LES TOILES ROSES
HOMMAGE À
AMAR BEN BELGACEM
(1979 – 2010)
© Stéphane Brégu
« Ma peinture est une fenêtre qui donne sur un monde de joie, un paradis de bonheur, un printemps éternel et une innocence totale. »
Amar Ben Belgacem
© Damien Dauphin
J’ai rencontré Amar le 23 mars 2006, lors de la réception organisée par l’ambassade de Tunisie en l’honneur de la fête nationale. C’est lui qui est venu vers moi, spontané, exubérant, flamboyant et généreux. Un séducteur, un personnage comme il en existe peu. Un tour de buffet et un cocktail plus loin, tout aussi spontanément il me proposa d’aller chez lui, à Fontainebleau, le lendemain. Ce fut chose faite, car il m’arrive aussi d’avoir des élans spontanés. Mais comment résister à ce grand enfant au sourire malicieux et désarmant ? C’était impossible. C’est ainsi que j’eus la chance d’entrer dans son univers, dont il m’ouvrit les portes le temps d’un week-end, deux journées marquantes qui nous ont liés pour toujours.
Chez lui, j’ai découvert un artiste total et original, mais aussi une âme complexe. Dans sa façon d’être, Amar me faisait penser à Salvador Dali. C’était un magicien du pinceau qui donnait de belles couleurs à la vie et répandait du bonheur autour de lui. De la vie, il connaissait les zones d’ombre et la part de malheur. Il y a longtemps, il avait perdu un frère et portait cette blessure en lui.
L’éloignement géographique et nos activités respectives firent que nous avions un contact quelque peu distancié, mais qui n’était pas rompu. Je le vis pour la dernière fois le 25 août 2007, trois ans jour pour jour avant sa mort. Il avait organisé chez lui une fête avant mon départ pour le Canada. Ce fut une belle soirée au cours de laquelle se nouèrent de nouvelles amitiés. J’éprouve beaucoup de peine à la pensée que je ne vais plus le revoir, nous avions encore tant de choses à nous dire et à partager.
Amar, sahbi, tu étais une étoile filante destinée à illuminer nos vies, et comme ces étoiles tu as disparu trop vite. Ton œuvre te survivra, et tu demeureras vivant dans le cœur de ceux qui t’aiment. Me diras-tu pourquoi tu es parti pour un voyage sans retour, toi qui tous les ans faisais le tour du monde avec tes toiles mais finalement revenais toujours, chez toi, à Paris ? La vie, si remplie semble-t-elle, n’est-elle donc qu’une errance ? Que dissimulaient les trompeuses apparences au-delà de la bonne humeur que tu affichais ? Permets-moi de conserver ton sourire dans l’écran de mes souvenirs, comme une rose des sables façonnée par le temps, et par lui inaltérée. Tu vas beaucoup me manquer.
Damien Dauphin, diplomate.
© Bert Leatherman
Il était à l'image de ses peintures, simple et lumineux, changeant, voire fantasque, en pointillé comme dans ses décisions, il apparaissait, disparaissait, il était à la fois un grand solitaire et un être sociable. Aujourd'hui, il n'est plus, il nous a fait un joli mais douloureux pied-de-nez en ne nous prévenant pas, en décidant de son propre chef de rejoindre les anges. Peut-être que ces chérubins l'accueilleront mieux que nous ici-bas ; repose en paix, Amar et si tu reçois nos messages attristés, sache que ‒ pour paraphraser un certain Léo Ferré ‒ « on t'aimait bien, tu sais ».
Avec regret.
Affectueusement.
Patrick
PS : Par chance, tu m'avais dédié une de tes œuvres, je l'ai encadrée, seul souvenir vivant de toi car l'art ne meurt pas, c'est bien connu !
Patrick Adler, comédien et imitateur
© D. R.
Il y a des hommes qui font rapidement le tour de la vie. Leur présence devient de trop pour l’univers… ils passent donc à la maturité suprême, celle de la mort !
Porter la vie comme un léger tissu, la manier, la façonner et défier ses péripéties par un raffinement surhumain, c’est en quelque sorte refuser la nature même du rapport entre l’homme et son existence. Tragique, imprévisible, sisyphienne…
Quittant, un jour, le Grand Palais après s’être baladé dans une exposition où prenait part une peintre tunisienne que je voulais lui présenter, il avait remarqué à la sortie de l’expo une fleur géante, blanche comme son cœur, grande comme son âme.
Sans hésitation ni étiquette parisienne artificielle, il l’avait prise de son vase et on a traversé le tout Paris avec une fleur blanche comme son cœur, grande comme son âme...
