Jean-Louis Garac vit à Nice et est passionné par la littérature et la poésie, l'art et le
cinéma. Il aime également écrire sur des sujets divers des « billets d'humeur ». Il possède une maîtrise de lettres modernes et son sujet de mémoire a été consacré à Colette. Il tient
un blog personnel d’une excellente qualité et participe au fonctionnement de plusieurs associations. Jean-Louis, qui n’est pas responsable du titre de sa chronique (c’est un mauvais jeu de mots, spécialité
du chef Daniel C. Hall), entre avec classe dans la grande famille du blog Les Toiles Roses…
02.
NOUS « HOMOPHOBISSONS » ET D'AUTRES SONT CONDAMNÉS !
« Toutes choses sont dites déjà ; mais comme personne
n'écoute,
il faut toujours recommencer. » Gide, Traité du
Narcisse.
Il ne se passe pas une semaine sans qu'on rapporte en France via les medias ou dans
différents cercles, car tous les incidents ne sont pas relatés, des faits liés à l'homophobie. Il y a peu, c'est une agression bête et violente touchant un couple gay s'embrassant dans la rue à
Nice et qui a donné lieu à quarante-cinq secondes à la télévision sur France 3, ; mais aussi c'était des policiers cannois inquiétés par leurs collègues pour leur homosexualité, parfois
c'est le pari d'êtres stupides et médiocres qui se payent la tête du gay de service à coups d'insultes gratuites et de sous-entendus médisants sans que nul témoin ne bronche et sans que cela
n'inquiète non plus les responsables d'une hiérarchie insaisissable ou les dirigeants indifférents d'une entreprise.
Nous « homophobissons », si j'ose écrire en mariant le mot homophobie au verbe subir, un peu
tous les jours, directement ou indirectement. Pourquoi en 2010, sous nos latitudes, donc bien loin des 80 pays arriérés qui pratiquent une homophobie légale et souvent terrible, devons-nous
continuer ici à refaire sempiternellement les mêmes démarches pour appeler et réveiller les pouvoirs publics sur ces questions de violence quotidienne et demander une application totale de la loi
afin que nous soyons tous sur le même pied d'égalité (un mot constitutionnel) afin que notre droit français puisse être en harmonie avec la plupart des lois des pays européens sur les questions
LGBT (mariage, adoption et homoparentalité) ?
Il est vrai que certaines avancées du droit depuis une dizaine d'années ont commencé à modifier en
profondeur la mentalité de nos contemporains, mais ces avancées sont loin d'être égalitaires sur le territoire français : selon la personnalité des politiques locaux, le verdict rendu par les
tribunaux, et notre zone d'habitation...
Il existe aussi des garde-fous comme la sensibilisation ou la formation pour lutter contre toutes les
formes de discriminations dont celles liées à l'homosexualité ; mais ces belles paroles sont restées trop souvent, faute de volonté ou de crédits, des vœux pieux inscrits sur des règlements ou
des lois mais totalement inappliqués dans les écoles, dans les collèges ou lycées, dans les universités, dans les grands organismes et dans les prisons où pourtant ces actions devraient être
menées prioritairement.
Saluons ici un syndicat comme la CGT qui a commencé dans ma région à soulever ces problèmes sous
l'angle des comportements homophobes au travail.
Combien d'agressions et de morts faudra-t-il pour enclencher en France une réflexion profonde sur ces
sujets d'exclusions et de violences ? Les pratiques semblent plus systématiques dans les pays anglo-saxons avec l'apprentissage des différences et du respect de l'autre ! C'est essentiel de le
faire dès le plus jeune âge, c'est tout simplement l'éducation ! Mais la moindre vaguelette continue à faire peur comme le film Le Baiser de la lune, qui ne m'apparaît pas pourtant d'une
grande clarté sur la question homosexuelle...
