LES TOILES ROSES
Fiche technique :
Avec Guillermo Diaz, Frederick Weller, Brendan Corbalis, Duane Boutte, Bruce Mac Vittie, Dwight Ewell, Luis Guzman et Gabriel Mann.
Réalisation : Nigel Finch. Scénario : Rikki Beadle-Blair & Nigel Finch. Images : Chris Seager. Montage : John Richard. Musique originale : Michael Kamen. Décor : Charles Ford.
Durée : 98 mn. Disponible en VO et VOST.
Résumé :
1969 : le jeune Matty Dean (Frederick Weller) venant de son Middle-west natal débarque à New York où il espère pouvoir vivre son homosexualité de manière plus épanouissante que dans sa province. Dès son arrivée il rencontre, dans les jours qui précèdent les événements de Stonewall, deux hommes que tout oppose : La Miranda (Guillermo Diaz), une drag queen portoricaine flamboyante, et Ethan un activiste gay quelque peu coincé. Ces deux personnes vont devenir ses amants et changer sa vie.
L’avis de Bernard Alapetite :
Pour commencer, un peu d’histoire communautaire : à New York, dans la nuit du 27 au 28 juin 1969, dans le cadre d’une vaste opération contre les bars liés à la mafia, la police fait une descente au Stonewall, 53 Christopher Street, dans le quartier de Greenwich village, un bar où les gays se rassemblent car ils ne sont pas acceptés dans les autres établissements. Pourtant, en 1966, les tribunaux new-yorkais ont reconnu aux homosexuels le droit de se rassembler dans des débits de boisson.
Le Stonewall comme bon nombre de bars est géré par la pègre locale, lointain héritage du temps de la prohibition. Son patron, Tony Lauria « Fat Tony », paie sa dîme aux « œuvres » de la police locale et reverse les recettes du soir au parrain de New York, Matty The Horse. Le Stonewall cible volontairement la clientèle gay, car elle est d’un bon rapport. Le bar accueille plusieurs centaines de personnes le week-end mais il ne possède pas de licence. Le patron est obligé de graisser la patte des officiers de police du 6e district pour ne pas voir son établissement fermer. Outre des gays et des travestis, sa clientèle comprend de nombreux émigrés clandestins, autant de raisons pour que les autorités s’y intéressent.
Dans la nuit du 27 au 28 juin 1969, vers deux heures du matin, huit officiers du New York Police Department pénètrent dans le Stonewall. Ils effectuent un contrôle d’identité musclé de la clientèle, majoritairement afro-américaine et portoricaine, qui résiste. Ce raid était différent des interventions précédentes. Habituellement, les propriétaires étaient prévenus à l’avance par un informateur au sein même de la police qu’une descente aurait lieu. Ces « visites » avaient souvent lieu assez tôt dans la soirée pour permettre une réouverture rapide du bar.
Mais cette nuit-là, les policiers ferment l’établissement et jettent les clients un par un à la rue après avoir procédé au contrôle des identités. Deux cents jeunes gens sont expédiés sur le pavé. Au lieu de se disperser dans la nuit comme d’habitude, ils se massent sur les trottoirs aux alentours. Un barman, le portier, et trois travestis sont arrêtés et traînés vers un fourgon de police. Un petit groupe de travestis se lance à leur rescousse. La tension monte. Des bouteilles de bière et des briques volent en direction des policiers. L'histoire veut qu'un travesti, Sylvia Rivera, ait jeté la première bouteille sur les policiers. Les travestis, blacks, latinos, prostitués, étudiants, gays et lesbiennes du quartier sont rameutés. Ils contre-attaquent et disputent le terrain à une police en difficulté. Surpris, les policiers battent en retraite et, comble de l’ironie, se réfugient dans l’établissement. La foule, qui dépasse les 400 personnes, hurle des injures et tente d’enfoncer la porte du bar. Un manifestant essaie de mettre le feu à l’établissement, sans succès. Un parcmètre est arraché et vient coincer la porte du bar, bloquant plusieurs officiers à l’intérieur. La foule continue à grossir. Un feu de rue éclate. Treize personnes sont arrêtées et seront déférées devant la justice. Les renforts demandés sont accueillis par des jets de bouteilles. Des homosexuels prévenus qu’il se passe quelque chose au Stonewall arrivent de toute part. Au petit matin, la foule atteint 2 000 personnes. Elle lance des bouteilles et des pierres aux 400 policiers arrivés sur place. La police finit par envoyer la Tactical Patrol Force, une unité de police anti-émeute, alors habituée à lutter contre les opposants à la guerre du Vietnam. Ces hommes parviennent à disperser les manifestants.
