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LA BIBLIOTHEQUE ROSE

 


 

Le Père Docu s'appelle Gérard Coudougnan, il est né en 1962 et a pour qualification « enseignant-documentaliste », vous savez la dame qui râle au C.D.I. (centre de documentation et d'information) : c'est lui. Pour des raisons indépendantes de sa volonté, il est en ce moment éloigné de son lieu de travail habituel mais a toujours un C.D.I. (contrat à durée indéterminée) avec les bouquins pour qui il a une vraie A.L.D. (affection de longue durée).

Au hasard de ses lectures, il a croisé Marc-Jean Filaire puis Môssieur Daniel C. Hall (« The Boss ») qui lui a proposé de regrouper ici quelques « recensions » d'ouvrages à thématique LGBT.

Toute remarque, toute suggestion sera la bienvenue. Les avis, sous forme de commentaires, pour échanger des points de vue encore plus !

La bibliothèque rose est ouverte… vous avez lu Le Club des Cinq d'Enid Blyton ? Claude, le « garçon manqué » est peut-être alors votre première rencontre avec une petite lesbienne ou une future transgenre ? Ah bon, vous n'avez pas connu les Bibliothèques Rose et Verte ? Qu'importe, entrez (couverts !) ici et faites ce que vous voulez entre les rayons, ne soyez pas sages ...

 

en collaboration avec  homo6  

 

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Cathy Devignard, Un camion à la croisée des chemins, Éditions Gaies et Lesbiennes, 2010, 192 p. ‒ 11 €.

 

Voici la rencontre improbable entre Mattia ‒ jeune homme en conflit avec un père qui refuse d'admettre que son fils est gay ‒ et Chris, routier sympa et tranquille, un peu revenu de tout.

Les deux hommes que tant de choses séparent vont faire un bout de chemin ensemble : Chris parle de sa femme qui est partie avec leur enfant, de sa passion pour les camions et... de la pêche à la ligne.

Mattia évoque Yoann, son dernier amour, ses problèmes familiaux et ses doutes face à l'avenir.

Un happy end est-il possible dans ce genre de situation et quelle en sera la portée ?

Cathy Devignard nous embarque en quelques pages sur les autoroutes européennes et à la découverte des sentiers intimes de chacun des deux personnages. À petites touches, elle nous emmène sur des itinéraires dont elle nous dévoile les richesses inattendues avec une grande maîtrise.

Premier roman réussi, ce livre rejoint un grand mouvement de solidarité auquel s'est associé notre blog. Les droits d'auteurs issus de sa vente seront ainsi intégralement reversés à l'association nationale Le Refuge  dont le président, Nicolas Noguier, a rédigé la préface.

Car l'histoire est évidemment à mettre en relation avec le vécu des jeunes recueillis par Le Refuge après avoir été rejetés par leurs parents. Sans stéréotypes, sans pathos, sans jamais vouloir donner de leçon ni d'exemple, l'auteure réussit un vrai roman subtilement militant que l'on referme le cœur plein d'énergie et d'espoir.

Acheter, lire et/ou offrir (à toutes occasions) ce livre est donc un moyen très simple et peu coûteux de réunir plaisir et acte militant vers les jeunes générations encore victimes d'une homophobie familiale déjà dénoncée ici au moment de la publication du livre de Jean-Marie Périer, Casse-toi ! (Oh!Editions, 2009).

 

Pour en savoir plus :

Sur l'auteure, son blog : http://cathyd65.skyrock.com/

Sur Le Refuge : http://www.le-refuge.org/

Voir aussi notre dossier spécial permanent : http://www.lestoilesroses.net/categorie-11317559.html

 

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INTERVIEW DE CATHY DEVIGNARD

par Gérard Coudougnan

 

« (…) l'homosexualité n'est pas une question de sexe, de vrais ou faux hommes, de vraies ou fausses femmes, mais bien une question de sentiments, c'est de l'amour dont il s'agit. » 

 

Les Toiles Roses : Bonjour Cathy et merci de m'accorder ta première interview d'écrivaine ! Nous nous sommes rencontrés au siège du Refuge à Montpellier le 13 février dernier et depuis, nous sommes restés en contact amical. Aujourd'hui c'est encore Le Refuge qui nous rassemble puisque tu viens de publier ton premier roman sur un sujet lié aux activités de cette association au profit de laquelle tu as décidé d'offrir tes droits d'auteure. Quand nous avons fait connaissance, tu étais restauratrice à Grenoble et te voici maintenant auteure en Ardèche : peux-tu nous en dire plus sur ces changements ? 

