LES TOILES ROSES
(5.09)
(c) D. R.
Il y a des jours où je crois vraiment que je suis maudit. J’ai déjà évoqué le traumatisme qu’avait causé la fille LGBT lorsqu’elle m’avait annoncé qu’elle était amoureuse de moi. Eh bien, j’ai peur de retomber dans le même cycle infernal.
Récemment, j’ai pris quelques contacts afin de donner une impulsion décisive à des projets extra-professionnels que je muris depuis longtemps. C’est ainsi que par le truchement d’une dame 1 qui m’a recommandé à une dame 2 j’ai rencontré samedi dernier une demoiselle, qui disposerait a priori de l’équipement nécessaire pour m’aider à réaliser mon projet. Elle m’avait fixé rendez-vous dans un café déli qui a ouvert il y a un mois dans les anciens locaux de l’Alliance Française, et qui est rapidement devenu le lieu de rendez-vous des bobos du coin. J’aime y aller, ne serait-ce que pour me rincer l’œil car le propriétaire des lieux est fabuleusement beau (de mon point de vue), même si je sais que je n’ai aucune chance de parvenir à accrocher son regard.
Parlons-en, du regard. Lorsque je suis arrivé sur les lieux, sous le soleil de midi trente, avec ma belle écharpe orange comme signe de reconnaissance, mes yeux quadricolores ont accroché la demoiselle qui m’attendait déjà, bien que le rendez-vous ait été fixé pour 13 heures. Nous fîmes donc connaissance autour d’un café allongé (c’est le café qui est allongé, je précise…). Puis j’ai sorti mon cahier et lui ai montré la structure de mon fabuleux projet. Nous avons discuté longtemps, d’autres connaissances sont arrivées sur les lieux, et blablabla, et la demoiselle qui comptait ne passer qu’une heure et demi maximum en ma compagnie fut toute surprise de constater que trois heures plus tard nous parlions encore. Elle était fascinée. Normal, me direz-vous.
Puis nous sommes allés nous promener en attendant l’heure du souper (soit 4 heures de l’après-midi, je sais, ça paraît incroyable mais c’est ainsi que les gens vivent dans ces contrées sauvages). Et là, elle a commencé à me poser des questions plus personnelles que professionnelles. En un mot comme en cent, elle voulait savoir si j’étais célibataire. J’ai donc répondu que oui, me mettant sur une défensive évasive. C’est alors que, jusque là, alors qu’il lui semblait lire en moi comme en livre ouvert, l’horizon soudain s’est troublé, comme si une nappe de brouillard venait de s’abattre sur Londres en plein été.
Au restaurant méditerranéen, elle m’a fait part de ce ressenti un peu brumeux qui venait la troubler comme l’eau trouble le pastis. Puis elle m’a dit qu’elle avait fait une super rencontre avec moi et qu’elle se demandait s’il pouvait y avoir un peu plus qu’une collaboration professionnelle. Aïe aïe aïe… les ennuis ne faisaient que commencer. J’eusse aimé avoir Zaza [Isabelle B. Price, précision de Daniel C. Hall pour les nouveaux] à mes côtés pour venir à mon secours dans ce moment difficile. Mais le pire était encore à venir.
Après le souper de 16h (qui se termina à 17h40), nous sommes allés retrouver un de mes amis qui se trouve être aussi un ami de la demoiselle (Moncton est une petite ville…) dans un bar non loin de l’endroit où nous nous trouvions (Moncton est une petite ville, bis). Tandis qu’il discutait avec quelqu’un d’autre, à un moment donné, la demoiselle s’est faite plus explicite en me disant clairement que je l’intéressais et qu’elle voulait savoir si « la porte était ouverte ». Je sentais le sol se dérober sous mes pieds, et j’aurais voulu me faire petite souris pour disparaître dans un trou dans le mur. Alors, pour tenter de faire diversion, j’a répondu :
— C’est très compliqué. En fait, mon ex m’a téléphoné cette semaine et nous sommes restés une heure au téléphone. Et il est possible que les choses reprennent entre nous…
— Où habite-t-elle ?
Un ange est passé au-dessus de ma tête, tandis que la demoiselle me formulait plusieurs questions du même ordre en parlant « d’elle », mon ex… Et je voyais bien qu’elle n’entendait pas lâcher l’affaire. J’étais au supplice, car je déteste subir ce genre d’interrogatoire.
— Eh bien, il faut que je te dise quelque chose : ce n’est pas une fille.
— C’est un garçon ?
— Oui bien sûr, il ne s’agit pas d’un chien !
Quand j’essaie d’être comique, je n’y parviens pas toujours.
La demoiselle n’était pas choquée, surtout qu’une de ses amies, la dame 2 évoquée plus haut, écrit un livre qui raconte l’histoire de la relation homosexuelle d’un escargot ailé avec un cornet de glace qui ne fond jamais… N’essayez pas de comprendre, j’y ai renoncé tout de suite.