Craig Rodwell, qui avait créé en 1967 dans la Christopher Street la première librairie d'auteurs gays au monde, la Oscar Wilde Memorial Bookshop, a ameuté la presse. Les journalistes assisteront à plusieurs jours de combats, qui se poursuivront dans la rue. En effet, si le 28 juin, l’émeute se calma, la foule revint les jours suivants. Le soir du 29, un groupe de 500 personnes descend Christopher Street en chantant des slogans pro-pédés. La police anti-émeute charge à la matraque avec une extrême violence et fait de nombreux blessés. Le 9 juillet a lieu le premier « Gay Power Meeting ». Au total, les échauffourées durèrent cinq jours, toutes les brimades dont les homosexuels avaient été victimes précédemment refaisant surface. Mais comme le dit un des personnages du film : « À chacun sa légende de Stonewall... »
Retour au calme : la dernière fois que je suis passé dans le Village, en avril 2006, la lumière du printemps irisait les trottoirs proprets de Christopher Street que bordaient de coquets commerces arborant presque tous sur leur vitrine le « rainbow flag ». L’Oscar Wilde bookshop qui a déménagé au n°15 de la rue offre, dans sa tortueuse caverne, toujours autant de trésors que naguère. Ce jour-là, les gardiennes du temple étaient deux charmantes et compétentes lesbiennes qui étaient en âge d’avoir connu les horions de la police dans cette même rue. Le quartier, tout en étant resté gay-friendly, n’a plus grand-chose à voir avec celui du temps des émeutes. Il s’est embourgeoisé et policé comme le reste de New York, aujourd’hui une des villes les plus sûres du monde depuis les actions de son maire Guiliani à la fin des années 90. Guiliani, encore un Républicain atypique (du Great Old Party), dirige la ville depuis 1994, alors qu’aux dernières élections présidentielles le candidat démocrate, John Kerry, a obtenu 74 % des voix.
Depuis, ces événements sont considérés comme l’acte fondateur de la libération des gays. Ils sont commémorés de par le monde, le dernier samedi de juin, le Christopher Street Day, par une gay pride.
Aujourd’hui, peu sont parmi ceux qui se trémoussent en suivant les chars de la gay pride parisienne savent que c’est l’anniversaire d’une révolte de gays quelque part dans le sud de Manhattan qu’ils honorent. Pourtant cette geste n’est pas complètement oubliée, même parmi ceux qui n’étaient pas encore nés alors, comme en témoigne cet extrait de l’excellent blog de Matoo : « (…) Je sais que je suis un peu le seul à le penser (arf), il s’agit de la commémoration des événements de Stonewall de 1969. Et au-delà, j’y vois la célébration de l’activisme gay depuis 1968 en France. En se pavanant librement et fièrement sur le goudron, on rend finalement hommage à tous ces hommes et femmes qui ont lutté pour notre affranchissement. Et ce ne sont pas les « look hétéros » qui ont été les plus en verve, mais certainement les premiers à en bénéficier aujourd’hui. » ou encore ces phrases signées Conrad sur un site en déshérence depuis 2002 : « Si vous êtes de ceux qui regrettent la présence des travelos aux marches, souvenez-vous qu'ils ont ouvert la voie. Si vous regrettez qu'on ne voit qu'eux à la télé, souvenez-vous que les médias montrent ce qu'ils veulent, ils n'ont pas besoin de nous pour mentir. Le travail de tolérance et de respect doit se faire tous les jours et par tous, travestis ou non. Je ne suis pas out, au boulot. Mais j'admire la force de ces gens qui ont le courage de s'exposer au jugement d'autres gens qui ne les comprennent finalement pas. Je ne suis ni travesti, ni drag-queen et je n'en ai jamais connu d'assez près ni assez bien pour en parler, je pourrais écrire des pages entières à les idéaliser, mais à quoi bon ? Pensez ce que vous voulez, habillez-vous comme vous voulez, moi, le 1er juin 2002, je marche. »
En France, il faudra attendre le printemps 1971 pour que soit créé le FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) et c’est seulement le 25 juin 1977 qu’eut lieu la première gay pride parisienne.
