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SI J'ÉTAIS... HOMO (ou) HÉTÉRO


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Si j'étais hétérosexuel, j'aurais une famille nombreuse...

Hugo Rozenberg


Pour la vingt-troisième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gay hétéro-friendly, je me prosterne avec joie devant mon ami Hugo Rozenberg à qui l'on doit la chronique "Rencontres de tous les types" sur notre blog. Gay comme son nom ne l'indique pas, et juif comme son nom ne l'indique pas non plus, il est tombé tout petit dans une marmite de BD (BD, pas PD !). Depuis, il a noirci des milliers de pages de personnages plus ou moins étranges. Depuis cinq ans, il est chroniqueur du site Unificationfrance.com auquel il livre chaque semaine un dessin. Concerné par la cause LGBT, c'est avec plaisir qu'il a rejoint l'équipe de Les Toiles Roses, blog auquel il participe avec ses « p’tits miquets ».

       

Si j’étais hétérosexuel, j’aurais une famille nombreuse, 4 ou 5 enfants. J’aime beaucoup les enfants et la seule blessure de ma vie de gay est de ne pas en avoir. Et comme nous vivons dans un pays arriéré qui interdit l’adoption aux gays, je garde l’espoir qu’un jour cela sera possible. Être père, même adoptif, doit être une expérience exceptionnelle et un bonheur de tous les instants. Il y a un vide en moi qui ne demande qu’à être comblé.

Si j’étais hétérosexuel, je serais proche de mes enfants. Quand je dis proche, c’est que je serais plus un copain pour eux plutôt qu’une figure paternelle inaccessible. Ça doit tenir à mon immaturité. Ce qui ne m’empêcherait pas d’être sévère quand il le faudrait. Je crois que je ne parviendrai jamais à devenir adulte, j’ai toujours en moi cet enfant qui refuse de grandir.

Si j’étais hétérosexuel, je serais gay-friendly, j’en suis persuadé ! Je ne parviens toujours pas à comprendre comment un être humain, doué d’intelligence, peut être homophobe. Ceci est également valable pour le racisme et l’antisémitisme. Pourquoi le fait d’être différent gêne le voisin ? Nous sommes tous frères, nous avons tous les mêmes ancêtres qui vivaient sur cette même terre il y a plus d’un million d’années. Alors pourquoi toute cette haine ?


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Si j’étais hétérosexuel, j’aurais une femme douce, avec un caractère souple et un tempérament flegmatique. Quelqu’un qui puisse supporter mon caractère instable (j’en profite pour louer la patience infinie de mon Michel, qui supporte avec quelle abnégation mon sale caractère ! Je t’aime !) et mes colères sans broncher. Une épouse et une complice sur qui je pourrais me raccrocher dans mes moments de faiblesse. Par contre pas question de toucher à mes casseroles, dans la cuisine, c’est moi le chef.

Si j’étais hétérosexuel, j’aurais eu une adolescence heureuse et non pas une adolescence torturée passée à refouler mon homosexualité. Et du coup, je ne serais pas le névrosé que je suis devenu, rongé par l’anxiété et l’angoisse. Rassurez-vous, je vais bien, j’ai fini par accepter mon homosexualité, à l’assumer voire à la revendiquer. Mon coming-out familial a été une véritable libération, psychique et physique. Dire que je ne peux pas saquer les psys et que je me livre comme si j’étais sur un divan chez Freud. (tu me paieras ça Daniel !)

Si j’étais hétérosexuel, je dessinerais bien entendu, j’ai ça dans le sang. Mais alors que j’ai décidé de mettre mon modeste talent à combattre l’homophobie (mais aussi toute forme de haine), en tant qu’hétéro, je dessinerais plutôt des histoires pour mes enfants. Je serais également collaborateur du site unificationfrance.com car la science-fiction a toujours fait partie de mes passions. Mais soyons juste, même en tant que gay-friendly, je ne m’impliquerais pas contre l’homophobie comme je le fais maintenant à coup de dessins d’humour !


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Si j’étais hétérosexuel, je travaillerais aussi dans l’édition. L’amour des livres et de l’Histoire m’a été transmis par une vieille tante que j’adore (la femme de mon oncle, n’allez pas lire autre chose !) il y a trente ans et ne m’a jamais quitté.

Si j’étais hétérosexuel, j’habillerai mes garçons en rose et mes filles en bleu. Mes garçons pourraient jouer à la poupée et à la dînette ; mes filles pourraient jouer avec un camion de pompier ou se déguiser en Zorro ! Et moi leur père, je m’habillerais aussi en rose et leur mère en bleu ! Ces dictatures des couleurs ou des jouets m’a toujours horripilé. Refuser à son garçon de porter un t-shirt rose ou de jouer à la poupée est frustrant et traumatisant pour lui. Je sais de quoi je parle, je suis passé par là !

Si j’étais hétérosexuel, j’écouterais moins les chansons de Dalida, de Régine et de Charles Aznavour (mais si, vous savez, son chef d’œuvre « comme ils disent »), de Zizi Jeanmaire (« mon truc en plumes, plumes de zoiseaux… ») et pas du tout Jimmy Sommerville ou Tarkan !


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Si j’étais hétérosexuel, je ne serais pas autant agressif que je peux l’être. Les humiliations verbales que j’ai subies dans ma jeunesse à cause de mon homosexualité ont développé en moi une agressivité à l’encontre de l’homophobie. Il y a à mon sens deux sortes d’homophobie : l’homophobie due à l’ignorance ou la peur, que l’on peut amoindrir ou faire disparaître par l’information, et l’homophobie due au fanatisme et à la haine et qu’il faut combattre sans pitié, par tous les moyens ! Certains la combattent par l’écriture, je la combats par l’humour avec mes dessins… dans un combat celui qui met les rieurs de son côté a de forte chance de l’emporter. Je sais pertinemment que certains de mes dessins sont provocateurs, et peuvent choquer, mais je le fais à dessein, pour générer une sorte l’électrochoc.

Si j’étais hétérosexuel, ma collection de dvd gays n’existerait tout simplement pas ! Je serais passé à côté de films gays extraordinaires tels que Torch Song Trilogy, Beautiful Thing, Love, Valour, Compassion, Big Eden, Drôle de Félix, Un Amour à taire, etc. et la collection Courts mais Gay !

Si j’étais hétérosexuel, je n’aurais pas cette sensibilité à fleur de peau, ce caractère torturé, ce rire parfois trop aigu et tonitruant.

Si j’étais hétérosexuel, je parlerais toujours à mes parents (j’ai rompu définitivement avec eux il y a quatre ans après une conversation houleuse au téléphone avec ma mère : du coup, j’ai rompu avec mon père et la quasi-totalité de ma famille).

Si j’étais hétérosexuel, je n’aurais jamais rencontré l’amour de ma vie, Michel, qui partage ma vie depuis dix ans et qui m’a apporté l’équilibre, l’amour, la complicité et le respect.

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Si j’étais hétérosexuel, je n’aurais pas d’amis hommes, je pense que je les prendrais pour des rivaux, inconsciemment bien sûr ! C’est le contraire dans ma vie de gay, je n’ai pas d’amis femmes, que des amis hommes. Est-ce du à mes rapports conflictuels avec ma mère qui déteignent sur les autres femmes, la parole est au psychanalyste de service…

En guise de conclusion :

Si j’étais hétérosexuel, je pense que je serais heureux. En tant que gay, je suis heureux, je ne suis plus l’adolescent perdu effrayé par sa propre homosexualité, je sais qui je suis et je sais quelle est ma place.

Et pour finir… ma blague juive préférée :

Un vieux Chinois et un vieux rabbin se font face dans un square ! Soudain, le vieux rabbin se lève et gifle le Chinois ! Le vieux Chinois, furieux, demande au rabbin ce qu’il lui prend : le rabbin rétorque alors : « ça c’est pour avoir attaqué Pearl Harbor en 1941 » ! Indigné, le vieux Chinois répond : « c’était pas les Chinois, c’était les Japonais ! » Et le vieux rabbin de répondre : « Chinois, Japonais, c’est du pareil au même » puis il retourne s’asseoir. Au bout de 10 minutes, le vieux Chinois se plante devant le vieux rabbin et lui met une gifle ! Furieux, le rabbin demande ce qu’il lui prend ! Et le vieux Chinois répond : « ça, c’est pour avoir coulé le Titanic en 1912 ! » « N’importe quoi, rétorque le vieux rabbin, le Titanic a été coulé par un iceberg ! » Et le Chinois répond alors : « Iceberg, Rozenberg, c’est du pareil au même ! »

 

 

chenu.jpg Photo (c) Jérôme Lavadou.


Sans aucun doute, j'aimerais à m'afficher...

Lucie Chenu

 

Pour la vingt-deuxième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, j'accueille avec un intense plaisir Lucie Chenu, qui fait partie de ma vie littéraire hors de ce blog et cette thématique. Lucie Chenu est une écrivain, anthologiste, et éditrice française travaillant dans le domaine de la littérature fantastique, de la fantasy et de la science-fiction. Elle a reçu le Prix Bob Morane à deux reprises (2008 et 2009) pour son activité d’anthologiste. Elle a été quelques années, active dans l'édition professionnelle tout comme dans le fanzinat (Horrifique) et le webzine (Univers & Chimères). Elle a co-dirigé la collection "Imaginaires" des éditions Glyphe de 2007 à 2009, date à laquelle elle a démissionné afin de se consacrer à ses propres écrits. Elle me fait (et nous fait) l'honneur de participer à cette série et, surtout, en réaction à l'homophobie vous offre une nouvelle... qui montre, si besoin en était, que hétéros et homos sont humainement liés envers et contre tous les haineux... Merci, ma chère Lucie...

 

 

Si j’étais homosexuelle, sans aucun doute, j’aimerais à m’afficher. Je ne supporterais pas les regards des bien-pensants – pas plus que je ne les supporte, maintenant, alors que je ne suis « que » hétéro. Je jouerais la provoc, pour mieux me défendre. Je défilerais à la Gay pride, même si la musique qui l’accompagne n’est pas ma tasse de thé. J’enragerais… j’enrage déjà.

Si j’étais homosexuelle, j’aimerais à explorer ton corps et le mien, riant de leurs ressemblances, m’étonnant de leurs différences. Si j’étais homosexuelle, je penserais tout savoir de ton désir, je le croirais semblable au mien. Et pourtant ! Je me tromperais sûrement. Parce que tu serais femme, comme moi, tes seins réagiraient de la même façon que les miens aux mêmes caresses ? Parce que tu serais femme, comme moi, mes doigts, ma langue, entre tes lèvres te procureraient la même jouissance qu’à moi, tes doigts, ta langue ? Je rêverais de te pénétrer jusqu’au plus profond de toi, et je le ferais – il y a des joujoux marrants pour cela. Je m’introduirais doucement, guettant tes réactions, la montée de ton plaisir. Et puis nous échangerions. Ah oui ! Pouvoir échanger nos rôles, dans l’amour comme en d’autres moments !

Si j’étais homosexuelle, peut-être m’apercevrais-je que le monde ne se vit pas en noir & blanc, en bite & trou.

Si j’étais homosexuelle, je ne pourrais pas mettre en cause, à chacune de nos disputes, ton genre et ton machisme ! Peut-être serais-je obligée de me remettre en question, chaque jour.

Si j’étais homosexuelle, serais-je vraiment une autre ?

 


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Bienvenue à Paris !

(nouvelle inspirée de faits réels)

 

 

Willkommen, bienvenue, welcome !

Fremde, étranger, stranger.

 Gluklich zu sehen, je suis enchanté, Happy to see you,

bleibe, reste, stay

in cabaret, au cabaret, to cabaret !


John Kander, Cabaret (1972, Bob Fos


Prison ferme. Quatre mois, autant dire une éternité. Martin se tient voûté, la figure dans les mains. Il n’ose pas regarder le visage de sa famille venue du Havre, de ses amis entassés là pour lui manifester leur affection, leur soutien. Martin sent qu’on l’entraîne, vers il ne sait où, menotté. On craint sans doute qu’après avoir brisé cette foutue vitrine, il ne détruise le Palais de Justice !

 

Casseur. Délinquant. Pour l’exemple. Les mots s’enchaînent et tournent et retournent dans ma tête sans aucune logique. Je ne comprends pas. Je ne sais pas ce que je fais là. J’ai mal, j’ai peur. J’ai froid. Peter. Comment va-t-il ? Va-t-il s’en sortir ? Où m’emmène-t-on ? J’entends l’avocat qui me parle, il a l’air soucieux, comme si c’était de lui qu’il s’agissait. Sans doute que ça la fout mal pour un commis d’office de n’avoir pas su convaincre le juge.

 

Dire qu’il y a quelques mois, tout allait si bien…

 

***

 

« Un jeune homme de 22 ans a été condamné hier à huit mois de prison dont quatre mois ferme pour avoir brisé des vitrines de magasins lors d'une manifestation anti-Sarkozy qui avait dégénéré, lundi soir à Paris, dans le quartier de la Bastille. » AFP 11/05/07

 

Julien repose la dépêche d’un air dégoûté. Trois lignes. Trois lignes pour condamner un homme, pour lui coller sur le dos l’étiquette à jamais indélébile « délinquant ». Alors que trois pages ne suffiraient pas à raconter, à expliquer comment ce « jeune homme de 22 ans » est devenu un casseur. Ni pourquoi. L’envie le titille d’en savoir plus, d’enquêter sur ce cas. Ça tombe bien, il n’a rien d’autre à faire. Tous les collègues se sont rués sur les politiques comme autant de nuées de mouches sur un tas de crottin ; les réactions face à l’élection de Sarkozy ne sont vendeuses que si elles émanent de gens connus. À Julien Durand le menu fretin. De toute façon, un freelance n’a d’autre choix que de suivre ses intuitions s’il veut bouffer – la rançon de la liberté.

Ça ne devrait pas être difficile de trouver les coordonnées du jeune homme, de ses parents, de son travail. Quelques coups de fil, quelques recherches sur le net, et bien sûr le PV de l’audience en comparution immédiate. Bien que sec et dénué de tout semblant de vie, un tel document est précieux pour qui sait s’en servir et Julien est passé maître dans l’art de l’investigation.

Sa décision prise, Julien descend en vitesse les escaliers, jette à Estelle, sa compagne et photographe attitrée, un « prends ton appareil et viens ! » auquel cette dernière, en vraie pro, répond au quart de tour en attrapant sa sacoche et les clefs de l’antique R5. Le moteur chauffe déjà quand Julien s’installe à côté de la conductrice après avoir prévenu la concierge qu’Estelle et lui partaient en reportage pour un temps indéterminé et qu’ils comptaient sur elle pour arroser les plantes et nourrir le chat.

En chemin, Julien brosse à Estelle un tableau de la situation. « Ce gars, Martin Dufy, casier judiciaire vierge, condamné à huit mois de prison dont quatre mois ferme pour avoir brisé une vitrine. Je veux savoir pourquoi il a fait ça, comment il en est venu à ce geste. Ça peut plaire à l’Hebdo, quand le public aura fini de s’intéresser aux réactions des politiciens. »

Estelle écoute, acquiesce de la tête, sans dire un mot, les yeux rivés à la route que lui trace Julien, à grands mots nerveux. À lui la parole, à elle le visuel. Ils se complètent à merveille, dans le boulot comme dans la vie.

Julien a décidé de commencer par le Havre. Il veut sentir d’où vient Martin, humer l’air marin mâtiné d’effluves pétrolières qui l’a nourri depuis l’enfance, comprendre comment Dufy a pu devenir un émeutier ou un pillard. Il veut faire sa connaissance, en quelque sorte.

 

***

 

« Qu’est-ce que vous voulez savoir ? Mon fils, c’est un gentil gars, pas une de ces racailles. Jamais il n’aurait lancé ce pavé, je ne sais pas ce qu’il s’est passé, ça n’est pas lui, ça… »

La femme renifle et s’essuie les yeux avec un mouchoir à carreaux qu’elle a sorti de la poche de son tablier. Julien l’écoute respectueusement, consolateur. Il a l’habitude, mieux vaut laisser parler les gens, ne pas poser les questions qui fâchent, ne pas les braquer. Petit à petit, madame Dufy se détend et raconte son fils, son brave petit gars, comme elle dit.

Martin a grandi sur les hauteurs de la ville, à Sanvic, un quartier tranquille. Il a passé toute son enfance dans une maison étroite coincée entre deux hautes bâtisses grises, avec un petit jardinet où traîne encore un vieux tricycle rouillé. Une scolarité sans histoire, une adolescence un peu terne, c’est ce que Durand déduit des confidences de madame Dufy. Un rayon de soleil, pour éclairer cette fadeur : l’amour du beau et un don pour la peinture que ses parents ne peuvent nier. Malgré le spectre du chômage, Martin sera artiste.

