LES TOILES ROSES

« Cependant, la majorité des sidatiques subissent la misère sexuelle des contagieux. Le soir, une fois les feux et la télévision éteints, la panique monte et le lent mouvement de la masturbation rassure par son mécanisme monotone, nous rappelant le temps où nous vagabondions insouciants dans le rouge paradis de la sexualité.

Plus qu'une forme de calmant, la masturbation fait échapper pour un temps les hommes et les jeunes gens que nous sommes à l'univers semi-carcéral où nous avons été pris au piège par l'épouvante que nous suscitons. Les membres les moins scrupuleux des armées en campagne violent les femmes sans défense qu'ils rencontrent sur leur route. Les sidatiques qui ne disent pas à leur partenaire qu'ils sont malades et ne prennent avec eux aucune précaution font de même. J'ai pour eux le mépris que les officiers de West Point éprouvent pour les soldats perdus de My Lai. Je soupçonne ces quelques sidatiques de vouloir faire payer aux civils leur chance et leur indifférence. Que de haine, pour eux-mêmes et pour autrui, ces soudards doivent ressentir. » Alain Emmanuel Dreuilhe, Corps à corps : Journal de sida, Editions Gallimard/Au Vif du Sujet, 1987.

Jeu 18 déc 2008 Aucun commentaire