Parlons-en, du fait de renoncer tout de suite. De toute évidence, la demoiselle ne connaît pas le terme. Je croyais en avoir fini avec ses questions en faisant mon coming-out, eh bien pas du tout ! Vint ensuite l’analyse psychanalytique et le sol n’en finissait plus de ressembler à des sables mouvants. En dépit de ma révélation, je l’intéressais toujours. Elle me dit qu’elle voudrait que j’essaye quand même avec elle pour en être sûr, m’a demandé si j’avais déjà couché avec une fille, si les femmes me laissaient indifférent, à combien j’évaluais mon homosexualité sur une échelle de 0 à 10… STOOOOOOPPPPP !!!
Là-dessus est revenu notre ami qui, me voyant aussi cramoisi que le pull que je portais, en conclut avec satisfaction que l’alcool commençait à prodiguer sur mon métabolisme les délicieux effets qu’on peut en attendre un samedi soir. Lorsqu’il dut momentanément s’absenter de nouveau, la mortifiante conversation que j’avais avec la demoiselle reprit de plus belle. Elle sentit cependant qu’elle m’avait mis très mal à l’aise avec toutes ses questions indiscrètes, mais qu’elle était comme ça, franche et brute de décoffrage, et qu’elle ne pouvait s’en empêcher. Elle me dit aussi que je n’avais pas à m’en faire, que je n’avais rien à craindre d’elle, qu’elle n’allait pas me faire de mal. Moi, ce qui m’ennuyait le plus, c’était que ce glissement en terrain dangereux risquait de compromettre la réalisation si prometteuse de mon beau projet.
Un autre bar plus tard, elle se fit insistante pour que j’aille dormir chez elle, en tout bien tout honneur (ça j’en doute un peu), prétextant qu’avec tout ce que j’avais bu je n’étais plus en mesure de prendre le volant pour rentrer chez moi. Je ne sais plus comment je suis parvenu à éviter d’être pris au piège de cette situation délicate, mais j’y suis arrivé. Je n’eus aucune difficulté à m’endormir, remerciant pour cela le vin et la bière, mais le lendemain il me fallut recourir aux anxios. Ayant eu l’ami au téléphone, je lui dis que la demoiselle était en effet très sympathique mais qu’elle m’avait rendu mal à l’aise en me faisant un rentre-dedans au bulldozer (ce à quoi je ne suis pas du tout habitué quelle que soit la personne à l’origine de cette drague agressive). Il me dit :
— Tu sais, elle a envie. Sans être méchant, ça fait plus de six mois qu’elle n’est pas sortie avec un mec, alors comment dire, il faut qu’elle se fasse fourrer. Mais il n’y a pas de mal à se faire du bien, alors si tu veux t’éclater, éclate-toi ! (sic)
Il me dit aussi que, quelques années auparavant, la même demoiselle, gravement tourmentée du picotin et rendue nerveuse par une abstinence prolongée, avait littéralement violé un de nos amis communs… à cette seule différence que celui-ci n’est pas du genre à s’en plaindre.
Là vous allez me dire : « Mais alors, cet ami ne sait donc pas que… ? » Je sais, c’est une surprise car il me semblait qu’il le savait. Comme quoi, les choses ne sont pas si évidentes et ça ne crève pas les yeux. Mais voyez-vous, il y a une chose que je déteste, c’est de me présenter avec une étiquette quand j’entre en communication avec quelqu’un. Je ne me vois pas dire :
— Bonjour, je m’appelle Zanzi et je suis homosexuel.
Merde alors ! Ce serait comme si j’allais à une réunion des pédés anonymes. Un de mes ex faisait cela systématiquement, lorsqu’il changeait de boulot et qu’il se présentait à ses nouveaux collègues. Il voulait mettre les choses au clair tout de suite. Chacun fait comme il veut, mais pour moi cette démarche est aberrante. Quand on rencontre quelqu’un pour la première fois, cette personne ne va pas vous dire qu’elle est hétérosexuelle.
Avec le recul, je me dis que je n’aurais eu tous ces ennuis conversationnels si j’avais simplement déclaré que je n’étais pas libre et que j’étais fidèle. Encore que, depuis le temps que l’on me serine qu’au Nouveau-Brunswick, la fidélité n’est pas un principe de vie, je ne suis même pas certain que la demoiselle aurait respecté ce fait. Il est probable qu’elle m’aurait demandé si, malgré tout, il existait quand même une possibilité pour que nous nous « éclations ». Mais, au moins, elle n’aurait pas cherché à m’analyser.
Bref, tout ceci pour dire que le syndrome « Flora la fille LGBT » n’est pas loin, et qu’il risque d’anéantir mon joli projet extra-professionnel top secret dont je ne vous dirai rien. La demoiselle m’a téléphoné hier soir pour prendre de mes nouvelles. Je sens qu’elle ne va pas vouloir lâcher l’affaire. Et comme il n’est pas question que je couche avec elle pour obtenir ce que je veux de notre collaboration, je suis dans la merde. Et ça ne risque pas de s’arranger par ailleurs, car depuis vendredi soir, une vieille dame assez influente dans le coin s’est mise en tête de me « caser » avec une acadienne…
C’est décidé, cette semaine je file à la bijouterie La Mine d’Or pour m’acheter une alliance, en espérant qu’avec cet artifice on me fichera enfin une paix royale.
Zanzi, le 20 avril 2009
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