LES TOILES ROSES


de  Nico Bally

 

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LE PALAIS DE LA COCHONNERIE

 

Nico Bally a publié une multitude d'histoires étranges sur divers supports, du webzine à l'anthologie, en passant par le livre photo-musical.

Après avoir sillonné les villes les plus exotiques et palpitantes du globe (Dunkerque, Manchester), il vit aujourd'hui à Lille où il fête tous les jours son non-anniversaire (trente ans tout rond) avec un lapin gay, une chatte blanche déguisée en chatte noire, et la fée Clochette.

En marge de l'écriture, il travaille comme contrôleur de contenu pour Recisio Music malgré de longues études en sciences, informatique et philosophie. Il respecte les lois du TATBAR (Touche À Tout, Bon À Rien) en s'adonnant à la photographie naïve, la musique noise-ambiant expérimentale, les courts-métrages DIY, l'auto-pornographie, le rot tonal et la peinture sur vélo.

Pour Les Toiles Roses, il élargit ses univers fantastiques-oniriques en développant les thèmes LGBT qu'il avait trop souvent mis de côté.



Vous avez peut-être déjà entendu parler de Mister Queer ?

C'est un étrange personnage. À la fois fier et discret. On prétend qu'il a subit une transformation magique. A-t-il été piqué par une araignée mutante ? A-t-il bu une potion mystérieuse ? Récité une formule antique ? Baigné dans un fluide radioactif ?

Peu importe ! Il est capable de détecter la détresse, et utilise ce pouvoir pour venir en aide à ceux qui en ont besoin.

C'est ainsi qu'il se retrouva chez Benoît. Celui-ci semblait être absent. Et pourtant, Mister Queer entendait son appel. Plus étonnant encore, un cochon groingroingnait dans sa chambre.

« Que fais-tu là, petit cochon ? lui demanda Mister Queer.

Scrounch ! Scrounch ! » répondit l'animal.

À sa grande surprise, notre héros comprit ce que signifiaient ces groingroingnements : « Aidez-moi ! »

Car il s'agissait bien là de Benoît, transformé en porc bien malgré lui.

Et dans le coin de la pièce, une autre lamentation se fit entendre. On aurait dit le bruit d'une cascade molle, le son d'une neige lentement vomie par une fraise géante. Et de même, cela signifiait : « Aidez-moi ! »

Se retournant vers ce bruit étrange, Mister Queer vit une silhouette humaine composée de gélatine rougeâtre.

Il avait beau être un super-héros, Mister Queer eut besoin de reprendre son souffle.

Comme il pouvait communiquer avec l'animal et la chose, il commença par les calmer, puis essaya de comprendre ce qui s'était passé.

Benoît avait porté un simple masque de cochon. Puis il avait recouvert Barthélémy – son partenaire – d'une couche de confiture destinée à être léchée avec sensualité.

Malheureusement pour les deux amants, l'un s’était transformé en vrai cochon et l'autre une masse de confiture vivante.

« Voilà qui est inhabituel ! » commenta Mister Queer lorsqu'il ressentit, au lointain, un autre appel de détresse.

« C'est pourtant de la confiture faite pour ! » se lamenta le cochon en groingroingnant de plus belle.

Le super-héros lui demanda ce qu'il entendait par là. L'animal désigna du groin un petit pot. Il était vendu en sex-shop. L'étiquette précisait : « Confiture sexuelle, à étaler puis lécher. Ne pas utiliser comme lubrifiant, ne pas utiliser comme ingrédient. » Sur le couvercle, un autocollant rose : « Le Palais de la Cochonnerie ».

Mister Queer – après avoir fait promettre à Benoît de ne pas dévorer l’appétissant Barthélémy – laissa là les deux amants, puis vola au secours du second appel.

 

En arrivant chez Aurélie, il découvrit une nouvelle scène hors du commun. Aurélie tentait de comprendre ce qui lui était arrivé, tandis que son partenaire pleurait, enroulé dans les draps tirebouchonnés.

« Mais arrête de pleurnicher ! » commanda la demoiselle.

Voyant arriver Mister Queer, elle l’assura avec véhémence qu'elle était bien une femme. Car entre ses longues jambes fuselées se dressait un organe noir turgescent et vigoureux.

« Je sais, je sais, répondit-il. Vous avez aussi subi une transformation.

Comment le savez-vous ? hoqueta Aurélie.

J'ai des super-pouvoirs ! Dites-moi, qu'étiez-vous en train de faire ?

J'ai... J'ai juste enfilé un harnais. Vous savez… un gode-ceinture...

Et vous n'avez rien fait d'autre ?

Je l'avais à peine enfilé qu'il se changeait en vraie bite ! »

La boîte gisait à côté du lit. On pouvait y lire le nom du vendeur : « Le Palais de la Cochonnerie ».

