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LA GARAC'ADEMY

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Jean-Louis Garac vit à Nice et est passionné par la littérature et la poésie, l'art et le cinéma. Il aime également écrire sur des sujets divers des « billets d'humeur ». Il possède une maîtrise de lettres modernes et son sujet de mémoire a été consacré à Colette. Il tient un blog personnel d’une excellente qualité et participe au fonctionnement de plusieurs associations. Jean-Louis, qui n’est pas responsable du titre de sa chronique (c’est un mauvais jeu de mots, spécialité du chef Daniel C. Hall), entre avec classe dans la grande famille du blog Les Toiles Roses

 

08.

LA CONSTRUCTION DE JÉSUS, de BART EHRMAN

 

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Les éditions H&O, qui portent le nom de leurs créateurs Henri et Olivier, offrent une belle palette de livres pour tous les goûts : BD, romans d’aventures ou érotiques, romans littéraires, essais, photographies ! Loin du snobisme français en matière de publication, et avec beaucoup de courage et de détermination, H&O continue de publier des ouvrages d’une grande richesse qu’on aurait tort de négliger sous prétexte qu’il s’agit du rayon « homosexuel » ou estampillé comme tel.  

Avec La Construction de Jésus, les éditions H&O font connaître en France l’immense travail d’analyse et de recherche du théologien américain Bart Ehrman; ce livre, de façon très accessible, nous fait suivre une enquête très poussée sur ce personnage clef de l’histoire nommé « Jésus » et sur tous les écrits du Nouveau Testament.  

Jésus est d’autant plus incontournable dans notre civilisation qu’en son nom des hommes et des femmes ont « construit » diverses églises, ont promulgué des dogmes, ont forgé des lois, ont permis à des personnages eux aussi « construits » en partie, comme Paul, d’imprimer sur le monde une trace terrible de feu et de sang avec ce qu’ils considéraient être le « Bien » et ce qu’ils foudroyaient pour être le « Mal » !  

Les écrits de Paul par exemple ont ainsi considérablement nuit à la femme et ont repris des condamnations obscures contre l’homosexualité tirées du Lévitique oubliant que ni l’Exode, ni les Nombres, ni le Deutéronome dans l’Ancien Testament, ni les évangiles de son époque, en y incluant ceux considérés comme apocryphes aujourd’hui (une bonne vingtaine), n’ont jamais rien dit de tel…  

 

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Gustave Doré, Jésus.

 

Des auteurs et des philosophes comme Michel Onfray ont, dans plus d’un livre, ouvertement dénoncé ces falsifications criminelles ou ces « constructions » malsaines, pour reprendre un des termes clefs du livre de Bart Ehrman, qui polluent encore méchamment nos sociétés contemporaines. Il n’est donc pas vain de se replonger dans ces textes fondateurs qui touchent à la racine même de toutes les « constructions » mentales de la société occidentale et de toutes celles qui se réfèrent aux Livres dits « Saints », car en ce début du XXIème siècle, des religieux de divers horizons jusqu’au Pape continuent de marteler le même discours qui sclérose les individus en essayant de les culpabiliser sur ce qu’ils sont intrinsèquement : 

« En tant qu'êtres humains (les homosexuels) méritent le respect (…) ils ne doivent pas être rejetés à cause de cela. Le respect de l'être humain est tout à fait fondamental et décisif. Mais cela ne signifie pas que l'homosexualité soit juste pour autant. Elle reste (l’homosexualité) quelque chose qui s'oppose à l'essence même de ce que Dieu a voulu à l'origine. » dixit Benoît XVI dans son dernier livre Lumière du monde.

Nous sommes bien au cœur du problème, c'est-à-dire : qu’est-ce que « Dieu a voulu à l’origine » ? Comme personne n’était présent pour l’interviewer ou le filmer, c’est à travers les écrits sacrés qu’on pourra essayer de comprendre ce message. C’est en interrogeant tous les livres de la Bible et notamment les livres du Nouveau Testament que l’on va essayer d’approcher cet « enseignement divin » et c’est justement là que le chercheur, le théologien et par la suite le simple lecteur ou le simple croyant, va de surprise en surprise car ce qui est arrivé jusqu’à nous n’est qu’un ensemble de lambeaux de paroles, parfois incohérents ou incompatibles, que les premiers scribes ou religieux ont voulu enrichir à leur fantaisie ou combler de façon littéraire ; dans ces conditions qui peut aujourd’hui se prévaloir de connaître ce que Dieu a voulu à l’origine ?

 

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Rubens, Les 4 évangélistes.

 

Bart Ehrman, lui-même très croyant lorsqu’il arrive au séminaire théologique de Princeton en 1978, va voir ses certitudes fondre devant ce qu’il découvre petit à petit dans ses études, en passant tous les textes du Nouveau Testament et tous les autres non retenus par le « canon » au crible de la « critique historique » et de la « critique textuelle » ; sans oublier la « perspective historique » qui replace les événements et les comportements dans leur milieu socio-historique. Ainsi, sur le thème de l’homosexualité par exemple, comment peut-on se référer aujourd’hui aux propos de Paul pour les opposer à nos conceptions actuelles car la notion « d’orientation sexuelle » et « d’homosexualité » sont des notions créées au XIXème et au XXème siècles et qui n’avaient donc pas cours dans l’antiquité : « On peut difficilement prendre les prescriptions de Paul sur les relations homosexuelles, les extirper des présupposés de Paul sur le sexe et le genre, et les transplanter dans un autre discours sur le sexe et le genre. »

Or le discours officiel de toutes les églises a toujours été de s’arrêter à la lettre sans essayer de comprendre le contexte ou de se poser des questions pertinentes en comparant par exemple certains textes à d’autres, car les contradictions et les versions différentes fourmillent dans les évangiles et les autres écrits.

 

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Les 4 évangélistes et leurs symboles

 

Malheureusement, les hommes se cachent derrière leurs traditions comme les grands singes sous les palmes des forêts équatoriales. C’est pourquoi un livre aussi brillant que celui-ci doit permettre à tout le monde d’avoir une idée juste sur ces « témoignages » et les différentes péripéties de leur création afin de percevoir clairement de quelle façon s’est élaboré le christianisme !

Une autre constatation aussi édifiante, qui en dit long sur les mécanismes qui animent les sociétés humaines, c’est la cruelle absence d’intérêt pour la Bible des croyants eux-mêmes ! Bart Ehrman y revient plusieurs fois dans son étude : « Pour moi, il s’agit là de l’un des plus grands mystères de l’univers : comment tant de gens peuvent-ils vénérer la Bible, penser qu’il s’agit d’une révélation de Dieu à son peuple et en même temps la connaître si mal ? »

Il faut dire aussi que depuis que les études exégétiques ont commencé à se développer et à être indépendantes des églises, il y a environ plus de deux siècles, rarement les conclusions des chercheurs ont pu atteindre le grand public et s’y propager. Aujourd’hui, et suite à des livres et des émissions de vulgarisation comme Corpus Christi à la fin des années 90, le grand public peut enfin accéder à ce qui était connu d’un petit nombre de chercheurs.

 

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Édification d’une statue géante de Jésus en Pologne

 

À ceux qui se drapent dans les pages trouées des évangiles, dans les épîtres en patchwork ou dans les textes hétéroclites de l’Ancien Testament écrits des siècles et des siècles après les événements racontés, et qui croient connaître « ce que Dieu a voulu à l’origine », on ne pourrait que conseiller de lire attentivement ce livre très accessible, d’une grande clarté, où l’auteur ne se retranche pas derrière un discours distant et scientifique mais nous fait part également de son parcours d’homme et de croyant, pour remettre enfin les pendules à l’heure face aux croyants agressifs, aux créationnistes béats, et aux illuminés sans culture.

Pour conclure, je citerai ces deux passages essentiels et qui sont les clefs de voûte de cette enquête sur la figure de « Jésus » : « Il vaut mieux favoriser des lectures qui ne mènent pas au sexisme, au racisme, à la bigoterie et à l’oppression sous toutes ses formes » Il faut juger de tout ce que l’on entend et de tout ce que l’on voit – la prose inspirante de la Bible ou celle de Shakespeare, de Dostoïevski ou de George Eliot ; de Gandhi, de Desmond Tutu ou du Dalaï-lama. »

 

Notes :

Le site H&O, achat en ligne possible : éditions H&O

Sur Bart Ehrman : article wikipedia

Voir article Têtu : Têtu en ligne

Sur le même thème AFP : dépêche AFP

Sur le créationnisme : article wikipedia

 

Lire les autres chroniques de Jean-Louis Garac

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Jean-Louis Garac vit à Nice et est passionné par la littérature et la poésie, l'art et le cinéma. Il aime également écrire sur des sujets divers des « billets d'humeur ». Il possède une maîtrise de lettres modernes et son sujet de mémoire a été consacré à Colette. Il tient un blog personnel d’une excellente qualité et participe au fonctionnement de plusieurs associations. Jean-Louis, qui n’est pas responsable du titre de sa chronique (c’est un mauvais jeu de mots, spécialité du chef Daniel C. Hall), entre avec classe dans la grande famille du blog Les Toiles Roses

 

07.

