LES TOILES ROSES
07.
LE BESTIAIRE GAY (1)
Papy Potter
Papy Potter est né en pleine folie hippie de parents qui ne l'étaient pas. Depuis lors, il vit au milieu de ses arbres avec son adorable pirate des trains, tout au bord d'un marais nommé « du ru d'amour ». À quelques kilomètres de là, s'étend une vaste forêt où il travaille. Dans le chaudron rose, comme il est devenu vieux (il a presque 40 ans) et que Moudulard a fermé ses portes depuis longtemps, il glose sur le lien sulfureux et amoureux liant les gays aux diverses spiritualités du monde.
On dit parfois des gays qu’ils baisent comme des lapins. Voilà qui est bien pauvre. Car notre faune est riche et très diverse. Des animaux totems, nous en avons bien d’autres. Cet article vous propose de visiter leur zoo.
Commençons par celui que Ralf König, l’auteur allemand de bande dessinée, a célébré dans son album culte : Couilles de taureau. Le titre parle lui-même des causes de la popularité de l’animal. Le taureau est symbole de virilité et de puissance. Mais parce qu’il est mâle de la vache, il représente aussi l’abondance, la générosité, les ressources. Des ressources semble-t-il suffisantes pour justifier l’existence d’un commerce juteux autour des habitudes des gays. Un marché florissant qui vise principalement une chose : la satisfaction des taurins attributs. Mais bon, que les gays soient considérés comme des vaches à lait par un certain marketing est un autre débat. Je me souviens par ailleurs d’une gay-pride où un bar cuir défilait avec, en tête, un mâle coiffé d’une tête de l’animal, juché sur un dromadaire affolé. Attirée par la folle du désert, une de mes amies s’approcha du groupe. Et fut aussitôt entourée d’une meute de bêtes sauvages bardées de cuir, et engorgées de phéromones qui n’avaient pas pour but de la séduire, elle. Nullement intimidée, mon amie se lança poliment en compliments et bavardages, auxquels la troupe répondit, je m’en souviens très bien, par un silence presque outragé. Une femme, là, au milieu d’eux, rendez-vous compte ! Quoiqu’il en soit, le taureau semble bien présent dans les bars gays. Et ce ne sont pas les vendeurs de Red Bull qui d’ailleurs s’en plaindront. Pourtant, ce n’est pas réellement aux gays que le taureau est le plus relié. Mais aux lesbiennes. Les tauromachies auraient en effet pour origine des combats où des femmes guerrières s’opposaient aux taureaux. D’où sans doute des mots comme « bull-dyker » qui désignent les lesbiennes de type « butch ».
On ne peut saluer le taureau sans parler de cet autre animal dont la queue laisse tant d’hommes rêveurs. Le cheval [voire l’étalon surtout, non ? Note de Daniel C. Hall]. À tel point que l’on peut s’étonner de croiser tant de crânes rasés dans la faune des bars gays. Après tout, une longue chevelure nouée serait bien plus métaphorique. Tom of Finland est sans conteste celui qui a le plus célébré l’animal, si on en juge ses fabuleux dessins macrophalliques. Le cheval symbolise à la fois la grâce, la liberté et le voyage. Qualités dont nous ne sommes pas dépourvus. À propos, à quand le prochain vol pour Mykonos ? Trêve de plaisanterie, c’est en fait au Mexique que le cheval symboliserait le plus l’homosexualité masculine.
