LES TOILES ROSES



Fiche technique :
Avec Saskia Reeves, Amanda Plummer, Kathy Jamieson et Lisa Jane Riley. Réalisé par Michael Winterbottom. Scénario : Frank Cottrell Boyce. Directeur de la photographie : Seamus McGarvey.
Durée : 85 mn. Disponible en VO, VOST et VF.
Résumé :
Eunice, une femme visiblement dangereuse, passe sa vie à arpenter les autoroutes du nord de l'Angleterre à la recherche d'Edith, la seule qui lui ait jamais témoigné de l'amour. Dans une station-service, elle rencontre Miriam, qui quitte tout pour la suivre, même si elle devine très vite qu'Eunice est une meurtrière.
L'avis de Philippe Serve :
Eu and Mi
Ne vous laissez pas abuser par le générique de début sur (gros) plans en noir et blanc de Saskia Reeves et sur fond de ritournelle acidulée et estampillée « early 60's » (le "Walkin' Back to Happiness " d'Helen Shapiro). Le film qui va suivre ne fait pas dans la gentille bluette…
Nous sommes de nos jours dans le nord de l'Angleterre, du côté de Blackpool, station balnéaire, là où la classe ouvrière du pays se rue dès les vacances. Mais en dehors de ces périodes, la région flirte plus du côté de la désespérance que des réjouissances…
« Regarde qui est là. Regarde… C'est moi. Me voici. » Chevelure courte et rousse, taillée à la serpe, Eunice (Amanda Plummer) arpente le bitume d'une autoroute en répétant ces phrases en boucle. Voilà. De la première séquence à la deuxième, le ton a changé. On va voir ce qu'on va voir…
Eunice entre, fébrile, dans une station-service, prétend chercher un disque, un chanson d'amour, non, « sur l'amour », précise-t-elle, et une certaine Judith, peut-être la vendeuse ?… Non… Quelques instants plus tard, celle-ci gît au sol dans une mare de sang. Que s'est-il passé ?
Eunice, elle, boit un café ailleurs tandis que Gloria Gaynor chante "I Will Survive " (pré-Mondial 98)…
Et la voici repartie, une nouvelle station, le même baratin. Ici, la vendeuse se nomme Miriam (Saskia Reeves). On la retrouve à la séquence suivante telle qu'au générique, en noir et blanc, s'adressant à la caméra, elle parle d'Eunice dont, dit-elle, « on savait instantanément si elle était gaie ou en colère ». Cette scène de confidences sera utilisée, tronçonnée, comme inserts et fil rouge du film.
Miriam et Eunice… Autrement dit Mi (Me = Moi) et Eu (prononcez You = Toi)… Moi et toi…
Mi affiche une naïveté désarmante et porte un appareil auditif à l'oreille gauche… Eu a le corps couvert de tatouages (17) et bardé de chaînes qui lui entrent et lui sortent de la peau… Elle ne croit qu'en une chose: le châtiment. Surtout envers elle-même. D'où les chaînes et toujours plus de meurtres censés provoquer la punition. Qui ne vient pas. « Dieu m'a oubliée. Je tue des gens et il ne se passe rien. Il pourrait me châtier ou m'asservir. Mais non… rien. Je fais ce que je veux. Il ne me voit pas. »
« Dieu est mort… »
Eunice, la tueuse en série lesbienne, séduit et entraîne Mi avec elle dans une sorte de Thelma et Louise british. Mi ne veut que l'aider à « être une meilleure personne » sans jamais la juger car persuadée « qu'on ne peut avoir le bien sans le mal ». Elle est décidée à la suivre partout, jusqu'au bout… « Pour me rendre bonne ? Je te pervertirai avant », la prévient Eu… Et effectivement… Lorsque le moment surgit, Eu lui lâche « Bienvenue en enfer »…
Butterfly Kiss est le quatrième long métrage du réalisateur anglais Michael Winterbottom, né en 1961 à "Four Thousand Holes in" Blackburn, Lancashire (les fans des Beatles comprendront…). Son premier succès. En deux ans, il réalise quatre films, pas moins, tous très remarqués ! Après celui-ci ce sera Go Now (95), Jude (96) et Welcome to Sarajevo (97), s'affirmant comme l'un des cinéastes les plus prometteurs de son pays…
Avec Butterfly Kiss, il réussit un excellent film, très éloigné des habituels portraits de « serial killers ». Il s'appuie pour cela sur une mise en scène dépouillée, elliptique (on ne voit quasiment rien des meurtres), et se sert à merveille d'une excellente bande-son : musique originale de John Harle, mais surtout excellente utilisation de morceaux pop avec notamment quatre morceaux des Cranberries. La séquence finale sur fond de "No More Argue" est particulièrement réussie.
Mais le film ne serait sans doute pas ce qu'il est sans ses deux interprètes… Saskia Reeves s'était déjà faite remarquée en étant l'Antonia de Antonia et Jane de Beeban Kidron (91). Elle interprète avec beaucoup de subtilité le rôle de Mi et j'ai particulièrement apprécié sa performance dans les séquences noir et blanc où elle évoque Eunice… Cette dernière est incarnée par Amanda Plummer (dont il est difficile de croire qu'elle avait déjà 38 ans à l'époque tant elle semble juvénile). Fille du grand acteur anglais Christopher Plummer, Amanda n'était pas passée inaperçue dans des films comme Fisher King de Terry Gilliam ou Pulp Fiction de Quentin Tarantino. Ici, plus que jamais, sa performance mérite le détour. La diction rauque, fortement marquée de l'accent du nord de l'Angleterre, les yeux incroyablement fiévreux et expressifs, c'est elle et elle seule qui imprime tout son rythme au film et fait de Eunice un personnage fascinant car échappant à toute grille classique d'analyse…
Pour plus d’informations :