Julien repart de Sanvic muni des coordonnées de l’École Supérieure d’Art où Martin a fait ses études et du nom de l’un de ses professeurs, Leroux, qui a bien connu le jeune homme. Il sent en lui l’excitation de la traque, de la piste. D’un simple sourire, Estelle a obtenu l’autorisation de photographier la maison, le tricycle et la mère.

La rencontre avec Leroux s’avère décevante, le professeur s’irrite de ce qu’il ressent comme une intrusion. « Vous voulez quoi ? Salir ce garçon ? Vous croyez que vous ne faites pas assez de dégâts, comme ça ? » Et sans s’expliquer davantage, il leur claque au nez la porte de sa salle de classe. Durand jure : « putain, merde ! C’est quoi cet a priori sur le journalisme ? Ça lui vient pas à l’idée qu’on puisse vouloir faire du bon boulot ? Après ça, les gens râlent parce qu’on n’est pas bien renseignés, faut pas s’en étonner s’ils refusent de nous parler ! » Dépité, il quitte l’école à grandes enjambées sans s’apercevoir qu’Estelle n’est plus à ses côtés.

Estelle s’est attardée dans l’enceinte de l’école. Elle admire photos et dessins affichés sur des panneaux consacrés aux œuvres des élèves et tombe en admiration devant un portrait à la sanguine représentant un jeune homme au visage torturé. Elle se rapproche pour déchiffrer la signature, n’est pas vraiment étonnée de lire « Autoportrait – M. Dufy ». Un sifflement s’échappe de ses lèvres : celui qui a fait ça n’est pas un délinquant ordinaire, il n’est pas non plus un jeune sans histoires. Il faut avoir rencontré la souffrance et l’avoir apprivoisée pour peindre ainsi.

Alors qu’Estelle est plongée dans sa contemplation, une fille d’une vingtaine d’années vient se poster à ses côtés.

« Qu’est-ce que vous lui voulez à Martin, l’autre journaliste et vous ? »

Sans détourner les yeux de la figure écarlate, Estelle murmure :

« Savoir. Comprendre. Expliquer. »

Ces quelques mots ont suffi, elle en apprendra plus sur Martin en quelques minutes de conversation avec Malika qu’en deux heures avec sa mère.

Martin se savait gay depuis l’adolescence et ça ne lui avait jamais posé de gros problème. L’École Supérieure d’Art où il poursuivait ses études s’avérait un milieu extrêmement ouvert et ses copains rockers se fichaient éperdument de ses préférences sexuelles tant qu’il n’essayait pas de les draguer. Après tout, ça leur laissait plus de chances avec les filles. Quant à ses parents, il évitait soigneusement le sujet. Ça ne les regardait pas, point barre. Malika étant la meilleure amie de Martin, ils croyaient plus ou moins qu’il y avait quelque chose entre eux. Estelle soupçonne que la jeune fille était secrètement amoureuse de lui, mais ça n’est pas son affaire.

Quelques mois auparavant, Martin était parti vivre à Paris. « Monté à la capitale », comme on disait encore dans cette province pourtant peu éloignée de la dite-capitale. Il s’était tout d’abord installé dans une de ces chambres de bonne insalubres qu’on y comptait par milliers. Peu importe, il s’y plaisait, s’accommodait des locaux exigus, quoique ayant eu un mal de chien à y installer sa table à dessin. Il était arrivé en septembre dans l’espoir de vivre de son art. Ses professeurs de dessin avaient bien tenté de le mettre en garde, il avait envoyé bouler leurs arguments et vendu quelques toiles à Montmartre. Hélas, les touristes étaient repartis et les gens du cru n’avaient que faire d’un peintre de plus. Martin avait vite compris qu’il lui fallait gagner sa vie d’une manière ou d’une autre. Débrouillard, il avait dégotté un job de serveur dans une boîte de nuit, le Gay Titi. Il y avait découvert la solidarité de la communauté BGL, mais aussi l’ostracisme que ses membres subissaient.

Estelle avait haussé un sourcil.

« Ostracisme ? Il s’était passé quelque chose ?

– Je suis allée passer le week-end de la Toussaint à Paris, chez Martin. Le soir d’Halloween, il y avait une fête au Gay Titi. Pendant le numéro de Peter, des mecs l’avaient hué, insulté… Martin n’a pas supporté.

– Peter ? »

Peter, ses grands yeux bleus, ses cheveux fous, noirs aux reflets roux. Sa silhouette souple et son rire sonore. Malika raconte, des trémolos dans la voix et des étoiles dans les yeux, Peter, Martin, tout ce que ni les parents ni les profs ne sauront jamais.

Cette fois, c’est Estelle qui explique à Julien, tandis qu’ils rentrent à Paris bien plus tôt que prévu. Un Julien vexé de n’avoir pas découvert le job de Dufy – sûrement du black, c’est pour ça que ses recherches n’ont rien donné ! Peu importe, petit à petit, à mesure qu’il écoute Estelle, son article s’écrit dans sa tête.

Peter chantait et dansait, travesti. Au Gay Titi, il reprenait quelques morceaux du Rocky Horror Picture Show que le public scandait en chœur, tapant dans ses mains – le plus souvent à contre-temps – et jetant quelques poignées de riz de-ci, de-là. Dès qu’il le vit, Martin fut séduit. Mais c’est peu à peu, au cours des longues discussions, le soir, après la fermeture de la boîte, qu’il tomba réellement amoureux. Malika s’en souvient bien. Au fil de ses séjours à Paris, elle a vu évoluer la situation, amie et confidente à défaut d’autre chose.

Peter – en réalité Pierre Marchal – est titulaire d’une licence de lettres. Les fées qui se sont penchées sur son berceau ont été prodigues ; en plus de sa voix sensuelle et rauque, de son corps félin taillé pour la danse, elles lui ont accordé d’écrire des poèmes déchirants. On croirait, à les lire, qu’ils sont signés Verlaine ou Baudelaire. Martin se remet au dessin. Ses esquisses, acérées comme les traits de son visage, s’inspirent volontiers des gens de son entourage. Un soir qu’ils se sont attardés longuement à discuter autour d’un verre, Martin fait le portrait de Peter. C’est cette nuit-là qu’ils deviennent amants.

Quelques jours plus tard, Martin déménage ses toiles et ses pinceaux de sa chambre montmartroise dans l’appartement clair et ensoleillé de Peter, agréablement situé dans le Marais, non loin de la Bastille.

Les deux hommes vivent quelques semaines de pure félicité. De cette sorte de bonheur tellement parfait, tellement intense, qu’on se dit que ça n’est pas possible, qu’on va le payer un jour, mais qu’on s’en fout. Au-delà de l’union charnelle, ils partagent le même appétit de connaissances, la même envie de culture. Peter prête des livres à Martin qui l’entraîne dans les galeries d’art ou lui fait partager sa boulimie de cinéma d’art et d’essai.

Jusqu’à ce que le réel se rappelle brutalement à eux, quelques jours avant le premier tour des élections présidentielles. Le Canard Enchaîné révèle que, pour le candidat Sarkozy, « l’homosexualité, comme la pédophilie, c’était génétique ».

De la part de celui qui brigue le plus haut mandat, cette phrase fait peur, très peur. Qu’on puisse mettre sur le même plan l’homosexualité et la pédophilie… Martin a envie de vomir.

Les jours suivants passent en un tourbillon. Meetings, lectures attentives des journaux les plus divers, discussions passionnées et angoissées avec les amis, avec des militants de tous bords. Martin ne comprend rien à la politique, ça lui passe par-dessus la tête et l’économie est un truc totalement extraterrestre, pour lui. Il découvre l’inimaginable. Un rapport de l’INSERM commandé par le ministre-candidat sur le « trouble des conduites chez l’enfant ». Cette expertise devait permettre au gouvernement de mettre en place des mesures de dépistage précoce de « troubles du comportement » dans le cadre de la loi de prévention de la délinquance. Un système de repérage des futurs délinquants parmi les enfants de maternelle.

Des enfants, putain, merde ! Un gamin qui tire les nattes de sa voisine doit-il être considéré – et traité – comme un futur violeur potentiel ? Et ça n’est pas tout. Le projet de « franchise médicale » obligeant les plus malades à payer plus, ce qui va à l’encontre du principe de solidarité, à l’encontre de la Fraternité, pourtant inscrite au fronton de la République… Les reconduites à la frontière de familles d’enfants « sans papiers » pourtant scolarisés, au mépris des promesses… Des familles gazées au lacrymo à la sortie de l’école !

Julien interrompt Estelle d’un ton sec :

« Épargne-moi ton laïus, je le connais par cœur. Et ça n’explique pas comment il en est venu à casser cette vitrine. »

Voyant sa compagne se renfermer dans son mutisme habituel, il reprend, d’un ton contrit :

« Je suis désolé, ma puce. Mais je ne vois pas le rapport.

– Pour Martin, c’était une évidence. Malika m’a parlé de cette période, elle m’a dit combien il avait changé.

– On en saura plus au Gay Titi. Tu nous as ramené une précieuse information, quand-même ! »

Estelle sourit, satisfaite de voir ses mérites reconnus. Le trajet de retour vers Paris s’effectue en silence, un silence rêveur, pour elle, nerveux, pour lui. Comme à leur habitude.

Il est près de vingt heures quand ils arrivent. La boîte n’est pas encore ouverte au public, mais le personnel y est sûrement. C’est la bonne heure.

La façade du Gay Titi est sobre. Rien qui évoque La Cage aux folles. Une fois entrés, cependant, les Durand se croient transportés sur une autre planète tant le décor est étrange. Les couleurs, les formes, tout est choisi pour surprendre. On arrive à grand-peine à identifier un comptoir de bar étincelant, sur lequel un petit homme fluet à l’air morose passe et repasse un chiffon immaculé. Sa voix de basse surprend. À voir son gabarit, on l’aurait attendue haut perchée.

« Vous désirez ?

– Pourrions-nous parler au patron ?

– C’est moi, Thierry Brugeaud, dit Titi, pour vous servir. Quoique ce ne soit pas encore l’heure et que vous ne ressembliez guère à ma clientèle habituelle, rit-il.

– Nous voulions vous poser des questions au sujet de Martin Dufy… »

Contrairement au professeur de dessin, Titi s’éclaire.

« Martin, oui, un garçon gentil comme tout, bosseur et pas chiant. Ses dessins ? Bof, j’y connais rien, moi, en dessin. C’était joli, oui, et ressemblant mais… comment dire ? Ça ressemblait plus à l’idée qu’on se fait de la personne, qu’à la personne elle-même. Beau, mais déroutant. »

Pendant que le bonhomme parle, Estelle se promène dans la salle aux murs turquoise, s’imprégnant de l’atmosphère des lieux. Elle a l’impression de pouvoir ainsi revivre en esprit des événements passés. L’œil attiré par une toile exposée en vis-à-vis de la scène, elle s’avance.

« Ah, ça, c’est le portrait de Peter que Martin a fait. Attendez, je l’éclaire. »

Brugeaud tamise l’éclairage de la salle, puis allume une rangée de spots. L’effet est saisissant. L’homme qui surgit ainsi du mur est d’une beauté à couper le souffle. Il séduit, instantanément. Un regard charmeur, un sourire coquin, une fossette, une seule, au coin de la joue. Mais derrière ce sourire, on sent une profonde anxiété. C’est le portrait d’un écorché vif qui brandit l’autodérision comme une carapace.

« C’est Peter, tel qu’il était avant Martin, précise Thierry Brugeaud.

– Avant ? interroge Estelle. Parce qu’après ?…

– Martin l’a transformé. Il en a fait un homme heureux. Martin a, en quelque sorte, pris sur lui l’angoisse de Peter. Mais maintenant… allez savoir ce qu’il deviendra !

– Maintenant ? Quatre mois sont vite passés, intervient Julien. Ça n’est quand-même pas si dramatique.

– Pas si dramatique ? rugit Titi. Ah, mais vous ignorez tout, alors. Allez poser vos fesses, je vais vous raconter. »

Julien et Estelle vont s’asseoir à une petite table non loin de là. D’un geste preste, Titi attrape trois verres et une bouteille de bourbon qu’il leur sert, sans leur demander leur avis. Les deux autres, le ventre un peu creux – le repas avalé à la hâte au Havre est loin –, n’osent toutefois pas protester de crainte qu’il ne change d’avis. Mais Titi a besoin de s’épancher, comme un moulin à paroles au ressort depuis trop longtemps remonté. Durand n’aura aucun mal à reconstituer ce qu’ont vécu Martin et Peter, ces dernières semaines.

Malika avait raison, Martin s’était pris de passion pour les élections présidentielles. Il voyait le diable en ce candidat prompt aux amalgames, dénué de la moindre compassion. D’après Titi, découvrir en même temps la vie parisienne et ses aléas, l’amour et la politique, ça l’avait fait disjoncter.

 

***

 

Plus le temps passe, plus s’impose l’évidence : il ne faut pas, à aucun prix, qu’un homme aussi peu respectueux des Droits de l’Homme devienne le Président de la République.

Martin, qui n’avait jamais songé à la politique auparavant, se veut tout d’un coup militant. Pour lui, seule la gauche peut éviter le pire. Oui, mais quelle gauche ? La plus extrême, bien sûr. Celle de la banquière, du facteur ou du paysan. Peter argumente : pour que la situation de 2002 ne se reproduise pas, pour que Le Pen ne soit pas au second tour, une seule solution : voter utile. Martin se laisse persuader. Mais voter utile, c’est quoi ? Bayrou, insiste Peter, le seul à même de vaincre Sarkozy. Non, affirme Martin, il faut voter Ségolène.

Premier désaccord, première fracture dans l’union parfaite des deux amants. Peu importe, ce qu’il faut, c’est convaincre l’électorat de droite de ne pas voter Sarkozy qui devient pour eux le mal incarné. Pire que Le Pen car possible.

À leur grande surprise, Peter et Martin découvrent que beaucoup de leurs amis se fichent totalement des élections. Ou même, ont l’intention de voter Sarko. À croire qu’ils ne voient pas le danger ! Il faut donc persuader les indécis ou les je-m’en-foutistes d’aller voter contre. Ceux qui auraient dû se sentir concernés au premier chef, les habitués du Gay Titi, les écoutent d’une oreille distraite réclamant des chansons plutôt que des discours. Peter modifie son répertoire, remplaçant certains morceaux du Rocky Horror Picture Show par des chansons de Cabaret, de Bob Fosse, ce film qui dépeint la montée du nazisme dans le Berlin décadent du début des années 30. C’est peine perdue ; aucun des admirateurs du chanteur ne comprend le pourquoi du changement.

 

***

 

Ils se sont couchés tard, la veille, ou tôt, le matin. Se sont levés l’esprit embrumé et le corps délicieusement endolori. C’est l’après-midi, la fin d’une longue journée de travail pour les enfants de l’école Saint-Antoine. Peter marche en avant, pressé d’arriver au Gay Titi. Martin s’attarde devant la vitrine d’un photographe. Il envisage l’achat d’un appareil numérique, ce serait l’idéal pour exposer ses œuvres sur Internet. C’est maintenant le meilleur moyen de toucher le public et de se faire connaître. Qui sait ? Il pourrait démarcher les éditeurs, par exemple. Certains sont à l’affût de nouveaux illustrateurs, la BD est en plein essor. Martin avance en rêvant à l’avenir.

Seize heures trente, la sonnerie, la bousculade habituelle.

La fillette sort en courant poursuivie par les railleries d’un groupe de gamins plus forts qu’elle. Nombreux. En pleurs, elle se précipite, sans voir où elle va. Elle heurte Martin, trébuche, tombe du trottoir. Peter la rattrape in extremis au moment où une voiture fonçant dans le couloir de bus allait la renverser. Il la tient un moment contre lui, le temps de reprendre son équilibre.

«  Sale pédé ! Espèce de pédophile ! Lâche la gosse !

– Merci, monsieur ! Vous l’avez sauvée ! »

La mère embrasse sa fille tout en s’interposant entre Peter et le photographe surgi de sa boutique. L’erreur est dissipée, mais Peter et Martin s’éloignent l’amertume au cœur, celle que sèment les mots et les amalgames trop facilement jetés à la face, salissure inaltérable.

 

***

 

Au matin du 22 avril, Peter et Martin voteront différemment, pour deux candidats que tout oppose et que seule rassemble l’opposition au favori. Martin fait l’aller-retour au Havre, ses parents sont ravis de cette visite dominicale ; ils le voient si rarement, maintenant. Ils seront déçus, Martin rentre tôt à Paris, il veut suivre la soirée électorale avec Peter, dans le fol espoir que leurs champions seront désignés pour s’affronter l’un l’autre, deux semaines plus tard. Ça n’est pas le cas, bien sûr. Mais au moins le pire est-il évité : Le Pen n’est pas au second tour. Mieux encore : son score est mauvais. Laminé, le Front National. Les Français ont compris le danger de l’extrémisme. Reste le plus dur : vaincre le candidat de l’UMP.

