LES TOILES ROSES
Fiche technique :
Avec Gunter Meisner, David Sust, Marisa Paredes, Gisela Echevarria. Réalisation : Agustí Villaronga. Scénario : Agustí Villaronga. Images : Jaume Peracaula. Musique originale : Javier Navarrete. Son : Ricard Casals. Production : Teresa Enrich.
Durée : 100 mn. Disponible en VO et VOST.
Résumé :
À la fin des années 50, Klaus, un ancien médecin Nazi (Gunter Meisner) est confiné dans un poumon d’acier suite à l’échec d’une tentative de suicide. Il vit avec sa femme Griselda (Marisa Paredes) et sa fille Rena (Gisela Echevarria) dans une grande maison isolée située quelque part en Catalogne. Il y habite incognito, car il est toujours recherché par les autorités, mais sa retraite est relativement sûre dans l'Espagne de Franco. Klaus est l’un de ces médecins qui on fait des expérimentations sur les déportés, fonction qui lui a permis en outre de commettre les crimes sexuels les plus effroyables sur de jeunes garçons. La fin de la guerre n’a pas tari sa perversité sexuelle. Poussé par ses pulsions sadiques, dans son refuge, il torture à mort un adolescent. Le désespoir et la honte de son acte le poussent à sauter dans le vide du toit de sa villa. Après son saut, il est paralysé des épaules aux pieds et ne peut être maintenu en vie que grâce à un poumon d’acier dont il ne peut sortir.
Il reçoit la visite d’Angelo, un jeune homme mystérieux (David Sust), qui offre ses services en tant que garde-malade. Contre l’avis de Griselda, Klaus insiste pour qu’on engage le visiteur. Bientôt un rapport pervers se développe entre Angelo et Klaus, devenant toujours plus morbide quand Angelo lui révèle qu’il a trouvé des journaux intimes détaillant ses activités durant la guerre et qui dévoilent tout de ses agissements dans les camps de concentration avec les adolescents et notamment sur les abus sexuels sadiques qu’il leur faisait subir...
L’avis de Bernard Alapetite (Eklipse) :
Avant toute chose, je tiens à prévenir que si ce film est vivement recommandé aux spectateurs dotés d’un estomac solide et qui ne sont pas facilement offusqués, tous les autres sont invités à l'éviter à tout prix. Dernier avertissement : le résumé ci-dessus n’est que très partiel pour éviter les spoilers.
Le formatage de plus en plus effréné des films interdit quasiment aujourd’hui aux grands malades du cinéma, comme Agustí Villaronga, de s’exprimer. Ce n’est pas un hasard si ce film date de 1987, il serait impossible à réaliser aujourd’hui. Il existe bien chez nous Gaspard Noé et Philippe Barassat mais qui connaît ce dernier auteur avec Mon copain Rachid, (inclus dans Courts mais gay tome 1) une ode à la jeune bite maghrébine et avec Le Nécrophile, un plaidoyer pour la nécrophilie, film diffusé en catimini à la télévision en pleine nuit. De tels cinéastes sont pourtant indispensables. Ce qui n’interdit pas de se poser des questions sur la finalité de leurs œuvres. Villaronga, qui est né à Majorque en 1953, n’a réalisé qu’une demie douzaine de longs-métrages en 20 ans, ce qui ne surprendra guère à la lecture des pitchs de ceux-ci. On peut même se demander par quel miracle ils ont pu être produits.
Villaronga, pour ce premier opus, contrôle la tension et le suspense d'une façon particulièrement efficace. La violence est relativement peu montrée à l'écran en regard du scénario, mais cet hors champ rend le film d’autant plus dérangeant. Surtout lorsque l’on découvre qu’Angelo a été contaminé par le mal absolu. Ce qui se concrétise au fil du film par un mimétisme de plus en plus grand entre le garçon et l’officier SS. L’angoisse se développe, plus intense chaque minute. Le traitement de la relation sadomasochiste, que l’on retrouvera dans une autre œuvre du cinéaste, El mar, évoque celui de Portier de nuit de Cavani, avec lequel Tras el cristal entretient de nombreux liens.
