LES TOILES ROSES
Fiche technique :
Avec Nicole Garcia, Gaspard Ulliel, Mélanie Laurent, Bruno Todeschini, Alysson Paradis, Christophe Malavoy et Thibault Vincon. Réalisation
: Rodolphe Marconi. Scénario : Rodolphe Marconi. Images : Hélène Louvart. Montage : Isabelle Devinck. Son : Frédéric Ullmann & Nathalie Vidal.
Durée : 105 mn. Disponible en VF.
Résumé :
Pour Noël, Simon (Gaspard Ulliel), dix-huit ans, un garçon sensible, étudiant aux Beaux-Arts à Paris, débarque chez ses parents (Nicole
Garcia & Christophe Malavoy), sur l’île d’Oléron, avec une jeune inconnue (Mélanie Laurent) rencontrée dans le train de nuit. Simon retrouve Mathieu (Thibault Vincon), son ami d’enfance
dont il est amoureux. Mais Mathieu va beaucoup apprécier Louise...
Durant le séjour, un coup de téléphone vient bouleverser la famille, faisant resurgir un secret enfoui depuis vingt ans…
L’avis de Bernard Alapetite :
Ça commence fort : première image, Simon donne un coup de boule dans une vitre et sa tête passe au travers de la fenêtre ; suivent,
sans transition, quelques belles images des lumières de Paris, alternées avec celles d’un sapin de Noël que l’on suppose familial. Dans les dix premières minutes du film Rodolphe Marconi
réussit, avec un minimum de dialogues, seulement par des images et un montage dynamique (beaucoup de plans caméra portée mais pour une fois à bon escient), à installer ses personnages, à nous
suggérer les liens qui les unissent, à nous présenter les lieux, à nous indiquer dans quel milieu ils évoluent et à quelle période de l’année. C’est remarquable, une belle leçon de cinéma
d’un réalisateur qui fait confiance à sa seule mise en scène. Le cinéaste a l’habileté, tout en gardant un grand mystère notamment sur Louise, de glisser dans son scénario de petites
informations qui stimulent notre imagination et nous font parfois partir sur de fausses pistes. Il lui suffit de quelques plans pour nous faire comprendre ce qu’il y a entre Simon et Mathieu.
Mais avec ses silences, ses litotes, ses non-dit et ce jeu d'acteurs qui met étrangement mal à l'aise, Le Dernier jour est un film à débusquer aussi dans les hors champs.
Après un début dynamique au montage très cut, la caméra se fait moins mobile, se pose. Les cadres sont très construits. Le metteur en scène a une forte propension dans les fréquents moments
de silence à filmer ses acteurs de dos et à utiliser le montage parallèle.
Il est dommage que Rodolphe Marconi scénariste n’ait pas assez fait confiance à Rodolphe Marconi cinéaste et ait éprouvé le besoin de ce coup de théâtre téléphonique, très téléphoné, alors
que les rapports entre les membres de cette famille et leur entourage suffisaient à nous tenir en haleine. Le scénario n’est pas sans quelques maladresses avec les rôles secondaires sacrifiés
comme celui de Malavoy, ou inabouti, comme ce grand-père (?) qui ne fait que passer. Pourquoi ne pas situer précisément l’action, tournée dans l’île d’Oléron, alors que l’on nous suggère
qu’elle se déroule en Bretagne ? Autre bizarrerie : pourquoi indiquer que nous sommes à Noël alors que cela n’apporte rien au déroulement de l’histoire et que cela semble oublié par la
suite ? Lors de la fête familiale, il n’y a aucune distribution de cadeaux par exemple et surtout la lumière et les vêtements font plutôt penser à la période de Pâques qui aurait aussi
bien convenue. Ce ne sont que vétilles mais elles sont d’autant plus agaçantes qu’elles auraient pu être facilement évitées.
On peut aussi regretter que Marconi n’ait pas eu la petite audace d’extraire son intrigue du milieu habituel qui envahit nos écrans. Comme nous sommes dans le cinéma français, nous
n’échappons pas à la bourgeoisie qui ne semble prospérer que sur nos écrans hexagonaux. Cette famille n’a aucun souci d’argent, habite une grande maison juste un peu délabrée pour ne pas
faire nouveaux riches. On ne saura pas ce que fait le père pour faire bouillir la marmite, mais c’est la mère qui semble porter la culotte. Le fils de dix-huit ans fait des études à Paris et
quand il rentre, il retrouve sa voiture et pas n’importe laquelle : un coupé des années cinquante... Curieusement cette voiture, comme la caméra super 8 et non un caméscope qu’utilise
Simon, la musique, très connotée années 70, semblent vouloir instaurer un certain flou sur l’époque à laquelle se déroule l’histoire.