Le film, qui d’ailleurs devrait plutôt s’appeler Avant Stonewall car seulement les dix dernières minutes relatent en une remarquable synthèse l’émeute, présente habilement mais trop brièvement le contexte historique de cette période : celui international, la guerre du Vietnam mais aussi interne au mouvement gay. Celui-ci était alors représenté par la Mattachine Society qui est montrée ironiquement au travers des réunions auxquelles assistent Matty, le héros du film. Ce groupe œuvrait discrètement pour donner plus de droits aux gays. Le mouvement voulait que les homosexuels se fondent dans la société, s’intègrent et ne soit en rien discernables des hétérosexuels, un peu l’équivalent de ce qu’était en France Acady.
Il faut savoir que si l’intervention de la police a provoqué de telles réactions, c’est certes que Judy Garland venait de mourir mais que surtout cette descente de police inopinée était comme un retour aux années précédentes. En effet, la tendance était à la tolérance envers les gays depuis l’élection en 1965 à la mairie de New York de John Lindsay, un Républicain qui présentait un programme de réformes, et celle de Dick Leitsch comme président de la Mattachine Society à New York. La police diminua sensiblement ses descentes à partir de 1965. Petite précision, le Parti Républicain était bien différent de ce qu’il est aujourd’hui sous la présidence de Bush, en particulier à New York où il était alors dominé par deux libéraux : John Lindsay et Nelson Rockefeller.
Au moins depuis Alexandre Dumas et Walter Scott on sait que la fiction est le meilleur moyen pour immortaliser des jours que l’on veut fameux. Mais pour que le roman ou le cinéma fasse de beaux enfants à l’Histoire, faut-il encore que la fiction soit puissamment incarnée par des héros auxquels le lecteur ou le spectateur puissent s’identifier. C’est ce qu’a imparfaitement réussi Nigel Finch.
Le film démarre sur des témoignages, ce qui est une bonne idée qui malheureusement ensuite sera abandonnée, puis il nous entraîne très vite
dans l’histoire de Matty qui débarque de sa lointaine province et qui tombe amoureux de la première personne qu’il rencontre, un joli travesti latino qui va lui servir de guide dans ce gay
New York de 1969, où comme par hasard il va rencontrer immédiatement un échantillonnage de la communauté gay. La ficelle scénaristique est un peu grosse et par conséquent, on a bien du mal à
s’identifier à Matty.
Le scénariste ne fait entrer véritablement le romanesque que dans la dernière demi-heure de son film, ce qui est beaucoup trop tard.
Stonewall hésite constamment entre le film militant et sociologique, la
comédie romantique et le musical. Cette absence de choix déconcerte le spectateur, le réalisateur ne parvenant jamais à mêler harmonieusement les trois veines de son inspiration. Le choix
d’inclure des interviews de témoins des événement était judicieux. Ce procédé a fait flores depuis. Les frontières entre fictions et documentaires tendent à se brouiller. Il était très
novateur en 1996 et on ne peut que regretter que Finch ait abandonné cette tentative et ne soit pas allé au bout de son idée. Pas plus qu’il soit allé au bout de sa volonté de transformer ce
film historique en musical, ce qui aurait encore plus dynamisé Stonewall dans lequel les morceaux chantés s’intègrent mal. On voit bien que le modèle est Torch Song
Trilogy (1988) mais jamais Finch, comme le fait Fierstein, nous prend aux tripes avec son histoire d’amour entre le gay candide et le travesti romantique et blessé par la vie. Il ne
parvient pas complètement non plus à mêler analyse sociologique et historique avec ses histoires d’amour. Les personnages sont trop archétypaux pour nous émouvoir. Ils sont cependant servis
par des comédiens de grand talent.
On comprend bien que le réalisateur a voulu dépeindre les émeutes par le biais de la vie de ces quelques personnes mais cela manque
terriblement de chair. En revanche, il est juste historiquement d’avoir donné le premier rôle à une drag-queen portoricaine car ce sont elles qui furent en première ligne face à la police.
Comme de bien montrer l’implication de la mafia dans ce monde de la nuit ainsi que la corruption de la police.
Il est indéniable que le film est parcouru d’une énergie et d'une force de conviction qui ne se démentent jamais. Il ne tombe jamais non plus dans le glauque et le misérabilisme, bien que le
film comporte quelques scènes dramatiques.