Cathy Devignard :Et bien, en effet, de nombreux changements sont intervenus dans ma vie en une année. La vente du restaurant a été un hasard. C'est la vie qui suit son cours. Ce roman, je l'ai écrit bien avant cette vente. Et aujourd'hui, je suis une jeune écrivaine, en Ardèche, parce que notre maison s'y trouve, dans un coin isolé, propice à la réflexion et où je me ressource. C'est ici qu'est née l'histoire de Chris.

 

Si j'ai bien compris, tu es allée vers Le Refuge sans avoir d'enfant homosexuel ? 

Eh oui, je n'ai pas d'enfant homosexuel, mais en tant que maman, je me suis posée une question essentielle : « Et si j'avais un enfant homosexuel ? » Je pense que cette question m'a travaillée inconsciemment au travers d'un téléfilm qui m'a interpellé et qui a donné jour, une nuit (rires), à ce roman.

J'ai découvert Le Refuge après avoir écrit mon roman au hasard des blogs que j'ai visités pour en apprendre toujours plus sur le « comment devient-on homosexuel ? »

J'ai trouvé que cette association méritait d'être aidée et naturellement j'ai adhéré. D'emblée la rencontre à distance avec Nicolas Noguier, le Président, m'a énormément marquée. J'ai tout de suite compris que j'avais affaire à quelqu'un de hors norme, un être à part. Et puis j'ai découvert son engagement énorme pour ces jeunes abandonnés, rejetés par leurs familles, chose que je n'aurais pas imaginée possible. Dès lors, Le Refuge est entré dans ma vie et il m'est inconcevable aujourd'hui de ne pas faire le maximum pour épauler cette association.

 

Avant cette discussion, j'avais envie de te demander ce qui avait transformé ton engagement en source d'inspiration romanesque mais je me rends compte que c'est en fait ton inspiration qui est devenue un engagement ! 

Oui, en effet : en faisant naître cette histoire qu'il m'est apparu nécessaire d'écrire, uniquement pour moi au départ, sans aucune volonté de prétendre à l'éditer un jour, j'ai voulu savoir et comprendre l'homosexualité. Je n'ai pas voulu écrire une histoire qui ne tenait pas debout, toucher un sujet aussi délicat sans le maîtriser. Je me suis donc documentée au travers de livres psychologiques puis de blogs. J'ai découvert alors que l'on pouvait souffrir à cause de son orientation sexuelle. Et puis des jeunes gens isolés, écorchés vifs, en mal-être ont croisé mon chemin. Et au fil des jours, je me suis sentie portée vers eux, encore une fois, comme une évidence. Mon cœur de maman ne pouvait pas faire autrement que de leur ouvrir une place au chaud et surtout une oreille pour qu'ils puissent y déverser leur désespérance et leur souffrance. Une échappatoire, en somme.

 

Une fois cette étape franchie, tu as donc trouvé un éditeur : as-tu senti qu'il partageait ta motivation ? 

Oui, totalement. J'ai eu l'agréable surprise d'être contactée très peu de temps après avoir envoyé mon manuscrit par Jean-Paul Gisserot qui m'a dit « avoir beaucoup apprécié l'intelligence, la finesse d'analyse et la générosité de mon ouvrage » ainsi que le côté optimiste de mon récit. J'en suis très fière d'ailleurs ! Et il se trouvait que mon écrit correspondait complètement à ce qu'il recherchait. 

 

On peut donc saluer ce soutien des Éditions Gaies et Lesbiennes qui t'ont édité à compte d'éditeur. Même s'il y a pour le puriste que je suis un peu trop de coquilles dans le texte, ton roman est un bel objet ! 

Oui, je remercie énormément les Éditions Gaies et Lesbiennes de m'avoir fait confiance dans cette aventure. D'autant plus, qu'au delà de la joie et de la fierté de me voir éditée, c'est pour l'association Le Refuge que je souhaitais voir naître ce roman pour m'en faire l'ambassadrice et puis également, si je le peux, apporter un plus dans la lutte contre l'homophobie. J'ai appris énormément de choses sur ce sujet en me documentant et j'espère avoir fait ressortir des messages pour beaucoup de personnes dans l'ignorance comme je l'étais avant.

