LES TOILES ROSES


de  Nico Bally

 

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TOMBE COMME AVANT

 

Nico Bally a publié une multitude d'histoires étranges sur divers supports, du webzine à l'anthologie, en passant par le livre photo-musical.

Après avoir sillonné les villes les plus exotiques et palpitantes du globe (Dunkerque, Manchester), il vit aujourd'hui à Lille où il fête tous les jours son non-anniversaire (trente ans tout rond) avec un lapin gay, une chatte blanche déguisée en chatte noire, et la fée Clochette.

En marge de l'écriture, il travaille comme contrôleur de contenu pour Recisio Music malgré de longues études en sciences, informatique et philosophie. Il respecte les lois du TATBAR (Touche À Tout, Bon À Rien) en s'adonnant à la photographie naïve, la musique noise-ambiant expérimentale, les courts-métrages DIY, l'auto-pornographie, le rot tonal et la peinture sur vélo.

Pour Les Toiles Roses, il élargit ses univers fantastiques-oniriques en développant les thèmes LGBT qu'il avait trop souvent mis de côté.

 

 

Je n'ai pas pu m'empêcher.

Noël approchait, l'air était frais, et la neige se faisait beaucoup trop attendre.

Je suis sorti sur le palier, j'ai regardé le ciel, et je me suis souvenu de moi. Moi, enfant, regardant le ciel de la même manière, et implorant la neige de tomber.

Je n'ai pas été élevé dans la religion. J'ai été baptisé, mais pas de communion, pas de catéchisme. Pourtant, enfant, je priais. Je priais la neige pour qu'elle tombe. Parce qu'un Noël sans neige ça ne voulait rien dire.

Je regardais le ciel, les yeux dans les yeux, et je m'adressais à la neige, je lui disais « tombe », et elle tombait.

Ça me semblait normal. Si la neige venait à Noël, c'est parce que les enfants la réclamaient.

Plus tard, j'ai appris les rudiments de météorologie que nous possédons tous.

Mais ce jour-là, malgré ma licence de sciences appliquées et mon master d'informatique, malgré mon poste d'ingénieur, je me suis remis à prier.

Les yeux vers le ciel, j'ai prié.

« Neige, tombe. »

J'ai pensé la phrase, d'abord, puis je l'ai murmurée, fredonnée. Elle est devenue une chansonnette.

Enfant, je devais procéder de la même manière. J'étais moins conscient, à cet âge-là, de ce que je disais à haute voix ou non.

« Tombe, comme avant. »

J'ai fixé ce beau ciel bleu d'hiver, à peine traversé de nuages effilés. Je l'ai fixé à m'en faire pleurer. Ma respiration créait de nouveaux petits nuages, qui s'en allaient sûrement rejoindre les grands, en haut.

« Allez, neige ! Tombe ! Tombe comme avant. »

Puis j'ai fermé les yeux pour mieux apprécier ma bêtise. Si quelqu'un est passé dans la rue à ce moment-là, il a vu un idiot approchant la trentaine, la tête penchée en arrière, souriant sur sa jeunesse perdue.

Et un flocon est venu se déposer sur mon nez.

J'ai rouvert les yeux, bien grands. La neige tombait.

J'ai sauté de joie, j'ai regardé partout, la neige tombait à gros flocons. En moins de cinq minutes tout fut recouvert.

Je me suis préparé des boules de neige, au cas où quelqu'un passerait. J'ai pensé que je pourrais peut-être faire un bonhomme.

 

Puis j'ai vu, au loin, Mathias arriver.

Mathias n'avait pas grandi. Il avait toujours six ans. Il était toujours aussi beau.

Ébahi, je suis tombé à genoux dans la neige. Mathias s’est avancé vers moi.

« Tu es un ange, lui dis-je. Je le savais bien que tu étais un ange !

— Oui, Nico, répondit-il simplement.

— Tu as vu, je peux encore faire neiger !

— Oui, Nicolas. C'est pour ça que je suis là. Pour te demander d'arrêter.

— Comment cela ?

— Tu peux le faire, mais tu n'en as pas le droit. Ça nous fait mal. »

Il tendit alors ses mains vers moi, il tenait des pétales de rose.

« Tu vois, je saigne, me dit-il.

— Parce qu'il neige ?

— Parce que tu as commandé au ciel. Tu es trop grand, maintenant, tu ne dois plus faire ça. »

J'étais confus.

« Je suis désolé, Mathias, je ne savais pas. Que puis-je faire ?

— Me sourire. Et ne plus commander au ciel. »

Alors j'ai souri.

Il a lâché les pétales sur le sol, les a recouvert de neige.

« Voilà, je ne saigne plus. Je savais que tu serais gentil. »

Il se retourna, pour repartir.

« Mathias ! Tu pars déjà ? Te reverrais-je ?

— Il ne vaut mieux pas, Nicolas. Ne fais pas neiger en espérant me revoir. Cette fois-ci c'est moi qui suis venu, parce qu'on sait que tu es gentil, mais la prochaine fois ça sera les autres, tu t’en souviens ? Frank ou Ludovic… »

Puis il partit pour de bon, me laissant à genoux dans une neige qui fondait déjà.

 

J'entendis derrière moi la voix grave de mon amoureux.

« Nico, qu'est-ce que tu fais ? »

Je me suis relevé, et l'ai regardé rêveusement. Et j’ai pensé très fort ; j’ai prié très fort. En silence.

Chéri, je veux un enfant.

 


© Nico Bally – 2009.

Tous droits réservés.

Direction littéraire de la série : Daniel Conrad & Pascal Françaix.


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Mar 29 déc 2009 4 commentaires
Cher Nico,
Comme pour "Croque-quenottes", j'ai éprouvé d'immenses frissons de plaisir à la lecture de votre conte. L'univers de l'enfance est visiblement votre domaine et éveille bien des échos dans ma vieille caboche. Merci pour ce beau cadeau de fin d'année. Je suis gaté.
Jacques
Jacques - le 29/12/2009 à 11h48
Un vrai moment de plaisir ainsi que toutes les autres que je viens de découvrir et de dévorer à pleines dents. Bravo !!!!
mero - le 29/12/2009 à 12h22
+ 1
JT - le 29/12/2009 à 14h01
Très délicat et émouvant. J'adore. Mich
Mich - le 29/12/2009 à 17h49