LES TOILES ROSES

 


(5.19)



        Lille, juin 2009. Bien qu’il fasse encore jour, les bougies d’ambiance sont allumées, ainsi qu’à l’accoutumée, pour créer l’atmosphère propice à la divination. Jouxtées aux chats miniatures, les figurines d’anges disposées aux quatre coins de la pièce me sourient et me rassurent. Elle me sourie aussi, ma vieille amie qui, depuis déjà onze ans, observe mes péripéties et, pour la plupart, les anticipe. Un an après ma dernière consultation, je suis de retour chez elle pour tenter de déchirer le voile des ténèbres et d’entrevoir les moissons futures.

        Un matin à Paris, quelques jours plus tard. Je me réveille et allume mon ordinateur. Un message m’attend. J’ouvre ma boîte et en un instant, mon esprit vacille sous le choc des mots qui me déchirent l’aorte. L’abîme crépusculaire se fait plus béant qu’une plaie ouverte ruisselant un mascaret de sang. Pourtant si proche, il est si loin… éloigné par la peur de me faire du mal, éloigné par l’envie de me protéger… Derrière la reculade, se profile le désir d’aller de l’avant et de s’abandonner dans mes bras. Mais il est encore trop tôt. À moins qu’il ne soit déjà trop tard…

        Lille, juin 2009. Je coupe les cartes de la main gauche, vers moi, en pensant à moi. Le rituel est le même depuis la première fois, en juillet 1998. Je la regarde. S’est-elle déjà trompée ? Ce qu’elle me dit n’a rien à voir avec l’horoscope niaiseux qu’on lit dans le journal. Je porte en moi les images de ma destinée, mon propre fluide les communique aux cartes qui ouvrent des fenêtres sur demain. Pratiquement tout ce qu’elle m’a dit depuis plus de dix ans s’est réalisé, certes pas du jour au lendemain, et pas toujours de façon limpide. Il faut savoir analyser les événements a postériori, et c’est alors que les prédictions prennent tout leur sens.

        Elle dispose une première série de cartes selon le schéma habituel et me demande de retourner les autres sur le jeu. Le rideau s’ouvre sur le futur. L’oracle va parler.

        — Les choses vont bouger au niveau sentimental. Il y a une femme près de toi.

        Ce n’est pas la première fois qu’elle m’annonce que je vais finir avec une femme. C’est comme si elle s’obstinait à vouloir me faire reprendre le droit chemin, celui qui mène à la vie normale des gens normaux. Je lui souris et la laisse me raconter la suite. Une grossesse, un décès, un mariage, rien que de très habituel, ce sont là les événements qui rythment la vie des humains. Mon frère va se marier l’année prochaine, peut-être aura-t-il un autre enfant ? Il y a des gens plus ou moins âgés dans mon entourage familial, il se peut que quelqu’un meure. Un couple d’amis va se séparer… Ah ? Inutile de jouer aux devinettes, je le saurai une fois que cela se sera produit. Il y aura du changement dans mon travail et je vais déménager. Oui, j’y compte bien.

        Paris, juillet 2009. Une fois de plus il me faut partir, sans me retourner, et laisser des morceaux de mon cœur sur les toits et les pavés. Ces quelques jours sont passés comme un rêve ensoleillé, sous la chaleur d’un beau début d’été. Mais au matin dernier, mon téléphone reste muet. Il ne m’appellera pas, ne m’écrira pas. J’attends en vain, reprends le train. Après tout, le soleil brillera demain.

        Lille, juillet 2009. La dernière semaine de mes vacances est maussade. Le relatif mauvais temps s’est mis de la partie pour baigner le quotidien avec les larmes du ciel. Partie dans le sud avec ses parents, ma nièce n’est même plus là pour me distraire de ses facéties et de sa mine rieuse qui me ressemble tant au même âge. J’ai le cœur en déshérence. Pour tromper mon ennui, je me connecte sur Facebook et fais des quiz tous plus débiles les uns que les autres. Je joue au poker avec l’application Zynga. Si ce n’était virtuel, je serais riche : j’ai plus de 4 millions de dollars dans mon portefeuille.

        J’allume la fenêtre de conversation. Elle est internationale. Un ami écossais, joueur de cornemuse à Moncton, prend de mes nouvelles et s’enquiert de la date de mon retour. Un ami espagnol me raconte ses aventures avec une comtesse aux pieds nus et aux seins de glace. Une amie irlandaise veut me passer la bague au doigt. Elle se nomme Scarlett O’Hara…

 

To be continued…


Lire le précédent épisode,
cliquez ici.
Jeu 20 aoû 2009 Aucun commentaire