LES TOILES ROSES

 


 

Si j'étais hétéro, je serais moins sexuel...

Gérard Coudougnan


Pour la vingt-et-unième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gay hétéro-friendly, j'accueille avec un plaisir et un honneur non dissimulés mon rédacteur en chef adjoint et ami Gérard Coudougnan à qui l'on doit (entre autres) la chronique "La Bibliothèque Rose du Père Docu" sur notre blog. Il est né en 1962 et a pour qualification « enseignant-documentaliste », vous savez la dame qui râle au C.D.I. (centre de documentation et d'information) : c'est lui. Pour des raisons indépendantes de sa volonté, il est en ce moment éloigné de son lieu de travail habituel mais a toujours un C.D.I. (contrat à durée indéterminée) avec les bouquins pour qui il a une vraie A.L.D. (affection de longue durée). Au hasard de ses lectures, il a croisé Marc-Jean Filaire puis Môssieur Daniel C. Hall (« The Boss ») qui lui a proposé de regrouper quelques « recensions » d'ouvrages à thématique LGBT.


        Si j’étais hétéro, je serais sans doute moins sexuel : je ne pense pas que, même dans le cadre d'un libertinage évolué, je puisse avoir autant de partenaires, autant de jouissances variées, de complicités physiques et amicales que celles que nous entretenons, mon mec et moi avec divers camarades de jeux, en majorité… hétéros.

        Je serais très certainement en couple (pas marié : la cérémonie me débecte) et nous aurions un ou deux enfants. J'aurais une compagne ayant eu, si possible, une bonne expérience d'amour parental, la mienne ayant été peu convaincante.

        J'aurais dû la présenter à mes parents, grenouille et crapaud de bénitiers, avec dans la tête mon plus ancien souvenir d'enfance. Âgé de cinq ans, après un énorme caprice, Môman m'avait déclaré : « Quand tu viendras me présenter ta femme, je lui dirai que tu as un sale caractère ». La dénonciation perfide m'intrigua moins que cette vision de l'avenir énoncée par une personne omnisciente et omnipotente : j'aurai un jour une femme, il n'y avait ni choix ni doute.

        Je n'aurais pas eu conscience de faire un choix : féru de littérature, je serais donc un mec « normal », si la normalité se réfère aux nombres de personnages remplissant la caractéristique « attrait naturel pour le sexe opposé ». Les autres m'auraient sans doute amusé : quels autres ?

        Un jour, mes parents évoquaient le suicide d'un jeune habitant du village. Ma mère conclut par : « c'est normal, il était pédé ». Muet, je retins le mot dont j'ignorais le sens comme « cause naturelle de suicide ».

        Bien plus tard, en ville cette fois, notre voisine de palier avait, parmi ses enfants un garçon d'une trentaine d'années toujours accompagné d'un gars un peu plus âgé. Le mot « pédé » ressortit et prit une couleur variable : quand nous croisions les deux hommes, c'était avec force sourires mais les commentaires ultérieurs étaient méchants. Au collège, j'avais appris le sens du mot. Un « je ne sais quoi » m'empêchait de dire que j'« en » connaissais. Lorsque la sœur, puis la nièce de ce garçon moururent dans des circonstances tragiques, ma mère entama une litanie qui classait les malheurs par ordre croissant. « Notre voisine, la pauvre Madame P. est marquée par le destin : sa fille est morte dans l'explosion de son immeuble, sa petite-fille dans un accident de la route et en plus, son fils est pédé. »



        Si j'avais été hétéro, jamais un fantôme ne serait venu me faire débander. Lors du décès de mon grand-père maternel, paterfamilias à la carrure et au prestige imposants, j'avais quatorze ans et ma mère me fit jurer que je ne ferais jamais rien de mal. « Chaque fois que tu feras quelque chose de mal, ton grand-père te verra du haut du ciel. » Grand-père fut en effet très discret lors de mes rapports hétérosexuels. Est-ce à lui que je dois mes subites flaccidités avec des garçons pourtant beaucoup plus excitants pour moi ?

        Mais cessons de freudonner la mélodie de la mère abusive. Le pourquoi n'a aucun intérêt : je me fous de savoir quels sont les motifs de ma préférence pour la pizza par rapport à la tarte aux pommes.

        Je n'ai pas fait de coming out familial. Ce passage n'a d'importance que s'il y a de l'amour en jeu et il n'y avait qu'un mélange d'orgueil bigot, de bêtise sociale et un désintérêt total. Je montai au contraire un scénario minable mettant devant le fait accompli avec un mélange de mépris et de naïveté surjoué. Avec les amis, ce fut une autre affaire, émouvante, qui prit aux tripes et renforça de vrais liens.

        Hétérosexuels, nous n'aurions jamais, lors de nos voyages et sans aucun recours au tourisme sexuel ni à la prostitution, partagé le vécu de ces garçons « différents », arabes, mexicains, espagnols, guatémaltèques ou israéliens. Ces derniers avaient en 1984, à la veille de départs vers une frontière libanaise en conflit, une façon bouleversante de s'abandonner au plaisir comme si c'était la dernière fois de leur vie.



        Si j'étais hétérosexuel, je n'aurais pas rencontré Bernard. J'aurais certainement exclu un partenaire de seize ans mon aîné. Ou alors j'aurais « pris une vieille » ? Une fois franchi le seuil de l'homosexualité, seule la personne avait de l'importance. Comme l'aurait dit Mme Mallowan, épouse d'un archéologue célèbre et romancière plus connue sous le nom d'Agatha Christie : « Avec un mari archéologue, plus vous vieillissez, plus il s'intéresse à vous. » L'ex futur égyptologue c'est moi, mais je suis aussi depuis l'attaque d'une maladie invalidante, la momie Gérard que mon cher et tendre veille et bichonne comme aucun professionnel de santé ne saurait le faire, avec une tendresse et une patience qui ont étonné bien des couples hétérosexuels.

        Si j'étais hétérosexuel, je n'aurais peut-être pas trouvé en ce conjoint l'énergie de survivre. La motivation est inégale. Un enfant à élever aurait pu être plus motivant, ou plus culpabilisant.

        La liste des bonheurs vécus pendant vingt ans de pérégrinations en Égypte, en Espagne et sous tant d'autres cieux serait moins lourde à comparer avec la marge de manœuvre actuelle, mais comme on dit en espagnol « no nos quitaràn lo bailado » (ce qui est pris est pris).


Gérard Coudougnan

Ven 29 jan 2010 3 commentaires
Je trouve ce texte de Gérad Coudougnan tout simplement bouleversant. Bien loin de l'impudeur, il témoigne d'une foi en la vie qui est communicative. Merci à lui d'être ce qu'il est et ce qu'il aurait pu être !
François le Niçois - le 21/08/2009 à 10h50
Magnifique texte !
Samuel Minne - le 21/08/2009 à 10h54
Tu te rends compte, la pauvre, perdre sa fille dans un accident de voiture et a un fils pédé...quelle damnation ! Surtout pour le fils....
Merci Gérard pour ce message sensible, sensibilisant et très touchant. Je crois que j'aime les hommes (si,si...) surtout les hommes sensibles. Bises.
Alexandre Saint-Bois - le 22/08/2009 à 11h17