 

Ta perception de l'orientation sexuelle est très subtile et rendue avec extrêmement de délicatesse. J'ai envie de te demander si tu es fille ou épouse de camionneur tant ce domaine-là est décrit avec une précision étonnante ! 

Non, je ne connaissais rien non plus au milieu routier, pas de camionneur dans mon entourage et j'avoue que j'ai un tout autre regard sur les transporteurs qui nous sont indispensables d'ailleurs dans notre quotidien. Là aussi je me suis documentée (merci internet).

 

C'est donc un des aspects du travail du romancier : se documenter à fond sur des sujets méconnus. Je trouve intéressant que tu aies fait de Chris un camionneur provincial. Cela donne encore plus de force à ton histoire que s'il avait été coiffeur, antiquaire ou styliste dans le Marais : sa passion pour son métier est-elle aussi la traduction d'une expérience personnelle, la volonté de montrer que nul n'a besoin d'être un intellectuel coupé du monde ou un jet-setteur pour avoir grande une richesse humaine ? 

Non. Chris est né d'un rêve, sans aucune volonté spéciale de ma part. Mais je tiens à dire que s'il n'avait pas été un personnage crédible, cette histoire n'aurait jamais trouvé une suite concrète et serait tombée dans les oubliettes de mon cerveau.

Mais en effet ce camionneur, viril, homme, dans un monde viril, absolument pas dans un contexte qui pouvait laisser prévoir que, montre que bien sûr l'homosexualité n'est pas une question de sexe, de vrais ou faux hommes, de vraies ou fausses femmes, mais bien une question de sentiments, c'est de l'amour dont il s'agit.

Et puis, oui, aussi, la richesse humaine ne trouve pas ses origines forcément dans des milieux privilégiés, c'est encore une fois, une histoire de sentiments, de sensibilités, et de réflexion aussi je crois.

 

Ce livre riche en réflexions est un acte militant : peux-tu nous en dire plus sur tes expériences au Refuge ? 

Mes expériences au Refuge ? Tout d'abord, je tiens à souligner que l'accueil que j'ai reçu au Refuge m'a réellement motivé à m'investir pour cette association. Et qu'aujourd'hui, rien ne m'a démotivé.

Je suis un peu loin de Montpellier, ou des délégations, mais il y a des moyens de participer à distance. Ce qui est important pour moi c'est d'aider à la mesure de mes moyens, notamment en représentant le refuge lors de forums associatifs par exemple. Comme je le disais un peu plus haut, une "ambassadrice", d'ailleurs c'est comme ça que me nomme Nicolas Noguier dans la préface qu'il a eu la gentillesse de faire pour mon roman.

Le Refugea besoin d'argent pour vivre et pour permettre à tous ces jeunes à la rue d'être hébergés le temps de refaire surface. Et si mon livre peut être un moyen de faire connaître cette structure, et de faire connaître ses besoins alors tant mieux.

Il est aussi indispensable de lutter contre l'homophobie en parlant de l'homosexualité, en apportant des réponses aux questions. Et je crois qu'en tant qu'hétéro, non concernée par le sujet ni directement, ni indirectement, je peux en parler beaucoup plus librement, sans crainte et avec peut-être plus de poids que des gens concernés.

Mais je pourrais et j'aimerais parler de l'un de mes p'tits loups (c'est le nom que je donne aux jeunes à qui je consacre du temps grâce à internet). Il m'a été "confié" par Nicolas alors qu'il avait lancé un véritable appel au secours au Refuge. Il était à la limite du suicide, obligé de cacher son homosexualité à sa famille, la peur au ventre qu'on le découvre. Il ne sortait plus de chez lui, ne s'octroyait plus aucun plaisir, s'interdisait de vivre sa vie de jeune de 18 ans. Au fil des jours, grâce à internet, au téléphone, au Refuge et à ma présence à distance à ses côtés, il a repris l'envie de se battre. Il a des projets, de beaux projets. Il a recommencé à sortir et à sourire. Et même s'il n'est pas encore libéré du poids qu'il a sur les épaules, qu'il y a encore un bout de chemin à parcourir, quel bonheur et quelle satisfaction personnelle que de faire partie de ce chemin à ses côtés vers le mieux.