Quinze jours durant, ils vont suivre, haletants, tour à tour pleins d’espoir ou désabusés, le jeu politicien. Bayrou donnera-t-il une consigne de vote ? Les députés UDF lui seront-ils fidèles ? Les ténors du PS soutiendront-ils enfin la candidate choisie par leurs militants ? Et comment se reporteront les voix de Le Pen ? Les candidats d’extrême-gauche, au moins, sont clairs. Même Arlette qui appelle à voter Ségo. Du jamais vu !

Quinze jours pendant lesquels se réveillent, peu à peu, les fêtards du Gay Titi, quinze jours pendant lesquels la France entière bruisse de discussions passionnées, de craintes enfin exprimées, de haine longtemps refoulée.

Les étrangers en font les frais. Pour Martin, le plus remonté des deux, les homos, les différents de toutes sortes ne tarderont pas à les rejoindre sur la sellette médiatique. Aucune compassion pour ceux qui souffrent, chacun pour sa gueule, travailler pour engraisser encore plus ceux qui ont déjà tout ; ça c’est le mot d’ordre, soigneusement fardé, de l’UMP qui tel un agent d’assurances vend ce qu’il ne possède pas : l’espoir.

De l’autre côté, on se veut pragmatique, on se veut capable. On se la joue sécuritaire, aussi. Mais en douceur. On aime, on materne, on est à l’écoute. Ségo ne promet pas ce qu’elle n’a pas, elle est honnête – sans doute a-t-elle tort !

 

***

 

Dès dix-huit heures, les premiers sondages, interdits de publication mais que chacun peut consulter sur le net – les sites belges ou suisses connaissent des pics de fréquentation record – donnent Sarkozy vainqueur. Peter et Martin se sont rendus place de la Bastille, ils croient encore à un sursaut du peuple français, à la victoire de la gauche. Ils refusent de toutes leurs forces l’inéluctable : Sarkozy est élu Président de la République.

Une nuit d’angoisse, une nuit de cris et de révolte inutile. Martin, surtout, est en rage. Peter, de dix ans son aîné, en a vu d’autres. Pour le cadet, tout est perdu, pour toujours. La vie tourne au cauchemar. Peter l’accompagne encore, le lendemain soir, alors qu’il pleure une nouvelle fois la liberté perdue – Martin a toujours eu un talent dramatique prononcé ! Il n’est pourtant pas le seul. Des dizaines de manifestants sont réunis dans une même rage. Sentiment de frustration, de trahison. On s’est fait avoir. On nous a niqués profond. On nous avait promis…

Promis quoi ? Du bonheur, de l’espoir, de l’écoute. Promis qu’on tiendrait compte d’eux. De ce qu’ils pensaient, de ce qu’ils croyaient. Qu’on ferait ce qu’ils demandaient ou qu’au moins on leur expliquerait pourquoi. Sans les prendre pour des cons.

Bien vite, le ton monte. Des pavés volent, des voitures brûlent, comme la veille. Les flics encerclent le quartier, on entend les sirènes. Peter veut rentrer, ils n’habitent pas loin, à quelques rues de là, quelques centaines de mètres, à peine. Il prend la main de Martin, l’aide à se faufiler entre les jeunes qui courent en tous sens en réclamant… quoi ? De nouvelles élections ?

Ils remontent le boulevard Beaumarchais à pas pressés, toujours main dans la main, le cœur étreint d’une angoisse sourde, comme si l’univers avait basculé du côté obscur. Paris n’est plus que cris et hurlements, en cet instant. La ville lumière vire au gyrophare. Des silhouettes s’agitent, se font menaçantes, brandissent… des armes ? Que se passe-t-il ?

L’homme, là. Martin le reconnaît, c’est le photographe de l’autre jour. C’est aussi le gros beauf qui avait insulté Peter, la nuit d’Halloween. Il les reconnaît aussi. Il a le regard fielleux. Ils sont bien cinq ou six, il a la force pour lui. Le nombre.

Les coups pleuvent sur Peter, les insultes fusent. Martin est emporté dans ce tourbillon de violence, pourquoi lui résister ? Ils se défendent comme ils peuvent, encaissent la bastonnade sans mot dire.

Un coup de sifflet. Les hommes s’éparpillent. Peter est au sol, prostré. Il est blessé. Mort ? Martin a la haine. Il sent sous ses doigts des pavés descellés, en attrape un, le lance vers les silhouettes en fuite. En attrape un deuxième et, de rage, le jette dans cette putain de vitrine derrière laquelle trônent les appareils photo de l’enflure qui a tué Peter. Cet enfoiré, il va voir. Je vais lui défoncer sa boutique, moi ! Assassin ! Ordure !

 

***

 

Ils se sont mis à quatre pour le maîtriser. Flagrant délit, procédure de comparution immédiate après deux jours de garde à vue durant lesquels un médecin lui a injecté un calmant. Il lui a fallu une dose de cheval, sinon, il défonçait le commissariat. Faveur rare : les flics qui l’ont arrêté n’ont pas retenu les outrages à agent et autres horions, compte tenu des circonstances.

Peter n’est pas mort. Il a passé cinq jours dans le coma. Il s’est réveillé pour apprendre que son compagnon était en prison et que lui-même resterait probablement défiguré et handicapé sa vie durant. La gueule d’ange s’est faite gueule de démon, la grâce aérienne du gay dancer s’est assise dans un fauteuil roulant. Et, pire que tout, on n’a pas attendu qu’il soit guéri pour entendre son témoignage. Qu’aurait-il pu dire de plus que les policiers qui avaient assisté à la scène de loin avant de se décider à intervenir quand il était presque trop tard ? Légitime défense ? Contre une vitrine et des appareils photos ? Allons donc ! Soyez sérieux, monsieur Marchal. Et soyez heureux qu’on n’ait pas retenu la tentative de vol avec effraction à l’encontre de votre ami. D’ailleurs, si monsieur Dufy l’avait souhaité, il aurait parlé de l’agression, n’est-ce pas ?

Peter étouffe, il veut chasser cet avocat bouffi de suffisance mais il a besoin de lui. Maintenant qu’il est sorti du coma, il peut témoigner, expliquer. Il faut faire appel !

Mais l’avocat ne l’entend pas de cette oreille. Commis pour assurer la défense de Martin Dufy, il estime avoir fait plus que son devoir en se déplaçant à l’hôpital pour rendre visite à Pierre Marchal à son réveil. Voyons, monsieur Marchal, ne comprenez-vous pas que si monsieur Dufy m’a interdit de parler de l’agression, c’est qu’il ne souhaite pas que ses… que son homosexualité soit révélée ? Pensez donc, en prison… Et puis vis-à-vis de sa famille. Ne soyez pas si égoïste, pensez un peu à votre ami !

L’homme de loi s’en va, abandonnant Peter à son désespoir. Et à ses anxiolytiques.

 

***

 

« Un homme de 32 ans est mort à l’hôpital des suites d’un accident survenu alors qu’il tentait de s’éloigner de la manifestation anti-Sarkozy, le 7 mai à Paris, dans le quartier de la Bastille. » AFP 18/05/07

 

***

 

Ni l’Hebdo, ni aucun autre journal, ne s’est intéressé à l’article de Julien Durand. Une banale agression, en ces temps d’entre-deux élections, on a d’autres chats à fouetter. Les législatives se préparent, les alliances se nouent et se délitent : voilà qui est autrement passionnant.

 

© Lucie Chenu – 2009/2010


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Si j'étais hétéro, je serais moins sexuel...

Gérard Coudougnan


Pour la vingt-et-unième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gay hétéro-friendly, j'accueille avec un plaisir et un honneur non dissimulés mon rédacteur en chef adjoint et ami Gérard Coudougnan à qui l'on doit (entre autres) la chronique "La Bibliothèque Rose du Père Docu" sur notre blog. Il est né en 1962 et a pour qualification « enseignant-documentaliste », vous savez la dame qui râle au C.D.I. (centre de documentation et d'information) : c'est lui. Pour des raisons indépendantes de sa volonté, il est en ce moment éloigné de son lieu de travail habituel mais a toujours un C.D.I. (contrat à durée indéterminée) avec les bouquins pour qui il a une vraie A.L.D. (affection de longue durée). Au hasard de ses lectures, il a croisé Marc-Jean Filaire puis Môssieur Daniel C. Hall (« The Boss ») qui lui a proposé de regrouper quelques « recensions » d'ouvrages à thématique LGBT.


        Si j’étais hétéro, je serais sans doute moins sexuel : je ne pense pas que, même dans le cadre d'un libertinage évolué, je puisse avoir autant de partenaires, autant de jouissances variées, de complicités physiques et amicales que celles que nous entretenons, mon mec et moi avec divers camarades de jeux, en majorité… hétéros.

        Je serais très certainement en couple (pas marié : la cérémonie me débecte) et nous aurions un ou deux enfants. J'aurais une compagne ayant eu, si possible, une bonne expérience d'amour parental, la mienne ayant été peu convaincante.

        J'aurais dû la présenter à mes parents, grenouille et crapaud de bénitiers, avec dans la tête mon plus ancien souvenir d'enfance. Âgé de cinq ans, après un énorme caprice, Môman m'avait déclaré : « Quand tu viendras me présenter ta femme, je lui dirai que tu as un sale caractère ». La dénonciation perfide m'intrigua moins que cette vision de l'avenir énoncée par une personne omnisciente et omnipotente : j'aurai un jour une femme, il n'y avait ni choix ni doute.

        Je n'aurais pas eu conscience de faire un choix : féru de littérature, je serais donc un mec « normal », si la normalité se réfère aux nombres de personnages remplissant la caractéristique « attrait naturel pour le sexe opposé ». Les autres m'auraient sans doute amusé : quels autres ?

        Un jour, mes parents évoquaient le suicide d'un jeune habitant du village. Ma mère conclut par : « c'est normal, il était pédé ». Muet, je retins le mot dont j'ignorais le sens comme « cause naturelle de suicide ».

        Bien plus tard, en ville cette fois, notre voisine de palier avait, parmi ses enfants un garçon d'une trentaine d'années toujours accompagné d'un gars un peu plus âgé. Le mot « pédé » ressortit et prit une couleur variable : quand nous croisions les deux hommes, c'était avec force sourires mais les commentaires ultérieurs étaient méchants. Au collège, j'avais appris le sens du mot. Un « je ne sais quoi » m'empêchait de dire que j'« en » connaissais. Lorsque la sœur, puis la nièce de ce garçon moururent dans des circonstances tragiques, ma mère entama une litanie qui classait les malheurs par ordre croissant. « Notre voisine, la pauvre Madame P. est marquée par le destin : sa fille est morte dans l'explosion de son immeuble, sa petite-fille dans un accident de la route et en plus, son fils est pédé. »



        Si j'avais été hétéro, jamais un fantôme ne serait venu me faire débander. Lors du décès de mon grand-père maternel, paterfamilias à la carrure et au prestige imposants, j'avais quatorze ans et ma mère me fit jurer que je ne ferais jamais rien de mal. « Chaque fois que tu feras quelque chose de mal, ton grand-père te verra du haut du ciel. » Grand-père fut en effet très discret lors de mes rapports hétérosexuels. Est-ce à lui que je dois mes subites flaccidités avec des garçons pourtant beaucoup plus excitants pour moi ?

        Mais cessons de freudonner la mélodie de la mère abusive. Le pourquoi n'a aucun intérêt : je me fous de savoir quels sont les motifs de ma préférence pour la pizza par rapport à la tarte aux pommes.

        Je n'ai pas fait de coming out familial. Ce passage n'a d'importance que s'il y a de l'amour en jeu et il n'y avait qu'un mélange d'orgueil bigot, de bêtise sociale et un désintérêt total. Je montai au contraire un scénario minable mettant devant le fait accompli avec un mélange de mépris et de naïveté surjoué. Avec les amis, ce fut une autre affaire, émouvante, qui prit aux tripes et renforça de vrais liens.

        Hétérosexuels, nous n'aurions jamais, lors de nos voyages et sans aucun recours au tourisme sexuel ni à la prostitution, partagé le vécu de ces garçons « différents », arabes, mexicains, espagnols, guatémaltèques ou israéliens. Ces derniers avaient en 1984, à la veille de départs vers une frontière libanaise en conflit, une façon bouleversante de s'abandonner au plaisir comme si c'était la dernière fois de leur vie.



        Si j'étais hétérosexuel, je n'aurais pas rencontré Bernard. J'aurais certainement exclu un partenaire de seize ans mon aîné. Ou alors j'aurais « pris une vieille » ? Une fois franchi le seuil de l'homosexualité, seule la personne avait de l'importance. Comme l'aurait dit Mme Mallowan, épouse d'un archéologue célèbre et romancière plus connue sous le nom d'Agatha Christie : « Avec un mari archéologue, plus vous vieillissez, plus il s'intéresse à vous. » L'ex futur égyptologue c'est moi, mais je suis aussi depuis l'attaque d'une maladie invalidante, la momie Gérard que mon cher et tendre veille et bichonne comme aucun professionnel de santé ne saurait le faire, avec une tendresse et une patience qui ont étonné bien des couples hétérosexuels.

        Si j'étais hétérosexuel, je n'aurais peut-être pas trouvé en ce conjoint l'énergie de survivre. La motivation est inégale. Un enfant à élever aurait pu être plus motivant, ou plus culpabilisant.

        La liste des bonheurs vécus pendant vingt ans de pérégrinations en Égypte, en Espagne et sous tant d'autres cieux serait moins lourde à comparer avec la marge de manœuvre actuelle, mais comme on dit en espagnol « no nos quitaràn lo bailado » (ce qui est pris est pris).


Gérard Coudougnan

 

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Je serais un Ginkgo Biloba.

Papy Potter


Pour la vingtième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gay hétéro-friendly, j'ouvre mes branches à notre collaborateur et ami belge Papy Potter, l'auteur de la chronique "Le Chaudron Rose" sur notre blog. Papy Potter est né en pleine folie hippie de parents qui ne l'étaient pas. Depuis lors, il vit au milieu de ses arbres avec son adorable pirate des trains, tout au bord d'un marais nommé « du ru d'amour ». À quelques kilomètres de là, s'étend une vaste forêt où il travaille. Dans le chaudron rose, comme il est devenu vieux (il a presque 40 ans) et que Moudulard a fermé ses portes depuis longtemps, il glose sur le lien sulfureux et amoureux liant les gays aux diverses spiritualités du monde.


        Si j’étais hétérosexuel, je serais un Ginkgo Biloba. Pourquoi ? Parce que cet arbre appartient à une minorité sexuelle et que ses amours sont, comment dire, contrariées…

        J’appartiendrais donc à la plus ancienne espèce sylvestre vivante. Elle existait déjà avant les dinosaures. Je ne pense pas que cela soit une perspective très excitante pour l’homo standard de moins de cinquante ans. À cette idée, il fourrerait plutôt dans sa trousse de survie un flacon familial d’anti-rides, vendu par caisses au rayon « toujours gay, toujours jeune » de sa parapharmacie préférée. À moins que je ne précise qu’en tant que ginkgo, je suis le père de tous les spermes du monde floral. Sperme, hmmm ? Vous avez dit sperme ? Wouw ! Oui, très chers. Gymnospermes, angiospermes, toutes ces classes végétales qui sentent le foutre comme un châtaigner au printemps descendent en fait du Ginkgo Biloba. Enfin, je crois. Je me suis laissé dire.



        Mais laissez-moi plutôt me plaindre. J’ai quelques jérémiades à vous confier. Car, voyez-vous, l’évolution a eu l’outrecuidance de favoriser d’étranges modalités en matière de reproduction. Je suis, en conséquence, un des rares arbres hétérosexuels sur cette terre. Les essences plus jeunes sont presque toutes bisexuelles, je le déplore. À plus de quatre-vingt dix pourcents, rendez-vous compte. Toutes monoïques. Donc, toutes bi. Ou à peu près. J’en ai le cœur au bord des lèvres quand j’y songe. Ils reniflent le pollen du voisin comme on hume une petite culotte, ces salopiauds. Ils ouvrent béant le cul de leur pistil et attendent les abeilles en frétillant. Vous le croyez, ça, vous ? Cela va ainsi de nos jours. Ces saloperies d’hyménoptères s’en vont branler joyeusement un voisin. Elles se remplissent les pattes de foutre. Je veux dire, de pollen. Puis elles s’en viennent vous en badigeonner les orifices en vous secouant à votre tour les antennes. J’en suis puissamment dégoûté. Je préfère décharger au hasard et on n’en parle plus. Où va le monde, Seigneur ?