Et comme rien n’est gratuit, quant on est vraiment spontané, cette fleur a atterrit dans les bras d’une autre peintre tunisienne qui exposait le même jour au centre culturel algérien à Paris. Et à qui il voulait me présenter…
Au côté du « peintre de la joie » comme je l’ai appelé dans mes émissions radio à Paris, on sent que les choses prennent un sens romanesque.
Que les coïncidences, les situations et les paroles orbitent autour d’une autre planète qu’il t’indique d’ailleurs avec son index toujours pointé vers une autre direction. Certainement celle des anges !
L’accueillant pour la première fois à la radio, Amar avait réussit dans l’espace de quelques secondes à apporter une lumière de laquelle sautillaient les sourires entremêlés de l'ensemble des collègues, sans l'avoir décidé, ni médité.
Missionné, il n’avait pas besoin de décider. La lune décide-t-elle de faire jaillir la lumière ?
« Lune » est son prénom comme il voulait toujours le rappeler. Avec un seul « M ».
Comme une fleur géante, il enchante désormais les âmes supérieures de l’au-delà. Les jardins terrestres ne sont pas assez fertiles pour accueillir ces fleurs géantes…
Quant à nous pauvres humains, nous dirons que nous avions rencontré l’homme-lune qui se baladait avec une fleur géante, blanche comme son cœur, grande son âme.
Mohamed Al Hani, journaliste
© Michel Giliberti
Amar était un être magique et léger.
De nos après-midi à Sidi Bou Saïd ou à Paris je garde le secret de son sourire et la profondeur de ses grands yeux...
Comme une soie qui agace ou qui conforte, Amar avait cette souplesse d’esprit et d’étonnement que seuls les enfants savent offrir à ceux qui les aiment.
Michel Giliberti, écrivain, peintre et photographe
© Bert Leatherman
AMAR ‒ Amor à mort.
Amar. Ce mot AMAR signifie en espagnol AIMER, pour les juifs, ce mot hébreu signifie LA PAROLE, tandis que le prénom arabe signifie LE BATISSEUR.
Quand j’ai rencontré Amar la première fois, j’ai d’abord été surpris. C’était la première fois que je rencontrais un vrai dandy. Qui plus est, un dandy tunisien – car c’est exactement ce qu’il était. Les dandies sont rares, et d’origine maghrébine encore plus. Amar était un garçon qui cultivait cette grâce du raffiné. Un être atypique à la parole distinguée, au verbe bien choisi, avec ce regard qui vous déshabillait, ces longues mains qui vous touche sans timidité, avec cette chaleur propre aux gens du sud… Constamment à l’écoute de « l’Autre ». Attentif.
Je le reverrai toujours, dans notre belle intimité, délicat, me caressant le bras et me disant quinze fois d’affilé et sur un ton différent à chaque fois : « Que tu es beau ». C’était ironiquement drôle et tout à la fois poétique dans la façon de faire. Amar était ce poète clownesque, ce pitre lyrique. Cet être amusant en surface et touchant dans l’intimité, mais qui ne voulait jamais qu’on l’atteigne en profondeur. Il donnait ce sentiment qu’une part de lui devait rester inaccessible.
Amar, pour moi, est comme la Mrs Dalloway de Virginia Woolf. Cet être triste dans l’âme qui donne des réceptions mondaines, des moments de vie pleins de ses rires et de joies pour couvrir le silence, pour tenter d’échapper à ses démons, feignant toujours d’aller bien, pensant pourtant au suicide. Amar, comme de nombreux poètes, était une Clarissa Dalloway, à faire du bruit, à provoquer de la joie, de la bonne humeur, à jouer l’artifice pour couvrir ce silence qui l’effrayait, pour cacher ses peines, ses failles, cette crasse impalpable et noire dans son sang.
Je relirai ce roman en pensant à lui.
Personnellement, je n’ai jamais vraiment aimé son travail de peintre. Je ne lui ai jamais dit, mais il l’a toujours su. La première fois qu’il m’a montré son travail, je pensais qu’il se moquait, que c’était une farce. Ces dessins faits aux feutres de couleurs, tels des gribouillages de maternelle… ça ne pouvait pas être sérieux. Amar n’était jamais vraiment sérieux. Et puis j’ai vu les formes se préciser, la technique du pointillisme s’accentuer avec les années et j’ai, avec le temps, apprécier son travail – sans jamais vraiment l’aimer.