Et c'est à ça que sert aussi Le Refuge. Pas seulement héberger, mais aussi à distance, aider des jeunes chez eux dans leur univers qui n'est pas loin d'être l'enfer pour certains, les accompagner au quotidien vers un chemin meilleur.

 

Madame l'Ambassadrice du Refuge, je vous remercie très sincèrement de votre attention ! Merci et bravo chère Cathy pour ce superbe engagement à nos côtés ! 

Merci à toi Gérard et aux Toiles Roses !

 

 

Pour faire au don au Refuge, cliquez sur le logo :

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Le Père Docu s'appelle Gérard Coudougnan, il est né en 1962 et a pour qualification « enseignant-documentaliste », vous savez la dame qui râle au C.D.I. (centre de documentation et d'information) : c'est lui. Pour des raisons indépendantes de sa volonté, il est en ce moment éloigné de son lieu de travail habituel mais a toujours un C.D.I. (contrat à durée indéterminée) avec les bouquins pour qui il a une vraie A.L.D. (affection de longue durée).

Au hasard de ses lectures, il a croisé Marc-Jean Filaire puis Môssieur Daniel C. Hall (« The Boss ») qui lui a proposé de regrouper ici quelques « recensions » d'ouvrages à thématique LGBT.

Toute remarque, toute suggestion sera la bienvenue. Les avis, sous forme de commentaires, pour échanger des points de vue encore plus !

La bibliothèque rose est ouverte… vous avez lu Le Club des Cinq d'Enid Blyton ? Claude, le « garçon manqué » est peut-être alors votre première rencontre avec une petite lesbienne ou une future transgenre ? Ah bon, vous n'avez pas connu les Bibliothèques Rose et Verte ? Qu'importe, entrez (couverts !) ici et faites ce que vous voulez entre les rayons, ne soyez pas sages ...

 

en collaboration avec  homo6  

 

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Philippe Gimet, Le Crépuscule des Bourbons,

éditions H&O, 2010, 313 p. – 16 €

 

Suivre l'existence d'un jeune aristocrate français durant le règne de Louis XVI : tel est le programme proposé par Philippe Gimet. Si l'on ajoute que ce charmant et athlétique Louis-Marie de Mondétour-Trémainville a trente ans en 1790 et qu'il aime les hommes, on comprendra l'intérêt de ces confidences biographiques !

En fin historien et humaniste, l'auteur nous fait vivre à hauteur d'homme des événements extraordinaires. Le témoignage de Louis-Marie est un excellent moyen de revivre la Révolution Française sans a priori et dans la richesse d'un homme cultivé et à l'esprit ouvert. Une enfance de courtisan lui a donné certains réflexes que ses orientations personnelles ont contribué à modifier. Ce brillant esprit a connu « les violences injustement faites à qui diverge de la norme, laquelle, éminemment variable, ne pouvait être considérée comme digne de foi » (p. 241).

Dans cette épopée, on va ainsi croiser quelques têtes d'affiche telles que Louis XVI, le marquis de Sade, Mirabeau, Desmoulins, la famille Robespierre ou Olympe de Gouges. Des figures moins illustres mais plus importantes dans l'histoire des bardaches (1) figurent aussi, tels Gustave III de Suède ou le Marquis de Vilette (2), à leur juste place.

Un séjour à la Bastille permet même d'en comparer le confort avec d'autres lieux de détention... le début d'un Petit Futé des geôles françaises de l’Ancien Régime !

Mais le grand bouleversement social n'occupe qu'une cinquantaine de pages à la fin du livre. On va d'abord se laisser mener sous divers cieux européens à cheval, en carrosse et même en aérostat (voir la photo d'Aaron Cobbett en couverture...). Suivre les détails des conflits familiaux et dynastiques n'est pas chose toujours aisée : il est cependant possible de se laisser doucement bercer par le style de Monsieur de Mondétour-Trémainville qui peut devenir subitement plus excitant lorsqu'il narre avec un vocabulaire délicieusement suranné ses aventures sensuelles. Son amour des garçons trouve refuge dans les lieux les plus variés et ses partenaires sont issus de tous les milieux, lui offrant ainsi une ouverture sur des conditions d'existence variées allant de celles du valet de ferme à celles des monarques européens ! Son attirance pour les corps noirs lui donne l'occasion de militer en faveur de l'abolition de l'esclavage et de faire preuve d'un esprit « éclairé » qui place l'humain au cœur de ses préoccupations, malgré quelques attitudes de courtisan éconduit.