Notre société est encore plombée par des questions de religions, par une « morale » dépassée
qui est même devenue la seconde peau de certains politiques n'ayant ni programme ni idées mais qui jouent les référents d'un ordre aussi obsolète qu'imaginaire, « le roi est nu » mais
on s'habille comme on peut... En permettant le pacs, en autorisant les établissements ouvertement gays, en punissant l'homophobie, la loi dit quelque chose, mais en refusant que le mariage puisse
s'appliquer à tous comme également le refus du droit à l'adoption et à une vie homoparentale, on dit plutôt le contraire. Difficile après d'expliquer aux gens pourquoi les gays et lesbiennes
doivent être respectés pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire des hommes et des femmes libres qui assument librement ce que la nature a créé.
Je parle de « Nature » à dessein car c'est justement l'argument numéro un des homophobes :
nous sommes contre-nature ! Et bien non, on appartient à cette nature comme les autres vivants de cette planète qui peuvent être homosexuels ; il y a plus de quatre-vingts ans, Gide écrivait son
livre Corydon, il faudrait d'urgence le faire lire aujourd'hui à tous ces aveugles et ces sourds !!!
Parmi les livres à proposer au grand public et à faire lire d'urgence pour entamer une réelle
sensibilisation contre l'homophobie ici et ailleurs, il faut se référer au très poignant livre de Philippe Castetbon, Les condamnés, sorti aux éditions H&O cette année. Quel tour
d'horizon de la bêtise humaine, invoquant Nature et Loi Divine pour assouvir ce que l'homme sait en fin de compte si bien faire : nuire à son prochain… à son prochain homosexuel en l'occurrence
!
En parcourant les témoignages, rapportés par Castetbon, de ces personnes qui ne peuvent vivre ce
qu'ils sont au fond d'eux-mêmes, certains comprendront peut-être toute la détresse, la lucidité, la profondeur de réflexion, le courage de ceux-là mêmes qui doivent subir en silence leur propre
reniement au nom de la majorité bien pensante.
Soulignons que ceux qui cherchent à humilier et combattre les homosexuels sont aussi très souvent les
mêmes qui bafouent les droits de la femme...
Chez nous aujourd'hui, c'est au détour d'une rue, dans un parc, au travail, que ce droit d'être ce que
vous êtes va vous être refusé par une ou plusieurs personnes : parfois des sourires narquois, des paroles basses et des rires derrière vous, parfois des mots cinglants, parfois des coups, parfois
des comportements hystériques d'hommes ou de femmes que vous croisez qui, telle l'inquisition jadis, violent votre univers, parfois des coups mortels…
Oui cela commence à bien faire de supporter ces mal formés de la tête et du cœur qui plongent d'une
main dans la boue des croyances remplies de cadavres et d'interdits et de l'autre essayent de vous déchirer et de vous refuser le droit de vivre, de peur peut-être de voir leur propre désert
intérieur…
Interview de Philippe CASTETBON
Journaliste et photographe, auteur du livre Les
Condamnés
Philippe Castetbon, par l’intermédiaire des éditions
H&O que je remercie vivement, a bien voulu répondre à quelques questions sur son dernier livre.
« Nous devons mener un combat
contre la société, les traditions,
la religion et même notre
mémoire. » Témoignage extrait du livre précité.
Jean-Louis Garac : Vous racontez en avant-propos comment ce livre
s’est réalisé au fur et à mesure des contacts via les sites de rencontres sur Internet, cependant combien de temps vous a-t-il fallu pour engranger toutes ces
informations et ces témoignages ?
Philippe Castetbon : J’ai eu l’idée
et l’envie de ce projet en août 2007 lorsque je me suis inscrit pour la première fois sur un site de rencontres (où je ne suis resté qu’un mois). Puis, cette idée est restée en sommeil dans mon
esprit, j’y pensais régulièrement sans jamais me lancer dans sa réalisation. Je dois préciser que dès le départ je savais exactement ce que je voulais : une photo du visage caché, un texte
personnel de témoignage et la phrase « Dans mon pays, ma sexualité est un crime » traduite dans la langue natale de chaque participant au projet. Ce titre « Dans mon pays, ma
sexualité est un crime » me plaisait beaucoup et il faisait sa place petit à petit dans ma tête. Et je voulais vraiment recueillir des photos, pour présenter un travail d’abord basé sur
l’image, puis sur le témoignage.