Mais l’animal le plus célèbre est l’ours, forcément. Il possède son drapeau, strié de bandes aux couleurs de ses divers pelages, et frappé de son empreinte. L’ours a ses propres sites web et ses lieux de rencontre. C’est un des canons de beauté de la communauté gay. Tellement qu’on peut se demander pourquoi l’ours et pas un autre animal. Bien sûr, il y a quelque chose dans l’allure, la fourrure, le maintien. Mais est-ce suffisant pour expliquer sa popularité ? Symboliquement, l’ours représente, lui aussi, la force et une forme de virilité. Pour les chamans, il est néanmoins beaucoup plus que cela. Car l’ours hiberne une bonne partie de l’année. Il entre alors dans sa tanière, se rapprochant de la terre-mère et s’y lovant comme le fœtus dans un utérus. C’est de là qu’il part dans les autres mondes dont le rêve est la porte. Il s’y régénère, il y apprend, il y communique son vécu. Nous retrouvons l’idée de « voyageurs d’entre les mondes » dont nous avons déjà parlé. Contre toute attente, l’ours est donc également symbole de féminité. Après tout, l’ours en peluche est le compagnon préféré des enfants. Il correspond à une forme de substitut maternel. Il est sécurité, protection, synonyme de câlins, de douceurs et de bonbons au miel. Étrange ambiguïté que celle de l’ours. La communauté « bear » a souhaité se démarquer franchement des homos plus efféminés en affichant les attributs les plus marquants de sa masculinité. Cependant, l’animal qui en est le fétiche a, lui aussi, sa face cachée. Comme quoi, on a toujours une folle en soi.
De « woof ! (expression « bear » commune) » à
« wolf », il n’y a qu’un pas dont on me pardonnera la facilité. Car le loup n’est pas absent non plus du bestiaire gay. La noble bête est cependant considérée comme une variante de
l’ours. Le loup est un homme poilu, souvent plus âgé, dominant, assertif sans être agressif. C’est un animal nocturne, au symbolisme lunaire puissant. Il évolue en meute, la nuit de préférence,
se coulant dans les lieux de drague qui sont pour lui autant de territoires de chasse. L’homme-loup relève aussi du symbolisme du loup-garou. Voilà un homme qui se transforme le soir en bête
sauvage et dont la morsure contamine ses victimes. Puissante imagerie que celle-là. On y perçoit le quadra en costume, dont les collègues n’imaginent pas qu’il se glisse dans les parcs, à la
tombée du jour, pour y chercher des proies, souvent plus jeunes, qu’il pourra initier à des plaisirs que la morale réprouve. Car le loup, dont la lune est amie, est un maître sorcier, détenteur
des mystères que la nuit lui apprend. À l’image de la femme qui a les siens, les gays ont également les leurs. Mystères sacrés que l’hétéro regarde avec angoisse parfois. Car aux yeux de
l’hétéro, l’homo est bien souvent entouré d’une aura pleine d’énigmes. On se méfie de lui. On raconte des histoires insensées à son sujet. On brode, on imagine, on s’abandonne en commérages. La
peur de l’autre est semblable à la peur du loup. Elle génère la sottise, le mensonge et la fuite. Quand elle ne devient pas le moteur d’une chasse sans pitié. Une chasse sanglante où les homos
retrouvent les loups, leurs frères de nuit, leurs compagnons d’exil.
Venons-en à présent au serpent. Souvenez-vous que « la grande Zoa autour du cou met son boa ». Le boa ! Symbole de travestissement, de paillettes et de fête. Hasard ? Car le serpent est un animal qui mue. Il change de peau pour en vêtir une autre. Transformation, transgenre, travestissement. N’oubliez pas votre boa avant de monter en scène. C’est votre force, votre identité. Votre droit de choisir la peau que vous aurez envie d’habiter, pour une soirée ou pour la vie. Mais le boa, ce signe extérieur de féminité est en même temps le symbole le plus sûr de votre masculinité. Le serpent est sexe. Phallique. Grâce ondulante. Il s’insinue. Il est une force également, cette énergie tapie au fond de la colonne vertébrale et qui se déploie vers le crâne : la Kundalini. C’est le serpent tentateur du jardin d’Eden, le travesti qui surprend Adam, et qui apprend à Eve d’autres plaisirs que ceux d’un mariage malheureux. Le serpent est Lilith, femme militante, étoile de la souveraineté femelle. Lilith qui se proclame égale des hommes.