Enfin un véritable roman historique avec un point de vue original qui n'est pas perturbé par les analyses des historiens des siècles suivants... mais mené par un véritable historien du quotidien.

 

(1) cf. les précédents livres de Philippe Gimet dans sa saga Mémoires d'un bardache.

(2) http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_de_Villette

 

Pour en savoir plus :

Sur la Révolution des Sodomites : http://culture-et-debats.over-blog.com/article-11943376.html

Sur le Aaron Cobbett, auteur de la photographie de couverture : http://www.amazon.fr/Aaron-Cobbett-bilingue-fran%C3%A7ais-anglais/dp/2845471467/ref=sr_1_2?ie=UTF8&s=books&qid=1290000867&sr=8-2

 

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Photo © D. R.

 

Interview de Philippe Gimet

Par Gérard Coudougnan

 

« Les sources historiques explicites ne sont pas légion et on y trouve rarement la mention “untel est une grosse tapette” ! »

 

Les Toiles Roses : Bonjour Monsieur Gimet et bienvenue sur Les Toiles Roses. C'est pour notre humble site roturier un immense honneur que d'accueillir si érudit chroniqueur de tant de courtisans, aristocrates et autres séduisants gentilshommes. Pourriez-vous présenter à notre aimable lectorat votre auguste personne ?

Philippe Gimet : Mon « auguste personne » est aussi roturière que vous et je sens une pointe d'obséquiosité narquoise dans ce débordement d'adjectifs ! S'il n'y avait par ailleurs que des aristocrates dans ma saga, on s'y ennuierait... ferme. Pour ce qui me concerne à titre personnel, je n'ai pas grand chose à révéler qui fasse saliver : j'exerce le métier de journaliste après une longue carrière dans l'imprimerie et l'édition, je voyage assez souvent en France et à l'étranger, je vis en couple à Paris et je me dirige irrémédiablement vers le demi-siècle. Mes « beaux restes » concernent davantage ce que j'écris que ce que je suis. Il paraît que l'organe sexuel par excellence est le cerveau : disons que je me flatte, à cet égard, d'être correctement pourvu !

 

Merci Philippe ! Quelles étaient vos intentions quand vous avez commencé à rédiger Les Mémoires d'un bardache ?

Aucune : le premier volume, Le Sceau de Kropotkine (1), n'était pas destiné à sortir du cercle amical. Rédigeant quotidiennement des articles sur des thèmes parfois ardus et pas drôles du tout, j'éprouvais le besoin de me « rafraîchir la plume » dans un atelier d'écriture orienté érotisme gaulois et poésie de corps de garde ‒ on a ses échappatoires. Le Sceau de Kropotkine est arrivé après une expérience d'écriture de roman à quatre mains ‒ bien occupées : je vous vois venir ! Cela m'a mis en confiance ; jusque là, je n'avais jamais dépassé la centaine de pages et mes expériences éditoriales se résumaient aux nouvelles. J'ai cherché un inducteur, une première phrase qui me ferait fantasmer, et j'ai trouvé celle-là : « Je venais à peine de fêter mon vingt-cinquième anniversaire lorsque parvint à Paris la nouvelle de la mort de Louis XIV. » Ensuite, j'ai pris mon temps, plus d'un an, sans songer à autre chose qu'à me faire plaisir. J'ai présenté le résultat aux membres de l'atelier, ils ont aimé. Ce sont eux, bien plus que la vanité personnelle, qui m'ont poussé à solliciter des éditeurs. H&O a été le premier, et le plus enthousiaste. C'est du professionnalisme de cette maison d'édition, de la confiance et du soutien de ses fondateurs qu'est née l'idée d'une saga historique. Depuis, les romans s'enchaînent à la fois dans la continuité et le renouvellement des intrigues et des personnages.

 

On peut donc entamer la lecture à n'importe quel tome ?

Absolument, c'est un point sur lequel j'ai beaucoup travaillé. J'ose à peine évoquer Fortune de France de Robert Merle ‒ mes récits, avec poils, muscles et dentelles, se rapprochent davantage d'Angélique marquise des Anges ! ‒ mais disons qu'à l'instar de ces monuments de la littérature, ma saga érotico-historique peut se prendre par n'importe quel... bout. Même s'il est vrai qu'un lecteur connaissant la trame depuis le début s'y sentira davantage en terrain connu, retrouvant tel personnage ou tel décor, un primo-lecteur pénétrera aisément dans l'histoire, quitte à faire ensuite des bonds dans le temps.