        J’ignore si cela justifie un témoignage chez Delarue. Mais je suis fier de dire que je suis, moi, un des rares spécimens arborés restés hétéros dans le monde. Un presque fossile, je vous l’accorde. Un vieillard acariâtre, à ce qu’il parait. Mais chacun a son caractère. Je vote à droite, bien sûr, car la gauche est pleine de pédés, tout le monde sait ça. Et surtout, ça me gonfle de savoir qu’être hétéro est totalement « has been » dans la gent végétale depuis des millénaires. Ils avalent le sperme de leurs congénères tout en se paluchant les étamines, comme dans un vieux porno des années d’avant sida. Cela m’écœure, tout bonnement. Du coup, dans ce monde joyeusement plurisexuel, je fais office d’emmerdeur de service, de bourgeois près de ses bourses, si vous me pardonnez l’expression. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que l’on m’a surnommé « l’arbre aux mille écus ». Parce que moi, ma bonne dame, j’ai encore la notion du patrimoine, de l’héritage et du terroir à partager. Heureusement. Qui l’aurait sinon ? Avec tous ces jeunots qui se laissent abattre à la moindre débroussailleuse. J’ai survécu, moi. Je me suis battu. Oui, monsieur. J’ai fait la guerre des arbres et je m’en vante. C’était à une époque où les chamans asiatiques nous parlaient avec révérence. Comme je vous le dis. Maintenant, les hommes ont même oublié que nous avons une âme. Les cuistres.



        Je rêve parfois d’une réunion de tous les hétéros végétaux du monde. Il y en a peu, mais il y en a. L’ortie par exemple. On défilerait dans une marche des fiertés en hurlant des chansons datant de la Belle Époque. Car dans ces folles années, ma chère, on chantonnait encore le lilas ou le cerisier. Les deux sont monoïques, je pense, mais on s’en moque. Je vous parle d’un temps où les gramophones chevrotaient des chansons ruisselantes d’amour et poisseuses de guimauve. Et on y parlait de nous. À cette époque, les arbres fleuraient le romantisme. Même les rares qui restent hétéros. C’était tellement bandant. J’en suis si nostalgique. J’en pleurerais.

        Je suis donc un ginkgo biloba. Et je suis hétéro. En le disant de cette manière, j’ai l’impression d’être dans une réunion des alcooliques anonymes mais passons. Je n’ai pas eu l’extravagance de pousser près d’un temple bouddhiste, ne vous déplaise. La zénitude des jardins de rocaille ne m’inspire guère. J’aime le bruit, l’aventure. Mes gènes jurassiques conservent le goût du hurlement des prédateurs au crépuscule. J’ai donc préféré déployer mes racines en plein cœur de ce qui a fini par devenir une ville. Je suis face à la gare. Tout au bord de la route. Et un de mes plus grands bonheurs est de sentir la pluie tomber sur moi. J’aime toutes les pluies. De la plus grasse à la plus légère. Toutes me sont bonnes. Sentir l’eau ruisseler sur mes feuilles m’est plus goûteux qu’une tige de cannabis pour vous. Ça me rend l’âme poète et déjantée. Vous ne l’imaginez même pas.



        Voilà, d’ailleurs, qui me rappelle un événement. Car nous aussi, nous avons nos histoires. Pourquoi croyez-vous que nos feuilles font du bruit quand le vent s’y déverse ? C’est notre manière à nous de bavarder. Il n’y a pas si longtemps, un peuplier nous a conté un fait étrange. Le houx, qui écoutait avec moi, ça lui a troué le cul. Je crois que depuis lors, il fait très gaffe à son feuillage. Bref, donc, l’histoire ! Dans un jardin, un jeune Ginkgo avait perdu ses feuilles. Le pauvre. Un des deux hommes qui vivaient là a bien tenté de le sauver mais rien n’y fit. Vous remarquerez qu’il s’agit de deux mecs. Des tapettes, bien sûr. On se demande comment ils font pour être si nombreux, ils n’ont même pas la chance d’être des arbres. Mais passons. Nous étions donc au printemps et son écorce se flétrissait. Je parle du Ginkgo, of course, pas de la folle qui gémissait en caressant son tronc comme si c’était un gode. Les éventails de son feuillage se mirent d’abord à sécher, puis ils roussirent. Et enfin, ils tombèrent. Alors que l’arbre voisin, lui, était encore vert, le fumier. Le ginkgo déplumé fut abattu sans autre forme de procès. C’est une sale manie chez les hommes. Pour autant, on lui laissa ses racines. L’homme emporta le tronc et enleva les branches. Non, il ne s’en est pas servi pour se polir un gode. Enfin, soyez réalistes. Un gode en bois, ça doit finir par être plein d’échardes. Ah, je vous jure, les humains manquent d’esprit pratique parfois. Donc, il ramena le tronc chez lui, ôta l’écorce et mit le cœur de l’arbre à nu. À ce passage de l’histoire, je tourne souvent de l’œil, je vous l’avoue. J’ai tendance à m’identifier, voyez-vous ? Et rien qu’à imaginer que l’on m’écorche de la sorte, j’en ai des coulées de sève. Mais bon, l’arbre était mort. Je suppose qu’il ne sentait plus rien. L’homme prit ensuite un pinceau, vous savez, ces branches amputées pleines de poils, ainsi qu’un pot de peinture noire. Et là, il se mit à tatouer le pauvre arbre défunt. Il le couvrit littéralement de symboles et de décorations. Il ne voulait pas que son ginkgo soit mort. Il désirait le conserver. Le brave chéri. Vous imaginez ça, qu’il y ait encore sur cette terre, des humains qui espèrent garder les arbres le plus longtemps possible. Quel snobisme ! De nos jours, la mode est plutôt à l’abattage intensif ! Les jours passèrent. Et l’été arriva. Le jeune homme retourna à la souche restée là, au milieu du jardin. Il eut ainsi une incroyable surprise. Des feuilles poussaient sur le reste de la souche. Le ginkgo abattu vivait encore. Le gars avait simplement oublié que les arbres ont le pouvoir de renaître. Pour accomplir la même performance, les hommes, eux, ont dû s’inventer des dieux.



        J’aime bien cette histoire. C’est mon côté mystique. Elle me garde en mémoire que je peux être millénaire quand la plupart des animaux, eux, ne font que passer. J’en suis fort aise, notez. Les gens qui traînent dans mon ombrage regardent parfois mon tronc tortueux avec envie. Ils voient en lui une sorte de phallus noueux géant alors qu’en fait mes organes sexuels n’ont rien à voir avec mon tronc. On en a plus que vous et je suis sûr que ça vous rend jaloux, en fait. Normal, vous ne pensez qu’au sexe et à l’argent. Pauvresses ! J’en vois aussi qui caressent mon écorce en frissonnant. Il est vrai qu’il est plus rugueux qu’une barbe. La faute aux chats qui viennent y faire leur griffe. J’imagine que certains humains s’en excitent. De mon écorce rugueuse, pas des chats qui me lacèrent ! Ils doivent bien compter la sylvophilie (c’est le fait de baiser avec des arbres) parmi leurs nombreuses perversions, ces cloportes-là. Après tout, il y a bien des zoophiles, non ? L’homme est un étrange animal, vous devez bien me l’accorder. Tout lui est bon pour prendre du plaisir. Sauf la pluie. Ça, je l’ai remarqué. Ce qui ne l’empêche d’ailleurs pas de grogner sous la douche mais bon. S’il était une plante, l’homme serait un liseron. Toujours à prendre, incapable de donner. Il est futile et inutile. Je l’ai toujours pensé.

        Il est des fois, pourtant, où les humains m’apportent du plaisir, je le confesse. C’est quand ils vomissent à mes pieds. J’adore cela. L’odeur fabuleuse du vomi excite mes sens et me chatouille l’écorce. Il y a une raison très logique à cela. La senteur de vos vomissures m’évoque le fort parfum des fruits de ma femelle, quand ils sont déjà vieux et avides d’être fécondés. L’ovule bien mûr se lézarde tout du long et appelle la dorure bienfaisante de mon foutre. Quand un homme gerbe à mes racines, je ne fais pas la différence. Pour moi, ça sent la femme, c’est tout. Cela me rend les bourses chatouilleuses et je décharge mon pollen en couinant. Ah, le doux spectacle enivrant de mes flocons vainqueurs ! Oh, les voir s’étaler dans la grasse chevelure d’un humain hoquetant ! J’en déborde d’émotion.



        Il faut dire que les hommes ont été assez vaches avec nous. Sous prétexte que les femelles ginkgo puent du con, ils les ont décimées. Il paraît que l’odeur de leurs fruits, celle-là même qui me porte vers des abîmes d’extase, leur est purement insupportable. D’abord, cela leur évoque le beurre rance, ce qui est doux à mes narines. Quand je perçois au loin cette senteur affolante, j’en ai les étamines qui turgescent et poudroient de bonheur. Au fur et à mesure que la saison s’écoule, le parfum évolue et se transforme en jus de poubelle. Un peu semblable à l’élixir joyeux craché en jets d’acides d’un estomac gavé de bière. Moi, ça me rend dingue. Je suis un ginkgo mâle. Il est normal que j’apprécie les effluves d’une femelle en rut. Mais les humains ne partagent hélas pas mon opinion. Ils ont donc écarté les femelles ginkgo de leurs plantations. De sorte que, vous l’avez compris, il ne reste plus que des mâles partout. Non mais, vous vous rendez compte ? Ces salauds-là nous privent de nos bonnes femmes. Au nom de qui ? Au nom de quoi ? Ils méritent bien que j’éjacule dans leurs cheveux quand ils gerbent à mes pieds, moi, je vous le dis.

        Être ginkgo n’est pas une sinécure. Les hommes cherchent à nous dévier. Ils veulent nous transformer en pédales. Je refuse. Je résiste. Déjà que mes feuilles ont une forme d’éventail. Vous connaissez beaucoup de mecs hétéros qui se baladent en s’éventant ? Moi pas. Des femmes, oui. Des tapettes, peut-être. Mais pas des hétéros. Ils préfèrent amplement dégouliner à la Johnny. Je n’en connais pas un qui se munirait d’un quelconque éventail. Mais nous, ginkgos, nous n’avons pas le choix. Notre feuillage est ainsi fait. C’est ridicule, je vous l’accorde, mais c’est comme ça.



        Et moi ? Suis-je condamné à me branler en regardant des hommes vomir ? Je dis « des hommes » car des femmes qui dégueulent, c’est plus rare, on doit leur reconnaître cette finesse. N’ai-je pas le droit d’aspirer aux transports amoureux que tout mâle est en droit d’éprouver pour une femelle de son espèce ? Hein, dites-moi ? Je suis sûr que vous, vous me comprenez.

        Je vous en supplie, humains, faites quelque chose. Lancez des pétitions, je ne sais pas, moi. Je ne peux pas finir ma vie ainsi. Vous devez bien me comprendre. Après tout, nous vivons un peu la même chose, non ? Ce n’est pas toujours facile non plus pour vous de vous trouver un partenaire. Alors, pensez à nous à qui VOUS avez volé nos femmes. Ami, fais-le pour moi.

        Sauve mon hétérosexualité.

        Plante un ginkgo femelle dans ton jardin.

        Et achète un diffuseur d’huiles essentielles, ça masquera le goût.

       Homos et Ginkgos, même combat ! Protégeons les minorités sexuelles. Croyez-moi, c’est une lutte importante. Ne l’abandonnez jamais.

 

Photo (c) D.R.


En tant que mâle hétéro de base,

je serais lesbienne.

Jérémi Sauvage

 

Pour la dix-neuvième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, j'ouvre mes bras pour serrer contre moi un vieil ami : Jérémi Sauvage. Mon Jéjé est né en 1971 au Havre. Marié et père de trois enfants, il est docteur ès pédolinguistique (non, ce n'est pas cochon !), enseignant, écrivain, essayiste et directeur de la nouvelle collection "Enfance & Langages" aux éditions de L'Harmattan. Fan(éditeur) et auteur des littératures de l'imaginaire, passionné du groupe "The Mission" auquel il a consacré un ouvrage magistral, mon Jéjé est une crème d'homme qui est un fidèle de la première heure de tous mes méfaits littéraires. Il m'a fait l'amitié de participer à ce petit défi...

 

        Si j’étais homosexuel, je penserais d’abord, en tant que mâle hétéro de base, à être lesbienne. Mais pour dire vrai, si j’étais homo, je ne penserais pas comme aujourd’hui. Ou plutôt, tout en gardant ma vision de l’Autre à aimer et aimant, je pense que je serais un mâle à mâle ! Un mec qui aimerait des hommes profondément masculins, comme j’aime aujourd’hui les femmes (enfin, une femme) profondément féminine. Bien évidemment, s’il m’arrivait de me réincarner en femme et d’être homo, j’imagine assez bien me passer des butchs et éprouver des préférences affirmées pour des femmes féminines.

        Ensuite, si j’étais homosexuel, je pourrais me permettre de faire des blagues sur les pédés et les gouines sans me faire traiter d’homophobe. De manière générale, j’ai cette fâcheuse tendance à surenchérir une connerie pour mieux la combattre. Une société aussi politiquement correcte que la nôtre peine à accepter ce type de comportements. D’ailleurs, elle peine à accepter l’homosexualité en général. Avec le même état d’esprit, j’aimerais parfois être juif, arabe, noir. Mais pas handicapé. Ce serait trop cher payé.

        Du coup, si j’étais homosexuel, j’aurais peur de me sentir mal, d’être stigmatisé et montré du doigt, qu’on me rejette ou qu’on me moque, peur d’être tabassé et discriminé sur mon lieu de travail, peur de l’exclusion familiale, insulté de tapette, d’enculé ou de petit pédé. Alors je serais un militant d’Act-Up car je ressentirais de la colère envers ceux-qui-se-disent-bien-pensant. À tel point que je me méfierais même de mes potes hétéros gay-friendly pour qui c’est tellement facile de défendre ces idées de l’extérieur. J’irais donc frapper à la porte des cercles communautaires, je lirais Pref et Têtu, je m’installerais à Paris – dans le Marais – car en province ma vie serait insupportable, je suivrais les tournées de Mylène Farmer et m’entourerais uniquement de personnes tolérantes (des communistes, des étudiants en lettres et en philosophie, des gays, des baba-cools, des musicos...). Et surtout j’emmerderais le plus possible les associations de familles catholiques.

        Pour ce qui est de ce que les non-gays considèrent comme le plus infamant, c’est-à-dire les relations sexuelles – un pédé peut-il aimer ? –, j’imagine facilement prendre mon pied aussi bien qu’aujourd’hui avec la personne que j’aime, suçant et me faisant sucer, pénétrant et me faisant pénétrer.

        Finalement, si j’étais homosexuel, je serais le même homme. Un être de chair et sang, du sang circulant dans un corps grâce à un cœur, accessoirement nécessaire pour aimer l’Autre.

 

Jérémi Sauvage


 


 

Je serais un homme. Un vrai.

Blue Borderline



Pour la dix-huitième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gay hétéro-friendly, j'accueille Blue Borderline, une des amies Facebook de notre blog. Laissons-la se présenter comme une grande. Si Blue m'était contée... Je suis une jeune femme qui a vu le jour sous une lune bleue de juin. J'aime ciseler les mots, dessiner mon univers à l'aide de mes craies, caresser mon piano quand ce n'est pas le corps de ma compagne... Tour à tour écrivain, parolière, compositeur, interprète, j’aime créer sans limites autour et pour les femmes principalement… Mais pas seulement ! Foncièrement pluridisciplinaire, parce que l’Art est polymorphe, j’aime décliner cette féminité sous tous les angles, car sa beauté n’a de cesse de m’étonner et de m’émouvoir… Je fonctionne au coup de foudre et les collaborations artistiques sont avant tout, pour moi, de belles histoires d’amour. On ne peut donner que lorsqu’on aime. Si mon univers vous attire, alors n’hésitez pas et faites-moi découvrir le vôtre : quel que soit le domaine, il faut que cela me fasse vibrer !

 


        Si j’étais hétérosexuelle, je serais un homme. Un vrai.