Il est paradoxal qu’un grand événement de l’histoire américaine, cette prise de la Bastille gay, comme le qualifie Edmund White, soit transposé au cinéma par un cinéaste britannique, tout
comme l’un des épisodes du 11 septembre le fut par Paul Greengrass dans Vol 93.
Pour son premier film Nigel Finch s’est entouré de solides professionnels, ce qui n’empêche pas la flamboyance comme en témoigne la vie de son scénariste, Rikki Beadle-Blair (le créateur de l’incroyable série Metrosexuality), qui est un véritable roman. Il naît en 1962 à Bermondsey, au sud de Londres. Il est élevé par une mère célibataire, Monica Beadle, conseillère sociale et lesbienne. Originaire de Jamaïque, elle émigre à l’âge de 12 ans en Angleterre, où elle sera la première enfant noire dans son école à Peckham. À 16 ans, enceinte de Rikki, et alors que sa mère vient juste de mourir, elle est jetée à la rue par sa sœur. Rikki entre à l’école alternative de Bermondsey où les enfants étudient uniquement les matières qui les intéressent. Rikki se consacre exclusivement au cinéma et au théâtre. Il existe dans les actualités télévisées de la BBC un documentaire qui traite de Rikki enfant acteur à Bermondsey dans les années 70. À 17 ans, il donne des concerts a capella dans une librairie gay, The Word, dans le quartier de Londres de Bloomsbury. À la fois danseur, artiste de cabaret, musicien rock, acteur, chorégraphe, metteur en scène, scénariste, il parcourt le monde, danse et monte des shows dans des cabarets, présente une chorégraphie de strip-tease à... Bagdad. Il sera même assistant dans un spectacle de serpents. Il se fixe ensuite à Londres où il dirigera nombre de mises en scène en marge des circuits traditionnels. Il interprète Hamlet, mais son rôle préféré restera Blue, un punk junkie héroïnomane de Liverpool dans le film Sirens au début des années 90. Il obtient le prix du meilleur scénario pour celui de Stonewall. Ensuite, il se consacre essentiellement à l’écriture de scénarios pour la BBC, Radio 4 et Channel 4, de courts métrages et pièces radiophoniques dont il interprétera lui-même certaines. Il participe aussi à des projets en collaboration avec le Théâtre national de la jeunesse. En 1998, Rikki travaille avec le cinéaste David Squire pour Captivated, film à un seul rôle qu’il écrit et interprète, puis A Dog’s Life, un court métrage qui remporte de nombreux prix. L’année suivante il crée Metrosexuality (DVD édité par BQHL), une série en six épisodes pour Channel 4. Il est à la fois scénariste, metteur en scène, premier rôle et compose aussi la musique avec Mark Hawkes. En 2001, il adapte Take it Like a Man, une biographie de Boy George dirigée par Kfir Yefét pour la BBC.
Nigel Finch n’aura pas vu terminé son premier film pour le cinéma. Il meurt du sida avant qu’il soit complètement finalisé. Sa
post-production est assurée par sa productrice, Christine Vachon. Cette dernière est une figure importante de la cinématographie gay. Elle a également produit entre autres : Poison, Swoon, Postcards From America, Go Fish, Safe,
Kids, I Shot Andy Warhol, Kiss Me, Guido. Auparavant Finch a été monteur et
producteur de la série Arena pour la BBC 2. Arena lui valut cinq Oscars anglais de la télévision et de nombreuses citations internationales. Dans cette série, il réalisa des
films sur l'hôtel Chelsea, le photographe Robert Mappelthorpe et une biographie en cinq parties des Rolling Stones. The Vampyr : A Soap Opera fut récompensé par le Prix Italia en
1993. Stonewall est donc son premier et dernier film pour le cinéma.
Chris Seager, le directeur de la photo est aussi, entre autres, celui de Beautiful Thing et d’Indian Summer (deux excellents films gays).
Le film a reçu le premier prix du Festival du film à Londres et le prix du public au Festival du film gay et lesbien de San Francisco.
Stonewall, que l’on doit considérer comme inachevé, est un hymne à la
tolérance et au courage de s’affirmer. Malgré ses imperfections, c’est un spectacle agréable et surtout indispensable pour la connaissance de l’histoire de la communauté gay.
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