LES TOILES ROSES

 


(6.16)
par Zanzi

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à Amar 

 

En passant par la Lorraine, alors qu'il s'en allait chez Daniel, Zanzi mit un disque dans le lecteur CD afin de créer une ambiance et de se sentir moins seul durant le trajet. Il eût l'heureuse surprise de redécouvrir un hit, vieux de plus de vingt ans, qu'il avait beaucoup aimé à l'époque mais que, curieusement, il réalisa qu'il avait oublié avec le temps. Va, tout s'en va. Mais les paroles et la mélodie lui revinrent en mémoire avec la fulgurance d'un éclair. C'est ainsi qu'il se laissa emporter dans le tourbillon de ses souvenirs, et qu'il écouta en boucle, jusqu'à l'arrivée, la voix mi-adulte mi-juvénile de Dana Dawson chanter « I'll be ready to follow you ». Zanzi se dit que s'il avait oublié la chanson au cours des deux dernières décennies, c'est qu'il n'avait probablement pas aimé quelqu'un sur cet air-là. Une chanson vierge, en quelque sorte, qu'il ne pouvait associer à un amour ancien.

 

 

Parvenu chez Daniel, il ne put s'empêcher de lui raconter avec exaltation sa passionnante redécouverte musicale. La mémoire semblant faire défaut à Daniel, ils recherchèrent Dana Dawson sur Internet, et tombèrent sur une information qui les plongea dans la tristesse et la consternation. Dana Dawson, qui avait ravi le monde entier avec sa chanson en 1988, à l'âge de 14 ans, venait de mourir le 10 août, à 36 ans, emportée par un cancer du colon.

Zanzi était pétrifié. Que le général Marcel Bigeard trépasse le 14 juillet à un âge canonique, rien de plus normal, mais que des jeunes quittent prématurément la vie, il ne pouvait l'accepter.

Il repensa longtemps au sentiment d'incrédulité qu'il ressentit le 8 septembre, lorsqu'un ami lui apprit, à mots couverts, la mort d'Amar Ben Belgacem. Mots couverts qui disaient tout en ne disant rien, et laissaient présager un drame. Google. Amar Ben Belgacem. Wikipédia. « Ceci est un article qui traite d'une personne morte récemment ». Hein ? Non, ce n'est pas possible...

Flash-back, mars 2006. Zanzi papillonne au pavillon d'Armenonville, l'un des fleurons du Bois de Boulogne. Le Bois de Boulogne chic, celui où l'on ne risque pas de croiser des « brésiliennes », mais où l'on côtoie le grand monde. Le maire de Paris et le président de la Cour des Comptes, adversaires politiques mais réunis par un sentiment d'appartenance à une même terre natale, un comédien célèbre préparant son come-back, une ancienne reine d'Égypte faisant sa cour à un mondain qui n'est pas encore ministre de la Culture, le petit-fils du dernier Bey de Tunis, et bien sûr, des Tunisiens venus célébrer la fête nationale de leur pays. Parmi eux, une étoile scintillante : Amar.

Amar remarqua Zanzi et flasha sur lui. Instantanément. Avec la gouaille d'un parisien et la « tchatche » d'un méditerranéen, il emballa assez facilement un Zanzi qui ne demandait qu'à se laisser séduire, grisé par le décor de rêve, le champagne coulant à flots, les amuse-gueule des traiteurs et le sourire désarmant du jeune peintre. Deux jours plus tard, il était chez Amar, à Fontainebleau. Ils avaient pris le train de banlieue, parlé de tout et de rien, avant d'arriver là-bas, à la nuit tombée, une nuit qui allait être la leur.

Zanzi ne put réprimer un rire au souvenir d'Amar lui demandant de se faire circoncire.

– Pourquoi me ferais-je circoncire ?

– Parce qu'on va se marier. Ma mère ne voudra jamais d'un gendre non circoncis.

Sacré Amar, il avait prononcé ces paroles en prenant l'air le plus sérieux du monde, comme s'il exprimait une évidence. Le pensait-il vraiment ? Et si...

Et si nous nous étions « mariés » ?, songea Zanzi. Mais leurs chemins s'étaient vite séparés. Pourtant, jamais il n'oublia cette curieuse et rapide demande en mariage. Trop rapide pour être crédible. Et pourtant... Et si... Il repensa à la dernière fois qu'il avait vu Amar, le 25 août 2007, dans son nouveau chez lui, où il avait organisé la réception de ses adieux parisiens. Trois ans jour pour jour avant de mourir. Il en frissonna.

Et si... Et si je lui avais parlé plus souvent, sur Skype ? Si j'avais pris la peine de prendre davantage de ses nouvelles ? Tant de « si ». Mais il avait l'air heureux, toujours en voyage... Les apparences. Méfiance.

Généralement, le terme « amours mortes » évoque des amours anciennes qui n'ont plus cours. Tout à coup, pour Zanzi, il prenait un sens nouveau. C'était la première fois qu'un ancien amour mourait pour de vrai. Si soudainement. Il se fit des reproches, moins que s'il s'était trouvé en France au moment du drame. Son naturel romanesque et exalté ne se le serait pas pardonné. Sur le moment, il éprouva l'envie, le besoin vital, même, de dire à ses ex qu'il les aimait. Juste comme ça. Aimer encore, différemment. Pour ne pas mourir à trente ans, ou quel que soit l'âge, seul et abandonné de tous. Pour ne pas mourir sans amour dans le cœur, sans se savoir aimé de quelqu'un, quelque part. Pour ne pas poser le pinceau avant que la toile ne soit achevée. Pour ne pas être tenté de dire adieu avant l'heure, et de tout quitter sur la pointe des pieds.

 

TO BE CONTINUED...
Mar 30 nov 2010 3 commentaires

billet qui m a bcp touche, ca eveille plein de choses chez moi. merci zanzi !!!!!

luc

luc - le 01/12/2010 à 11h18

Je suis d'accord. Ce témoignage m'évoque la chanson du grand Serge. Bises

Serge Gainsbourg
LA CHANSON DE PRÉVERT



Oh je voudrais tant que tu te souviennes
Cette chanson était la tienne
C'était ta préféré je crois
Qu'elle est de Prévert et Kosma
Et chaque fois "Les feuilles mortes"
Te rappelle à mon souvenir
Jour après jour les amours mortes
N'en finissent pas de mourir.

Avec d'autres bien sur je m'abandonne
Mais leur chanson est monotone
Et peu à peu je m'indiffère
A cela il n'est rien à faire
Car chaque fois "Les feuilles mortes"
Te rappelle à mon souvenir
Jour après jour les amours mortes
N'en finissent pas de mourir.

Peut-on jamais savoir par où commence
Et quand finit l'indifférence
Passe l'automne vienne l'hiver
Et que la chanson de Prévert
Cette chanson "Les feuilles mortes"
S'efface de mon souvenir
Et ce jour là mes amours mortes
En auront fini de mourir
Et ce jour là mes amours mortes
En auront fini de mourir

Jacques - le 01/12/2010 à 12h59

Mes chers Jacques et Luc, quel plaisir de vous lire à nouveau.

 

J'espère que vous allez bien.

 

Bien affectueusement,

 

Zanzi

Zanzi - le 03/12/2010 à 01h25