LES TOILES ROSES

 


(5.16)




Je ne sais plus si je vous l’ai déjà dit, mais j’ai eu une enfance heureuse, protégée. C’était le temps où l’on jouait aux billes dans la cour de récré, à la balle au prisonnier, à colin-maillard. Le soir, après les devoirs, on regardait L’Île aux Enfants, le pays de Casimir. Le mercredi, sur TF1, Soizic Corne et Jacques Trémolin venaient nous enchanter avec Sibor et Bora, les visiteurs de ce jour-là, tandis que naissait un concurrent sur Antenne 2, Récré A2. Les téléphones n’étaient pas portables, ils avaient encore un cadran, mais les plus modernes commençaient à fonctionner avec des touches. Il n’y avait pas encore le Minitel, pas d’Internet. C’était le temps d’un bonheur simple, j’aurais aimé qu’il ne finisse jamais.

Mais tout a une fin, et tout a un commencement. Mon enfance est morte à la fin de l’été de mes onze ans, lorsque je suis entré en sixième. Quand j’ai quitté l’école primaire de mon quartier pour l’immense bâtisse d’un collège-lycée, c’est là que les problèmes ont commencé. Enfant joyeux et expansif, je suis subitement rentré dans ma coquille et devenu un adolescent difficile à cerner, désorienté par un mal-être indéfinissable. Capable d’être brillant dans les matières qui m’intéressaient, archi nul car dilettante dans les autres, mais également capable d’être bon dans mes matières faibles et mauvais dans mes matières fortes, je pense, avec le recul, que j’ai fait à cette époque charnière et délicate de mon existence une forme de dépression qui n’a pas été diagnostiquée. Et par-dessus tout ça, j’ai développé des complexes.

D’abord, un complexe de taille. Il est rapidement apparu que je n’atteindrais jamais la taille idéale du héros de mon enfance, Tarzan, soit 1m85 (selon le roman d’E.R. Burroughs). Pis, j’étais globalement moins grand que les autres. À l’orée de l’âge adulte, ma croissance s’est arrêtée à la taille Tom Cruise/Nicolas Sarkozy (en trichant un peu, mais eux-mêmes trichent aussi). Soit. Avec le temps, je me suis aperçu que je n’étais pas le seul dans ce cas et que ce n’était pas un drame en soi. Néanmoins, demeurait sous-jacent un certain malaise à une époque qui vante à outrance le culte du corps et de la jeunesse. Je suis bien proportionné, mais la société dans laquelle nous vivons nous incite à en vouloir toujours plus, générant ainsi d’inévitables frustrations.

Autre complexe : ma voix. Là, je reconnais que c’est bête. Je présuppose que c’est le lot commun d’éprouver un complexe lorsque la voix mue. Cela vient du fait que, durant une période transitoire, on n’est plus ce que l’on était avant, et l’on n’est pas encore que ce que l’on sera ensuite. Une fois passée la transition, vient le temps de l’adaptation, de l’acceptation d’un soi nouveau, mais celle-ci est rendue malaisée par les supports d’enregistrement. Au niveau de l’oreille interne, personne ne s’entend comme les autres nous entendent, et ceci provoque un effet de distorsion lorsque nous entendons un enregistrement de notre voix. Ce sont mes paroles, mais ce n’est pas moi. Je n’aime pas cette voix, je n’aime pas ma voix. Longtemps, ce complexe m’a empoisonné l’existence.

Tout a commencé à changer le jour où j’ai recommencé à chanter. Je dis bien « recommencer », car je chantais déjà beaucoup durant mon enfance, répétant les chansons écoutées sur mon petit transistor. J’ai même intégré beaucoup plus tard la chorale municipale pendant un an, mais c’était surtout pour avoir un semblant de vie sociale. Et puis, un jour, ou plutôt un soir, j’ai participé à un concours de karaoké. Une Harley Davidson était en jeu. Je n’ai pas gagné la moto, mais ce soir-là, j’ai reçu davantage en cadeau : j’ai finalement appris à aimer ma voix. Cette voix portée par le micro et la reverb qui enthousiasma l’audience, était la mienne. J’ai chanté « Hello » de Lionel Richie, et ce moment magique fit l’effet d’un déclic.

Depuis, je m’amuse beaucoup de l’effet de surprise que provoque le son de ma voix chez celles et ceux qui, ne connaissant de moi que mon visage, sont étonnés du décalage qui existe entre l’image et le son. Nul ne s’attend à ce timbre de velours, parfois grave, souvent langoureux, volontiers charmeur. J’ai appris à en user au téléphone qui en retranscrit bien les effets.

