Fiche technique :
Avec Martin Potter, Hiram Keller, Max Born, Mario Romagnoli, Alain Cuny, Lucia Bose, Salvo Randone, Capucine, Magali Noël,
Fanfulla, Tanya Lopert, Danika La Loggia, Giuseppe Sanvitale, Genius, Gordon Mitchell, Luigi Montefiori et Elisa Mainardi. Réalisation : Federico Fellini. Scénario : Federico Fellini,
Brunello Rondi & Bernardino Zapponi, d’après l’œuvre de Pétrone. Directeur de la photographie : Giuseppe Rotunno. Compositeurs : Nino Rota & Andrew Rudin.
Durée : 135 mn. Disponible en VO, VOST et VF.
Résumé :
Dans l'Italie de l'Antiquité, deux jeunes étudiants à demi vagabonds, Encolpe et Ascylte, vont d'aventures en aventures, guidés par leur
instinct de jouissance.
Pour commencer, ils se disputent les faveurs d'un adolescent vaguement pervers, Giton, qu'Ascylte a vendu à une troupe théâtrale animée par le vulgaire Vernacchio.
Encolpe, éconduit et humilié, va trouver son ami le vieux poète Eumolpe qui l'entraîne à un monumental festin qu'offre Trimalcion, un nouveau riche orgueilleux et cruel. Ambiance sinistre dominée
par une sensualité assez triviale.
Encolpe, Ascylte et Giton se retrouvent dans les cales d'un navire, prisonniers d'un notable de la cour impériale, Lychas, à qui il prend la fantaisie d'épouser Encolpe. Après que ces étranges
épousailles homosexuelles soient célébrées, Lychas, suite au meurtre de César, est capturé et décapité par un groupuscule de mercenaires.
Les deux compagnons, rescapés de cette escarmouche navale, pénètrent dans une luxueuse villa dont les propriétaires, un couple de patriciens proscrit viennent de se donner serainement la mort.
Dans la maison déserte, les jeunes gens découvrent une petite esclave noire en compagnie de laquelle ils passent une nuit de plaisir.
Dans une grotte bizarrement décorée de fresques géantes, un enfant souffreteux et hermaphrodite repose sur une couche. Il est censé accomplir des guérisons miraculeuses. Des pèlerins éclopés
apportent leurs offrandes dans l'espoir d'un prodige. Ascylte, Encolpe et un nouveau complice s'emparent de l'enfant afin de l'exploiter à leur tour. La pauvre créature meurt de soif en plein
désert.
Encolpe rencontre un colosse déguisé en Minotaure qui le défie en combat singulier. Une foule en liesse assiste à la confrontation... qui se révèle être un jeu organisé par le vieux poète
Eumolpe. Vaincu, Encolpe est soumis à une autre épreuve : satisfaire le désir d'une femme gourmande. Impuissant avec Ariane, Encolpe ne retrouve son pouvoir sexuel qu'auprès d'une magicienne
noire.
Tandis que Ascylte est assassiné et que les héritiers d'Eumolpe, mort très riche, sont contraint de dévorer son cadavre, Encolpe part pour l'Afrique. Bien plus tard sans doute, les fresques d’une
maison en ruine rappelleront ses aventures.
L’avis de Thomas Querqy :
Quand ai-je vu pour la première fois ce chef d’œuvre de Fellini ? Seule la date portée sur mon exemplaire du Satiricon de Pétrone devrait pouvoir me le rappeler
puisque je l’ai probablement acheté après avoir vu le film. Est-ce parce que je me rapproche de l’âge de son auteur que je crois l’avoir encore davantage apprécié ?
Naturellement, j’ai de nouveau été séduit par la beauté des interprètes d’Encolpe et d’Eschylte qui se disputent au début du film l’esclave et éphèbe Giton dans un monde où les amours homosexuels
semblent relever de la normalité (Gabriel a même vu dans leur relation celle d’un couple d’amants et il a par ailleurs capté le début d’un récit faisant référence à nos jumeaux Castor et
Pollux).
Mais ce qui m’a davantage touché cette fois-ci, c’est la parabole sur la vie humaine qui pourrait se résumer par la formule suivante : de ta jeunesse profite avant de devenir comme tous
ces vieux libidineux et laids qui n’ont d’yeux que pour ta jeunesse, l’argent, le pouvoir qu’il leur procure et leur tombe ; la vie est si courte !
La nature universelle et atemporelle des relations entre vieux qui détiennent argent et pouvoir et jeunes, jouets de leur concupiscence, habite largement l’histoire.
L’angoisse de vieillir s’exprime notamment dans la panne sexuelle subie par Encolpe et dans ses efforts pour retrouver sa puissance sexuelle, cet apanage de la jeunesse.
Dans cette tragédie humaine, le vieillard peut soulager ses angoisses et échapper au ridicule par la poésie mais encore faut-il être un véritable poète, ce qui n’est pas donné à tout le monde,
pas vrai Trimalchion ?
Quoi qu’on fasse, la tragédie de l’homme est telle que mieux vaut en rire, ne serait-ce qu’au moins une fois par an à l’occasion d’une journée du rire, à l’instar d’un peuple croisé par les deux
compagnons.