LE CORPS MASCULIN

BLASON DE LIBERTÉ  !

 

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Notre littérature a peu célébré le corps masculin, à part quelques auteurs, connus uniquement d’un public gay et perdus dans leur tour d’ivoire, nous ne sommes guère riches en ce domaine.

De plus, les textes grecs et latins se sont lentement dissous dans un oubli regrettable ! Nous avons encore quelques poèmes de Straton de Sardes par exemple et peu de choses à côté ; c’est qu’il en va des textes comme des monuments humains : ici une colonne, un chapiteau, une entrée sans murs, là un morceau de phrase, une allusion mystérieuse, quelques vers tombés d’une fresque épique à tout jamais perdue !

Il me semble qu’il y avait là, dans cette antiquité quasi mythique, une richesse inouïe en matière de célébration du corps, déjà par la merveilleuse statuaire de ces siècles de marbre, encore avec les rares peintures qui nous restent, et surtout par les délicates représentations sur les multiples vases, poteries et orfèvreries de l’époque !

Et puis les siècles nous ont assommés de leur monotonie, de leurs fades mythes chrétiens, de leurs chapelets de chapelles dédiées à tous les martyres embrochés par la folie humaine ! À la Nature, aux exploits, aux conquêtes, on a préféré les croyances, les superstitions, les dérives métaphysiques... Le corps nu s’est retrouvé habillé, torturé, renié, détruit, oublié sous la pluie des prières comme derrière le rideau d’une cascade sans fin !

Retrouver le corps c’est déjà se retrouver soi-même ! Là encore notre triste monde chute dans de nouvelles convulsions : comment être et se nier, comment annoncer sa présence et la dérober à tous, comment se cacher dans les plis d’un autre univers... Les chats aiment bien se mettre dans des cartons et observer l’espace autour d’eux, il faut croire qu’il doit exister des « chats » humains, la malice et le goût du jeu en moins !

La femme nue, déesse mère, a été célébrée de tous temps, on a toutefois toujours idéalisé son corps, stylisé son sexe, et révélé une perfection presque immatérielle : nous avions « l’idée » de la femme comme les tribus d’Afrique concevait des masques d’animaux en suggérant leur « esprit ».

Certes, on doit à de courageux artistes le privilège d’avoir osé montrer des carnations éloignées des tons ivoires éthérés traditionnels, des poses naturelles et sans concession, des sexes réellement féminins et une vie palpable qui appelait autant l’attention que les caresses et le besoin d’amour !

L’homme a été un peu oublié dans tout cela, d’abord parce que la sexualité et les rôles imposés dans le monde chrétien faisait de lui quelque chose de très sérieux : un père de famille à l’image de Dieu le Père, portant le Droit et la Responsabilité et pendant très longtemps tous les droits et toutes les responsabilités...

On ne batifole donc pas avec des corps où s’inscrivent en résumé les desseins de Dieu et de son Histoire ! La bagatelle devenait sujet de poètes et de troubadours autour du corps de la femme (déjà porteuse du pêché originel) : amour courtois (courtois certes mais amour qui peut le dire ?), blason du corps féminin servant d’aiguillon à l’imagination et à la rivalité de tous les plumitifs, relayés par tous les courtisans en quête d’émulations viriles et d’actions à réaliser à la fois par imitation et pour échapper à l’ennui de leur vie. On parlait donc du corps mais en prenant le prétexte du corps de la femme, inaccessible objet de tous les désirs travestis.

La « Laure » de Pétrarque et la « Béatrice » de Dante, deux femmes à peine entrevues et qui devinrent les « phares » de toute leur vie, sont les images mythiques et symboliques du Moyen Âge, rejoignant dans un monde presque parfait et hors du temps les chevaliers de la table ronde et les autres légendes de ces siècles.

Inaccessible point de convergence et à la fois point de rencontre pour tous ceux qui relevaient les mêmes défis en finissant par aimer les mêmes cibles ; ce que nous connaissons encore aujourd’hui à travers les personnalités mises en lumière par les médias.

Que d’oubli dans tout cela et que de temps perdu pour l’homme comme pour la femme, chaque fois vus ou non vus, compris ou laissés dans l’ombre, analysés ou englués dans un rôle, dépeints ou ignorés pour ce qu’ils n’étaient pas ! Il y a donc une urgence à nous réapproprier ce corps masculin et féminin et jamais la conjonction de coordination « et » n’a eu autant d’importance car c’est un « et » qui fond, éclaire, mélange, renvoie, capte et révèle.

Dans notre monde en crise perpétuelle : monétaire, naturelle, sociétale, guerrière, identitaire etc., de nombreux artistes à travers le prisme de leur sensibilité ont déjà commencé ce travail de reconquête du corps, essentiel à l’épanouissement de chacun car il est la clef d’une forme de délivrance devant les cadenas mentaux que nos sociétés produisent. Cependant, ce n’est peut-être pas encore suffisant tellement ces « réflexes » sont restés gravés profondément dans notre inconscient. Le monde gay a tenté à sa façon une approche du corps qui demeure trop souvent sans génie et sans émotion autre que celle très conformiste aussi du « jeunisme ».

Ces réflexes, malgré les scandales et les horreurs d’un récent passé et le sang même de la Liberté offert par des millions d’humains, dictent encore des pudeurs et des interdits religieux, des attitudes stéréotypées et animales dans la distribution des rôles entre « mâles » et « femelles » puisque la vision est réductrice, des incapacités donc à se concevoir comme Homme ou Femme au delà d’un schéma simpliste, le tout couronné d’une absence de culture et de connaissance.

Les Dieux, qui étaient d’abord les plaisirs de la vie, en abandonnant le monde ont abandonné les hommes, et ces derniers, tels des titans prisonniers, retombent toujours au même stade n’ayant compris ni le sens de la vie, ni le sens de la nature, ni leur propre personne qui n’a jamais été pour la plupart qu’une molle argile livrée au plus fort prêt à la modeler.

Peut-être faut-il laisser simplement la parole aux poètes, capables de dire en mots simples ce renouveau du corps, de nos corps ensevelis sous la poussière des siècles et rouillés par tous les a priori de la machine infernale humaine.

 

J’aime les teints dorés ou bien couleur de miel

Ou de neige... Les beaux yeux bruns, les beaux yeux clairs.

Mais je préfère à tout, pareil au sombre ciel,

D’étincelants yeux noirs pleins d’ombre et pleins d’éclair. 

 

Yourcenar, La Couronne et la Lyre, Straton de Sardes, aux éditions Gallimard.

 

(...) Leurs yeux francs et matois crépitent de malice

Cordiale et des mots naïvement rusés

Partent non sans un gai juron qui les épice

De leur bouche bien fraîche aux solides baisers ;

Leur pine vigoureuse et leurs fesses joyeuses

Réjouissent la nuit et ma queue et mon cul ;

Sous la lampe et le petit jour, leurs chairs joyeuses

Ressuscitent mon désir las, jamais vaincu.

Cuisses, âmes, mains, tout mon être pêle-mêle,

Mémoire, pieds, cœur, dos et l’oreille et le nez

Et la fressure, tout gueule une ritournelle,

Et trépigne un chahut dans leurs bras forcenés. (...)

 

Verlaine, Hombres, Mille et tre, aux éditions H&O.

 

« La lèvre retroussée de Pétrole, la ligne si fraîche de sa mâchoire, ses yeux très légèrement obliques, toujours un peu clignés et dont l’iris du bleu pervenche était marqué de deux points sombres, tout ce visage enfin, je ne pouvais le contempler sans un incompréhensible déchirement, un sentiment de paradis perdu. »

 

Herbart, L’Âge d’or, éditions Le Promeneur.