Avant de finir, je m’en voudrais de ne pas aborder cet animal fétiche de la communauté. Une bestiole dont on se moque parfois ou qu’au contraire on célèbre. Pour sa minceur. Et ses vêtements si près de la peau. Vous l’avez reconnue : la crevette ! J’en vois qui gloussent. Pourtant… la crevette est bien représentée dans nos bars si trendy. Elle nage dans la mer primordiale. La mer, dont la déesse Vénus est née. La mer, dont le nom est si proche de l’amour. Car la crevette, souvent, le cherche, dans ce banc auquel elle se fond. L’amour, elle l’attend, elle l’espère. Elle le trouvera un jour. Peut-être un ours, qui sait ? Ce pourrait être à l’origine d’une fable : « l’ours était à sa bière puissamment accroché, quand la crevette le vit, elle quitta son rocher…. »
Et le lapin, me direz-vous ? C’est par lui que j’ai commencé ce billet. C’est par lui que je le termine. Ralf König, encore lui, l’a mis à l’honneur dans son album Comme des lapins. En réalité, il semblerait que ce soit l’animal le plus universellement relié à l’homosexualité. Ainsi, les kabbalistes au XVIème siècle prétendaient que les homos se réincarnent en lapin. De même, il est dit que le lapin de l’Arche de Noé perdit sa femelle et dut, conséquemment, incarner aussi la féminité de son espèce. On imagine comment. Moïse condamnait, paraît-il, également le fait de manger du lapin car… cela rendait les gens homosexuels. Quand vous recevrez cet ami hétéro dont vous êtes bleu, vous saurez quoi lui donner à manger ! Vous pourrez même lui raconter cette histoire du Moyen Âge qui dit qu’un moine, ayant eu des rapports sodomites, tomba enceint et accoucha d’un lapin qui resta à ses côtés tout le reste de sa vie. Enfin, en Chine également, le lapin était associé à l’homosexualité.
Bref… Il est bien d’autres animaux qui hantent le bestiaire des gays. Le gorille, l’hirondelle, le papillon, la libellule, le jaguar et j’en passe, et de plus écailleux. Pour une communauté dont on dit fréquemment qu’elle a des mœurs contre-nature, je trouve, bien au contraire, qu’elle nous habite avec diversité. Sur ce, je m’en retire au fond de ma tanière. Woof !
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A
@Amélie : un grand merci car grâce à vous je vais découvrir un auteur. Non, je ne connais pas Mario Mercier. La plupart des ouvrages que j'ai lus sont en anglais. Grâce à votre commentaire, je
suis allé sur Amazon et je vois une série d'ouvrages de Mario Mercier dont les titres me parlent beaucoup. Je suis certain que l'arbre-maître m'intéressera. Je vais le commander. Rien que le
titre me laisse bouche bée. Vous voyez que vous avez bien fait d'en parler. Vous vous intéressez au chamanisme ? D'une culture particulière ?
@Valérie : Oui, je devrais parler davantage des filles. J'ai tendance à espérer qu'un jour une sorcière se présentera sur les toiles roses et parlera de covens lesbiens et de vierges éternelles,
sûrement mieux que je ne pourrais le faire. Bon, promis. Je vais parler davantage des filles. D'ailleurs, le mois prochain, il sera question d'un dieu dont les parents sont...deux mères.
@Luc : merci pour votre commentaire. Cela m'encourage à continuer. Bonne journée à tous.
Je ne commente pas souvent car je prends trop de plaisir à vous lire tous sur ce blog qui est ma bouffée d'oxygène quotidienne. En fait, je prends un plaisir purement égoïste.
Merci à toute votre équipe de les toiles roses.
J.
Bien sûr, c'est une encyclopédie et cela ne se lit pas comme un roman. Pour les animaux totems gays, je me suis inspiré de "gay witchraft" de Christopher Penczak, et de son autre ouvrage "the shamanic temple of witchcraft". Ceux qui s'intéressent aux animaux totems en général peuvent aussi essayer "méditations de l'animal pouvoir, voyages chamaniques avec les alliés esprits" de Nicki Scully. Bonne journée à tous et merci pour vos commentaires.