        Un homme qui n’hésiterait pas à te mettre sa main dans ta gueule pour te faire comprendre que ta femme n’est pas un punching-ball ou un défouloir quand tu rentres complètement bourré le soir chez toi. J’utiliserais à mon tour mes poings XXL pour te marteler le visage, en espérant te faire rentrer dans le crâne que ta fille de quatorze ans n’est pas ta femme et que tu ne dois pas te glisser sous ses draps le soir. Je me permettrais de te remettre à ta place en public à chaque fois que tu manquerais de respect aux femmes qui passent et ne daignent pas te regarder. Entre nous, tu t’es déjà admiré une seule fois dans la glace ? Je te cracherais certainement au visage si je te retrouvais au Burkina avec une mitraillette entre les mains. Je te réciterais les Droits de l’Homme, ces mêmes droits que tu revendiques et que tu bafoues sans cesse, même si tu me mettais le canon d’un revolver sur la tempe… Et j’entonnerais le « Chant des Partisans » parce que d’homme, tu n’as que le nom… Si tu ne presses pas la détente, sache que je le ferais pour toi…

 

http://www.justbeblue.cabanova.fr

 

        Si j’étais un homme, un vrai, je me cacherais sans doute pour pleurer à chaudes larmes, comme une fille, comme une pédale. Parce que même en étant un homme, l’injustice et la bêtise humaine me mettraient les nerfs en pelote et l’impuissance me plongerait dans un mutisme brutal. Parce que même en étant un homme, je sais bien que je ne changerais pas le monde… Que mes frères continueront de se massacrer les uns les autres, emportant avec eux des innocents… Que j’aurais toujours peur des bombes et des corps qui jonchent le sol… Que j’aurais peur du noir et de la folie des hommes…

        Si j’étais un homme, je me mettrais au piano de ce bar où je t’ai aperçue. Je jouerais du Chopin pour te faire la cour. Je t’offrirais un verre de muscat en te disant que je suis paralysé par ta beauté. Et chaque soir, je t’écrirais une nouvelle mélodie, pour que tu reviennes près de mon piano. Je chanterais, peut-être, pour que tu restes un peu plus longtemps. Je t’inviterais dans un restaurant italien où les penne rigate sont les meilleures du monde. Puis un soir, je te demanderais de rester avec moi, parce que j’ai peur du noir et de ces bombes… Nous ferions l’amour pour la première fois et j’aurais la sensation de te posséder réellement. Comme un homme. Je n’en oublierais pas la douceur et le respect de ce corps pour lequel je vendrais mon âme au diable.

 

http://legynecee.spaces.live.cm

 

        Oui, si j’étais un homme, je pourrais te dire sans vulgarité que tu me fais bander… et que je veux recommencer… Si j’étais un homme, je te ferais l’amour sans jamais te faire la guerre… Je serais doux comme un agneau, imprévisible comme un chien fou… Je serais ton ombre, tu serais ma maîtresse. Je serais ton meilleur amant, ton meilleur coup. Tu raconterais à tes copines nos exploits nocturnes tout en rougissant en pensant à tous les détails que tu ne donnerais pas…

        Si j’étais un homme, je te demanderais de m’épouser, une jolie bague dissimulée dans un des croissants d’un dimanche matin ensoleillé. Et je te supplierais de me répéter ce « Oui » encore et encore pour qu’il s’imprime à jamais dans un coin de mon cerveau. Si j’étais un homme, ce serait avec mes doigts tremblants que j’enlèverais ta robe blanche, avec la crainte de déchirer la dentelle. Si j’étais un homme, je fantasmerais sur cette nuit de noces en t’imaginant encore vierge... Et je pleurerais en t’entendant jouir au creux mon oreille…

 

http://www.myspace.com/blueandherpiano

 

        Si j’étais un homme, je tomberais certainement fou amoureux de toi. Je poserais ma tête sur ton ventre rond et je te laisserais passer tes doigts dans mes cheveux courts, même si je m’électrise à ton contact. Nous aurions enfin cet enfant que nous désirons depuis longtemps. J’aimerais qu’il ait tes yeux et ton sourire. J’aimerais que ce soit un petit boy. Parce qu’il m’arrive de penser que la vie est plus facile lorsqu’on a une paire de couilles…

        Si j’étais un homme, je caresserais ton ventre arrondi et je te parlerais, à toi, notre enfant. Je te raconterais comment j’ai rencontré ta maman, comment je l’ai aimée au premier regard, combien j’ai dû ramer pour l’avoir rien qu’à moi, combien je suis heureux d’être enfin papa, qu’il me tarde de te tenir dans mes bras… Je t’élèverais dans le respect d’autrui et l’amour de l’autre. Et je ferais semblant d’être en colère quand ta maîtresse m’appellera pour me dire que tu t’es bagarré avec le p’tit blond du bac à sable pour une histoire de filles. Et une fois rentrés à la maison, je te gronderais un peu devant Maman, parce que je suis ton père. Puis je te serrerais dans mes bras et je sècherais tes larmes en te disant que je t’aime, mon fils. Et qu’il y aura toujours un p’tit blond pour venir te chercher des poux. Mais que la prochaine fois, tu auras le droit de lui mettre un crochet comme Rocky. Même si ta Maman froncera forcément les sourcils en entendant cela…

 

http://squarepastels.spaces.live.com

 

        Si j’étais un homme, je pense que je finirais par changer de sexe. À quoi bon être un homme, au fond, puisqu’un jour tu m’avoueras que ce qui te fait fantasmer toi, ce sont les femmes… Alors je changerais de sexe pour ne pas te perdre. Pour devenir celle que tu désires. Parce que je veux être celle qu’il te faut.

        Oui, si j’étais un homme, je finirais par changer de sexe, pour être simplement moi…

 

Blue Borderline

 

Photo (c) D. R.


AMOUR

Fabien Fernandez (alias Fablyrr)

 

Pour la dix-septième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, j'accueille pour la première un artiste : Fabien Fernandez, alias Fablyrr. Après des études artistiques, Fablyrr s’est armé de ses pinceaux, crayons, stylet et palette graphique pour œuvrer dans l’image. Brassant les techniques au gré des envies et des besoins, il cumule plusieurs illustrations pour des romans et des jeux de rôles chez divers éditeurs : Fantasy Flight Games, ActuSF, Nuits d’Avril, Icare, Ours Polar, Griffe d'encre, Le Calepin Jaune... Ayant toujours des envies d’expression créatives, il décide de temps à autre d’abandonner l’illustration au profit de la peinture en différents formats, techniques et supports qui donnent lieu à des expositions collectives et personnelles sur les thèmes fantastiques et noir. Rebondissant sur la cartouche policière, il a fait aussi un petit passage par l’affiche du festival polar 2008 de Saint-Symphorien. Mais l’imaginaire n’ayant pas de limite, Fabien se permet aussi quelques sauts artistiques dans des domaines aussi divers que le story-board pour un court métrage, le design graphique pour un jeu de plateau, quelques petites animations d’images sur internet, etc. Aujourd’hui, il a passé sa troisième décennie, il vient de terminer un projet d’importance pour lui dans le jeu de rôles (Project : Pelican – CDS éditions) et garde plusieurs projets en cours (livre pour enfant, nouvelle graphique, livre illustré, expositions à thème sanguin et aquatique,…). Ses goûts ont évolué au fil du temps, mais il apprécie tout particulièrement de travailler avec la peinture numérique, les crayons, la peinture à l’huile, la gouache et l’acrylique, le pastel sec, l’encre de chine et le lavis. L’œuvre réalisée pour ce blog a été fait en s’inspirant de ce qui peut le plus convenir à la réponse au sujet : Amour. Une des plus belles représentations artistiques existante étant selon lui « Amour et Psyché » de Canova, c’est tout naturellement qu’il s’en est inspiré pour la reformulée à l’aide de pinceaux et d’acryliques.

 

 

 

Fabien Fernandez (alias Fablyrr)

(Site : http://www.fablyrr.com)

 

 


 

La bite ne fait pas la nonne

Patrick Cardon



Pour la seizième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gay hétéro-friendly, j'ouvre grand les portes des Toiles Roses à une figure légendaire du milieu culturel et militant LGBT : l'incroyable, décalé, déjanté, fou furieux et talentueux Patrick Cardon !

Né en 1952 dans un estaminet de Tourcoing, Patrick Cardon décide à 20 ans de poursuivre ses études à Aix en Provence où il obtient un diplôme de sciences politiques et un doctorat de Lettres. Ce faisant, il ne cesse de participer aux associations de militance homosexuelle. Au fur et à mesure de ses réflexions, il s’établit efféministe, prône une culture et un point de vue « transgenre » (queer). C’est à Lille, au retour de cinq années d’enseignement au Maroc et en Algérie (1982-1987) qu’il fonde en 1989 au sein de l’association GaykitschCamp une maison d’édition (QuestionDeGenre/GKC) spécialisée dans la présentation scientifique de textes devenus introuvables de l’histoire culturelle des gays et lesbiennes où il publia les premières études LGBT dirigées par Rommel Mendès-Leite et le premier témoignage d’un gay tunisien (Eyet-Chékib Djaziri) ; puis un festival annuel de films (Festival international QuestionDeGenre, 15 éditions de 1991 à 2005), des semaines culturelles Lesbian&GayPride pendant lesquelles il se réincarne en comtesse de Flandre ; enfin, le premier centre de documentation sur les sexualités plurielles et les interculturalités ouvert au public (2000-2005). Il vit actuellement à Montpellier pour poursuivre son travail d’édition.

 

Si j’étais hétérosexuelLE, je serai une femme. Une fille à pd pour la solidarité mais une fâme (contraire de infâme je crois), une vraie. Une star. D’ailleurs, la condition n’existe que dans la question car je suis une femme. Mais pas au sens hétérosexuel du terme, je le répète une vraie femme. En gros, ma mère telle qu’elle aurait voulu être. Ma mère m’a donné une mission, celle de continuer à pleurer sa mère, décédée trop jeune. Alors je branche M6 et je me mets à pleurer abondamment à chaque bon sentiment distribué. Histoire d’irriguer mes rides toujours plus creuses. Mon père préférait l’expression « pleurer comme une madeleine ». Il me disait, en songeant à elle et en prenant vis à vis de moi une posture socratique : « La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a » et encore « Ne te maries jamais ». Alors, je ne me suis jamais mariée et je suis devenue la plus belle femme du monde. Transgenre sans l’être (dixit Hazéra à Quimper, je n’en ai pas les habits), séropo sans l’être (dixit Dustan à Valencia), lesbienne sans l’être (il me manquerait un corps de « femme »), lettrée sans lettres (pas d’initiales ni de poste à l’Université), lettrée, oui (j’ai des références, j’écris même bien, sauf pour les profs de français). ConfusE, décousuE, me disaient-ils et me disent encore.


Ma mère cousait sur une machine Singer. Je continue son travail. Pénélope était-elle hétérosexuelle ? J’en doute. Elle baisait avec tous ses prétendants réduits à des godemichés vivants puis elle finit par les faire tuer par le dernier, Ulysse. Ulysse, c’était la fin de sa sexualité, la fin de sa vie de « fille » et de la libre disposition de son corps, le mariage. Ma mère a regretté cette histoire toute sa vie et elle m’a donné la mission d’en débrouiller les fils (fis). J’aurais pu être le fils du facteur disait-elle dans une de ces dernières blagues. Ou les fils (fil) ? J’ai cru me défaire de cette mission en devenant une fille, mais je me suis retrouvéE avec les mêmes fils, les mêmes fils (fis). Un fil des fils ; une fille, des garçons, une garçonne, des fils. Je ne m’en s’en sortais plus. Ça m’a rendue folle. Quand un garçon me touche, je deviens folle de lui, de son corps et du mien. Appelez cela comme vous voudrez mais ce n’est ni hétéro ni homo ni même sexuel, c’est de la magie.



Si j’étais un homme, je serai ACTIF (c’est bizarre, ce terme n’existe pas chez les hommes hétérosexuels ; chez eux ça signifie en âge et aptitude à « travailler »). J’épuiserai la douce virilité du monde masculin selon les canons les plus répandus. Je me ferai un harem de jeunes efféminés folles ou pas folles et de jeunes garçons virils et timides ou arrogants. Je serai le chef de leur syndicat. Je me ferai sucer par des vieux et je donnerai du bonheur à touTEs. Je serai le gode vivant sur terre comme on représente le christ sur la croix ou comme on porte la vierge en procession. Le cul(ménisme) en action. La PASSIVITÉ en action. La PASSION. Tiens, c’est bizarre, mon goût porterait surtout sur les « garçons ». Il faut bien conclure. Si j’étais un homme, je serai homosexuel.

Être sa mère et l’amant de sa mère, donc peut-être son père, c’est l’histoire toute simple de la Sainte Famille et de la queer nation (je ne développerai pas le raccourci, je fais confiance à l’intelligence et à la culture de mes éventuels lecteurs – Je sais, j’ai tort).

Si j’étais moi, je m’ennuierais à en mourir. Ce qui est fait.


Patrick Cardon

 

 


 

Que je suis heureuse...

Maryssa Rachel

 

Pour la quinzième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, j'ai la joie d'accueillir Maryssa Rachel, une de nos amies Facebook et membre du groupe consacré à notre blog. Maryssa est artiste peintre et une de ses citations préférées est signée André Malraux : « Le fou copie l'artiste, et l'artiste ressemble au fou. » Son blog montre toute l'étendue de ses talents. Elle aime aussi dire que Dieu est une femme ! C'est avec simplicité et gentillesse qu'elle a accepté de jouer le jeu de ce redoutable exercice d'imagination. Nul doute que Maryssa aurait fait une bonne hétérosexuelle sans se trahir (sourire ironique). Je vous invite à découvrir son texte et à aller visiter sa galerie virtuelle qui ne m'a pas laissé de glace.

 

Me voilà entourée de 4 enfants, je suis heureuse et épanouie, un mari que j’aime et qui m’aime… J’ai 30 ans et en parait déjà 40…

Haaaa… ma vie de maman me fait oublier à quel point je n’arrive pas à défaire mes yeux de la mini-jupe de ma coquine de voisine…

J’attends patiemment le retour de mon gentil et tendre mari, qui ne devrait pas tarder à rentrer à la maison ; je lui ai d’ailleurs préparé un délicieux ragoût… et une bonne tarte aux pommes… tout ce qu’il aime…

J’entends les enfants jouer, rire et danser dans la maison… Que je suis heureuse… Il ne faudra surtout pas oublier de faire des crêpes dimanche…. Ma très chère et tendre belle-maman vient manger avec beau-papa… Et je sais à quel point beau-papa est friand de mes crêpes…

 

Je refais mon chignon avachi par les va-et-vient entre la cuisine et la chambre des enfants… la petite crise parce que son frère lui a fait mal…. comme d’habitude… Moi je ne crie pas… Moi je suis heureuse…


 

La voisine vient de passer sous ma fenêtre, un large sourire sur les lèvres… des lèvres magnifiquement pulpeuses et joliment glossées… Elle me fait un clin d’œil… Je rougis… Elle est belle… Je me sens moche et vieille, dans mon vieux pull sans forme, mon pantalon qui n’épouse plus mes formes depuis de nombreuses années… Je suis heureuse pourtant, mon mari va rentrer… Il m’aime tellement fort…

La semaine prochaine nous serons d’anniversaire... Nous avons loué une jolie petite salle des fêtes et fais appel à Marcel le DJ… Celui qui avait « mixé » (comme moi mes légumes….) au mariage de Tante Huguette… Il faut que je pense à acheter de nouveaux vêtements… Cela fait tellement longtemps que je n’ai pas dansé… J’ai hâte…

 

Ça sonne à la porte…

Je remets en place mon chignon…

Je donne un coup rapide sur mon vieux pull…

Ouvre la porte…

Et là, plantée sur deux jambes divinement bien dessinées... la voisine... Ma Voisine… Un visage d'ange, deux yeux brillants (deux comme moi)... Deux… Comme elle et moi…

Si j’étais hétérosexuelle, je crois que je serais amoureuse de ma voisine…

 


Maryssa Rachel

(Son blog : http://maryssa.artblog.fr/1/, Son MySpace : http://www.myspace.com/maryssa26)

Blog de maryssa :ARTISTE, PEINTURE A L'HUILE - FUSION  Blog de maryssa :ARTISTE, PEINTURE A L'HUILE - UN JOUR PEU-ETRE
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J'ai toujours su

Pierre-Yves

 

Pour la quatorzième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, j'ai le plaisir d'accueillir Pierre-Yves, un de nos cousins d'outre-atlantique. Son blog est une leçon de vie et de pudeur. Je l'ai repéré grâce à ses commentaires sur le blog de Patrick Antoine. Pierre-Yves a tout de suite accepté mon invitation et je vous laisse découvrir sa prose, en ne pouvant m'empêcher de vous conseiller d'aller lire son blog.