Le réalisateur et son chef op sont incontestablement de bons photographes ; on remarque à maintes reprises l’intelligence du cadre, le choix judicieux des couleurs ainsi que l’inventivité des
angles de vue. C’est d’ailleurs grâce à la photographie que le film a pris corps nous dit le réalisateur : « On m’a proposé de photographier Gaspard Ulliel (pour la sortie du
film Les Égarés). J’ai accepté. Gaspard m’a donné envie de faire ce film dont le scénario était dans un tiroir depuis deux ans. Je l’ai réécrit pour lui et il a accepté le rôle. Le
plaisir de tourner avec Gaspard ne se limitait pas à sa photogénie et à son talent, mais surtout à la façon dont il s’est fondu dans le personnage. Il incarnait Simon tel que je l’avais
imaginé, c’est-à-dire pas très loin de moi. »
Le traitement du son est également soigné, un mixage subtil de musiques de variétés, souvent en décalage, d’airs classiques, de voix sourdes et de bruitages surprenants. Dans ce domaine, le
clou du film est une formidable scène à la Demy dans laquelle une palanquée de pécheurs bretons swingue au son de Mamy blue par Nicoletta dans un rade improbable. Marconi devrait se
lâcher plus souvent.
Les acteurs sont parfaits, à commencer par le très craquant Gaspard Ulliel qui tient tout le film. Il est presque de tous les plans et le rôle de Simon est peut-être sa meilleure prestation à
ce jour. La lenteur de son jeu apporte une sorte d’élégance et beaucoup de mystère à son personnage. Cette indolence est renforcée par le jeu trépidant et agressif de Nicole Garcia. Le
contraste fait merveille. Il ne faudrait pas cependant oublier Mélanie Laurent épatante dans le rôle de Louise assez proche de celui qu’elle tient dans Je vais bien, ne t'en fais pas
qui l’a fait découvrir du grand public.
Le Dernier jour est d’abord le portrait d’un adolescent, âme pure et
tourmentée, trahi par la médiocrité égoïste des siens. Il y a quelque chose de la colère méprisante d’un Montherlant pour les médiocres dans le regard peu amène que porte le réalisateur sur
ses personnages secondaires.
Le Dernier jour est le troisième film de Rodolphe Marconi. Il est en
gros progrès par rapport à Ceci est mon corps (2001) et Défense d’aimer (2002), qui se caractérisaient déjà en étant des portraits où le personnage principal découvre sa
vérité dans des ambiances tendues. Il est difficile de ne pas rapprocher le cinéma de Marconi avec ceux de Chéreau et de Christophe Honoré. Mais il va plus au bout de ses envies que ces
derniers. Il est aussi plus libre. Avec Chéreau, il partage entre autre ce grand comédien qu’est Bruno Todeschini, ici largement sous-employé comme tous les seconds rôles. C’est
Hélène Louvart, l’excellente chef op du film qui a aussi signé la photo de Ma Mère de Christophe Honoré. J’ai aussi beaucoup pensé au beau Ciel de Paris de Michel Bena.
Un film d’un cinéaste qui ose presque toujours aller au bout de ses désirs de mise en scène, aux constants changements de rythme, beau et passionnant, mais surtout, profondément humain sur un
gamin en quête de lui-même.
Pour plus d'informations :
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Quand je vois la photo de Gaspard Uliel, je me demande vraiment s'il n'est pas le fils de Mylène Farmer...
Un régal cette analyse. Bernard sait dépasser (au contraire de moi) son seul ressenti pour l'articuler avec ses compétences cinématographiques. Son oeil particulièrement scrutateur ne laisse rien passé (alors que cela ne m'avait pas frappé).
Et puis, il y a toujours, cette grande connaissance du cinéma qui permet à Bernard de situer ce film dans l'histoire globale du cinéma.
Ebloui, je suis !