LES TOILES ROSES
Jusqu'au milieu du XIXe siècle, le Japon offre une tradition culturelle de l'homosexualité. Qu'ils exaltent les vertus guerrières du samouraï ou qu'ils se travestissent dans le théâtre nô, les hommes ont tous le culte de la beauté et de l'amitié virile. Illustration de la décadence et de la persistance d'une certaine conception de l'homosexualité purement nippone.
L'homosexualité semble avoir été d'emblée adjointe aux principes des deux principales écoles bouddhistes du Japon. Le maître Kôbô, fondateur de l'école Tendai, a été considéré comme l'initiateur d'un mouvement homosexuel nippon. L'école Shingon a également intégré cette voie. Les relations qui s'établissent dans les monastères sont uniquement pédérastiques : le maître aime un chigo qui peut se révéler parfois être un dieu, puisque selon un culte très ancien, les dieux apparaissent incarnés sous la forme de garçons angéliques.
L'atmosphère raffinée qui règne dans le temple invite autant à la méditation qu'à l'efflorescence des arts. Les moines composent des poésies pour leurs chigos ; ces derniers apprennent la musique et la danse - à l'origine du théâtre nô ; l'aristocratie et l'empereur viennent se divertir auprès d'eux. Parfois, il arrive qu'une armée de moines s'empare d'un monastère qui leur aurait ravi un de leurs protégés. Enfin, la pédérastie religieuse semble pouvoir être justifiée par le bouddhisme tantrique qui définissait des moyens permettant aux hommes d'accéder de leur vivant à la délivrance. C'était dès lors ouvrir des voies dont le Shudô (1), pratiqué par les samourais.
A l'origine, le Shudô (1) devait permettre la réalisation d'un amour idéal. Les principes étaient très simples : les amants se juraient l'amour parfait ; aucun interdit social ; la droiture et la noblesse du coeur étaient de mise, ainsi que le respect de chaque passion, dût-elle ne pas correspondre aux vœux ; enfin, la pratique de la poésie. Le garçon particulièrement beau devait par ailleurs veiller à conserver une âme, en vue de sa vie future.
A partir du XVIIIe siècle on assiste à un affaiblissement puis à un effondrement de cette doctrine, qui entraînent à terme une condamnation de l'homosexualité. Cela tient en partie au fait qu'à la rigueur de l'idéal masculin se substitue un épicurisme débilitant : signe révélateur, les prostitués s'habillent désormais en femme, le guerrier prend de plus en plus les masques de l'acteur.
(1) Le shūdō (衆道) est la tradition japonaise d'une homosexualité de type pédérastique pratiquée au sein des samourais de l'époque médiévale jusqu'à la fin du XIXe siècle.
A LIRE : La voie des éphèbes : Histoire et histoires des homosexualités au Japon de Tsuneo Watanabe et Jun'ichi Iwata, Editions Trismégiste, 1987, ISBN : 2865090248