Quelquefois, il m’arrive encore d’éprouver un vague regret à l’idée que je ne serai jamais un apollon sur papier glacé, aux mensurations idéales, au visage parfait (peut-être trop), qui suscite l’envie et le désir des foules. Et puis je me dis que ces garçons trop beaux qui font la couverture des magazines finissent par avoir une vie banale et sans relief. Ils se succèdent les uns aux autres, comme un clou chasse l’autre, et le nouveau fait vite oublier l’ancien. Connaissez-vous le nom du mec en couv’ de Têtu ou de PREF ce mois-ci ? Vous souvenez-vous de celui du mois dernier, ou d’il y a six mois ? Bien sûr que non. Une esquisse de célébrité mensuelle ne suffit pas à les tirer de l’anonymat. En revanche, vous n’allez pas oublier ce qui va suivre.

         Pour me prouver à moi-même que je suis capable de balancer aux orties ce qui me reste de complexes, j’ai décidé de poser, et de m’exposer. Nu, dans les limites de la bienséance imposées par une serviette qui cache ce que le commun des mortels ne saurait voir, et qui est réservé à de rares élus, en attendant l’unique. Me voici, dans un éclairage retouché par Charles Louis Hennecent Orsini, qui semble nimber d’or mon corps offert à vos regards ébahis.




Zanzi, le 2 juillet 2009


Lire le précédent épisode,
cliquez ici.
Mer 22 jui 2009 6 commentaires
hummmmm j ai envie de croquer tes petites fesses comme une pomme ! je rigole. tres beau billet sur ta vie, j aime quand tu te denude avec des mots ! bises
luc - le 22/07/2009 à 11h36
Oh Zanzi encore un épisode STP!

et, un échantillon de ta belle voix...
The 6L20 - le 22/07/2009 à 15h29

Très joli billet.
Qui donne envie d'entendre le son de ta voix.
Et si tu chantes encore, fais-nous écouter.
Cordialement. Fred

Frédéric - le 22/07/2009 à 16h25
Il y a les images : les fesses rebondies, la taille fine,le regard pétillant, le sourire craquant.
Il y a les mots, qui sont une mise à nu sans aucune serviette. Elle serait ici inutile, la pudeur et la sensibilité de l'auteur jouent subtilement avec nos émotions.
Zanzi manie la serviette verbale avec plus de maestria qu'un El Cordobès et fait courir une ola de sensibilité dans l'arène des blogueurs.
La reine des blogueurs ?
Elle ne résisterait pas non plus à ce qui manque le plus à ce moment d'exception : la bande son, cette voix que l'on se plaît à faire résonner dans  nos têtes. Chaude, sensuelle, virile.
Et l'on envie celui à qui elle racontera, en privé, cette expérience du nu intégral.  
Merci Zanzi. 
gérardleperedocu - le 22/07/2009 à 20h10

beaux billet tres sensible rien a envié a personne .... continue j'espere un jour entendre chanter biz

florian - le 22/07/2009 à 20h49
@ Luc : merci mon cher, tu as vu le fruit défendu et te gardes de croquer dedans, c'est très sage. Dans le prochain épisode, mes mots me dénuderont davantage encore... Bises à toi.

@ 6L20 : mon ami cantillien, je voudrais te dire que R. a une chance inouïe car tu es le garçon de rêve : normal, gentil, sérieux, attachant, loyal, sensible, etc... j'arrête là car ta modestie va en souffrir, mais sache que si tu n'avais pas d'attache, je tenterais ma chance. Tendres baisers amicaux. (et de plus, j'aime ta voix mais ça je te l'ai déjà dit au téléphone)

@ Frédéric : je vais faire un enregistrement et à part ça il faudra que l'on se voit à Tournai lorsque je reviendrai outre-Quiévrain. @ très vite pour une nouvelle rencontre mythologique et forcément mythique.

@ Gérard : le Père Docu est laudatif, tu m'enivres d'encens de tierce jusques aux vêpres. Très beau commentaire énormément apprécié, de même que ta démarche sur le groupe FB. Comme je l'ai signalé à Luc, je vais encore manier la serviette verbale la prochaine fois... j'hésite car c'est terriblement impudique mais comme le dit Daniel, cette saison est celle de la révélation. Je fais voler les tabous et m'offre à mon lectorat comme l'Agneau Pascal s'est offert en holocauste.

@ Florian : Merci, c'est gentil.
Zanzi - le 23/07/2009 à 14h46