 

Il y a des questions qu’on ne se pose pas. Peu importe que l’on soit dans la norme ou dans la marge, on a tendance à tomber dans des ornières confortables. Qu’est-ce que l’orientation sexuelle ? Est-ce uniquement sexuel ? Dans ce cas-là, elle n’apparaîtrait qu’à la puberté, avec l’arrivée des hormones. S’il s’agit d’une identité innée, qu’en est-il de tous ceux qui ne cadrent pas dans les stéréotypes du milieu gai ou dans le modèle hétérosexuel ?

 

J’ai toujours su que j’étais hétérosexuel. Pourtant, en troisième année, j’étais le plus petit de la classe. Avec des yeux trop grands et des cils qui frisaient, j’ai appris très tôt le sens du mot « tapette ». C’était le gros Dompierre qui sifflait ce mot du fond de la classe, quand le professeur appelait mon nom, Philippe Fontaine, et qu’il annonçait que j’avais eu la meilleure note. Ça me dérangeait pas. Le gros Dompierre avait des oreilles décollées et il sentait mauvais. Je me rattrapais auprès des autres en gribouillant sans cesse, dans les marges de mes cahiers, des dessins qui les faisaient rire. Je caricaturais les professeurs les moins aimés. Mais je n’ai jamais dessiné Madame Rachel. J’étais fasciné par la prof de quatrième année. Avec sa peau soyeuse et ses longs cheveux sombres, Madame Rachel avait l’air d’une indienne. J’épiais souvent ses conversations quand elle discutait avec les adultes. Après l’avoir entendu parler de musique dans la salle des profs, j’ai décidé que j’aimais à la folie les Bee Gees. Elle portait de longues jupes pourpres. Lorsqu’elle s’adresssait à moi je baissais les yeux et j’avais envie de disparaître en plongeant dans le coton froissé de ses jupes. Un après-midi pluvieux de printemps, j’ai appris qu’elle quitterait l’école à la fin de l’année scolaire, je ne l’aurais donc pas comme professeur. Je descendais les marches devant l’école, les yeux baissés. J’ai entendu une voix geignarde : « Fifif la fontaine de fif. » Encore le gros Dompierre. Dans une bouffée de colère j’ai répliqué : « Fif toi-même ! » Sa mâchoire s’est décrochée et il a lancé un cri de guerre. « Hey, les gars, sa voix s’élevait dans les aigus, on va le tabasser ! » J’ai pris mes jambes à mon cou pendant qu’il sautait sur son BMX. Au moins six gars étaient derrière lui. Deux brandissaient des bâtons de hockey au-dessus de leur tête en hurlant. J’ai sauté dans le fossé derrière l’école sous les railleries de Dompierre qui n’a pas pu me rattraper. Et j’ai couru comme un fou jusque chez moi, par le boisé. Dans la course, j’ai perdu mon foulard et je me suis égratigné les bras dans les framboisiers.

À seize ans et demi, j’ai pris ma revanche. Elle s’appelait Maryse, une rousse à la crinière flamboyante. Dompierre répétait partout qu’elle était cochonne parce qu’elle avait de gros seins. C’était à la bibliothèque. Il était allé s’asseoir à sa table, avec deux de ses copains qui ricanaient. Elle s’était levée sans un mot et avait lentement traversé la salle de lecture, comme une comète. Je m’étais figé devant le rayon de la botanique. Elle s’est approchée de moi, m’a pris par le coude et m’a dit : « Viens, on s’en va. » Elle m’a entraîné vers la sortie avec un demi-sourire. J’ai juste eu le temps de voir le visage médusé de Dompierre. Nous avons passé les portes vitrées et elle a éclaté de rire. J’ai ri aussi. Les soirs suivants, on a fait ensemble un travail de philo sur Empédocle d’Agrigente, un vieux philosophe, mort il y a des siècles, après avoir écrit des tas de conneries. C’est moi qui ai fait les illustrations. Elle a imprimé la page titre. J’ai passé mon sac sur l’épaule et j’ai dit « Bon, ben… Bye ! » Son sourire est tombé d’un seul coup et elle a eu l’air fâché. J’ai vécu le même malaise que lorsque Madame Rachel riait. Elle s’est levé, a fait deux pas dans ma direction, m’a plaqué sur le mur et m’a embrassé. J’ai senti la panique qui montait, rapidement dissipé par une furieuse envie de glisser mes mains sous ses vêtements. On a eu B+ dans notre travail de philo. Moi je planais. J’avais perdu ma virginité.



Avec Maryse, ça n’avait pas duré. Elle était ambitieuse, moi j’étais le pire des paresseux. Je me suis trouvé un petit boulot de graphiste dans un journal local. Je passais mes soirées à dessiner des comic strips que je rêvais de voir éditer par un éditeur belge. Je suis passé de Maryse à Sylviane, puis de Sylviane à Marie-Andrée. Désormais, j’étais celui qui quittait. Dès que ça se corsait, je prenais mes jambes à mon cou. Elles disaient que j’avais peur de l’engagement. Je disais que je n’avais qu’une vie à vivre et que c’était maintenant ou jamais. J’ai rencontré Chantal chez des amis, un des premiers beaux jours de l’été. On avait décidé de laver les voitures. La radio à fond dans le garage, on se lançait de la mousse. Ça a cliqué entre nous et je n’ai rien vu venir. Ça a commencé tout doucement, par une histoire de t-shirt mouillé. C’était pas la passion, juste une connivence et une curiosité. Ensuite, tout s’est enchaîné très vite. Elle m’a un peu forcé la main, le soir où elle m’a annoncé qu’elle était enceinte et qu’elle voulait le garder. Je me suis mis à faire des heures supplémentaires. On a démonté la table à dessin et je l’ai rangé dans un placard. Mon bureau allait devenir la chambre du bébé.

C’est la nuit, Chantal dort. Moi, je fais de l’insomnie depuis que le bébé fait ses nuits. Je marche lentement en posant les pieds à des endroits bien précis du plancher pour limiter les craquements au maximum. Par la porte entrebâillée, je jette un œil dans la chambre de Mathias. C’est elle qui a choisi le prénom. J’ai tellement peur qu’il lui arrive quelque chose. Entre les barreaux de son lit, je l’aperçois qui dort à poings fermés. Il rayonne sans se douter de ce qui l’attend. Je me souviens d’Empédocle d’Agrigente. Le philosophe disait que le monde entrait dans une phase de progression de la haine. Par moment, le parfum obsédant de Maryse me revient. La présence du bébé a changé les choses entre moi et Chantal. On est tous les deux épuisés. Je la sens qui se replie sur elle-même. Parfois, j’ai peur de la perdre. La nuit retient son souffle. Un coup de vent, et toute ma vie pourrait s’écrouler. Serais-je à la hauteur ? Je dois faire un effort pour respirer sans bruit. Ma vue s’embrouille. Je revois les jupes de Madame Rachel qui tournent autour de ses hanches pendant qu’elle s’éloigne sans un bruit, dans le couloir de l’école.


Pierre-Yves


Photo (c) Fred Mounier


Je n'aime pas une femme, je l'aime, Elle.

Charlotte Bousquet

 

Pour la treizième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, j'ouvre les portes de notre blog à une jeune femme aussi séduisante que brillante : Charlotte Bousquet. Philosophe de formation, passionnée par l’histoire et la mythologie, par les contes et le fantastique, Charlotte Bousquet est une auteure aux multiples facettes. Elle a publié des textes dans différents fanzines et anthologies, des articles universitaires, a participé à la création du jeu de rôles COPS dont elle a écrit le roman et n’aime rien tant que se jouer des étiquettes. Ses écrits,  jeunesse, thriller, fantasy, fantastique, le montrent bien. Convaincue que le rôle d’un auteur est aussi de s’engager, elle a créé, au sein de CDS éditions – fondée avec son époux l'illustrateur et graphiste Fabien Fernandez aka Fablyrr – la collection pueblos qui a pour but d’aider des organismes humanitaires et écologiques à travers des anthologies thématiques. Son prochain ouvrage, Prysmes, recueil illustré de onze nouvelles chromatiques sur les thèmes de l’amour, de la mort et de la folie paraîtra début décembre aux éditions Le calepin jaune. Et Fablyrr, le mari de Charlotte, devrait bientôt se coller à cet exercice. Grosses bises et merci, Charlotte.

 

Matin d’hiver.

Je me blottis sous la couette, tout contre elle.

Je hume le parfum fleuri de ses cheveux d’encre. Je caresse sa peau douce, blanche dans cette chambre sombre. Je reste là, contre son corps, attendant en rêvant son éveil.

Matin de printemps.

Réveillée tôt par le chat affamé, je m’habille, je sors acheter des roses – rouges – et des croissants. À mon retour, une odeur de café. Elle a senti que je quittais le lit. Un baiser à l’abri des giboulées.

Matin d’été.

Sept heures. Les réflexes ont la vie dure, même en vacances. Même loin de Paris. Au moment où je me lève, je sais que notre minou ronronne à son oreille. Moi, je vais m’occuper des chevaux avant que le soleil du Maroc ne soit trop fort. Et je pense à elle.

Matin d’automne.

Pluie continue, ciel bas, le crépuscule avant l’heure. Mais le temps m’indiffère, puisqu’elle est là, son visage félin reposant, lisse et émouvant, sur l’oreiller. Je l’embrasse tendrement et vais préparer le petit déjeuner. Le chat se frotte contre mes jambes.


 

SMS de L. Je me souviens soudain de la conversation que nous avons eue, il y a quelques années, au début de notre amitié. L. s’interrogeait. Voulait savoir, comprendre pourquoi j’aime une femme, non un homme. Si j’ai toujours été lesbienne. Comment. Pourquoi.

La réponse était simple. Peut-être un peu facile, parce que volée à Montaigne. Mais je suis sûre qu’il ne l’aurait pas mal pris. « Parce que c’est elle, parce que c’est moi. » C’est ainsi, et je sais que cela peut choquer. Ce n’est pas ma sexualité qui a déterminé ce choix – si choix il y a eu… à moi, cela a toujours semblé plutôt une évidence. C’est notre rencontre.

Je n’aime pas une femme, je l’aime, Elle. Et pour moi, c’est tout ce qui importe.

Avant ? Avant, il y a eu des amants, des amantes. Des passions éphémères, une pénible relation. Une dose d’ascétisme. Et quelques folies sans conséquences.

 

Je ne peux imaginer la vie sans elle, ma muse, mon âme-sœur et je sais, je sens que la réciproque est vraie.

 

Voilà ce qui aurait pu se passer, si je l’avais rencontrée, Elle, et non Lui.

 

Si j’étais homosexuelle, ma vie aurait sans doute un peu changé. Parce que les rencontres nous changent. Parce que chaque histoire est unique. Pas en raison de mes préférences sexuelles. Ce qui importe avant tout, c’est la relation à l’autre, le partage, l’accueil de l’altérité. Peu importe qu’il soit homme ou femme, puisque c’est lui, ou elle, dans son entière singularité que l’on aime, dont on est aimé.

 

Charlotte Bousquet

(Site : www.charlottebousquet.com, Blog : www.charlottebousquet.over-blog.com)





À quoi pensait la fée ?

Boby

 

Pour la douzième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, je suis fier de vous présenter Boby. Boby a 63 ans, père de trois jeunes adultes et veuf depuis peu. Boby est aussi homosexuel. Son blog, intime, pudique, bouleversant, est un rayon de soleil pour beaucoup de gays dont la vie ne fut pas si facile. Vivre caché, mais avec l'amour de ses proches (officiels ou officieux), Boby nous donne une grande leçon. Une leçon d'amour. Quand je l'ai contacté (en tant que lecteur), il m'a avoué ne pas être un grand amateur de chaînes de billets dans la blogosphère. Après lecture des épisodes précédents, il a écrit le texte qui suit très rapidement. Et franchement, ce texte est important. Émouvant, fort, terrible mais surtout important. Et quelle plume derrière ces mots ! La plume d'un aigle royal au cœur de canari...

[Ajout : Je viens d'avoir Boby au téléphone pour le remercier et je peux vous dire qu'il attend vos réactions tant dans les commentaires de ce blog que sur le sien. N'hésitez pas à communiquer avec lui, il le mérite ! (Note de Daniel C. Hall)]




Il était une fois une fée Carabosse qui voulut faire une mauvaise blague à un tranquille couple de commerçants bordelais. Ces braves gens avaient eu l’heur de lui déplaire, en affirmant, haut et fort, qu’ils ne croyaient en rien, hors les hommes, et surtout pas aux hasards de la destinée. Encore moins aux fées ! Ainsi, avaient-ils su, eux, se construire une vie paisible, et n’avoir que deux enfants, le choix du Roi : un garçon et une fille. Et ils s’en portaient fort bien, depuis près de huit ans, en ayant traversé la guerre sans trop de dégâts.

« Abracadabra », dit la fée à sa baguette magique. « De nouveau le choix du Roi vous aurez, deux en un. Et dans une relative misère vous l’élèverez… ».

Une petite ville de la banlieue bordelaise, qui bientôt ne sera plus qu’un quartier de la grande métropole. L’air est encore vif. Les oiseaux chantent pour accueillir le premier printemps de l’après guerre. Dans l’un des nombreux hôpitaux, la femme condamnée par la médecine accouche. Le mari a supplié de sauver la mère de ses deux enfants, quitte à sacrifier cet indésirable inattendu. Mais le petit taureau vient au monde en s’accrochant à la vie. Personne ne s’occupe de lui, on ne lui a même pas choisi de prénom. Il est là, et bien là : cinquante deux centimètres et cinq kilos deux cent cinquante.

Un beau bébé. À quoi pensait donc la fée ?

La toute récente pénicilline sauvera la mère. Lui, ne se pose pas encore de question. Il vit, mange, et dort. Le grand frère et la grande sœur ne s’occupent pas de lui : ils ont été envoyés dans la famille, au bord de l’océan, dans les immenses forêts des Landes. L’après-guerre est dure, cruelle. Les parents font faillite et perdent leur petit commerce. L’enfance sera faite d’errance, de ville en ville, le père allant de petit boulot en emploi précaire. Le grand frère a choisi de s’engager dans la marine, la sœur est en pension. Il sera le petit dernier, l’enfant gâté de la famille, élevé en fils unique.

Six ans. Un petit village de Gironde. Il est encore et toujours grand pour son âge. Précoce, à ce que l’on dit. Il savait déjà lire quand il a débuté sa scolarité. Au retour de l’école, quand le grand fils d’amis, qui l’a ramené sur le porte-bagages de son vélo  le dépose en haut de la côte, il fait le reste du chemin en tenant tendrement son amoureuse par la main. Tous les prétextes sont bons pour s’arrêter et la prendre dans ses bras, pour l’embrasser sur la bouche, comme il l’a vu faire par les grands… Qu’importe qu’on les voie : tout le monde les regarde avec un sourire ému. Ils sont tellement trognons !

À quoi pensait la fée ?

Huit ans. Une petite ville industrielle de l’agenais. Déjà grand et fort. Il accompagne ses parents dans leurs réunions militantes, mais c’est pour retrouver la fille de camarades du parti, pour pouvoir s’isoler avec elle dans les recoins les plus invraisemblables, et se plier aux caprices de la donzelle qui l’invite à mettre sa main dans sa petite culotte de dentelle ou qui exige de jouer avec son « truc » qui, va savoir pourquoi, dans ces cas là devient tout gros et tout dur… Sinon, quand elle retourne dans sa pension, il aime bien aller à la pèche avec les copains…

À quoi pensait la fée ?

Dix ans. Il est vraiment très grand. Un peu trop gros aussi. Des vacances sur la côte landaise. Des jeux polissons avec sa cousine préférée qui, pour lui faire plaisir, accepte de jouer au papa  et à la maman. Nus dans une grange. Le tonton qui débarque et qui n’apprécie pas la plaisanterie. Mais bon, faut bien que jeunesse se passe… On ne va tout de même pas faire un drame pour si peu. « Faudra faire attention, il est vraiment éveillé pour son âge ». Pour se faire un peu oublier, il va jouer avec des copains sur la plage…

À quoi pensait la fée ?

Onze à quatorze ans. On lui donne facilement trois ou quatre ans de plus. Dès onze ans il est pubère. Ça le travaille un peu. Assez. Beaucoup. Le Béarn… Ouh, la la… Il les collectionne. Toutes les gamines du village lui tournent autour, et il papillonne de l’une à l’autre. Il y en a même une qui a fort mauvaise réputation. Quand même ! La mère lui conseille d’être prudent : « Tu te rends compte, si tu la mettais enceinte ! ».  Il aime bien la nature aussi. Il va souvent garder les vaches dans la forêt avec un petit copain de l’assistance…

À quoi pensait la fée ?

