LES TOILES ROSES
de Nico Bally
ZOMBISEXUEL
Nico Bally a publié une multitude d'histoires étranges sur divers supports, du webzine à l'anthologie, en passant par le livre photo-musical.
Après avoir sillonné les villes les plus exotiques et palpitantes du globe (Dunkerque, Manchester), il vit aujourd'hui à Lille où il fête tous les jours son non-anniversaire (trente ans tout rond) avec un lapin gay, une chatte blanche déguisée en chatte noire, et la fée Clochette.
En marge de l'écriture, il travaille comme contrôleur de contenu pour Recisio Music malgré de longues études en sciences, informatique et philosophie. Il respecte les lois du TATBAR (Touche À Tout, Bon À Rien) en s'adonnant à la photographie naïve, la musique noise-ambiant expérimentale, les courts-métrages DIY, l'auto-pornographie, le rot tonal et la peinture sur vélo.
Pour Les Toiles Roses, il élargit ses univers fantastiques-oniriques en développant les thèmes LGBT qu'il avait trop souvent mis de côté.
Les textes qui m'ont apporté le plus de succès sont sûrement ceux consacrés à la mythologie vaudou.
Trouvant leur magie aussi intéressante que sous-exploitée, je m'envolais à Haïti où j'interrogeais différents prêtres. L'un d'eux, appelé Phepe, m'enseigna assez de rites pour remplir trois épais volumes. Je me contentais toutefois d'une douzaine de contes aujourd'hui réunis sous le nom Molles farandoles, disponible aux éditions de la Surface.
Comme c'est systématiquement le cas dès qu'on touche à l'ésotérique et à l'occulte, je reçus une tonne de courriers de lecteurs me demandant comment envoûter tel amant infidèle, comment faire souffrir tel agent immobilier, comment invoquer tel esprit satanique, etc.
Le seul qui attira mon attention fût celui de la Veuve Cataux. Non seulement parce qu'il s'agissait bien d'une lettre postée, contrairement aux autres messages émis via FaceBook et Twitter, mais aussi parce qu'il était accompagné d'un gros chèque en acompte au service demandé.
J'avais alors bien besoin de cet argent, entre autres pour rembourser les frais d'hôpitaux d'un ami dont j'avais malencontreusement fracturé la jambe lors d'un exercice de yoga.
De plus, le prêtre Phepe cherchait depuis quelques années à créer une petite communauté agricole. [Et j’étais sûr qu’il accepterait d’accomplir un petit rituel pour une forte somme, si je lui servais d’agent.]
Je convenais donc d'un rendez-vous, et rencontrais la veuve.
Elle était sèche et droite, mais ses intentions me semblèrent nobles. Elle voulait laver l'honneur de feu son mari, qui à peine passé l'arme à gauche se retrouvait enseveli sous les pires calomnies.
La nature exacte des calomnies me fit avaler mon thé de travers. Je décidais de doubler mes honoraires, et ajoutais une paye pour deux assistants. La vieille accepta sans broncher.
Phepe accepta de prendre l'avion – le défraiement était compris – et j'engageais comme assistants Valérie et Fred. La première posait régulièrement nue pour un atelier dessin. Le second était assez extraverti (et fauché) pour accepter de participer au rituel.
Alphonse Cataux n'était enterré que depuis trois jours lorsque sa veuve réunit les calomniateurs.
Nous avions installé des chaises dans le cimetière, qu’occupait la dizaine de soi-disant amis du défunt. [Le cercueil, exhumé par un fossoyeur grassement payé, laissait apparaître le cadavre blême.]
« Mesdames, messieurs, clamai-je, Vous voici réunis afin de faire taire les quolibets qui courent sur la sexualité de feu Alphonse Cataux. Le prêtre ici présent va faire revenir le mort à la vie, sous forme de zombie. Il ne sera alors plus guidé que par ses instincts primaires. Vous conviendrez donc que chacun de ses actes sera bien plus vrai que les actes d'un homme sain qui sait dissimuler ou jouer la comédie. Car le zombie, mesdames, messieurs, est comme un animal... »
Valérie me fit signe de calmer mes ardeurs. Je commençais à m'emporter, alors que mon public était déjà conquis.