 

Lire les autres chroniques de Jean-Louis Garac

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Jean-Louis Garac vit à Nice et est passionné par la littérature et la poésie, l'art et le cinéma. Il aime également écrire sur des sujets divers des « billets d'humeur ». Il possède une maîtrise de lettres modernes et son sujet de mémoire a été consacré à Colette. Il tient un blog personnel d’une excellente qualité et participe au fonctionnement de plusieurs associations. Jean-Louis, qui n’est pas responsable du titre de sa chronique (c’est un mauvais jeu de mots, spécialité du chef Daniel C. Hall), entre avec classe dans la grande famille du blog Les Toiles Roses

 

06.

FABLE MODERNE :

LA FOLLE, L'HANDICAPÉ ET LE RÊVE GAY !

 

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Dans la rubrique sans fond « peau de banane entre gays », j’ai récemment entendu, sur une plateforme téléphonique de rencontre, le message suivant : « M… handicapé recherche mec, mais pas de folle… ».

Tout d’abord, c’est un étrange procédé que de passer une annonce de rencontre en concluant sur des propos aussi négatifs… En effet, dans le domaine des annonces, se présenter, parler un peu de soi et dire ce que l’on recherche en peu de mots me semble bien suffisant; et puis il y a tant de « folles » qui s’ignorent !!! Qui nous assure que celui qui envoie ce message via le téléphone ou le net n’en est pas « une » ? « Qui veut faire l’ange fait la bête » disait Pascal, qui se traduit en langage elgébétique en « Qui veut faire le macho fait la pintade »…

 

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Dans l’imaginaire et les fantasmes gays, cet empoisonnement anti-folle dure depuis déjà trop longtemps ; sans doute au tournant des années soixante, oubliant que les folles de Stonewall ont été les premières à se battre contre les discriminations homophobes, on a développé une représentation d’un « prototype » de garçon viril, moustachu (à l’époque), plutôt musclé (les années Beefcake ayant marqué les esprits), se démarquant nettement de l’image de l’homosexuel tel qu’elle était véhiculée dans la société bien-pensante : celle d’un homme fragile, souffreteux, maniéré, peureux, cultivé, bruyant, et pas très sexy…

Tout l’imaginaire a basculé, et c’est les hétéros qui copient les gays en ce début de XXIème siècle, par la mode vestimentaire, le look et attitudes, les tatouages etc. Les gays, eux, n’en finissent plus de sur-développer un concept d’homos hyper-virils au profil caricatural ; ce qui pourrait laisser entendre que les « tapettes » aujourd’hui sont du côté des pères de famille…

 

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Dans l’exemple donné au début, ce qui est « amusant » à constater, mais il s’agit d’un rire jaune, c’est que cette homophobie interne et vindicative contre les « folles » vient aussi de groupes déjà eux-mêmes discriminés, comme les handicapés… On imagine aussi plaisamment les ravages qu’une « folle handicapée » pourrait faire en roulant sur les pieds des homos bien pensant et en gloussant à s’en décoller les faux-cils dans un dernier hoquet d’effort, en chemise de popeline rose et short cuir à pendeloques, pour se faufiler dans un défilé de parents gays et lesbiens par exemple…

L’ostracisme n’ayant jamais eu de limite, le ghetto gay ouvre un autre ghetto aux « folles », en forme d’enfer de Dante, avec la devise suivante : « Vous qui entrez laissez toute espérance… de rencontrer un garçon aussi viril que nous »…

Au fait, qu’est ce qu’une folle ? Ce terme fourre-tout a désigné pendant longtemps un garçon gay aux penchants féminins marqués, où raffinement et travestissement se mélangeaient selon les occasions. De nos jours le terme me paraît recouvrir une définition beaucoup plus « élastique », il me semble qu’on est toujours « la folle » de quelqu’un dans le milieu gay… Je m’explique, « folle » devient un mot d’injure pour désigner celui qui déplaît mais qui n’est pas forcément maniéré avec un comportement grandiloquent comme ses ancêtres les vraies « follasses » !

 

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« Folle » désigne celui qu’il faut dézinguer parce qu’il rappelle un peu trop ce qui dérange et ce qui fait peur chez les gays dont l’obsession est d’échapper à eux-mêmes dans le monde imaginaire mi-Neverland mi-commedia dell’arte des toujours beaux mecs stéréotypés, toujours virils aux gros attributs, toujours jeunes, qu’ils se sont créés au fil des années dans la culture LGBT ! Publications, photographies, vidéos, et manipulations en tout genre dans le consumérisme ambiant ont enfoncé le clou.

Les gays essayent depuis plus de 30 ans d’effacer l’image de la « folle » afin sans doute de mieux s’imposer dans la société. « Dure lutte », comme disait l’autre pour signifier que les gays sont des « hétéros » encore plus hétéros grand teint que les autres et qu’ils sont capables de se marier, d’avoir des enfants, d’adopter et de mener un projet social. Quel strabisme divergent inquiétant pour ceux qui convoitent cet Eldorado bourgeois tout en lorgnant vers les slips bien remplis, le sexe pour le sexe et les corps sans esprit.

 

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Comme la méchante reine de chez Walt Disney, le meilleur ami du gay tragique, handicapé ou non, reste son miroir confident : « Dis-moi que je suis le plus beau, le plus sexy, le mieux foutu, le plus viril, le meilleur baiseur » questionne-t-il plusieurs fois par jour pour se rassurer et il rajoute en guise de prière, l’œil humide : « Éloigne les folles de mon chemin » !

Cependant, ce gay lambda, perdu dans son rêve hypnotique, ne voit pas que son miroir finit par réagir comme le portrait de Dorian Gray : car, sur l’eau glacée où il s’épanche, chaque heure le menace, le fige dans son arrogance, et surtout la lumière n’y est plus.

 

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Le Portrait de Dorian Gray, film d'Albert Lewin d'après Oscar Wilde.

 
 

Bibliographie :

LE TALEC Jean-Yves, Folles de France. Repenser l’homosexualité masculine, préface de Michel Bozon, Paris, La Découverte, 2008.


Lire les autres chroniques de Jean-Louis Garac

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Jean-Louis Garac vit à Nice et est passionné par la littérature et la poésie, l'art et le cinéma. Il aime également écrire sur des sujets divers des « billets d'humeur ». Il possède une maîtrise de lettres modernes et son sujet de mémoire a été consacré à Colette. Il tient un blog personnel d’une excellente qualité et participe au fonctionnement de plusieurs associations. Jean-Louis, qui n’est pas responsable du titre de sa chronique (c’est un mauvais jeu de mots, spécialité du chef Daniel C. Hall), entre avec classe dans la grande famille du blog Les Toiles Roses

 

05.

L'HOMME (Y COMPRIS GAY)

EST UN HOMOPHOBE POUR

L'HOMME !

 

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L’homme (y compris gay) est un homophobe pour l’homme, nous le constatons hélas tous les jours et notamment lors de certaines manifestations en faveur des libertés LGBT, où cette haine stupide sort son sinistre nez, et nous pouvons le constater aussi tous les jours à l'intérieur même du monde gay !

Il est vrai que l’homme d’aujourd’hui, surtout dans nos sociétés occidentales encore douillettes (mais plus pour très longtemps), semble oublier le monde incertain et féroce dans lequel il vit. Il surfe avec des milliers de faux amis sur Facebook, Viadeo et Twitter, dans le monde gnangnan, mercantiliste et futile, qu’il a créé à coup de logiciels, de processeurs, d’images en 3D et de milliers de cartes à puce !

Ainsi vont nos contemporains, la tête dans l’écran comme l’autruche dans son trou, montrant au reste de l’humanité, au propre comme au figuré, leur immense et égotiste derrière…

N’oublions pas, quitte à briser notre monde de « bisounours », que « L’homme est un loup pour l’homme » ! Beaucoup, justement, veulent passer sous silence ce constat ancestral, préférant bredouiller la complainte d’une humanité foncièrement bonne en marche vers une société meilleure, alors que sous d’autres latitudes on se le rappelle tous les jours de gré ou de force…

Certes cela n’est pas nouveau et depuis Thomas Hobbes certains en ont pris conscience ! On aurait pu écrire aussi, renouvelant l’image de notre philosophe, vu les horreurs de la seconde guerre mondiale et du cortège des atrocités qui n’ont guère cessé depuis : que « L’homme est une hyène pour l’homme » ou que « L’homme est un requin pour l’homme » ! Je me demande d’ailleurs si le bestiaire connu est suffisant pour illustrer les abysses de la démence humaine ?