Quinze à vingt ans. Physiquement, c’est un homme accompli. Grand, 1m84, massif, puissant, plutôt enrobé, dans les 90 kilos. Une pension dans les Pyrénées. Non mixte. Heureusement, il y a les vacances dans les Landes, et le grand cousin, de cinq ans son aîné, (le grand frère de la cousine préférée, vous suivez ?…) qui l’entraîne dans ses dragues estivales, le chargeant de s’occuper de la copine ou de la jeune sœur de la demoiselle qu’il convoite… Rien de mieux qu’un Don Juan pour parfaire son éducation…

À quoi pensait la fée ?

Vingt ans, Paris. La sagesse ? Des aventures féminines plus rares. Plus longues. L’envie de se poser ? Le besoin de normalité ? De rentrer dans le rang ? La maturité ? Un grand gaillard, massif, puissant, velu, poilu, barbu, viril en diable. Socialement, politiquement, engagé et battant.

À quoi pensait la fée ? Elle s’était donc trompée de formule magique ?

Vingt-cinq ans. La découverte de l’amour. Le vrai. Le grand. Une belle jeune femme de deux ans son aînée. Mais qui semblait bien plus jeune que lui. Socialement, politiquement engagée. La vie en couple. Le mariage envisagé. Le mariage. Les enfants… Le bonheur.

 

Ainsi, si j’étais hétérosexuel, pourrais-je raconter à mes enfants mes initiations et terminer cette belle histoire par « Ils furent heureux et eurent trois beaux enfants… »

Seulement voilà. Je ne le suis pas. En fait, je ne l’ai jamais été. La fée ne s’était pas trompée.



Si j’étais hétérosexuel, le souvenir le plus marquant de mes six ans serait effectivement les chastes baisers à ma petite voisine. Alors qu’aujourd’hui encore les oreilles me chauffent à la pensée de mes petits bras enserrant le corps de ce grand garçon pour ne pas perdre l’équilibre sur son vélo. Ma tête collée sur son dos. Je sens encore son odeur. Je ne comprenais pas mon trouble. Mais il était mien, et je percevais son importance.

Plus tard, je n’aurais pas ressenti un insidieux malaise avec cette copine trop entreprenante qui faisait mon éducation, et je n’aurais pas eu autant de plaisir en allant à la pêche avec des copains qui ne se contentaient pas de surveiller leurs bouchons… J’aimais bien trop, déjà, leur faire plaisir. Je provoquais. Je suscitais. Je manipulais. Déjà.

Les jeux avec ma petite cousine auraient occupé toutes mes pensées, alors qu’en fait, ils ne me permettaient que de passer plaisamment les séjours obligés en famille, et je préférais, et de loin, les moments que nous parvenions à voler, avec les petits copains, cachés derrière les dunes. J’étais précoce disait-on ? J’en profitais.

Si j’étais hétérosexuel, mes multiples séances de touche-pipi avec les voisines et autres copines ne seraient pas supplantées dans mes souvenirs par ce petit berger qui fit mon initiation complète et pour lequel je brûlais d’une passion inconditionnelle, allant jusqu’à supporter sans broncher des raclées mémorables du paternel qui n’aimait pas du tout, mais alors pas du tout cette fréquentation… Si à cette époque-là je multipliais les petites copines, ce fut plutôt parce que j’étais comme l’on dit, porté sur la chose, du genre « Je ne pense qu’à ça »… Et comme un vrai de vrai hétéro quelque peu obsédé ne refuse pas une petite branlette entre copains, moi, j’acceptais très naturellement l’intérêt que l’on me portait. Quel que soit le sexe.

Si j’étais hétérosexuel, des cinq années scolaires en internat je ne me souviendrais que de mes vacances, alors qu’en fait je brûlais d’une passion dévorante pour mon jeune amant de deux ans mon cadet. Que je ne respirais que par et pour lui. Que l’été était trop long tant mon impatience de le retrouver était grande, et que je finis dans la dernière année par une tentative de suicide…

Si j’étais hétérosexuel, ma vie parisienne aurait été émaillée d’aventures féminines. Probablement me serais-je marié avant vingt-cinq ans, et je n’aurais pas vécu plusieurs mois avec un compagnon avant de connaître ma femme…

Si j’étais hétérosexuel, je ne connaîtrais pas tous les lieux de drague underground parisiens, l’emplacement de toutes les vespasiennes et autres pissotières de la capitale, au mètre près, (oui, il y en avait beaucoup à l’époque) je n’aurais pas été un habitué de quelques-unes des rares boîtes homos qui existaient à l’époque.

La fée avait réussie sa blague : un cœur de midinette dans une carcasse de rugbyman. (Deuxième ligne, siou plaît !)

Oui, oui, sans doute…

Oui, pédé, mais honnête. Maladivement honnête. Quand la question du mariage est venue sur le tapis, je ne pouvais que dire la vérité à ma future femme. Je n’aurais pas supporté de vivre dans l’hypocrisie. Alors, si j’étais hétérosexuel, ma femme n’aurait pas eu de raison de me dire cette phrase qui a bouleversé ma vie :

« Je t’aime pour ce que tu es, et non pour ce que je voudrais que tu sois. »

Si j’étais hétérosexuel, je n’aurais pas eu de problème de conscience, et aucune raison valable n’aurait pu me conduire pour un peu plus de neuf mois en prison. J’ai voulu assumer jusqu’au bout, y compris les fautes commises (fautes, pas crimes). J’en ai payé le prix. Cher. Ma famille en a payé le prix. Très cher.

Si j’étais hétérosexuel, mes enfants auraient pu avoir la vie paisible d’enfants de petits cadres et enseignants moyens. Ils n’auraient pas eu à porter sur leurs frêles épaules la lourde charge d’une famille hors norme. Peut-être en seraient-ils plus heureux aujourd’hui.

Si j’étais hétérosexuel, comme mon frère après son brutal veuvage, très vite après la disparition de ma femme, me serais-je empressé de retrouver une compagne pour me tenir chaud dans le lit, me préparer de bons petits plats et repasser mes chemises.

Seulement voilà. La fée…


Quoi que.


Si j’étais homosexuel, je n’aurais pas supporté de vivre quarante ans d’une intimité de tous les instants avec une femme. Ma femme. Je n’aurais pu me forcer à faire semblant. Je n’aurais pu vivre des moments charnels aussi intenses.

Si j’étais homosexuel, j’aurais voulu me sentir bien dans ma peau, épanoui, en accord plein et entier avec mes pulsions. Mes enfants n’auraient pas été dans mes priorités absolues. Je les avais. Ils étaient. Cela eut dû suffire à satisfaire mon égo.

Si j’étais homosexuel, j’aurais sans doute rué dans les brancards. J’aurais fait mon « coming out » public et je serais parti vivre ma vie. Avec un homme. Mehdi, Vincent, Eric, Fabrice, ou un autre. J’aurais pris un grand appartement, pour pouvoir recevoir mes enfants pendant mes périodes de garde accordées par un juge.

Si j’étais homosexuel, au final, peut-être ma femme eut-elle été plus heureuse. Après avoir fait le deuil de notre amour, elle aurait pu reconstruire une nouvelle vie. Avec un mec. Un vrai.

Si j’étais homosexuel, il n’est pas sûr du tout que mes enfants aient souffert de notre séparation, qui, c’est évident, aurait été sans animosité aucune. Ils auraient connu une présence masculine. Une vraie. Et alors, mes enfants, mes chéris, n’auraient pas eu à me lancer dans les dents il y a un an : « La famille mythique ! Mais les mythes, j’en ai marre ! Toute mon enfance j’ai vécu avec cet idéal inaccessible ! C’est un père que je veux maintenant ! Simplement un père ! »

 

Hé, oui ! La fée. Tu n’as pas tout à fait réussi ! Car je dois l’avouer, le concéder. Je suis indubitablement, irrémédiablement, totalement, et sans aucune exclusive, je suis… Un homme !


Boby


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Si j'étais droitière...

Isabelle B. Price

 

Pour la onzième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, je ne vous présenterai pas mon invitée, tant en quelques mois elle a marqué de sa présence notre blog : Isabelle B. Price. Isa est la fondatrice d'un des rares sites lesbiens intelligents, documentés, curieux, innovants... Pour tout vous dire, Univers-L.com me titille l'intellect et me conforte dans l'idée que nous ne connaissons pas (nous, pédés) nos sœurs lesbiennes, et surtout que notre cause commune est intimement liée à la cause de la femme en général. Isa, c'est une infirmière brillante, une cuisinière hors pair et une esthète question chaussures (pour celles et ceux qui ne comprendraient pas, lisez sa chronique sur ce blog). En tout cas, j'ai un intense plaisir à la lire, à lui écrire et à lui avouer qu'elle a déjà gagné mon amitié et mon affection (et bientôt mes petits plats). Isa, continue à nous régaler (bon, pas avec des pizzas surgelées au four) !




Si j’étais hétérosexuelle… je crois que je serais la même.

Je sais, c’est une honte. Je m’étonne moi aussi que ce soit la première chose qui me soit venue à l’esprit. Mais je pense que quelque part c’est un peu vrai. Enfin peut-être pas tant que ça. Parce que si j’étais hétéro, je serais quand même différente.

Dernièrement une connaissance m’a fait découvrir une interview de Alexandra David-Neel où cette dernière expliquait une chose magnifique qui m’a marqué plus que je ne m’y attendais. « Faut jamais dire si j’avais été là, à cette époque-là, et dans cet âge-là, j’aurais fait ça. Mais non mon bel ami, ce que vous auriez été de cette façon-là, dans tel entourage, à tel âge, etc. etc., vous auriez été celui-là ! Vous n’auriez pas été celui que vous êtes maintenant et vous n’auriez pas pensé la même chose. Vous auriez fait exactement ce que l’autre a fait parce que vous auriez été lui à ce moment-là. »

En conséquence, comment répondre à cette question ? Pourquoi même se la poser ?

Pour jouer ? Alors jouons.

Si j’avais été hétérosexuelle, oui, ce temps-là me convient mieux, désolée, je suis ennuyeuse, je sais. Si j’avais été hétérosexuelle, mes trois meilleurs amis n’auraient certainement pas été des garçons. J’aurais certainement pris part, dès la primaire à ces luttes de sexe que l’on reprenait après les avoir vu, à la télé ou dans nos familles. J’aurais alors certainement cherché à savoir faire l’équilibre contre le mur du préfabriqué plutôt que tirer au centre de la cible avec le ballon de foot. J’aurais certainement aimé me pavaner pour attirer le regard des garçons au lieu de jouer aux billes et de me salir comme aucune fille n’en a jamais été capable.

J’aurais été invitée chez Emilie pour jouer à la poupée plutôt que de parcourir les rues de la ville sur mon BMX jaune fluo avec mes deux meilleurs copains. J’aurais aussi moins pleuré quand cette imbécile de truc-machin-bidule-chouette a dit qu’elle ne parlait plus aux filles parce qu’elles n’en valaient pas la peine au lieu de mettre en place un putsch visant à la destituer de son pouvoir. Putsch qui soit dit en passant s’est très rapidement retourné contre moi. Qu’est-ce que les gamines peuvent être bêtes quand elles le veulent !

Je serais sortie avec Thomas au collège quand il me l’a demandé au lieu de préférer rester la copine de Céline. Et ça, ça aurait certainement tout changé.

Peut-être que j’aurais porté des robes, que j’aurais eu les cheveux longs, que je me serais plus aimée à l’adolescence, si tant est qu’un adolescent puisse s’aimer. Peut-être que j’aurais fait d’autres études, peut-être que j’aurais choisi un autre métier, peut-être que j’aurais eu une vie totalement différente.

Peut-être mais je ne le crois pas. Je crois que j’aurais été la même mais qu’au lieu d’avoir le cœur qui bat à la vue d’Angelina Jolie, j’aurais vanté toutes les qualités de Brad Pitt. Peut-être qu’au lieu de fantasmer sur Scully, j’aurais fantasmé sur Mulder. Et qu’est-ce que ça aurait changé ?

Je suis certaine que j’aurais adoré jouer aux Lego* de la même manière, tout comme j’aurais été fan des Schtroumpfs avec lesquels j’ai vécu autant d’aventures passionnantes, Gargamel relégué sous mon lit, à mille lieux de ma belle cité. J’aurais autant rêvé sur le chemin de l’école. J’aurais inventé autant d’histoires durant ma jeunesse. J’aurais eu un monde imaginaire aussi riche et vivant que celui qui m’habite encore aujourd’hui.

Je suis certaine que j’aurais quand même détesté mettre des robes. Que j’aurais passé mon adolescence à mettre des jeans dix fois trop grands pour moi et des t-shirts XXL parce que je n’aurais pas supporté les changements de mon corps. Je suis persuadée que j’aurais été influencée de la même manière par mes parents et leur engagement associatif au point de me tourner vers le même métier et le même engagement actuel.

Je suis certaine que j’aurais eu cette même réserve, ce même recul vis-à-vis des autres. Je suis persuadée que j’aurais eu autant de mal à faire confiance et que j’aurais plus vécu dans ma tête que dans la réalité.


Qu’est-ce que ça aurait changé alors ? Mes flirts n’auraient pas été les mêmes, mes premières fois non plus. Je n’aurais certainement jamais cherché à connaître la sous culture homo - pour quoi faire ? Je n’aurais pas créé de site internet et je n’aurais pas les mêmes amis. Ma relation avec les autres serait différente, ni pire ni meilleure, simplement différente.

Et pourtant c’est marrant, je ne peux m’empêcher de penser que si j’avais été hétéro, un jour je me serais demandée si je n’étais pas bi. C’est con la vie des fois.

Afin de vous expliquer le pourquoi du comment cet article est aussi nul, il faut que vous compreniez mon éducation et ma vision du monde. Je considère le fait d’être gay aussi important ou insignifiant que le fait d’avoir les pieds plats et d’être gauchère.

C’est comme si vous m’aviez posé la question : « Et si j’étais droitière… »

… Ben si j’étais droitière, je saurais découper une feuille de papier droit parce que ce serait facile avec les ciseaux. Je n’aurais pas de problème pour écrire avec un stylo plume ou sur un tableau quelconque. Je ne gênerais personne à table à cause de mon bras gauche….

Et si je n’avais pas les pieds plats ? Non mais, vous allez arrêter avec vos questions débiles !!!


Isabelle B. Price


Photo (c) Fabienne Rose


La baguette magique

Jean-Pierre Andrevon

 

Pour la dixième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, je déroule le tapis rouge à un de mes maîtres en littérature, à un de nos très grands écrivains français (40 ans de carrière et plus de 170 romans, recueils, adaptations au cinéma et à la télévision et autres facéties artistiques), le sphynx grenoblois : Jean-Pierre Andrevon. Mon Von (c'est le petit surnom amical que je lui donne) est une référence pour moi et, cadeau magnifique, un ami de longue date que je vénére. En grand amoureux des femmes, il n'a pas pu se résoudre à aborder ce défi comme les autres... C'est pour cela qu'il nous fait ce cadeau qui me touche beaucoup : une fiction inédite. Et quelle fiction ! Je ne saurais trop conseiller à celles et ceux qui n'auraient jamais lu un seul ouvrage d'Andrevon de le faire avant de mourir idiot(e). Mon Von, merci pour ta gentillesse, je t'envoie plein de baisers gluants.


Je me suis réveillée avec une sensation bizarre. Il faisait encore nuit ou, plutôt, l’aube n’était qu’une pâte grise à travers la fente des volets mal fermés. Mais en hiver c’est trompeur, il était peut-être bien sept heures, quelque chose comme ça. J’ai un peu remué, mon coude a heurté les côtes de Fred, qui ronflait à côté de moi, tourné sur un côté, le mauvais. Enfin il ne ronflait pas vraiment, mais il avait son habituelle respiration lourde de mec trop bien nourri et qui commence à faire du lard. Il ne s’est pas réveillé, il aurait fallu la bombe atomique. En moi, la sensation bizarre s’est accentuée. J’ai pensé qu’en fait, c’est cette sensation qui m’avait réveillée. Comme un mal de dents soudain, ou un pet de travers, coincé entre le rectum et l’anus. Je me suis redressée sur les coudes. Ça venait… oui, ça venait du bas de mon buste. Une lourdeur, comme… sur le moment, je n’ai pas su préciser, même si, un court moment, j’ai pensé à mes Anglais, débarquant avec deux jours d’avance. Mais ce n’était pas ça. C’est en voulant croiser les jambes que j’ai véritablement compris que quelque chose d’anormal se passait en moi. Entre mes jambes, il y avait quelque chose. La lourdeur venait de là. Une pelote de laine, oubliée dans le lit et qui était venue se nicher sous ma chatte ? J’ai avancé la main droite, j’ai tâté. Et j’ai touché la… chose. Ce n’était pas une pelote de laine, pas du tout. C’était tiède, mou, ça m’a glissé entre les doigts. D’un seul coup, j’ai paniqué et j’ai retiré la main, comme si je l’avais mise dans une merde de chien. Seulement ce n’était pas une merde de chien (nous n’avons pas de chien, pas d’enfant non plus). C’était de la chair. Une protubérance de chair qui serait venue me pousser entre les cuisses. J’ai paniqué. J’ai pensé à ce qu’on pense dans ces cas-là : une tumeur, un cancer fulgurant, né pendant la nuit. Pendant un moment, j’ai entendu ma propre respiration me siffler aux tympans, aussi lourde et rauque que celle de Fred. Mon cœur cognait sous mon sein gauche. Je me suis efforcée de me calmer, de dire couche panier à l’adrénaline qui ruait dans mes artères. J’y suis parvenue. Une tumeur pubienne à croissance instantanée ? Allons. J’ai à nouveau descendu la main, cette fois avec un prudence reptilienne, je l’ai infiltrée sous l’élastique de mon pantalon de pyjama. Et j’ai pris tout mon temps. En ne croyant pas mes sensations tactiles. Et en y croyant pourtant, bien obligé.