Très belle séquence aussi que celle racontant l’histoire de la matrone d’Ephèse effondrée de douleur sur le macchabée de son époux et qui ne pense qu’à le rejoindre, jusqu’à ce qu’attiré par
ses pleurs arrive un beau soldat de garde au pied d’un pilori non loin de là qui la raisonne : « À quoi te servira-t-il de te laisser mourir de faim, de t’ensevelir vivante, et, avant que les Destins ne t’y invitent, de rendre un souffle innocent ? Ne
veux-tu pas revenir à la vie ? Ne veux-tu pas, renonçant à un entêtement féminin, profiter, aussi longtemps que tu le pourras, des bienfaits du jour ? Ce cadavre même, étendu en ce
lieu, devrait te donner le conseil de vivre ! » De la transfigurer au terme d’une longue étreinte.
Mais peu de temps après, c’est désormais lui qui va devoir mourir puisque la famille du supplicié a entre-temps volé le corps dont il avait la garde. Déjà folle à l’idée de devoir de perdre son
nouvel amant, la veuve presse le soldat de l’aider à fixer son défunt époux à la place du supplicié : « Aux dieux ne plaisent que je voie en même temps les funérailles des deux êtres que je chéris le plus. J’aime mieux perdre le mort que de causer la mort du
vivant. »
L’esthétique des décors comme les situations sont surréalistes : elles relèvent plutôt du domaine de la représentation du rêve en particulier dans ce que ce dernier comporte de
représentations symboliques et dans cette succession de bribes d’aventures dont l’enchaînement est non linéaire. D’ailleurs, si on excepte le début du film (la querelle des deux compagnons autour
de Giton puis les séquences autour du riche Trimalchion), ce film est non racontable en tant qu’histoire, ou alors quelque chose m’a échappé. Il se peut que le fil conducteur se trouve dans le
personnage du poète qui est tué par Trimalchion et qui réapparaît dans le film (à revoir donc ou trouver un commentaire).
Il est vrai qu’il s’agit d’une adaptation d’une œuvre elle-même en lambeaux et lacunaires dans son contenu. On est loin du « récit réaliste de la Rome décadente de Néron et des
affranchis » de Pétrone (le Larousse) ; Fellini y a-t-il trouvé un moyen de « traiter ses phantasmes homosexuels » comme il est affirmé sur le site ciné du Luxembourg ?
Ça me paraît douteux ; Fellini offre-t-il à ses contemporains en cette année 1969 un « miroir inquiétant » ? (La petite encyclopédie du cinéma) Sans aucun doute, tout comme il
démontre que le cinéma peut être œuvre d’art.
Sur le thème de la décadence et de son actualité, Trimalchion : « Croyez-moi, qui a un as, vaut un as ; possédez vous serez considéré. (…) »
L’avis de J.L.L. de Ciné-club de Caen :
Scène clé : Dans la demeure des patriciens décédés, Encolpe
poursuit une jeune esclave tout en étant intrigué (deux contre-champs sur les visages des patriciens suicidés) par les fresques racontant la vie de ces patriciens. Un peu plus tard, Encolpe
s’asperge dans la pièce d’eau et découvre, par une ouverture du toit, le ciel étoilé. Ce plan rappelle celui de la fin de La Strada, où prenant conscience du mal qu’il a fait à
Gelsomina (Giulietta Masina), Zampano (Anthony Quinn) pleure enfin. Dans cette seconde partie de la séquence encore, l’accession à la spiritualité est effleurée. Mais Encolpe, fidèle à la
philosophie épicurienne énoncée un peu plus tôt, préfère cueillir le bonheur présent. Ces fresques et la nature grandiose frappent Encolpe pour la première fois. Auparavant, il avait été
indifférent à la fresque peinte durant le banquet de Trimalcion. Mais, dans cette scène clé, il ne sait pas quoi faire de cette révélation. Ce n’est qu’en Afrique qu’il prendra le temps de faire
peindre sa vie et d’échapper ainsi, provisoirement peut-être, au néant.
Message essentiel : La création d’œuvres d’art est un moyen,
provisoire peut-être, d’échapper à la mort. Les fresques sont en effet fragiles (ce motif sera reprit dans Fellini-Roma). Comme d’habitude, Fellini condamne les crimes de ses
deux vittelloni que sont Encolpe et Ascylte mais compatit à leur souffrance. Pour la première fois cependant, dans ce monde d’avant l’imprégnation christique, la grâce ne peut venir d’un ange
mais de la création artistique.
Fellini a expliqué que, gravement malade, il avait retrouvé l'inspiration grâce à ce récit de Pétrone, lu pendant sa jeunesse. Satyricon est le premier roman picaresque
européen. Écrit sous Néron, vers le milieu du premier siècle, seulement deux fragments des livres XV et XVI nous sont parvenus; le festin chez Trimalcion occupe plus de la moitiés des vers.