Aujourd’hui, malgré une chape de chamallows, de guimauve virtuelle, et de « tout le monde il est beau et couche avec tout le monde », on ne peut pas effacer cette forme de cruauté inhérente aux hommes, cruauté qui exprime au fond une haine farouche de l’autre et qui cherche depuis toujours à détruire, à déchirer, et à porter atteinte à nos « chers » voisins : un frère, le type du pavillon d’en face, un collègue de bureau, tel étranger, tel groupe, telle nation !


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Cette haine peut venir de deux branches distinctes : l’une la jalousie, (rappelez-vous la motivation de Caïn dans le premier meurtre mythique rapporté par La Bible et en littérature notamment dans The Paradise Lost, où Milton en fait le moteur essentiel de la chute de Lucifer), l’autre naissant du rejet et de l’exécration parce que la personne visée devient insupportable pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle fait.

La jalousie me paraît un ressentiment si profond qu’il semble difficile de la contourner ou de la maîtriser ; que peut en effet le raisonnement contre cette part d’ombre qui grandit si vite en nous et prend racine dans l’image égoïste et orgueilleuse que nous avons de nous-mêmes ?

Jalousie et haine sont un carburant toujours à la mode pour les cerveaux qui marchent avec cette énergie noire. Le mal a aussi son ying et son yang en circuit fermé !

Dans le monde gay, nous en payons toujours un lourd tribu, car l’homophobie est loin de s’épuiser : ouï-dire au travail, rumeur dans la famille, dans une cité, un quartier, un immeuble etc.

Les homophobes veulent traquer les gays comme naguère les nazis ceux qu’ils jugeaient inférieurs. Ils s’habillent de tous les préjugés possibles et n’hésitent pas à réciter un credo aussi niais que scientifiquement faux (le fameux : contre nature), s’en remettant à une lecture erronée des textes bibliques ou autres.

L’homophobie n’est pas simplement un rejet, elle est aussi une forme intolérable d’immiscion dans la vie privée, accompagnée de jugements avec application immédiate d’une « peine » décidée par des meneurs version caïds de la petite cause ! On y retrouve par exemple le « viol éducatif » pour les lesbiennes et le passage à tabac pour les gays, voire tournante parfois, et dans le pire des cas le meurtre !

Graffiti, lettre anonyme, agression téléphonique, insultes en public, rires et quolibets du groupe, harcèlements, tout peut se transformer ainsi en cyclone dévastateur, et la plupart du temps cela aboutit à un départ forcé des victimes, pour un autre quartier ou pour le cimetière.

Bien sûr, selon les lieux, les villes, la situation peut changer radicalement mais dans notre société il vaut toujours mieux être riche et célèbre que pauvre et anonyme, car les quartiers populaires semblent les plus sensibles à cette intrusion homophobe.

L’homophobie chez les bourges tient en effet plutôt de la confidence de salon et des traits d’esprit qu’on échange à table ; très rares sont ceux qui doivent déménager de leur 200 m2 dans le Marais ou dans le 16ème, ou faire mouiller leur yacht dans un autre port…


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Mais il y a aussi une dernière forme d’homophobie, très dérangeante celle-là, et dont on parle très peu, celle des gays vis-à-vis d’autres gays ! Comme si le vers était dans le fruit…

Là aussi, n’en déplaise à tous les « aveugles » du monde gay qui veulent croire à leur rêve, on rencontre des vexations, des moqueries, du mépris, de la mise à l’écart…. Cette sinistre « farandole » ou spectre (pour la couleur arc-en-ciel) est largement répandue et cette société « rose », qui perd son éducation comme les vieux monuments leurs peintures, multiplie les êtres arrogants et prétentieux, sans foi ni loi, qui ne jugent et ne voient qu’à travers le prisme étroit de leur univers de pacotille.

Beaucoup d’entre nous, sans le savoir ni le soupçonner, portent ainsi une « étiquette » comme un triste poisson d’avril, donnée si humainement et élégamment par une partie de la « communauté » (je ne sais pas si le mot est juste) ou un même clan !

Les gays entre eux sont souvent redoutables, j’en donne pour meilleur exemple les fins de non recevoir sur le Net, qui tombent comme de violents couperets, dans l’espace soi-disant convivial réservé aux « rencontres »… Après quelques interrogations sur des pratiques minables constatées sur un site Internet, un webmaster m’a conseillé récemment d’aller prendre un vrai bol d’air dans le monde réel… C’est vous dire…


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Ainsi, les gays, qui pleurent les premiers sur eux-mêmes et protestent dès le moindre mot de travers qui les dérange, pratiquent eux-aussi, dans les vestiges de leur communauté ou les ruines de leur ghetto, de sacrées « mises à mort » et de beaux ostracismes. Tout cela ne présage rien de bon pour l’avenir, car dans ce cas de figure il n’y en a plus !

Comme image, je retiendrai la célèbre formule en fin d’annonce : « Out les vieux, les folles, les gros etc. ». Image qui est devenue au fil des ans et des différents supports un best-seller du mépris trivial des rencontres homoérotiques et la devise d’un monde sans humanité ni rayonnement dont l’écho ondule sans fin !

Hélas, les homophobes ne sont pas seulement hors les murs, ils rôdent sous le charmant visage de nos frères, et c’est le plus difficile à comprendre et à accepter !


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Jean-Louis Garac vit à Nice et est passionné par la littérature et la poésie, l'art et le cinéma. Il aime également écrire sur des sujets divers des « billets d'humeur ». Il possède une maîtrise de lettres modernes et son sujet de mémoire a été consacré à Colette. Il tient un blog personnel d’une excellente qualité et participe au fonctionnement de plusieurs associations. Jean-Louis, qui n’est pas responsable du titre de sa chronique (c’est un mauvais jeu de mots, spécialité du chef Daniel C. Hall), entre avec classe dans la grande famille du blog Les Toiles Roses

 

04.

HOMOPHOBIE ET RELIGION...

 

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Le livre Contre l'homophobie, l'homosexualité dans la Bible de Patrick Négrier, vient de sortir aux éditions Cartouche. Il s'agit d'un livre érudit mais passionnant à lire qui relève du domaine de l'exégèse et de l'étude pointue des termes utilisés dans les différentes parties de la Bible, selon les époques. Ainsi l'étude du sens des mots dans leur contexte et du rappel d'autres utilisations dans d'autres passages met en lumière une tout autre signification !

Les rapprochements avec d'autres textes liés à la culture égyptienne, mésopotamienne et grecque sont également passionnants et très instructifs. En interne dans les écrits bibliques, l'éclairage sur tel passage rappelant tel autre dans un livre postérieur ou antérieur donne un nouveau sens à ce qui pouvait passer inaperçu ou être peu compréhensible de prime abord, se forme ainsi un réseau ou des échos troublants dessinent un autre sens que celui donné par une lecture superficielle.

Philosophe et hébraïsant, Patrick Négrier permet une nouvelle lecture de la Bible qui modifie profondément tout ce que nous avons pu apprendre et comprendre jusqu'ici ! Digne d'un détective faisant fonctionner ses petites cellules grises, il retraduit certains passages en expliquant le contexte souvent obscur qui les entoure. Ce travail est d'autant plus intéressant qu'il touche un point essentiel qui a modelé pour si longtemps nos sociétés à savoir, dans le domaine religieux, puis laïc, ce qui est permis et ce qui est condamné, ce qui est "juste" et ce qui est criminel.


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Lucas van Leyden, Loth et ses filles

 

En ce qui concerne le seul point de l'homosexualité, l'Église, violant elle-même un des dix commandements, le « Tu ne tueras point », ainsi que le message compassionnel du Christ, a jugé et fait mettre à mort durant des siècles des hommes pour le seul motif d'être des sodomites, c'est-à-dire parce qu'elle voyait en eux des hommes dégénérés et homosexuels pareils à ceux qui ont été tués par Dieu dans les villes de Sodome et Gomorrhe, selon le récit traditionnel !

Patrick Négrier rappelle qu'environ 300 hommes ont péri brûlés vifs en Espagne sous l'Inquisition et que 41 hommes furent exécutés en France (pendus ou brûlés) jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Je mentionnerai également le très beau livre de Maurice Lever, chercheur aujourd'hui disparu, Les Bûchers de Sodome, riche d'enseignements sur l'ordurerie commise par tant de prélats dont la foi s'alimentait de haine homophobe et de condamnations pauliniennes.


