LES TOILES ROSES
Peux-tu nous présenter ton blog, sa genèse, son contenu, ce qu’il t’apporte et ce que tu penses qu’il apporte à tes lecteurs(trices) ?
Le tout est parti d’un télescopage : un article dans SVM-MAC qui vantait la facilité de mise en route d’un blog, et un dimanche après-midi au Cox où j’ai croisé un collègue de travail et découvert officiellement que je n’étais pas le seul homo dans ma boîte. Comme j’adore écrire et que j’ai tenu mon journal pendant des années, la suite était logique. Raconter mes petits tracas de la vie – ce n’est pas pour rien que l’on m’a appelé la Dramaqueen – et si possible de manière drôle. En outre, il y a la distanciation de l’écrit couplée à un besoin de faire un point sur ce que je suis aujourd’hui. Plutôt désabusé quant au Marais et la vie « gay » actuelle, et suffisamment adulte pour assumer toute ma folle-attitude. Enfin, si les lecteurs se reconnaissent dans mes propos ou les trouvent intéressants tant mieux. Il y a très peu d’espaces publiques pour les homosexuels au sens le plus large de parler naturellement de ce qui les occupe au quotidien. Les hétéros parlent de leur vie de tous les jours. Un mec qui kiffe les mecs, et qui le raconte comme une évidence, ce n’est toujours pas banal. Tandis que moi, au fond, je suis d’une banalité affligeante.
Tu écris le premier paragraphe d’un roman ou d’une nouvelle dont le héros n’est autre que toi-même. Quel serait ce paragraphe ?
Vendredi. Tout a basculé un vendredi soir. Les premiers beaux jours, le bourgeonnement du printemps et une excitation que je peine à canaliser. Je sors de la gym où je me défoule après le boulot, depuis trois mois, le temps de m’installer à Paris. Je n’ai toujours pas franchi le pas, sauf de glaner les adresses sur le Net, de mater les photos et de rêver faire un tour dans le Marais. Pourtant, c’est pour cela que j’ai enfin quitté le monde étriqué de la trinité famille, lycée et chef-lieu de canton. J’ai fui cet univers-là parce que de toute façon, je n’avais pas la force d’assumer de leur montrer ce que je veux être, de ce qui me taraude, de ce qui me rend fou, à tel point que je passe des nuits entières à rêvasser sur cet autre moi que je pourrais être. Si j’avais le cran. Le courage. Le déclic et le mec qui me pousse tout en me rassurant sur l’inconnu où je désire pourtant aller. Ce vendredi-là, au lieu de continuer sur mon parcours habituel en RER, je descends aux Halles, bifurque vers la rue des Archives.
Si tu étais les premières images d’un film, quelles seraient-elles et pourquoi ?
Long travelling dans une maison, lumière du jour qui se lève, la caméra s’arrête sur le héros, dans son lit défait. On voit un homme d’une trentaine d’années, nu, sur le ventre, assez beau garçon. La caméra s’arrête sur un détail en gros plan, la main d’un autre homme, avec l’avant-bras poilu, qui lui caresse le creux des reins. (J’ai toujours été fasciné par les scènes d’intimité où surgit un détail insolite qui déclenche une histoire d’amour, ou l’explique. Je suis assez romantique à la limite du maladivement midinette. J’aime pleurer sur les histoires de rencontres réussies ou ratées, ou d’amour impossible.)
Quel est ton roman préféré (à thématique gay ou LGBT) et pourquoi ?
Joe Keenan Un mariage à la mode (Blue Heaven) – extrêmement bien écrit (lisez-le en anglais si vous pouvez), à pisser de rire, avec des rebondissements incroyables et des personnages gays très dignes et très bien croqués. Plus les grands classiques, à savoir Chroniques de San Francisco (Armistead Maupin) et les deux premiers Transports parisiens (Alec Steiner).
Quel est ton film préféré (à thématique gay ou LGBT) et pourquoi ?
Aucun en particulier, le film qui m’a le plus marqué à l’âge de 13 ans, Le Guépard de Visconti, n’a rien de spécifiquement gay ; disons le dernier film que j’ai adoré : 20 centimètres de Ramon Salazar
Quelle est ta série TV préférée (à thématique gay ou LGBT) et pourquoi ?
Idem, rien de spécifiquement gay et LGBT ; à la rigueur Sex and the City pour ce ton désinvolte très new-yorkais ainsi que Stargate pour son côté péplum dans le casting, surtout des méchants Goa’uld et les gentils Jaffa. Mais je suis fan de séries télé, il y a toujours un personnage joué par un acteur auquel j’aimerais volontiers conter fleurette si je le croisais dans le Marais.
Quelle phrase tirée d’un livre ou film ou encore d’une chanson semblerait te définir à la perfection ?
Ce monde est-il rêve ? réalité ?
Réalité ou rêve, je ne sais, puisque étant,
il n’est pas.
(Kokinshû, recueil de poèmes japonais du 9e siècle – l’auteur de ce haiku n’est pas connu)
Quelle photographie (perso ou non), image, tableau (etc.) pourrait te définir le mieux ou donner des pistes sur ta personnalité ?
Beauté du corps, idéal inaccessible, et tourments métaphysiques parce que toute certitude factuelle n’est qu’illusion.
Question piège : Penses-tu qu’il existe une culture gay ?
D’un point de vue épistémologique, je pense que non. Pour l’homme, tout est sexuel, en partant du biologique, physiologique, psychologique et de là, jusqu’au social et culturel. Parler de culture gay n’a alors aucun sens. D’autant que les définitions d’homosexualité ou d’hétérosexualité datent du XIXe siècle qui a vu émerger d’une vue purement scientifique du monde et de l’homme une déferlante de notions précises, mesurables et réductrices. Mais comme le fait culturel apparaît aussi et simplement comme le reflet d’un groupe qui se constitue par la définition de critères d’appartenance, si effectivement un comportement sexuel sert de critère pour faire partie d’un groupe, alors oui, aujourd’hui, dans le monde occidental, et particulièrement aux États-Unis et en Europe de l’Ouest, il y a des manifestations que l’on pourrait à la rigueur appeler une culture gay.
Quel dialogue pourrais-tu imaginer entre ton moi profond et ton moi blogueur ?
Blog : Bon alors tu accouches ?
Moi : Pas le temps, pas envie, pas le courage…
Blog : Si, tu vas y arriver !
Moi : Alors je me lance. Mais je vais être ridicule.
Blog : Encore, tu te rabaisses en te persuadant d’être ridicule. Tant pis, tant mieux, fais-les rire.
Moi : Oui, mais si c’est mauvais. Il y a tant de pages mal écrites sur le Net.
Blog : T’en a rien à cirer, les encouragements de tes vrais amis valent toutes les angoisses de la page blanche.
Quel est le blog que tu voudrais réellement faire connaître et pourquoi ?
NightCrawler, complètement différent de moi, mais d’un foisonnement remarquable.
Quelle question ne voudrais-tu pas que l’on te pose ?
Parce que je me la suis posée moi-même : « Qu’est-ce qui t’empêche de le faire, t’aurais pu le faire depuis belle lurette ! »
Dernière question. Pour passer (ou non) à la postérité, il faut préparer ses derniers mots ou dernières phrases à dire sur son lit de mort : quel(le)s seraient-ils(elles) ?
Très XIXe, cette question. Aujourd’hui, on décède à l’hôpital, le plus souvent déjà inconscient, alors de là à prononcer des paroles taillées pour la postériorité. Je dirai probablement une nullité et pour me rattraper, bah ce sera trop tard, de toute façon.
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