« Comme la confiture ! s’écria Mister Queer.

Je vous demande pardon ?

Où l'avez-vous acheté ?

Au nouveau sex-shop, Le Palais de la Cochonnerie. C'est à côté de la gare... »

Aurélie n'eut pas le temps de terminer sa phrase, Mister Queer s’était déjà évaporé.

 

Tout venait du sex-shop. Il était prêt à parier que le masque de cochon y avait été acheté aussi.

La boutique était rose bonbon, l'enseigne au néon rouge ne clignotait pas.

Le propriétaire fermait le rideau de fer lorsque Mister Queer arriva.

« Il va falloir revenir demain, Monsieur...

Non, attendez ! »

Le super-héros sentit que quelque chose clochait chez cet homme. Il semblait bien trop froid, trop méprisant, et même trop élégant, pour ce genre de commerce. On l'aurait plutôt vu tenir une chocolaterie, ou vendre des costumes sur mesure.

« Qui êtes-vous ?

Ethan Rayne, le propriétaire. Et vous ? »

L'homme reculait lentement vers l’intérieur de son magasin ; il semblait préparer un mauvais tour.

« Vous avez compris que je ne suis pas un client… » déclara Mister Queer en s'avançant avec précaution.

Mais il était trop tard. Ethan prononça une formule, et soudainement toutes les poupées gonflables de la boutique se jetèrent sur le super-héros !

Par petits bonds, dans un grand chœur de bruits grinçants de plastique maltraité, elles s'approchèrent de lui, leurs gueules rouges grandes ouvertes, leurs bras mous tendus telles des zombies de latex.

« Des femelles factices ne peuvent rien contre Mister Queer ! »

Celui-ci se dandina en fredonnant un air disco, et les poupées, comprenant qu'elles n'avaient aucun pouvoir sur lui, se dégonflèrent.

Mister Queer saisit alors un fouet à paillettes, et le claqua en direction du gérant.

« Alors c'est ça ? Vous animez vos jouets pour torturer la ville !

Tous ces pervers n'ont que ce qu'ils méritent ! jura Ethan.

Vous êtes le seul pervers que je vois ici ! »

Un nouveau sortilège, et une armée de petits canards vibra en direction du super-héros.

Celui-ci leur lança toutes les bites en plastique qui lui tombèrent sous la main. Puis il balança une laisse cloutée en direction du gérant démoniaque.

« Je vous aurai ! »

Il l'attrapa au deuxième essai.

Mais comment briser les sorts ?

Un geste trahit Ethan. Il jeta, malgré lui, un regard inquiet vers une petite idole, une statuette cernée de cierges phalliques sur un autel arc-en-ciel.

« Tu as pactisé avec le démon ! » jura Mister Queer.

Retenant le sorcier prisonnier de la laisse, il l'enjamba pour aller éteindre les cierges, et faire tomber la sculpture de sa mini-chapelle. Elle représentait une sorte de dieu androgyne dont les tétons se prolongeaient en deux serpents entrelacés.

Mais Mister Queer sentit que le sortilège agissait encore ; les appels de détresse se multipliaient partout dans la ville.

« Comment tout arrêter ? ordonna-t-il à Ethan.

Plutôt crever ! » répondit l’autre.

Le super-héros tira sur la laisse, fouetta le sorcier. En vain ! Celui-ci semblait même en retirer un certain plaisir. Il riait comme un dément.

« Mais tu aimes ça ! »

Le sorcier s'était mis à quatre pattes ; il tirait sur sa laisse en la mordillant.

Mister Queer pensa alors à la plus vieille méthode qui soit pour calmer les ardeurs sexuelles.

Il attacha la laisse à un pied de table, et se dirigea vers un lavabo qu'il avait repéré dans l’arrière-boutique.

Lorsqu'Ethan le vit remplir un seau d'eau glacée, il hurla : « Non ! ». Mais il était trop tard, le super-héros revenait.

Il balança l'eau sur la statuette, et entendit un sombre crépitement, comme un incendie étouffant sous la vague d’eau lâchée d’un Canadair.

Il sut alors que le masque de cochon, la confiture et le harnais étaient redevenus de simples accessoires sexuels inoffensifs.

Ethan disparut sans que Mister Queer s'en aperçoive. C’était fort contrariant.

Il laissait derrière lui sa statuette maléfique. Les tétons-serpents de celle-ci s'étaient rétractés, et la divinité plaçait une main devant son sexe, tandis que l'autre barrait et cachait sa poitrine…


© Nico Bally – 2010.

Tous droits réservés.

Direction littéraire de la série : Daniel Conrad & Pascal Françaix,

avec l'aide de Gérard Coudougnan.


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Jeu 29 avr 2010 Aucun commentaire