, Wood était un doux rêveur passionné d'histoires fantastiques qui n'étaient grandioses que dans sa tête. Comme toutes les figures habituelles du « Cinéma Burtonnien », le héros est un individu qui fuit la réalité, un marginal enfermé dans ses illusions innocentes. À la différence près, qu'ici, il s'agit d'un homme ayant vraiment existé. De la même manière, tous les freaks qui entouraient le cinéaste ont bel et bien vécu, qu'il s'agisse de Bela Lugosi (le mythique interprète de Dracula), la montagne Tor Johnson ou bien encore la Vampira qui fut plagiée ensuite par Elvira. Comme si, pour la première fois, le surréalisme émergeait dans la réalité. Cette véracité historique est, à n'en pas douter, ce qui a séduit Burton bien avant de faire du cinéma… le jeune garçon renfermé pouvant se retrouver aisément dans ces marginaux incompris.
En quelque sorte, Tim Burton est le double d'Ed Wood, le talent en plus. Burton se livre donc discrètement, en dressant le portrait d'un homme qui aimait se travestir et qui n'était pas
compris de la masse vivant dans la norme. Bien sûr, Burton n'est nullement un travesti mais ce trait de la personnalité réelle du personnage fictif ne sert jamais que de déclencheur au rejet
dont il est victime. Et de la même manière qu'Ed Wood (le vrai) se mettait à nu dans son film Glen ou Glenda, Burton se met à nu dans Ed Wood. La biographie ne sert qu'à
parler de ses obsessions. On prendra pour exemple la magnifique scène du train fantôme où le cinéaste raté confesse son vice caché à Kathy. L'homme évolue dans un monde de comédie macabre
(les divers monstres de l'attraction) et se retrouve brusquement ramené à la réalité, lorsqu'une panne survient. D'un seul coup, les deux tourtereaux ne sont plus entourés que de noirs, Wood
n'évolue plus dans le rêve : il est confronté à la réalité sombre du monde. Ce n'est qu'après que Kathy lui annonce qu'elle l'accepte tel qu'il est que les lumières se rallument et que le
wagon poursuit sa route vers le spectacle de carnaval. De la même manière, Burton s'offre avec ce film une incursion dans une histoire réelle, comme s'il prenait le temps de nous livrer qui
il était.
Les parallèles entre les deux cinéastes sont d'ailleurs multiples. Le duo Wood/Lugosi ne peuvent que nous renvoyer à l'admiration que Burton porte à Vincent Price. Dans les deux cas, un jeune
novice rend hommage à son idole vieillissante en lui attribuant un rôle divin dans un de ses métrages. Difficile également de ne pas voir chez un Wood bataillant pour s'imposer en vain à
Hollywood, l'image d'un Burton réglant ses comptes avec une industrie cherchant à brimer le talent. Entre le portrait peu reluisant qui est fait des stars une fois les projecteurs éteints
(les sociétés produisant des merdes dans le seul but de faire de l'argent ou encore les producteurs cherchant à tirer profit de leur position en imposant leur casting et leur point de vue sur
le script), le réalisateur nous livre une brillante satire d'un milieu qui n'a pas tellement changé depuis des décennies.
D'un point de vue technique, le film est sans doute le plus abouti du réalisateur. En dépit d'une esthétique noir et blanc à l'ancienne et d'un refus complet de l’esbroufe, Burton livre un film rétro à la mise en scène surprenante de précision. Le choix du noir et blanc est parfaitement en phase avec l'esprit respectueux vis à
vis des films abordés (vous imaginez Plan 9 From Outer Space en couleur, vous ?) Le film commence comme tout bon programme horrifique à l'ancienne, avec son présentateur qui sort
d'une tombe, puis le générique défile sur des images de pierres tombales, de pieuvre animée image par image et d'OVNIs déplacés avec une ficelle. Ça fleure bon les années 50, jusqu'au plan
aérien d'Hollywood qui n'est rien d'autre qu'une grosse maquette ! Les reconstitutions des films de Wood font preuve d'un souci maniaque du détail (postures
des personnages, intonation, rythme, cadrage) et chaque comédien a été choisi pour coller au plus près des modèles. Pour un résultat tout simplement SIDÉRANT. Martin Landau est littéralement
Bela Lugosi (il a d'ailleurs remporté l'Oscar pour cette interprétation), Bill Murray excelle en Bunny et Johnny Depp livre encore une fois une composition à la limite du mimétisme.
Quant à la musique, elle n'a pas été composée par Danny Elfman (lui et le réalisateur se sont fâchés sur L'Étrange Noël de Mr Jack où le compositeur avait vraiment trop vampirisé le film en comédie musicale) mais par le compositeur de la trilogie du Seigneur des anneaux, Howard Shore. Celui-ci reprend quelques thèmes de vieux classiques comme le Lac des Cygnes employé dans le Dracula de Browning ou bien en piochant dans les musiques des œuvres de Wood. Bref, le film de Burton ne semble nullement avoir été fait dans les années 90, tant il transpire l'authenticité d'une époque dépassée. Il convient de saluer le remarquable travail sur le noir et blanc du réalisateur qui puise directement dans un baroque gothique totalement en phase avec l'esprit de la Hammer. On pensera à cette confrontation entre Wood et Lugosi où celui-ci menace de se tuer alors que l'éclairage en contre-plongée accentue la dimension effrayante des ombres (soulignée par des cadrages désaxés) ou bien encore à la représentation d'un Lugosi dans son cercueil semblant tout droit surgir d'un film de Dracula. On pourra également voir, lors d'une scène où le comédien se drogue, une allusion à Nosferatu, le personnage étant présent à l'arrière plan sous la forme d'une ombre effrayante (façon subtile de remettre Lugosi à la place d'un vampire humain qui n'est plus que l'ombre de lui-même).
Derrière un aspect rétro parfaitement maîtrisé, Tim Burton vient ni plus ni moins que de faire son auto-portrait. La seule différence avec Ed Wood est que ce dernier était un génie du
nullissime, là où Burton est un génie tout court. Ce film est surtout un regard très triste et pessimiste sur une industrie de production brisant les rêves d'auteur (aussi mauvais soient-ils)
ne demandant qu'à s'exprimer à travers l'art. La conversation fantasmée avec Orson Welles et le faux happy end seront bien vite ramenés à la réalité avec le triste épilogue, venant rappeler
le destin peu reluisant de ces artistes ratés. Ed Wood, ou la déclaration d'amour d'un Tim Burton.
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