Peux-tu nous présenter ton blog, sa genèse, son contenu, ce qu’il t’apporte et ce que tu penses qu’il apporte à tes lecteurs(trices) ?
Mon blog propose une exploration de la thématique du Mal dans la littérature, et la création artistique en général (cinéma, littérature, peinture….) Par extension, et par manque de rigueur, je me suis aussi à parler du Mal en général, via l’actualité, les faits divers… je suis anthropologue de formation, tout est matière à l’analyse.
Je l’ai commencé pour accompagner la sortie de mon livre Le Testament de Saint Farucel, journal d’un possédé, qui est une expérience littéraire, poétique, autour de Lucifer. Le livre est très hermétique et comme il n’aura jamais l’honneur d’une édition avec 130 pages de commentaires, je me suis dit que je pouvais lui faire ce petit cadeau. En plus, le livre est un hommage explicite à tous les auteurs « traités » dans le blog – et je trouvais intéressant d’expliquer plus avant la filiation (le Diable dans Beckett, par exemple, c’est pas forcément la première chose qui saute aux yeux).
Le lien à la culture Gay est ténu, mais présent. C’est une revue de tous ces artistes écorchés vifs qui vous brûlent la tête quand vous êtes un ado terrorisé à l’idée du désir gay qui vous hante toutes les nuits. C’est sûr, après, ça va mieux…
Ça m’apporte quoi ? Pas grand-chose, si ce n’est le plaisir de me replonger dans cet univers qui a été le mien pendant longtemps. J’ai écrit ce livre il y a dix ans, c’était intéressant pour moi de voir à quel point j’ai changé – et en même temps à quel point tout est encore là, en moi. Le Diable ne m’a jamais quitté. Je suis tendanceur dans la pub, et franchement il est là, partout, tout le temps, en douce, sous les surfaces lisses.
Ce qu’il apporte aux lecteurs ? Sans doute pas grand chose. Je ne raconte pas ma vie, je ne commente pas l’actualité, je ne fais pas les potins, ni les débats. Je ne suis pas du tout dans la culture blog, ce n’est même pas écrit comme un blog, qui appellerait aux réactions, aux commentaires. C’est juste, pour ceux qui veulent, une petite visite d’un musée imaginaire, et peut-être un éclairage nouveau sur certaines œuvres, sur la création, le mal. En somme, je ne leur apporte rien du tout. C’est eux qui prennent, si ils veulent.
Tu écris le premier paragraphe d’un roman ou d’une nouvelle dont le héros n’est autre que toi-même. Quel serait ce paragraphe ?
« Je ne me vois pas héros de roman. Les héros vont au bout d’eux mêmes, nous on s’arrête un peu avant. »
Si tu étais les premières images d’un film, quelles seraient-elles et pourquoi ?
Dans Batman II, la scène de « naissance » de Catwoman. Michelle Pfeiffer, la gentille secrétaire blonde et soumise, est balancée du haut d’un building et s’écrase au sol. Les chats la ressuscitent. Elle rentre chez elle, groggy, habitée. Elle pète tout dans son petit apart’ de bachelorette rose et propret, bien cosy, et se confectionne vite fait son uniforme intégral cuir et latex oversex. Dans la tempête de sa colère destructrice, elle éclate aussi son installation néon toute niaise sur le mur : le « hello there » devient « Hell here ». Catwoman est née, le film peut commencer. La scène est d’une maîtrise incroyable, Tim Burton est un génie. Et bon voilà, cette ambivalence, ça me parle (tu parles d’une surprise…)
Sinon (je triche), dans Shawn of the Dead, le long plan séquence où le héros, un lad londonien très 2005, tranquille, fatigué, la gueule dans le cul après un week-end de beuverie, sort de chez lui le lundi matin pour aller au boulot et s’acheter, comme tous les matins, à l’épicerie du coin, son petit déj. Il est tellement dans le cul qu’il ne voit pas qu’il traverse l’apocalypse, qu’il ne croise que des zombies. La scène est très forte car elle fait écho au même plan séquence, 10 minutes plus tôt, du même parcours avant l’explosion de l’épidémie zombie. Et l’intention est très claire de montrer que tout cela n’est somme toute pas tellement différent de ce qu’on vit tous les matins. Peu après, dans le bus, il entend le tube trans de 2001, « Zombie Nation ».
Quel est ton roman préféré (à thématique gay ou LGBT) et pourquoi ?
Trois choix :
Notre Dame des Fleurs de Genet, et toute son œuvre. Le sublime et le grotesque, le bien et le mal, et l’inversion des deux, tout y est.
Dracula de Bram Stoker : une rare sensualité, une thématique de la contamination et de l’immortalité hypermoderne.