Fellini indique que l’aspect lacunaire de l'œuvre l’avait fasciné car elle permettait d’imaginer les épisodes manquants. C’est ce délire d’imagination qui fait la force du film. Plus que jamais,
l’intrigue et le suspens ; l’aspect linéaire, contrapuntique, sont traités avec désinvolture pour se concentrer sur l’aspect vertical, harmonique de la mise en scène. Mais le cinéma n’a pas la
possibilité de la musique de superposer les images. Fellini profite donc des trous du récit pour surcharger les séquences de plans qui expriment sa vision de l’époque ; Le vaisseau de Lycas, la
baleine (premier rappel de La dolce vita) que l’on y pêche, l’hermaphrodite dans sa baignoire, l’immense balançoire du jardin des délices sont autant de symboles, totalement
inventés, de la dégénérescence de la Rome antique.
Fellini a indiqué aussi qu’au fur et à mesure que l’œuvre se construisait, il sentait des correspondances avec la société contemporaine. Il ne faudrait toutefois pas voir dans le Satirycon qu'une allégorie moralisatrice sur l'effondrement de la culture et des mœurs de l’Europe. Le Satyricon serait alors l'équivalent du tableau pompier (ou
éclectique ) de Thomas Couture; « Les romains de la décadence » (1847), exposé au musée d'Orsay, qui commente ces vers de Juvénal : « Plus cruel que la guerre, le vice
s'est abattu sur Rome et venge l'univers vaincu. » C'est probablement ce qu'exprime Télérama dans l'avis suivant : « Dans cet univers livré à la
dépravation, l'amour et l'art ne sont plus que des apparences. Seuls la mort et le suicide apparaissent dans toute leur inéluctable rigueur. »
Certes le suicide des patriciens possède une réelle beauté et est imaginé par Fellini pour faire écho à la mort élégante de Pétrone, l’auteur du Satyricon, telle qu’elle est
racontée par Tacite dans Les Annales. Mais Fellini est loin de faire l’apologie du suicide. Ce n’est pour lui une attitude rigide, adoptée par ceux qui sont restés trop attachés
aux valeurs du passé (froide détermination de l’intellectuel, interprété par Alain Cuny qui, dans La dolce vita, tue ses deux enfants avant de se suicider). Cette mort est donc
loin d’être la solution proposée par Fellini. Juste après ce suicide, il donne une autre piste : l’art permet d’échapper à la mort.
Fellini est probablement persuadé que l'époque contemporaine a balayé les anciennes pratiques mais peut-être pas les anciennes valeurs... ou non-valeurs. Hier comme aujourd'hui, ses héros sont
aveugles à la grâce. La correspondance avec la société contemporaine le frappe probablement plus prosaïquement dans son métier de cinéaste.
Fellini trouve dans les valeurs esthétiques de la Rome de la décadence (la surcharge, le foisonnement) des solutions nouvelles qu'il applique avec générosité à toutes les formes d'art. Satyricon multiplie en effet les références aux autres arts : récit (Le corps du mari prenant la place du pendu pour sauver l’amant) ; peinture (les multiples fresques), théâtre (les
scènes cruelles du théâtre de Vernaccio) et jeux du cirque (le faux Minotaure).
Loin d'être une œuvre malade, le Satyricon est bien plutôt
une œuvre de renaissance, première d'une série de films où le cinéaste se veut totalement novateur (Fellini-Roma, Amarcord, Le Casanova de
Fellini). Elle lui assurera une réputation au moins égale à celle de cinéaste néoréaliste. Le Satyricon a immédiatement séduit un large public.
Pour plus d’informations :
On suit les pérégrinations de deux éphèbes dans une Rome décadente et aussi fantasmée que le sera la Venise du "Casanova de Fellini" (1976), autre grand film à la plastique irréprochable. Leurs déambulations sont prétexte à des rencontres insolites, effrayantes, amusantes. Fellini brosse ici une galerie de portraits d'une richesse incroyable : beaux, laids, comiques ou inquiétants, on garde en mémoire, longtemps après la projection, tous les visages croisés dans le film.
Le décor est également un point fort du film : on y voit une Rome antique "reconstituée" qui apparaît (étonnamment) davantage comme une cité futuriste. Les lignes sont épurées, les personnages évoluent devant de hauts murs, dans des plaines désertes... On a souvent une sensation de théâtre d'avant-garde. Fellini disait d'ailleurs (avec son sens habituel de la provocation) que "Satyricon" était un film de science-fiction !
Au-delà de la boutade, force est de constater qu'on n'a jamais, en tout cas, l'impression d'un film historique (et encore moins d'un péplum !) : aujourd'hui encore, "Satyricon" reste un film résolument moderne. La musique de Nino Rota, étrange et particulièrement originale (mêlant folklore oriental traditionnel et sonorités contemporaines) n'est d'ailleurs pas étrangère à cela.
Construit comme la plupart des films de Fellini, depuis "La Dolce vita" (1960), "Satyricon" est une succession de tableaux qui ont donc, pour dénominateur commun, une beauté renversante : on a réellement le sentiment, face à ce film, de se trouver devant une oeuvre d'art, au sens noble du terme. Une oeuvre d'art en mouvement... Comme de la peinture qui bouge.
Ah cette scène...
Jacques