L’insertion de nombreuses photographies d’enfants, prises dans les camps de concentration à la fin de la Deuxième guerre mondiale, rappelle constamment aux spectateurs la vérité historique qui sous-tend la fiction. Le mal et sa transmission, les rapports ambigus entre victimes et bourreaux, voilà les vrais sujets de Tras el cristal. Toutefois, en privilégiant dans la deuxième partie le versant film d’horreur classique et en ne développant pas vraiment la thématique nazie, elle ne reste qu’une toile de fond ; le réalisateur fragilise plus qu’il ne renforce son propos. L’inspiration biblique du film est indéniable. Satan n’est-il pas un ange déchu ? Comme l’est Angelo qui de vengeur devient bourreau. Tras el cristal est au sens propre un film satanique dont la dernière image montre le cycle éternel du mal incarné par un succube.
Le sujet terrifiant du film est encore exacerbé par un filmage froid et distancié au cadre extrêmement travaillé, jouant continuellement sur les reflets et les jeux d’ombre. Agustí Villaronga plonge progressivement la maison de Klaus dans une ambiance gothique à l’aide d’éclairages irréalistes et intenses qui découpent des ombres sinistres, privilégiant les symboles phalliques. Le film fonctionne selon les codes du thriller psychologique et joue la carte du lieu clos coupé du monde. Il s’inscrit dans toute une tradition du cinéma horrifique espagnol qui perdure jusqu’à nos jours avec Amenabar par exemple. Le malaise est entretenu par une image esthétisante traitée dans des tons froids avec une dominante de camaïeux de bleus. Le film déploie une mise en scène très inspirée, ambitieuse et précise. Seule l’utilisation trop fréquente des effets de zoom a un peu vieilli. De fréquents très gros plans comme celui, très insistant, sur le téton d’un jeune supplicié traduisent les désirs explicites du réalisateur. La rareté des dialogues met en évidence la confiance qu’a le cinéaste dans la puissance évocatrice des images pour exprimer les idées et les émotions. Ce qui ne l’empêche pas de porter une grande attention à la bande son qui n’est pas pour rien dans la montée de la terreur, avec le bruit récurrent – presque obscène – de la respiration du poumon artificiel.
Les comédiens sont remarquables. Gunter Meisner est un de ces acteurs allemands qui furent condamnés pendant toute leur carrière à endosser l’uniforme nazi. Il débuta dans cet emploi dans... Babette s’en va en guerre ! Il a lâché la Wehrmacht et le reste du monde en 1994. C’est avec surprise que l’on découvre l’héroïne d’Almodovar, Marisa Paredes, dans le rôle de l’épouse tentée par le crime. On n’a guère revu le beau visage de David Sust et son accorte plastique, dont on ne profite pas assez à mon goût lors de la relation sexuelle entre Angelo et Klaus, que dans L’Enfant de la lune, le deuxième long-métrage de Villaronga. Le réalisateur explique, dans le bonus du DVD, qu’il a dirigé les jeunes comédiens en leur proposant des jeux qui n’avaient rien à voir avec le scénario pour ne pas les traumatiser. On peut être néanmoins sceptique sur de telles déclarations, qui sont peut-être surtout destinées à se protéger.
Tras el cristal s’est fait remarquer au festival de Berlin. Il n’a jamais eu droit à une sortie en France. Toutefois, le film suivant de Villaronga, L’Enfant de la lune, lui aussi fantastique et surtout crypto-pédophile, sera sélectionné à Cannes et sortira sur les écrans français comme El mar en 2OOO. Tras el cristal n’a été édité en dvd qu’aux USA, chez l’éditeur Cult Epics ; en bonus, il contient une interview de dix minutes du réalisateur.
Ce film très dérangeant est une méditation partiellement réussie sur les profondeurs de la dépravation humaine. Il pose des questions profondes sur les monstres tapis à l'intérieur de chacun de nous, et illustre avec une évidence effrayante la nature cyclique de l'abus sexuel.
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