Dorian, la « reprise » par Will Self du Portrait de Dorian Gray transposé dans le milieu Gay anglo-saxon des années 80. Culte du corps et des images, épidémie, vanité, jeux de miroir et d’imitations, pour moi c’est l’œuvre définitive sur la gaytude.
Quel est ton film préféré (à thématique gay ou LGBT) et pourquoi ?
Poison de Todd Haynes. Hommage à Genet, inventivité formelle, hyper sensualité.
Torch Song Trilogy, aussi. Justesse, Emotion, Humour Camp.
Quelle est ta série TV préférée (à thématique gay ou LGBT) et pourquoi ?
Pas très original, mais c’est Six Feet Under, surtout les deux premières saisons. Pour l’incroyable qualité narrative, le refus du climax, le respect ultime pour les personnages et leur humanité (ni bons, ni mauvais, juste humains, trop humains), la volonté de confronter directement la mort, et la profondeur, l’acuité du regard sur la vie. Je peux dire honnêtement que j’ai appris un tas de truc sur la vie, sur moi, sur ma relation avec mon mec, par cette série. Je me rappelle qu’à la fin de la première saison, j’étais tellement bluffé et secoué que je me suis dit : « Tiens, j’ai pas ressenti ça depuis la lecture de Dostoïevsky ».
Quelle phrase tirée d’un livre ou film ou encore d’une chanson semblerait te définir à la perfection ?
Je ne sais pas me définir à la perfection, je ne crois plus en la notion d’individu, encore moins à celle de perfection, je suis en perpétuelle redéfinition. Ca serait quelque chose entre « so slowly goes the night » de Nick Cave, « Bossy » de Kélis et « Born This Way » de DJ Pierre… Je sais c’est pas des phrases, mais les titres parlent d’eux mêmes, non ?
Sinon il y aussi cet extrait de Baudelaire :
« Pendant que des mortels la multitude vile, Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci, Va cueillir des remords dans la fête servile, Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici, »
Quelle photographie (perso ou non), image, tableau (etc.) pourrait te définir le mieux ou donner des pistes sur ta personnalité ?
C’est une photo qui dit tout : prétentieuse, floue, prise dans des chiottes à Brooklyn, enflammée, triste… juste un visage qui émerge à peine dans les ténèbres, bientôt effacé.
Et ce tableau de Carravagio, qui marque selon moi un tournant dans l’historie picturale, mais surtout pour ce qu’il dit d’une attitude de vie : une fascination quasi obscène pour les mystères de la chair (la chair, c’est le corps habité par l’âme) et de la foi – c’est quoi cette plaie qui ne saigne pas ?
J’ai écrit un post sur Carravage dans mon blog – l’histoire et l’œuvre de ce type, brigand voyou et pédé, ami des putes et ennemi de la police, sont d’une modernité et d’une radicalité sidérante.
Question piège : Penses-tu qu’il existe une culture gay ?
Non. La Gaytude est partout, elle est dans le regard. De toutes façons les questions de genre sont tellement structurantes qu’aucune œuvre ne leur échappe.
Quel dialogue pourrais-tu imaginer entre toi moi profond et ton moi blogueur ?
Moi Blogueur : Quand est-ce que tu me réveilles pour écrire ton prochain post ?
Moi Profond : Quand il fera vraiment trop moche pour aller faire du wake-board et que je n’aurais plus d’autres choix que de me plonger dans mon spleen.
Quel est le blog que tu voudrais réellement faire connaître et pourquoi ?
Je l’ai dit, je suis très peu dans la culture blog. Je trouve assez difficile de trouver des trucs vraiment intéressants dans cet océan de langage sms. À une époque, j’allais souvent sur des blogs comme celui de Nightwitch, des fans de gothiques où le mal adolescent s’expose à vif, comme dans mon bouquin. Ou sinon le blog de Corine Lesnes, du Monde, propose un regard intelligent sur l’Amérique. Ou alors facehunter, qui chasse les looks dans les soirées urbaines. Mais franchement, je préfère être dehors que scotché devant mon écran.
Quelle question ne voudrais-tu pas que l’on te pose ?
J’aime toutes les questions, par principe.
Dernière question. Pour passer (ou non) à la postérité, il faut préparer ses derniers mots ou dernières phrases à dire sur son lit de mort : quel(le)s seraient-ils(elles) ?
C’est le problème avec les blogs, cette obsession de la postérité, regardez-moi, regardez-moi, moi aussi j’ai quelque chose à dire. Moi j’m’en fous maintenant. À ma mort, je voudrais que mes proches ne soient pas tristes, qu’ils se disent juste « il a aimé ».
Moi je dirais juste « je m’en vais, je vous aime », un peu comme quand on raccroche au téléphone.
Et sur ma tombe, je veux bien qu’on écrive la citation d’Alice, de Lewis Caroll « Mais si la vie n’a pas de sens, qu’est-ce qui nous empêche de lui en inventer un ?», ou quelque chose comme ça…
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