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Ces excès perdureront encore avec les régimes totalitaires en Europe et continueront de plus belle sous d'autres latitudes ! Rappelons que la liberté chèrement acquise par les gays et lesbiennes en Occident a commencé il y a seulement une quarantaine d'années pour évoluer plus ou moins rapidement selon les États.

La sortie, il y a quelques années aux éditions Bayard, de La Nouvelle traduction de la Bible n'a pas donné lieu à de grandes modifications ou modulations du texte sur les passages traitant de l'homosexualité de façon claire ou voilée, de plus aucune note ne vient agrémenter ou éclairer le texte à l'inverse des autres traductions classiques dont celle d'Osty ; la tradition semble toujours peser lourd sur les recherches linguistiques et l'émergence de nouvelles pistes !

Avec Patrick Négrier, comme dans le cas d'un livre aussi fort intéressant de Daniel Helminiak, Ce que la Bible dit vraiment de l'homosexualité, nous entrons dans une lecture attentive, comparative et philosophique des différents passages bibliques. Négrier fait ainsi ressortir l'emploi de certains termes en les dépoussiérant et surtout fait émerger « le rôle de la typologie et de la symbolique dans l'interprétation objective de la Bible ». (Extrait du livre de P. Négrier)


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Du meurtre d'Abel par Caïn, de Sodome et Gomorrhe, de David et Jonathan, du Lévitique, d'Isaïe, de Daniel, d'Esther, de Jésus, de Paul, et j'en oublie, la reformulation et l'éclairage insufflé par Patrick Négrier est totalement renversant et j'emploie ce terme à dessein en pensant au Christ qui a renversé les étals des marchands du Temple !

C'est bien ce que fait ici notre chercheur qui donne sur certains passages une interprétation et un sens radicalement différents des traductions habituelles. Il n'hésite pas non plus à souligner la non compatibilité de certains livres ou passages (notamment Lévitique et Paul) avec les textes dits "supérieurs" ou directement inspirés. Sa recherche nous délivre (dans tous les sens) une cohérence de la Bible qu'on n'espérait plus et ainsi défait du lierre opacifiant de l'ignorance et de la tradition nous fait comprendre que ces écrits bibliques condamnent en fait farouchement l'homophobie et la xénophobie !

« (...) l'homophobie est un produit direct de l'hétérocentrisme qui résulte de la tradition égotique de considérer un point de vue particulier comme étant un point de vue universel, et de se fonder sur cette extension indue (identification du particulier à l'universel) pour normaliser les représentations et les comportements différents (en l'occurrence homosexuels) accusés de déviance morale et de dissidence politique. » (Extrait du livre de P. Négrier)


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Le passage clef, celui le plus utilisé par la mémoire collective et qui par delà les siècles a frappé les imaginations de millions de croyants, enrichissant le vocabulaire entre autre, et qui de plus a servi également aux non croyants comme bois de chauffe pour alimenter leur bûcher de haine homophobe, est le récit de Sodome et Gomorrhe !

Patrick Négrier, dans une remarquable démonstration, dévoile tout le mécanisme mis en place par des traductions fautives qui ont ainsi renversé le sens initial du texte. À l'exemple du célèbre tableau de Rembrandt, où l'on a voulu croire qu'il fallait admirer « Une ronde de nuit » alors que le peintre avait réalisé « Une ronde de jour », il nous faut maintenant prendre conscience du changement radical de sens apporté par cette nouvelle lecture. Comme dans le tableau de Rembrandt, une fois enlevée la crasse et les couches de vernis inutiles et jaunis, qui détériorent les couleurs, on peut enfin regarder aujourd'hui l'œuvre telle qu'elle a été voulue et conçue par son auteur.

« (...) il permet (le rétablissement de la vérité textuelle) d'ores et déjà de dénoncer avec fermeté et avec vigueur l'illusion herméneutique des clercs qui jusqu'à présent, pour discréditer au nom de la Bible les pratiques homosexuelles, utilisèrent à tort et à travers un texte qui au contraire dénonçait et condamnait en réalité les violences des hétérosexuels homophobes contre les homosexuels, et les violences des indigènes xénophobes contre les étrangers. » (Extrait du livre de P. Négrier)

En tout cas, ce livre a le mérite de nous faire réfléchir sur ces textes fondateurs de notre culture judéo-chrétienne afin de nous en révéler l'homogénéité initiale, du moins pour tout ce qui concerne les écrits inspirés directement par les prophètes et le Christ. Il en désacralise aussi certains en les resituant dans leur contexte sociopolitique. Il nous questionne ainsi sur ces apparentes fractures de sens entre les différents écrits bibliques, d'un côté : règles de vie, compassion, pardon, amour, et de l'autre : condamnations, violences et mort !


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R. Santi, Isaïe


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Jean-Louis Garac vit à Nice et est passionné par la littérature et la poésie, l'art et le cinéma. Il aime également écrire sur des sujets divers des « billets d'humeur ». Il possède une maîtrise de lettres modernes et son sujet de mémoire a été consacré à Colette. Il tient un blog personnel d’une excellente qualité et participe au fonctionnement de plusieurs associations. Jean-Louis, qui n’est pas responsable du titre de sa chronique (c’est un mauvais jeu de mots, spécialité du chef Daniel C. Hall), entre avec classe dans la grande famille du blog Les Toiles Roses

 

03.

TROIS ÉTOILES POUR

UNE MÉLANCOLIE ARABE

D'ABDELLAH TAÏA

 

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« La mélancolie est une maladie qui consiste

à voir les choses comme elles sont. » Gérard de Nerval

 

Abdellah Taïa est un jeune homme d’origine marocaine de 37 ans, qui est déjà l’auteur de plusieurs ouvrages (voir la rubrique du blog qui lui est consacrée). Il est né à Salé en 1973, ville créée par les romains et qui a été longtemps la grande concurrente de Rabat, notamment par l’attrait culturel et religieux que cette ville a su garder.

Depuis 1999, Abdellah Taïa vit cependant à Paris où il a fait des études sur la peinture avec un doctorat sur le peintre français du XVIIIème siècle : Jean Honoré Fragonard. Il a également enseigné, notamment à l’étranger. Il a choisit d’être un auteur marocain de langue française, mais un auteur témoignant de sa sensibilité gay sans renier toutefois ses origines et sa culture arabe initiale.

Il se trouve ainsi placé à un carrefour étonnant mais offrant de riches et fécondes possibilités : entre les fruits de notre culture et les chaudes couleurs de son Maroc natal.

Cet auteur manie la langue française à merveille de façon très claire, sobre, directe et touchante. Son dernier roman est un vrai coup de cœur que je voulais vous faire partager : Une mélancolie arabe, aux éditions du Seuil.

En effet, quel joli style fait de phrases courtes, avec un goût prononcé pour les mots justes, les analyses pertinentes ! L’émotion contenue est presque délivrée sous forme de poème en prose. Abdellah Taïa nous offre un roman très attachant, écrit à la première personne, où le « Je », par rayonnement, finit par devenir « nous ».

Ne cherchez pas dans ce roman des structures compliquées, des histoires à tiroirs, des parcours extérieurs qui agrémentent la fantaisie mais finissent par tuer l’essence même de la narration. Il n’y a ici, de façon très classique en fait, et très concise, que le narrateur et nous ! Le roman est ainsi d’une grande limpidité, il ne se lit pas, il se goûte et se dévore. Il est bien difficile de le laisser pour le reprendre, car il nous tient dans ses filets de mots, d’émotions et de sensualité.

Ce livre est effectivement un vrai plaisir : il nous fait découvrir un monde arabe fait de finesse, de beauté, d’élégance, d’humanisme et cette même courbe d’horizon rejoint le style dont je vous parlais plus haut.

Loin des jeux tarabiscotés des plumitifs en mal d’innovation et de tous les imposteurs qui forment la cour des miracles de la littérature d’aujourd’hui, il est bon de goûter à cette oasis littéraire et de recevoir comme une leçon de français… Nous qui sommes souvent oublieux de notre propre langue…


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L’histoire commence dans son enfance et son adolescence et chemine dans sa vie d’adulte à travers les rencontres et les impressions qui en résultent. Les moteurs de ce livre sont la tendresse et l’amour, l’interrogation face à ceux que l’on croise et qui bouleversent nos vies : celui qui ne sait pas aimer, celui qui reste un adorable rêve, comme celui qui aime en détruisant presque l’objet de son amour !

Ici il est question de don de soi. Abdellah Taïa n’aime pas à moitié : il décrit de façon instinctive l’accroche des cœurs et des corps, la dépendance de celui qui aime et qui se livre totalement.