Phepe entra alors en action, psalmodiant et dansant sous le regard médusé de l'assistance.
Une demi-heure passa lentement. Chacun contemplait le cadavre froid, le prêtre gesticulant, puis ses voisins, tout en se donnant l'air de n'y avoir jamais cru.
Soudainement, le cadavre d'Alphonse trembla. Comme un chat qui se réveille, il ouvrit un œil, puis un autre, étendit ses membres engourdis, puis se dressa en bâillant.
Valérie et Fred, postés tous les deux à quelques mètres de la tombe, se déshabillèrent aussitôt.
J'admirai alors la justesse de mon choix. Valérie, habituée aux vêtements amples et difformes, cachait bien la délicate rondeur de sa poitrine et de ses fesses. La blancheur de sa peau ressortait merveilleusement sous le clair de lune funèbre, et sa chevelure cascadante lui donnait des airs de Venus façon Botticelli. Fred arborait les abdominaux « plaque de chocolat » et les larges épaules carrées de tout clubber gay qui se respecte. Aujourd’hui encore, je suis pris de suées dès que je repense à son petit cul musclé.
L'assistance en oublia presque le zombie. Il était temps que je reprenne mon speech.
« Alphonse va désormais vous montrer qui de ces deux jeunes gens l'attire le plus. S'il approche de Valérie, la preuve de son hétérosexualité sera faite. S'il avance au contraire vers Fred, les calomnies pourront aller bon train. »
Voyant les deux appâts, la bite du défunt se dressa d'un coup sec.
La veuve s'accrocha à mon bras. Le moment de vérité approchait. Et si son mari choisissait Fred ? J'espérais seulement qu'elle nous paierait avant de se donner la mort.
Le zombie fit un pas hésitant, puis un autre. Sa démarche était si chaotique qu'on ne pouvait déterminer lequel des deux nus il ciblait.
Toujours cramponnée à mon bras, la veuve poussa un petit cri de d’effroi. N'était-elle donc pas certaine des penchants de son défunt mari ?
Le cri intrigua notre cadavre qui, tournant la tête, reconnut sa femme.
Et là, le sexe toujours aussi turgescent, il obliqua vers elle, les bras tendus en avant comme un somnambule.
Après quelques pas maladroits, il la toucha presque. La pauvre, voyant le cadavre en érection s'avancer la bave aux lèvres, s'évanouit, m'emportant dans sa chute.
Phepe rompit alors le rituel. Le fossoyeur replaça le cadavre mou dans son cercueil. L'assistance se permit un dernier regard vers Fred et Valérie qui se rhabillaient.
« Mesdames et messieurs, voyez comme Alphonse était fidèle à sa femme ! Non seulement la preuve de son hétérosexualité est faite. Mais en plus, on sait désormais que jamais il ne la tromperait, même réduit à l'état d'animal ! »
Nous avions bien mérité notre salaire.
La veuve, remise sur pieds, nous remercia en pleurant, et doubla la somme convenue.
Nous repartîmes chez nous dans la voiture de Fred, déposant le prêtre Phepe à l'aéroport.
« Aviez-vous déjà vu ça ? lui demanda Valérie. Une fidélité si forte qu'elle survit même à la mort ? »
Le prêtre éclata alors d’un long rire tonitruant.
« Ce qui s'est passé ce soir, je l'ai vu de nombreuses fois. Je ne sais pas lequel de vous deux il aurait choisi ensuite, mais le pauvre zombie voulait commencer par étrangler sa femme. »
Paix à son âme.
© Nico Bally – 2009.
Tous droits réservés.
Direction littéraire de la série : Daniel Conrad & Pascal Françaix.