LES TOILES ROSES
(6.01)
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Brume de cerveau. Nauséeux au réveil, la tête chancelante, les paupières lourdes, j’ouvre difficilement un œil alors que le soleil trône déjà haut dans le ciel. Quelle heure peut-il être ? L’horloge digitale posée sur la table de chevet indique 14:53. Encore… Fréquemment, quand je consulte le cadran durant l’après-midi, il affiche cette heure qui me rappelle invariablement une date. Avais-je vécu en direct la chute de Constantinople au cours d’une vie antérieure ? Je le crois. 14h53, déjà ? J’ai un arrière-goût pâteux dans la bouche, mes yeux se sont refermés et j’essaie de rassembler mes esprits. Où suis-je ? À Las Vegas. Qu’y fais-je ? Ou plutôt… Oh mon Dieu ! Mais qu’y ai-je fait ?
Je suis dans un lit qui me semble trop vaste pour moi. Un lit king size, extra-large, capable de supporter le poids d’un américain moyen en surcharge pondérale, ou d’héberger quatre personnes de mon gabarit pour une partie carrée. Les draps sont luxueux, froissés. Il y a bien six ou sept oreillers, tous éparpillés. La chambre est spacieuse, elle me semble immense, me donne le vertige. Je dois me souvenir… de ce que j’ai fait la veille. Je fouille ma mémoire à tâtons, je suis sonné, mal réveillé, pas réveillé du tout.
— Qu’est-ce que je fous ici ?
Je suis assommé comme quelqu’un qui n’a pas dormi la nuit précédente, s’est couché dans la matinée et n’a sombré que deux ou trois heures dans les bras de Morphée. À l’évidence, je n’étais pas seul. Soudain, cela me revient. Scarlett !
— Scarlett ?
Je revois Elvis Presley nous chanter « Love me tender » dans une wedding chapel. Ce n’est pas possible, c’est un mauvais rêve. Je regarde ma main : il y a bien un anneau d’or à mon annulaire. Merde ! Je la cherche du regard, l’appelle. Personne. Pas de réponse. La salle de bains ! Je vais ouvrir cette porte et trouver un tigre derrière, non ? Au point où j’en suis. Non. La pièce est vide. J’ai besoin d’une douche. La pluie artificielle s’abat sur mon corps fatigué et m’extirpe peu à peu de la torpeur dans laquelle je suis plongé. Alors, je me suis marié ? Avec une femme !?
15h12. J’ai envie de m’effondrer. La terrasse est comme un halo de lumière, il fait très chaud dehors, le soleil brûle. M’exposer, me laisser consumer. À quel étage suis-je ? Assez haut, suffisamment pour faire le saut de l’ange. Si je suis dans un rêve, je n’ai plus qu’à sauter pour provoquer mon réveil. À condition que je tombe à la renverse. Si je plonge en avant, je vais m’envoler. Il en va toujours ainsi.
— Mon chéri, tu es réveillé !
Tout au bord du précipice, je sursaute. Qui a parlé ?
La veille. Je dois me remémorer la veille. Les images se télescopent dans ma tête, se mêlent ; je m’embrouille. Ma vie, un film récemment sorti sur les écrans, une série des années 80 avec Robert Urich, un épisode de La Croisière s’amuse, le générique de Croque-Vacances, le visage de Casimir… Mais que se passe-t-il ? Je n’ose pas me retourner. Je dois me remémorer la veille. Le balcon se dérobe sous mes pieds et m’entraîne dans une chute vertigineuse. Qui a parlé ? La veille… aujourd’hui… Je n’y arrive pas. La tête me tourne, je tourne la tête. Un visage me fait face. Grand sourire. Ses bras m’agrippent et m’entraînent, pauvre chiffe molle, vers ses lèvres. Je me laisse faire, m’abandonne sans résistance. Je suis trop faible pour lui rendre son baiser. Les yeux clos, je tente encore de me remémorer la veille. Une langue gourmande fourrage ma bouche engourdie.
Ma réputation de meilleur embrasseur du monde va en prendre un coup.
J’ouvre les yeux. Interloqué, je me souviens enfin de la veille. Very bad trip…
http://www.youtube.com/watch?v=PDV7AHrYsB4