« Aller vers sa peau, son odeur, son crâne rasé, ses cigarettes, ses yeux andalous, sa petite taille, son sourire timide et gourmand, son prénom, Javier, le dire devant lui en secret, l’appeler par ce nom, le remplir de sens, de nous deux. »

Cet acte d’amour enclenche également d’autres réactions, ne serait-ce que dans le domaine de la religion ou des positions « politiques », n’oublions pas qu’il est d’origine marocaine et a parcouru le monde arabe.

Ainsi, être gay et vouloir le vivre sans contrainte donne le goût de la liberté. Se retrouver du côté des « opprimés » conduit également à la possibilité de réfléchir sur d’autres opprimés. La distance salvatrice prise avec la société arabe donne lieu à une autre lecture du monde :

« Quant à moi, jaloux, en colère, mécréant, depuis ce jour là j’ai commencé sérieusement à douter de l’existence de Dieu. À douter de lui et des autres. »

« Tout ce qu’on m’avait dit, inculqué malgré moi, s’est tout d’un coup évaporé. Il ne restait que l’homme. Une femme. Comme moi. Pas de différence. » (sur une femme juive qui le sauve)

Ce livre est donc riche des confidences de l’auteur sur son propre parcours, comme sur le monde arabe d’où il vient. Cette mélancolie arabe, titre du roman, est le résultat d’une forme de maturité et de clairvoyance face à son propre destin. Non, le monde ne sera plus jamais le même : séparation avec l’enfance, avec sa famille, avec ceux que l’on a aimé jusque dans une expérience de « folie » et d’abandon de soi ! Mais ceci permettra aussi la rencontre avec une force créatrice extraordinaire : celle de l’écriture !

La dernière partie du livre est consacrée à une longue lettre, on pourrait presque dire une « épître », car elle dépasse son destinataire principal. Elle est d’ailleurs autant nécessaire à son auteur qu’à tous ses lecteurs, qui sont invités à participer à cette prise de conscience, à cette connaissance de l’amour, et à cet absolu à atteindre :

« (…) dire tout, révéler tout et, un jour, écrire tout. Même l’amour interdit. L’écrire avec un nouveau nom. Un nom digne. Un poème. »

 

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Jean-Louis Garac vit à Nice et est passionné par la littérature et la poésie, l'art et le cinéma. Il aime également écrire sur des sujets divers des « billets d'humeur ». Il possède une maîtrise de lettres modernes et son sujet de mémoire a été consacré à Colette. Il tient un blog personnel d’une excellente qualité et participe au fonctionnement de plusieurs associations. Jean-Louis, qui n’est pas responsable du titre de sa chronique (c’est un mauvais jeu de mots, spécialité du chef Daniel C. Hall), entre avec classe dans la grande famille du blog Les Toiles Roses

 

02.

NOUS « HOMOPHOBISSONS » ET D'AUTRES SONT CONDAMNÉS !


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« Toutes choses sont dites déjà ; mais comme personne n'écoute,

il faut toujours recommencer. » Gide, Traité du Narcisse.

 

Il ne se passe pas une semaine sans qu'on rapporte en France via les medias ou dans différents cercles, car tous les incidents ne sont pas relatés, des faits liés à l'homophobie. Il y a peu, c'est une agression bête et violente touchant un couple gay s'embrassant dans la rue à Nice et qui a donné lieu à quarante-cinq secondes à la télévision sur France 3, ; mais aussi c'était des policiers cannois inquiétés par leurs collègues pour leur homosexualité, parfois c'est le pari d'êtres stupides et médiocres qui se payent la tête du gay de service à coups d'insultes gratuites et de sous-entendus médisants sans que nul témoin ne bronche et sans que cela n'inquiète non plus les responsables d'une hiérarchie insaisissable ou les dirigeants indifférents d'une entreprise.


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Nous « homophobissons », si j'ose écrire en mariant le mot homophobie au verbe subir, un peu tous les jours, directement ou indirectement. Pourquoi en 2010, sous nos latitudes, donc bien loin des 80 pays arriérés qui pratiquent une homophobie légale et souvent terrible, devons-nous continuer ici à refaire sempiternellement les mêmes démarches pour appeler et réveiller les pouvoirs publics sur ces questions de violence quotidienne et demander une application totale de la loi afin que nous soyons tous sur le même pied d'égalité (un mot constitutionnel) afin que notre droit français puisse être en harmonie avec la plupart des lois des pays européens sur les questions LGBT (mariage, adoption et homoparentalité) ?

Il est vrai que certaines avancées du droit depuis une dizaine d'années ont commencé à modifier en profondeur la mentalité de nos contemporains, mais ces avancées sont loin d'être égalitaires sur le territoire français : selon la personnalité des politiques locaux, le verdict rendu par les tribunaux, et notre zone d'habitation...


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Il existe aussi des garde-fous comme la sensibilisation ou la formation pour lutter contre toutes les formes de discriminations dont celles liées à l'homosexualité ; mais ces belles paroles sont restées trop souvent, faute de volonté ou de crédits, des vœux pieux inscrits sur des règlements ou des lois mais totalement inappliqués dans les écoles, dans les collèges ou lycées, dans les universités, dans les grands organismes et dans les prisons où pourtant ces actions devraient être menées prioritairement.

Saluons ici un syndicat comme la CGT qui a commencé dans ma région à soulever ces problèmes sous l'angle des comportements homophobes au travail.

Combien d'agressions et de morts faudra-t-il pour enclencher en France une réflexion profonde sur ces sujets d'exclusions et de violences ? Les pratiques semblent plus systématiques dans les pays anglo-saxons avec l'apprentissage des différences et du respect de l'autre ! C'est essentiel de le faire dès le plus jeune âge, c'est tout simplement l'éducation ! Mais la moindre vaguelette continue à faire peur comme le film Le Baiser de la lune, qui ne m'apparaît pas pourtant d'une grande clarté sur la question homosexuelle...

Notre société est encore plombée par des questions de religions, par une « morale » dépassée qui est même devenue la seconde peau de certains politiques n'ayant ni programme ni idées mais qui jouent les référents d'un ordre aussi obsolète qu'imaginaire, « le roi est nu » mais on s'habille comme on peut... En permettant le pacs, en autorisant les établissements ouvertement gays, en punissant l'homophobie, la loi dit quelque chose, mais en refusant que le mariage puisse s'appliquer à tous comme également le refus du droit à l'adoption et à une vie homoparentale, on dit plutôt le contraire. Difficile après d'expliquer aux gens pourquoi les gays et lesbiennes doivent être respectés pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire des hommes et des femmes libres qui assument librement ce que la nature a créé.


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Je parle de « Nature » à dessein car c'est justement l'argument numéro un des homophobes : nous sommes contre-nature ! Et bien non, on appartient à cette nature comme les autres vivants de cette planète qui peuvent être homosexuels ; il y a plus de quatre-vingts ans, Gide écrivait son livre Corydon, il faudrait d'urgence le faire lire aujourd'hui à tous ces aveugles et ces sourds !!!

Parmi les livres à proposer au grand public et à faire lire d'urgence pour entamer une réelle sensibilisation contre l'homophobie ici et ailleurs, il faut se référer au très poignant livre de Philippe Castetbon, Les condamnés, sorti aux éditions H&O cette année. Quel tour d'horizon de la bêtise humaine, invoquant Nature et Loi Divine pour assouvir ce que l'homme sait en fin de compte si bien faire : nuire à son prochain… à son prochain homosexuel en l'occurrence !

En parcourant les témoignages, rapportés par Castetbon, de ces personnes qui ne peuvent vivre ce qu'ils sont au fond d'eux-mêmes, certains comprendront peut-être toute la détresse, la lucidité, la profondeur de réflexion, le courage de ceux-là mêmes qui doivent subir en silence leur propre reniement au nom de la majorité bien pensante.

Soulignons que ceux qui cherchent à humilier et combattre les homosexuels sont aussi très souvent les mêmes qui bafouent les droits de la femme...

Chez nous aujourd'hui, c'est au détour d'une rue, dans un parc, au travail, que ce droit d'être ce que vous êtes va vous être refusé par une ou plusieurs personnes : parfois des sourires narquois, des paroles basses et des rires derrière vous, parfois des mots cinglants, parfois des coups, parfois des comportements hystériques d'hommes ou de femmes que vous croisez qui, telle l'inquisition jadis, violent votre univers, parfois des coups mortels…

Oui cela commence à bien faire de supporter ces mal formés de la tête et du cœur qui plongent d'une main dans la boue des croyances remplies de cadavres et d'interdits et de l'autre essayent de vous déchirer et de vous refuser le droit de vivre, de peur peut-être de voir leur propre désert intérieur…

 

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Interview de Philippe CASTETBON

Journaliste et photographe, auteur du livre Les Condamnés


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Philippe Castetbon, par l’intermédiaire des éditions H&O que je remercie vivement, a bien voulu répondre à quelques questions sur son dernier livre.