Et un jour, le 14 novembre 2008, je crois, j’ai eu envie de
voir si ce projet pouvait devenir réalité. Je me suis inscrit à nouveau sur un site Internet, après avoir dressé une liste des pays qui condamnent l’homosexualité féminine et masculine, et j’ai
commencé à contacter des gars connectés, pays par pays, en leur expliquant mon projet.
Finalement, j’ai travaillé sur ce projet pendant un an, le
dernier témoignage, celui du Guyana, est arrivé en novembre 2009, alors que tout était presque terminé.
Les sites de rencontres par Internet semblent jouer un rôle
très important pour que ces personnes puissent vivre leur identité homosexuelle/homosociale, certes clandestinement…
Pensez-vous qu’ils peuvent ainsi mieux se connaître, se retrouver, « vivre » un en peu en
quelque sorte et ne pas renier leur dignité ?
Je pense, oui, que les sites de rencontres par Internet ont
une place importante pour les homosexuel(le)s qui vivent dans des pays où leur sexualité est considérée comme un crime. Il permet de discuter, d’échanger avec les autres, de se rencontrer,
d’avoir des relations sexuelles ou bien de vivre de vraies histoires d’amour. Dans ces pays-là, souvent il n’y a pas de bar, pas de boîte, pas d’association, pas de lieu extérieur pour se
rencontrer. Donc, Internet reste l’unique moyen pour ne plus se sentir seul et découvrir que d’autres femmes, d’autres hommes sont aussi dans cette situation, obligés de se cacher et de mentir.
Mais, il faut éviter les pièges et rester très prudent car parfois les rencontres suite à un échange par Internet peuvent être dangereuses et sont un piège tendu pour arrêter ou tuer la
personne.
Ces personnes sont-elles restées en contact avec vous depuis ?
Oui, je suis toujours en contact avec eux. Pas avec tous,
bien sûr, mais pour la plupart, nous continuons à échanger des messages, je les informe de ce qui se passe ici en France autour de l’exposition et du livre, je leur envoie les liens vers les
sites des journaux où on peut voir leur photo. Nous échangeons ensemble depuis des mois maintenant, ils se sont investis dans le projet, ont trouvé du temps pour se prendre en photo et écrire un
texte, donc des relations se sont créées. Et j’en ai rencontré certains, à Paris par exemple.
Avez-vous pu rencontrer certains de ces garçons dans leur pays
?
Non, je ne suis pas allé dans leur pays pour les
rencontrer, ni pendant la réalisation du projet, ni depuis que le projet est terminé. Mon objectif était de réaliser ce travail entièrement par Internet, sans les rencontrer. Je voulais rester
dans le strict cadre de la rencontre par Internet, contacter des hommes connectés en même temps que moi, chacun dans son pays. Je souhaitais que chacun puisse s’exprimer comme il le voulait,
comme il en avait envie, que ce soit pour la photo ou pour le texte de témoignage. Mon envie était de leur donner la parole directement.
Quelques garçons semblent avoir pu sortir de ces pays pour venir en Europe, comment
vivent-ils depuis si vous avez gardé le contact avec eux et sont-ils maintenant réellement en sécurité ?
La phrase qui revient toujours est : « Je suis enfin
libre ! » Donc, je pense que quitter leur pays est une vraie libération et la fin de la peur, pour pouvoir être enfin soi-même, en toute sécurité.
Certains intellectuels, comme Abdellah Taïa, d’origine
marocaine, témoignent aujourd’hui courageusement aussi de leur « identité » ou essayent de faire progresser les mentalités de leur société.
Avez-vous reçu leur soutien ou les avez-vous contactés ?
Abdellah Taïa est venu voir l’exposition car, sans le
connaître personnellement, je l’avais invité par l’intermédiaire de son site Internet. Comme je le trouve très courageux dans sa démarche et comme j’aime ses livres, j’ai eu envie de l’informer
de mon travail. Je crois qu’il a apprécié ce projet, car il sait ce qu’est la vie faite de mensonges pour cacher son identité, il sait, comme d’autres, ce qu’est la solitude quand on découvre sa
différence, une différence rejetée par la société et condamnée par la loi. Des amis, qui ont aussi décidé de venir en France pour vivre en paix, m’ont dit qu’ils avaient ressenti les mêmes choses
quand ils étaient dans leurs pays.