 

Sous mon gazon, que je ne me donne pas la peine de tailler d’équerre malgré les réflexions de Fred qui voudrait que je la joue poupée Barbie, il avait un petit tube de chair malléable, à l’extrémité vaguement renflée, que j’ai pincé entre pouce et index, y imprimant un léger mouvement de va-et-vient, acte réflexe, habitude acquise depuis mes treize ans. Sous le tube, s’amarraient deux boules un peu plus grosses qu’une noix (non, pas des mandarines, même si c’est la première comparaison qui m’est venue à l’esprit), assez dures, et qui roulaient à l’intérieur d’un sac fripé de peau hérissée de poils. Je ne suis pas de celles qui refusent, qui rejettent l’évidence quand bien même elle vous saute au nez. Ce que je touchais, c’était une queue et des couilles. Sur moi ? À moi ? La main dans le sac, si je peux dire, la sensation était si familière, si banale, que je me suis laissé aller à penser que j’étais mal réveillée, et qu’il s’agissait du service trois pièces de Fred, empoigné dans un demi-sommeil comme on s’accroche à une bouée. Ça arrive, ça m’arrive, et ça peut même se poursuivre par un petit câlin arraché à sa paresse matutinale. Mais non. C’est entre mes cuisses à moi que je palpais ces incongruités. Impossible. Impossible, et pourtant j’en avais les preuves en main. Sans me lâcher, j’ai allumé de la main gauche ma lampe de chevet perso. Le fin cône de lumière blanche s’est piqué sur mon buste, à hauteur de livre. J’ai repoussé drap et couvertures, j’ai descendu mon corsaire nocturne de cotonnade saumon en travers de mes cuisses, tout en jetant un coup d’œil coulis vers mon mec qui continuait à dormir du sommeil du juste. C’était là. Je ne pouvais plus avoir de doute, c’était là. Une queue, une paire de couilles. À la place de ma pêche de vigne, ma discrète coquille fendue. Une queue et une paire de couilles, poussées pendant la nuit, ou alors apparues d’un coup, comme sous l’effet d’une baguette magique, un bon tour que m’aurait joué une sorcière farceuse. Merde alors.

 


Le pire est que, à force de me tripoter, ça me faisait bander. La queue (que j’avais toujours un peu de mal à appeler “ma” queue) se redressait, triomphante, gland au deux tiers décalotté, d’un joli rose ayant tendance à virer au Bordeaux. Je l’ai lâchée, comme si elle m’avait brûlée. L’appendice n’est pas retombé pour autant, il a simplement oscillé sur sa base, peut-être indécis sur ce qu’il allait bien pouvoir faire, où il allait pouvoir se nicher. Je crois avoir souri, enfin. Cette queue était bien banale, tout à fait normale, ni trop grosse (il y en a), ni trop petite (il y en a), ni tordue ni trapue (il y en a), pas non plus veinulée à l’excès – ce qui en général me répugne (ou parfois m’excite, c’est selon). Je l’ai fixée un bon moment. Cette queue était une queue – je crois en avoir une certaine expérience –, point à la ligne. Une queue qui bandait. Par l’entremise de mes doigts. En somme, je m’étais masturbée sans le vouloir, obtenant un résultat inévitable. L’impression n’était pas désagréable, bien au contraire. Cette queue dressée manifestait son autonomie, mais elle était en même temps pleinement moi, avec cette lourdeur pesante, ce sang que je sentais ruer dans les corps poreux, cet indicible chatouillis partant de sa base et s’élançant le long de la face antérieure du tronc, pour s’épanouir à l’intérieur du gland où baillait l’infime méat, ce volcan pour lilliputiens. Alors voilà ce que ressentait un mec qui bande ? Rien à voir, évidemment, avec le feu doux qui s’évase dans la totalité de notre appareil, autrement plus complexe, quand un doigt (ils sont rares, ceux qui savent) trouve le petit bouton caché sous son capuchon et le manipule comme il faut. Rien à voir mais enfin, pas désagréable. Oui, bon, je n’allais quand même pas poursuivre l’expérience jusqu’à l’acmé et, de quelques pressions supplémentaires, il en faut parfois bien peu, faire jaillir la lave dans les draps. Surtout qu’une autre pression se faisait jour : j’avais envie de pisser.

 

Je me suis levée sans bruit et, dans l’appartement qu’envahissait la transparence montante du petit matin, je me suis dirigée vers la salle de bain. Debout, la pesanteur nouvelle de ces organes superfétatoires s’est faite encore plus prégnante. Un pas après l’autre, il me semblait que j’allais basculer en avant, tirée vers le sol par ces protubérances qui ballottaient. Mais c’est une question d’habitude, de nouveau centre de gravité à apprivoiser. Atteinte la salle d’eau, ça allait déjà mieux. J’ai éclairé a giorno et, dans le grand miroir que mon homme, je sais bien pourquoi, a récemment fait installer au-dessus de la baignoire, j’ai pu enfin me contempler tout à loisir. Entre les pans relevés de ma nuisette et mon bas étiré entre le haut de mes cuisses, tout était bien là. Le reste aussi. Mon mignon visage ovale, mes yeux pervenche, ma bouche style Angelina Jolie, mes bouclettes auburn, ma sveltesse intacte, mes deux seins parfaitement ronds (et crotte à qui les trouverait trop petits !), aux aréoles d’une exquise pâleur rosé, mon nombril qu’on a pu comparer à un sourire indicible (et re-crotte à qui penserait que je m’avantage), mes jambes finement galbée… Tout était là, moi en entier. Je ne m’étais pas transformée en homme (berk), il y avait juste, en plus, ces trucs, là en bas. Soupir. J’ai pivoté vers le trône et, au moment de m’y asseoir, je me suis souvenue que les mecs ne faisaient pas ça. Et c’est debout au-dessus de la cuvette  que j’ai relâché la pression, en ayant pris la précaution de saisir le membre entre pouce et index. L’érection avait eu le temps de fondre pour une bonne moitié, mais ça ne m’a pas empêché d’en mettre partout. Étonnant, cette puissance de jet. Encore une habitude à prendre, ai-je pensé en essuyant une gouttelette perlante avec le pan d’un linge de toilette (à Fred). Pensée qui en a entraîné une autre : est-ce que ce serait permanent ? Je n’y avais jusqu’alors aucunement réfléchi, imaginant peut-être que j’allais me réveiller pour de bon, ou alors que le sort s’effacerait aussi rapidement qu’il était venu. Seulement il ne s’effaçait pas, et plus les minutes s’écoulaient, plus j’avais le sinistre pressentiment que, ainsi j’étais devenue, ainsi je resterais. Une très jolie jeune femme avec des organes sexuels masculins. Bien. S’il me fallait en prendre mon parti, restait à déterminer ce que ça allait changer. En premier lieu mes rapports avec Fred.

 

J’ai regagné la chambre à pas lents et, sans prendre de précautions particulières, je me suis reglissée dans le lit. L’imbécile chéri dormait toujours. Le sexe avec Fred est plutôt cool – disons que, s’il m’est arrivé de connaître mieux, il m’est arrivé aussi de connaître pire, et je pèse mes mots. Seulement maintenant qu’il me manquait… l’essentiel (je m’étais assurée, grâce à une palpation approfondie, que mon vagin n’avait pas reculé derrière mes bourses : mais non, il avait bel et bien disparu), Fred pouvait légitimement y trouver à redire. Quoique. Parce que mon mec, je dois bien l’avouer, a toujours montré une propension déraisonnable à quémander des rapports anaux. Précision : à essayer, avec beaucoup d’insistance à l’appui, à m’y mener. Ce à quoi je me suis toujours refusée, pour des causes diverses mais convergentes. Toujours, sauf une fois où, revenant ensemble d’une soirée arrosée, je m’étais laissée faire. Ou je l’avais laissé faire, trop dans les vapes pour sérieusement m’y opposer. Et dans ces cas-là, les « Non, non ! » n’y peuvent rien. Parole, je n’ai jamais eu aussi mal de ma vie. Comme si mon rectum avait brusquement été colmaté par une pièce de béton aux arêtes rugueuses, qu’un travailleur de force aurait tenté d’enfoncer davantage, ou alors de retirer, ce qui revenait au même, en me secouant comme un prunier, m’envoyant au travers des entrailles des ondes de douleur rayonnantes qui auraient aussi bien pu être provoquées par des rafales de balles de gros calibre. Quand il a eu fini (je ne suis même pas sûr qu’il ait joui), j’ai serré les fesses, au propre comme au figuré, laissant les ondes de douleur s’apaiser. Elles y ont mis toute la nuit, pendant laquelle, sans fermer l’œil, j’avais juré de me venger. Mais comment puisque, selon moi, le coupable devait être puni par où il avait péché ? Et c’est alors, par ce petit matin blême, et nantie des instruments qu’un sort incompréhensible m’avait octroyés, que j’ai su. En quelques tours de main, j’ai redonné à ma bite la forme et la consistance voulue. Puis j’ai abaissé sur ses cuisses le pantalon de pyjama de Fred, avant d’écarter sans douceur ses fesses poilues. L’orifice recherché n’était pas si facile à trouver, forclos et perdu dans la broussaille culière. Mais j’y suis parvenu. Il ne me restait plus, tandis que ce cher Fred marmonnait dans sa salive les pâteux borborygmes du réveil, qu’à opérer vers l’avant une très vigoureuse poussée pelvienne. Ça s’est enfoncé comme dans du beurre.

 

Il nous a fallu une bonne semaine pour que de nouvelles habitudes s’installent. Fred consent à me branler avec un petit sourire en coin, se remémorant sans doute, dans l’action, les trucs qu’il fait quand je ne suis pas là ; mais il n’a pas encore consenti à me sucer ; ceci dit, j’ai constaté à ma propre surprise être assez souple pour y parvenir. Pour l’instant cependant, ma plus grande satisfaction résonne encore à mes oreilles : ce cri terrible poussé par Fred quand je l’ai enculé.

 

Jean-Pierre Andrevon

(Site : http://jp.andrevon.com/)

 

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Mais quand même...

Nicolas Raviere (alias Querelle)

 

Pour la neuvième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, je reçois un garçon lyonnais dont la plume toute particulière me fascine depuis des mois : Nicolas Raviere. Nicolas tient le blog Querelle, un blog surprenant qui serpente entre auto-fiction et fiction avant-gardiste (voire proche du collage littéraire) et qui auto-publie ses livres, sans parler de la publication de ses dessins et tableaux... Bref, un artiste complet, complexe et tout sauf complaisant. Pour lui avoir parlé au téléphone, Nicolas est un homme libre, un écorché et un créateur/créatif pathologique... J'ai l'immense plaisir de vous faire découvrir son univers et toute l'étendue de ses talents. Merci Nicolas.

 

Adolescent, je m’imaginais, plus tard, plus loin dans la vie, sans visage mais marié, avec une femme – je n’avais, je l’avoue, aucune idée au sujet du genre de femme qu’elle pourrait être – une petite femme menue et réservée, brune, peau diaphane, une grande blonde au corps élastique, exubérante – et trois enfants : deux garçons, et une fille. Pour la parité. J’avais cette idée qui me trottait dans la tête parfois, quand on me posait cette simple question : que feras-tu plus tard ? Je ne pensais pas : pourquoi pas tel ou tel métier. Je pensais famille. Et puis, un jour, j’ai cessé de penser à tout ça.

De même je n’ai jamais pensé : et si, par le plus grand, le plus fortuit des hasards (…), j’étais membre de cette étrange confrérie qu’on appelle les sodomites ? Je n’ai jamais mis de « si » car, comme le disait si bien ma mère : avec les « si », on ne fait rien et je crois bien qu’elle avait raison. Maintenant que les dés sont pipés, pourquoi ne pas penser tout autrement : quelle aurait été ma vie, si, justement, ou injustement, je n’étais pas affilié à cette curieuse fratrie, cette société millénaire de moins en moins secrète ?

Si j’étais hétérosexuel, sans doute serais-je plus normé, moins ouvert, plus dispersé, parmi mes semblables, sans doute choisirais-je des accointances aussi variées mais moins extrêmes, sans doute les sexualités possibles ne m’intéresseraient pas tant, les pratiques, les ambiances. Vraiment ? Pas si sûr !

La preuve : si j’étais hétérosexuel, j’écouterais la même musique, à l’identique, une musique qui n’est pas marquée par qui la consomme ; je lirais les mêmes livres, aimerais les mêmes auteurs, visionnerais les mêmes films. Un peu moins de films concernant l’inversion sexuelle, sans doute, mais je suis certain que j’aurais la curiosité d’en regarder quelques-uns, mû par cette curiosité qui vous pousse parfois à faire des choses qui ne vous ressemblent pas, pour vous dire, par fierté, par stupidité, voire par goût de nouveauté : tiens, j’ai expérimenté telle ou telle chose. Par exemple, si j’étais hétéro, je coucherais avec un mec, rien qu’une fois, juste pour voir comment ça fait. Et pour être sûr, évidemment, de ce que je suis. Je voudrais savoir ce que cela fait, que de toucher un autre sexe que le mien. Je pourrais toujours me rassurer en évoquant l’alibi qu’il est nécessaire, d’après des recommandations médicales strictes et rigoureuses, de se faire masser, de temps en temps, la prostate.

Si j’étais hétérosexuel, je ne prendrais pas pour modèles ces gens de ma famille ou ces amis du temps jadis, perdus de vue, qui se marient, s’enlisent dans un quotidien étrange et délavé, se photocopiant incessamment, en donnant la vie, trouvant dans cette formule millénaire équilibre et bonheur. Je m’y sentirais confiné, étouffé, enferré.

Du coup, si j’étais hétérosexuel, je vivrais seul, que je sois célibataire ou en couple ; j’aurais mon appart, elle aurait son appart, ce qui nous ferait deux maisons, pour deux fois plus de plaisir, la possibilité de ne pas empiéter l’un sur l’autre, d’être parfois seul avec soi-même, de pouvoir écrire sans être dérangé, autrement dit : d’être libre. Ainsi, je ne souhaiterais pas avoir d’enfant. Je serais tout autant que maintenant mon propre enfant, celui que je surveille, afin qu’il ne fasse pas trop de bêtises – et c’est déjà bien suffisant.

Ma vie serait sans doute à peu près la même, comme au travers d’un miroir, un miroir vaguement fêlé, légèrement déformant, si j’étais hétérosexuel. J’aimerais peu ou prou les mêmes choses, aurais les mêmes goûts en tout, les mêmes vêtements, le même mode de vie, les mêmes croyances, tant politiques que religieuses, je conserverais ce côté électron libre qui ne me rattache qu’à moi-même et, bien évidemment, je serais encore et toujours végétarien

Mais quand même… si j’étais hétérosexuel, je n’aurais certainement pas vécu cette agression homophobe qui fait qu’en tous lieux tous endroits, lorsque je suis parfaitement sobre, j’ai les yeux qui traînent un peu partout, une méfiance terriblement aléatoire du genre humain. Tard, dans le silence étouffant de la nuit, en certains lieux plus ou moins mal fréquentés, de jour et en soirée, je me dirais moins, je ne me dirais pas : la violence peut éclater n’importe où, n’importe quand, comme une comète qui tombe du ciel, sans crier gare. Je ne me soucierais pas de cette question : est-ce que la sexualité de mon compère, ainsi que la mienne, n’est pas trop visible dans la façon même dont nous nous comportons, notre gestuelle, les mots que nous prononçons, leur amplitude ? Sans doute serais-je ainsi un peu plus libre.

 

Querelle, alias Nicolas Raviere

(Blog : http://querelle.canalblog.com/ )


   
 

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