 

« Nous devons mener un combat contre la société, les traditions,

la religion et même notre mémoire. » Témoignage extrait du livre précité.

 

Jean-Louis Garac : Vous racontez en avant-propos comment ce livre s’est réalisé au fur et à mesure des contacts via les sites de rencontres sur Internet, cependant combien de temps vous a-t-il fallu pour engranger toutes ces informations et ces témoignages ?

Philippe Castetbon : J’ai eu l’idée et l’envie de ce projet en août 2007 lorsque je me suis inscrit pour la première fois sur un site de rencontres (où je ne suis resté qu’un mois). Puis, cette idée est restée en sommeil dans mon esprit, j’y pensais régulièrement sans jamais me lancer dans sa réalisation. Je dois préciser que dès le départ je savais exactement ce que je voulais : une photo du visage caché, un texte personnel de témoignage et la phrase « Dans mon pays, ma sexualité est un crime » traduite dans la langue natale de chaque participant au projet. Ce titre « Dans mon pays, ma sexualité est un crime » me plaisait beaucoup et il faisait sa place petit à petit dans ma tête. Et je voulais vraiment recueillir des photos, pour présenter un travail d’abord basé sur l’image, puis sur le témoignage.

Et un jour, le 14 novembre 2008, je crois, j’ai eu envie de voir si ce projet pouvait devenir réalité. Je me suis inscrit à nouveau sur un site Internet, après avoir dressé une liste des pays qui condamnent l’homosexualité féminine et masculine, et j’ai commencé à contacter des gars connectés, pays par pays, en leur expliquant mon projet.

Finalement, j’ai travaillé sur ce projet pendant un an, le dernier témoignage, celui du Guyana, est arrivé en novembre 2009, alors que tout était presque terminé.

Les sites de rencontres par Internet semblent jouer un rôle très important pour que ces personnes puissent vivre leur identité homosexuelle/homosociale, certes clandestinement…


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Pensez-vous qu’ils peuvent ainsi mieux se connaître, se retrouver, « vivre » un en peu en quelque sorte et ne pas renier leur dignité ?

Je pense, oui, que les sites de rencontres par Internet ont une place importante pour les homosexuel(le)s qui vivent dans des pays où leur sexualité est considérée comme un crime. Il permet de discuter, d’échanger avec les autres, de se rencontrer, d’avoir des relations sexuelles ou bien de vivre de vraies histoires d’amour. Dans ces pays-là, souvent il n’y a pas de bar, pas de boîte, pas d’association, pas de lieu extérieur pour se rencontrer. Donc, Internet reste l’unique moyen pour ne plus se sentir seul et découvrir que d’autres femmes, d’autres hommes sont aussi dans cette situation, obligés de se cacher et de mentir. Mais, il faut éviter les pièges et rester très prudent car parfois les rencontres suite à un échange par Internet peuvent être dangereuses et sont un piège tendu pour arrêter ou tuer la personne.


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Ces personnes sont-elles restées en contact avec vous depuis ?

Oui, je suis toujours en contact avec eux. Pas avec tous, bien sûr, mais pour la plupart, nous continuons à échanger des messages, je les informe de ce qui se passe ici en France autour de l’exposition et du livre, je leur envoie les liens vers les sites des journaux où on peut voir leur photo. Nous échangeons ensemble depuis des mois maintenant, ils se sont investis dans le projet, ont trouvé du temps pour se prendre en photo et écrire un texte, donc des relations se sont créées. Et j’en ai rencontré certains, à Paris par exemple.


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Avez-vous pu rencontrer certains de ces garçons dans leur pays ?

Non, je ne suis pas allé dans leur pays pour les rencontrer, ni pendant la réalisation du projet, ni depuis que le projet est terminé. Mon objectif était de réaliser ce travail entièrement par Internet, sans les rencontrer. Je voulais rester dans le strict cadre de la rencontre par Internet, contacter des hommes connectés en même temps que moi, chacun dans son pays. Je souhaitais que chacun puisse s’exprimer comme il le voulait, comme il en avait envie, que ce soit pour la photo ou pour le texte de témoignage. Mon envie était de leur donner la parole directement.


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Quelques garçons semblent avoir pu sortir de ces pays pour venir en Europe, comment vivent-ils depuis si vous avez gardé le contact avec eux et sont-ils maintenant réellement en sécurité ?

La phrase qui revient toujours est : « Je suis enfin libre ! » Donc, je pense que quitter leur pays est une vraie libération et la fin de la peur, pour pouvoir être enfin soi-même, en toute sécurité.

Certains intellectuels, comme Abdellah Taïa, d’origine marocaine, témoignent aujourd’hui courageusement aussi de leur « identité » ou essayent de faire progresser les mentalités de leur société.


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Avez-vous reçu leur soutien ou les avez-vous contactés ?

Abdellah Taïa est venu voir l’exposition car, sans le connaître personnellement, je l’avais invité par l’intermédiaire de son site Internet. Comme je le trouve très courageux dans sa démarche et comme j’aime ses livres, j’ai eu envie de l’informer de mon travail. Je crois qu’il a apprécié ce projet, car il sait ce qu’est la vie faite de mensonges pour cacher son identité, il sait, comme d’autres, ce qu’est la solitude quand on découvre sa différence, une différence rejetée par la société et condamnée par la loi. Des amis, qui ont aussi décidé de venir en France pour vivre en paix, m’ont dit qu’ils avaient ressenti les mêmes choses quand ils étaient dans leurs pays.


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Ce livre que vous sortez aux éditions H&O est aussi très « politique » car il dénonce les tortures morales et physiques employées contre des hommes (et des femmes aussi) qui veulent simplement être ce qu’ils sont dans ces pays, dont beaucoup restent des « partenaires » commerciaux et financiers de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Comment ressentez-vous cela ?

Je crois qu’il reste encore beaucoup de choses à faire politiquement. Et que nous pouvons tous agir, pour essayer de changer les choses. Mais, nous le savons, les intérêts financiers passent toujours avant les êtres humains. Malgré tout, je pense que la liberté et le respect des droits de chaque individu, sont un combat nécessaire qu’il faut mener sans relâche. En trouvant des solutions pour faire pression sur ces pays afin qu’ils changent leurs lois.


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Un témoignage très intéressant est celui d’un homme de Papouasie, bisexuel, qui dit que les pratiques sexuelles et traditionnelles ont été dévoyées par des « mots étrangers » et par une morale chrétienne qui impose une vision du monde qui n’est pas celle des autochtones. Il persiste toujours ce qu’on pourrait appeler un colonialisme moral et religieux tous azimuts qui essaye de perdurer par tous les moyens. Vous semble-t-il, pour certains pays, y avoir des pistes d’évolutions favorables des mentalités vers plus de démocratie ?

Il nous faut rester optimistes. En France, le changement des mentalités est assez récent quand même. Tout cela prend beaucoup de temps. Je pense que l’évolution des mentalités se fera d’elle-même grâce, justement, à Internet. Car aujourd’hui on ne peut vivre isolé, chacun sait ce qui se passe de l’autre côté du monde. Même si certains pays ont la tentation, pour faire plaisir à la majorité de la population, de durcir les lois vers moins de tolérance (comme en Ouganda, par exemple), ils ne peuvent agir en toute impunité. Et la pression internationale, la mobilisation sur Internet, les échanges d’informations permettent de se mobiliser et d’agir pour éviter le pire. J’ai appris la semaine dernière que les « sodomy laws » des Fidji ont été abrogées, l’homosexualité n’est donc plus un crime dans ce pays ! Une bonne nouvelle...


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Faites-vous vous-même partie d’une association ou d’un organisme militant pour le droit des opprimés à travers le monde, comme l’ECPM ou Amnesty International par exemple ?

Non. Je préfère agir à ma façon. Je respecte et admire ces organismes militants qui font un travail formidable et nécessaire, mais je pense qu’il existe différents moyens d’action pour sensibiliser et informer. J’en ai choisi un autre.

 

Aujourd’hui quels sont les projets ou pistes de projets vers lesquels vous aimeriez porter votre attention ?