Ce livre que vous sortez aux éditions H&O est aussi très « politique » car il dénonce
les tortures morales et physiques employées contre des hommes (et des femmes aussi) qui veulent simplement être ce qu’ils sont dans ces pays, dont beaucoup restent des « partenaires » commerciaux
et financiers de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Comment ressentez-vous cela ?
Je crois qu’il reste encore beaucoup de choses à faire
politiquement. Et que nous pouvons tous agir, pour essayer de changer les choses. Mais, nous le savons, les intérêts financiers passent toujours avant les êtres humains. Malgré tout, je pense que
la liberté et le respect des droits de chaque individu, sont un combat nécessaire qu’il faut mener sans relâche. En trouvant des solutions pour faire pression sur ces pays afin qu’ils changent
leurs lois.
Un témoignage très intéressant est celui d’un homme de Papouasie, bisexuel, qui dit que
les pratiques sexuelles et traditionnelles ont été dévoyées par des « mots étrangers » et par une morale chrétienne qui impose une vision du monde qui n’est pas celle des autochtones. Il persiste
toujours ce qu’on pourrait appeler un colonialisme moral et religieux tous azimuts qui essaye de perdurer par tous les moyens. Vous semble-t-il, pour certains pays, y avoir des pistes
d’évolutions favorables des mentalités vers plus de démocratie ?
Il nous faut rester optimistes. En France, le changement
des mentalités est assez récent quand même. Tout cela prend beaucoup de temps. Je pense que l’évolution des mentalités se fera d’elle-même grâce, justement, à Internet. Car aujourd’hui on ne peut
vivre isolé, chacun sait ce qui se passe de l’autre côté du monde. Même si certains pays ont la tentation, pour faire plaisir à la majorité de la population, de durcir les lois vers moins de
tolérance (comme en Ouganda, par exemple), ils ne peuvent agir en toute impunité. Et la pression internationale, la mobilisation sur Internet, les échanges d’informations permettent de se
mobiliser et d’agir pour éviter le pire. J’ai appris la semaine dernière que les « sodomy laws » des Fidji ont été abrogées, l’homosexualité n’est donc plus un crime dans ce pays ! Une
bonne nouvelle...
Faites-vous vous-même partie d’une association ou d’un organisme militant pour le droit
des opprimés à travers le monde, comme l’ECPM ou Amnesty International par exemple ?
Non. Je préfère agir à ma façon. Je respecte et admire ces
organismes militants qui font un travail formidable et nécessaire, mais je pense qu’il existe différents moyens d’action pour sensibiliser et informer. J’en ai choisi un
autre.
Aujourd’hui quels sont les projets ou pistes de projets vers lesquels vous aimeriez porter
votre attention ?
Je ne sais pas du tout, même si j’ai déjà quelques idées.
Mais, actuellement, je m’occupe de la sortie du livre et de répondre aux différentes invitations pour accueillir l’exposition en France et à l’étranger.
Toute mon admiration et mon amitié à Philippe Castetbon pour sa
gentillesse, sa disponibilité et pour l’intérêt qu’il a manifesté autour de ces projets d’articles.
Notes :
Accéder aux éditions H&O :
http://www.ho-editions.com/index.php?UID=2010021723394582.66.201.27
Bibliographie de Philippe
Castetbon :
Ici est tombé, aux éditions Tirésias.
Vivre par
terre, aux éditions Tirésias.
Nu, avec les photographies de François ROUSSEAU, aux éditions Fitway.
Les photos de l'article sont © D.
R.
Les photos de l'interview sont © Philippe Castetbon et
leurs auteurs. Tous droits réservés.
Daniel Conrad Hall remercie Henri et Olivier (pour leur
cassoulet !) des éditions H&O.
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