Je me demande aujourd’hui s’il ne s’est pas donné la mort à cause de ça : d’avoir été par nous tous énormément apprécié, sans avoir jamais été réellement aimé, sans avoir jamais donné à l’un d’entre nous la possibilité de le faire réellement.
Il a décidé de partir. On ne peut rien faire contre ça. Amar, je te garderai dans mon cœur.
AMAR ‒ Amo, amas…
Samuel Ganes, auteur, comédien, metteur en scène
et journaliste presse théâtre
© Dominique Massard
Il y a deux semaines, j'étais à Tunis. Je pensais à lui. Je ne savais pas encore la terrible nouvelle. Nous nous croisions sur Internet. Nous échangions quelques mots. Il aimait mon univers, j'aimais ses peintures. Le temps qui passe trop vite, jamais le temps de se voir, ni de se croiser au détour d'une exposition. Des regrets forcément. Ce qu'il nous reste de lui... ses peintures... ses œuvres qui sont son âme... Mes condoléances à sa famille, à ses proches...
Jann Halexander, chanteur et réalisateur
© Samuel Laroque
J’ai appris lundi soir (6/09) le décès d’un pote, Amar Ben Belgacem, avec qui j’étais parti en vacances. D’après les dernières nouvelles, il aurait mis fin à ses jours. Je ne savais pas si je devais pleurer, ne pas y croire ou me dire qu’après tout ce devait être une mauvaise blague ou une erreur.
« Pourquoi tu ne m'aimes plus? » : lettre à Amar
Je ne te connaissais pas, Amar, aussi bien que l’on connaît un ami proche, mais j’avais passé assez de temps avec toi durant les vacances pour être autant agacé qu’amusé par ta personne.
Ta petite phrase dès qu'on se croisait était « Pourquoi tu ne m’aimes plus ? », avec ce petit accent distingué qui me faisait sauter au plafond dès que tu ouvrais la bouche. Dans le fond, ça me faisait rire et j’aimais t’envoyer balader, une bataille d’ego entre artistes… plus sérieusement, une marque d’affection. Ne dit-on pas : qui aime bien châtie bien ?
La première nuit, tu m'avais réveillé, tu ne voulais pas dormir tout seul ! Pour m'embêter, tu as tiré sur mes draps jusqu'à ce que je cède, que je change de lit et que je dorme à côté de toi ! Il aura fallu que tu t'en ailles le dos tourné pour que je m'en souvienne ! Salopard !
J’avoue que je n’avais pas été emballé par tes peintures que tu nous avais présentées un soir, le souci de l’art abstrait c’est qu’il plaît ou pas. Tu avais ton monde bien à toi, tes délires, ton « moi je » ultra développé qui faisait rire tout le monde à table, tu étais avec Moncef la "princesse" dans son état le plus éclatant et ça t’amusait quand on te le disait.
À aucun moment personne n’aurait pu imaginer que tu puisses commettre cet acte ; la question qui reste en suspens est « pourquoi ? » Tu n’étais pas quelqu’un de suicidaire, que s’est-il passé ? Le silence est la seule réponse qui nous est donnée pour le moment. Quand j’ai su la triste nouvelle, j’ai levé les yeux au ciel en disant : « T’es un salaud de nous laisser ! »
Dans ces durs moments, on se souvient à quel point la vie nous est chère même si parfois elle nous paraît difficile. Profitons-en pour dire aux gens qui nous entourent que nous les aimons et n’attendons pas qu’ils disparaissent pour le faire !
Pourquoi je ne t’aime plus ? Parce que ce n’était pas ton heure, pas encore, pas tout de suite… Amar, même si je ne supportais pas quand tu faisais ta princesse, tu vas me manquer car ce soir, je ne peux plus prendre ma revanche en te réveillant...
Je t'embrasse affectueusement,
Samuel
En me préparant au matin de la levée du corps qui a eu lieu jeudi 9 septembre, mon regard s'est fixé sur un paquet de coton. Je lisais ton prénom, orthographié différemment avec un "e" mais prononcé de la même façon, "Amare", qui de plus signifie "aimer" en italien. En fait, sur le paquet était écrit "Amarel" mais le reflet de la lumière ne me permettait pas de voir la lettre "l". Ça peut paraître futile, anodin, lié à la coïncidence, au hasard… Je suis persuadé que tu as fais un signe et je tenais à faire partager cette anecdote aux gens qui t'ont aimé, c'est une façon pour toi, j'en suis sûr, de nous dire : « Je suis toujours là » !