Je ne sais pas du tout, même si j’ai déjà quelques idées. Mais, actuellement, je m’occupe de la sortie du livre et de répondre aux différentes invitations pour accueillir l’exposition en France et à l’étranger.

 

Toute mon admiration et mon amitié à Philippe Castetbon pour sa gentillesse, sa disponibilité et pour l’intérêt qu’il a manifesté autour de ces projets d’articles.

 

Notes :

Accéder aux éditions H&O :

http://www.ho-editions.com/index.php?UID=2010021723394582.66.201.27

Bibliographie de Philippe Castetbon :

Ici est tombé, aux éditions Tirésias.

Vivre par terre, aux éditions Tirésias.

Nu, avec les photographies de François ROUSSEAU, aux éditions Fitway.

 

Les photos de l'article sont © D. R.

Les photos de l'interview sont © Philippe Castetbon et leurs auteurs. Tous droits réservés.

Daniel Conrad Hall remercie Henri et Olivier (pour leur cassoulet !) des éditions H&O.

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Jean-Louis Garac vit à Nice et est passionné par la littérature et la poésie, l'art et le cinéma. Il aime également écrire sur des sujets divers des « billets d'humeur ». Il possède une maîtrise de lettres modernes et son sujet de mémoire a été consacré à Colette. Il tient un blog personnel d’une excellente qualité et participe au fonctionnement de plusieurs associations. Jean-Louis, qui n’est pas responsable du titre de sa chronique (c’est un mauvais jeu de mots, spécialité du chef Daniel C. Hall), entre avec classe dans la grande famille du blog Les Toiles Roses

 

01.

L’ARBRE ET LA FORÊT

 

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Leave the rotten towns

of your father

Leave the poisoned wells

& bloodstained streets

Enter now the sweet forest

in Jim Morrisson, La Nuit américaine, Collection Titres, 107

 

Pourquoi certains films connaissent-ils une gloire immédiate et d’autres non ?

Mystère, mais il est vrai qu’avec une diffusion « confidentielle » et une quasi absence de publicité ce film a toutes les malchances de passer inaperçu !

Et ce serait bien dommage car L'Arbre et la forêt d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau offre un moment d’émotion autour de thèmes encore rarement abordés au cinéma : celui d'un choix de vie opposé à des penchants profonds et celui des persécutions nazies envers les homosexuels.

Ce film cependant ne se déroule pas dans ces années de guerre mais bien après. Le héros du film Frédéric, superbement incarné par Guy Marchand, est aujourd’hui un vieux monsieur réfugié dans son monde, habitant une maison au cœur d'une forêt, près d’un tilleul planté durant la guerre par ses soins. Il vit ainsi baigné dans la musique wagnérienne. C’est dans cet espace que se déroule ce drame à deux niveaux.

Tout d’abord l’insoutenable secret qu’il garde au fond de lui : celui d’une année d’emprisonnement, de martyre, de folies et d’absurdité dans un camp de concentration nazi en Alsace parce qu'il était homosexuel. Mais si les racines de cette histoire sont particulièrement douloureuses, ce n'est pas selon moi l'objet principal du film mais un contexte secondaire qui sert à alimenter le vrai propos du long métrage : le choix d'une vie qui ne correspond pas à la sensibilité profonde d'un homme. J'ai regretté toutefois qu'il n'y ait pas eu quelques flash-back sur ce passé pour justement associer les angoisses toujours présentes de Frédéric à ce qu'il a pu vivre dans ce camp et que beaucoup de nos contemporains ne connaissent pas encore.

Le drame qui se joue tourne autour de la révélation de l'homosexualité de Frédéric vis-à-vis de son fils défunt, de sa femme puis de toute la famille qui lui reste. Frédéric fait partie de ces homosexuels qui ont vécu avec la « honte » de ce qu'ils sont, vu le conditionnement de la société de leur époque dans lequel ils ont baigné, comme les jeunes juifs qui, selon leurs propres témoignages, dans les années de guerre et la déportation finissaient par croire à leur prétendue « culpabilité » !


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Peut-on, sous prétexte d'essayer de vivre dixit « normalement » ou si vous préférez comme un hétéro, se mentir à soi-même et, en fondant une famille, mentir à ceux qui vous entourent ? C'est tout le propos du film qui pose ainsi plus de questions qu'il n'apporte de réponse. Mais y-a-t-il d'ailleurs une réponse simple à donner ? De nos jours encore, combien de garçons et de filles se marient et au bout de quelques années divorcent et reviennent à leurs premières impulsions qu'ils pensaient oublier ou occulter dans un mariage en trompe-l’œil ?

Cependant, les sentiments, l'affection, la tendresse ne sont jamais absents de ces histoires, ce qui complexifie un peu plus les choses : Frédéric a aimé à sa façon sa femme et celle-ci, très dignement joué par Françoise Fabian, a accepté après une première rupture cette situation, participant à sa façon à proposer une histoire de déportation acceptable par tous et passant sous silence les raisons initiales de cet emprisonnement durant la guerre. Le non-dit est donc double.

Le clash vient par le rejet du fils aîné, décédé au moment où l'action du film commence, qui à l'âge de la puberté, donc dans les années cinquante pour le restituer dans la chronologie du film, à force de questions reçoit l'aveu de son père de son terrible passé et de son homosexualité. Pour un enfant vivant à une époque qui ne se posait encore aucune question sur ces sujets, le choc a du être terrible et la fracture irrémédiable.

Je suppose qu'à un âge où l'identification à des figures référentes participe à la construction de chaque individu, cette révélation a brisé une image idéale créée par notre société à vision étroite. Comme en parallèle l'aveu de l'homosexualité du père brisait son image d'homme conforme au moule de cette même société qui a participé, pour reprendre un terme clef du film, à l'absurdité de ce monde plombé. D'où aussi l'image symbolique de l'arbre (du tilleul) qui représente une permanence et une beauté sans conflit face aux errements et aux haines humaines. La présence hostile du fils, certes décédé, est en quelque sorte le symbole d'une société qui a repoussé sans remords toutes les questions liées à l'homosexualité et à la déportation des homosexuels.

Avec courage Frédéric va, tardivement, confesser à sa famille son secret. Le tabou est enfin levé, le regard qu'il porte sur sa vie n'empêche pas les regrets de n'avoir pu vivre son rêve avec un compagnon. Ce film d'une grande richesse et délicatesse renvoie ainsi à des problématiques toujours d'actualité.

Cette histoire rappelle également le témoignage de Pierre Seel, un des rares homosexuels déportés à avoir témoigner par un livre en 1994 sur ce qu'il a vécu face aux abominations nazies. Mais cette prise de conscience sur ces crimes a mis du temps à être reconnue. Ce n'est en effet que très récemment que les États ont pris en compte ces faits, en France grâce à Lionel Jospin en 2001 et à Jacques Chirac en 2002.

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Il est difficile de donner un chiffre sur la déportation des homosexuels durant la guerre, les nazis ont surtout déportés les homosexuels allemands considérés comme des dégénérés afin de purifier l'Allemagne aryenne. Les homosexuels des autres pays ont été un peu moins inquiétés puisque selon les nazis ils participaient à l'abâtardissement de leur race ! Un film et une pièce raconte avec force cette descente aux enfers : Bent, film de Sean Mathias, en 1997, tiré de la pièce du même nom de Martin Sherman et également le téléfilm français Un Amour à taire, réalisé par Christian Faure en 2005.

Pour en savoir plus également sur ce sujet, il faut absolument voir le film documentaire Paragraphe 175, de Jeffrey Friedman et Rob Epstein, sorti en 2005, sur la déportation des homosexuels durant la seconde guerre mondiale. À noter que ce paragraphe 175 du code pénal allemand avait été institué à l'époque de Bismarck, réactivé et utilisé principalement par les nazis, mais abrogé uniquement en 1994 !

 

NOTES :

La journée nationale des déportés, fixée au 25 avril 2010, est l'occasion de rendre un hommage à tous les déportés, y compris homosexuels, de la deuxième guerre mondiale victime de la folie nazie.

Informations sur Pierre Seel, voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Seel

Informations sur la persécution des homosexuels sous le III° Reich, voir :

http://www.ushmm.org/wlc/article.php?lang=fr&ModuleId=74

Voir également sur la déportation des homosexuels, le site :

http://www.france.qrd.org/spip.php?page=rubrique&id_rubrique=14

Informations sur le paragraphe 175, voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Paragraphe_175

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