Samuel Laroque, comédien et chanteur
© Bert Leatherman
Adieu l’alchimiste des couleurs…
À l’heure où tout artiste prépare sa rentrée, la sphère picturale… la scène culturelle toute entière perd une figure éminente, un jeune artiste dont le talent et la sensibilité, la gentillesse et la joie de vivre étaient la devise : Amar Ben Belgacem n’est plus. Le peintre nous a quittés le premier week-end du mois de septembre à son domicile à Paris…
Né le 18 juin 1979 à Paris, Amar passe les premières années de son enfance dans la Ville Lumière.
À cinq ans, ses parents décident de l’envoyer en Tunisie, à Hammamet, terre des origines, pour débuter et poursuivre ses études. Avec son diplôme du baccalauréat en poche, Amar retournera en France pour se consacrer à des études artistiques. Très tôt, l’artiste trouve sa voie et impose un style à la fois candide et profond dans l’élaboration des œuvres. Abstraites, ces dernières bannissent toute forme connue pour devenir une représentation du monde tel que le perçoit l’artiste. Des lignes et des cercles concentriques viennent habiter l’espace de la toile, puis c’est la couleur gaie et chatoyante, vive et vivace qui dynamise le travail d’Amar. L’œuvre est ainsi renouvelée à chaque nouvel abord. Interrogé sur ce choix, l’artiste ne cessera d’affirmer que ce qu’il propose au public c’est une vision fraîche du monde, une vision d’espoir et de bonheur qui passe par la couleur. Il voulait que sa peinture soit le reflet d’un printemps éternel, d’une joie de vivre démesurée et communicative.
De Paris à Washington DC, de Rome à Madrid, en passant par Nagoya (Japon), Séoul, Beyrouth, Oslo entre autres et la Tunisie, Amar intrigue à chacune de ses expositions professionnelles, curieux et amateurs d’art plastique. Sa joie de vivre naturelle, son aisance et sa volonté d’aller vers les autres, enfin sa générosité de cœur et le don de soi, marquent l’esprit de ceux qui l’ont côtoyé et connu. Attachant et sincère, l’artiste nous faisait entrer dans son monde sans prétention, disant en toute simplicité ce que son cœur ressentait.
En juin dernier, nous nous sommes vu à Paris. Amar m’a offert son hospitalité et nous avons passé une bonne partie de la nuit à discuter de son art et de ses projets. Avec animation, il parlait de ses futures expositions et de son enthousiasme à surprendre tout le monde avec une exposition de tapisseries inspirées de ses œuvres.
Il disait qu’il avait hâte que ce projet aboutisse en Tunisie. Il parla aussi de ces vacances en Espagne, de la rentrée culturelle. Il confiait qu’il avait été souvent déçu par les gens et que certains continuaient à le décevoir, qu’ils profitaient de sa générosité. Mais, il ne tenait rancune à personne. Alors que Paris s’éveillait, Amar nous a accompagné jusqu’à l’arrêt de la navette qui nous déposera plus tard à l’aéroport, nous nous sommes salués et nous nous sommes donné rendez-vous pour sa prochaine exposition à Tunis. Alors que la navette s’acheminait vers la gare Montparnasse, nous vîmes, pour la dernière fois la silhouette d’Amar, enveloppé dans son manteau fétiche, traverser le parc.
C’est avec une immense douleur que nous avons appris sa disparition tragique à l’âge de 31 ans, dans son havre de paix qu’est Paris. Que garderons-nous d’Amar Ben Belgacem, sinon cette image d’un homme attachant au regard candide mais malicieux, un artiste complet à la sensibilité frémissante à l’égard de la beauté indécelable du monde ? Enfin, ce sourire juvénile d’un enfant qui dit les choses sans complexe. Nous garderons aussi en mémoire, l’image d’un travailleur acharné, d’un alchimiste des couleurs qui sans relâche renouvelle son inspiration et la puise dans les senteurs et les teintes qu’il ramène de ses voyages. Son départ prématuré laissera un grand vide et ne demeurera que son œuvre : trace immuable de son génie et de son talent tel « un Ange, entr'ouvrant les portes, / [qui] Viendra ranimer, fidèle et joyeux, / Les miroirs ternis et les flammes mortes. »
Raouf Medelgi, journaliste
© Olivier Lemettais
Daniel Conrad Hall s’associe et remercie les amis d’Amar qui ont accepté de lui rendre hommage sur notre site. Les emails d’Amar vont me manquer et ma peine n’est rien à côté de celle de toutes ses amies et ses amis du monde entier. Je t’embrasse, Amar. Je remercie spécialement Stéphane Brégu et suis de tout cœur avec lui dans cette épreuve.
© Stéphane Brégu