 

Je vous imaginais en vieux moine travailleur, recherchant ses sources dans de vieux grimoires scellés au fond de bibliothèques semblables à celle du Nom de la rose, et pourtant j'ai devant moi un quadra fort agréable à regarder... Comment écrivez-vous ?

Bientôt quinqua, hélas... Merci toutefois pour le compliment : c'est le moment de me demander quelque chose, vous l'obtiendrez ! (rires) Je n'en suis pas moins un rat de bibliothèque... virtuelle puisque l'un de mes instruments de prédilection est l'Internet, un outil qui permet de gagner environ un an sur les deux que prend en moyenne la préparation d'un ouvrage vraiment documenté. Comment je travaille ? Eh bien, en gros, je conçois une intrigue assez élastique dont le déroulement et la résolution se font sur un canevas historique aussi précis que possible. Mes personnages se placent ainsi dans leur contexte en toute liberté... et me réservent parfois des surprises ! En matière de documentation, je lis évidemment beaucoup d'autobiographies, de mémoires, mais également les journaux de l'époque, les programmes de théâtre ou d'opéra, et même les archives météorologiques. Rien, en revanche, qui ait été publié après les dates qui m'intéressent car l'objectif est de me libérer le plus possible de mon background d'homme du XXIe siècle et d'adopter la subjectivité propre à la temporalité de mes héros. C'est la partie la plus ardue : les pensées d'un aristocrate d'ancien régime, fût-il le plus "libéral" des bardaches, demeurent celles de leur temps. Idem pour les événements dont il a connaissance... ou pas. Par exemple, il fallait être singulièrement visionnaire pour anticiper, à l'ouverture des États Généraux de 1789, ce qui devait s'ensuivre : nous le savons, nous, hommes du XXIe siècle, mais nos ancêtres ne le savaient pas. Il en va de même pour un certain nombre de découvertes ou d'événements, passés sous silence dans mes récits comme dans les chroniques du temps, tout simplement parce que l'information, comme les gens, circulait lentement. Écrire un roman historique revient à adopter un rythme de pensée qui nous est totalement étranger. C'est de cela, je pense, de cette sorte de voyage immobile, que procède, entre autres, le plaisir du lecteur.

 

Avez-vous utilisé des sources historiques pour tout ce qui concerne le vécu « bardache » ou avez-vous laissé voguer votre imagination dans un contexte dont vous maîtrisiez beaucoup des autres aspects ?

Les sources historiques explicites ne sont pas légion et on y trouve rarement la mention « untel est une grosse tapette » ! Il y a certes des figures emblématiques : Monsieur, frère de Louis XIV, notamment, ou encore Jean-Jacques de Cambacérès, mais il faut apprendre à lire entre les lignes et mener un véritable travail d'investigation et de recoupements pour deviner les réelles inclinations de la plupart des bardaches supposés, en des temps où le terme même de "sexualité" n'existait pas et où le mariage était la règle pour tout le monde. Cela dit, mon travail, aussi rigoureux soit-il, n'est pas celui d'un historien et j'ai pris un immense plaisir à broder une tapisserie luxurieuse sur de simples suppositions, déductions... ou inventions ! Le contexte général, en revanche, est aussi fidèle que possible à la réalité historique.

 

Vous est-il possible de décrire en quelques phrases une évolution de ces mœurs de Louis XIV à la Révolution ?

Jusqu'à la Révolution, je ne crois pas qu'il y ait réellement d'évolution : comme aujourd'hui, les puissants font ce que bon leur semble et, comme aujourd'hui, la piétaille doit veiller à ne pas se faire prendre ! Les bardaches étaient méprisés mais leurs nombreux représentants dans la haute société, et le fait que la plupart des militaires marchent « à voile et à vapeur » selon qu'ils soient en campagne ou en ville, empêchaient une stigmatisation autre que religieuse. On retrouve trace de ce sentiment dans l'idée, répandue de nos jours, que les gens riches et/ou cultivés puissent être gay plus souvent qu'ailleurs, ce qui est un cliché. L'Ancien Régime français est un peu celui du don't ask don't tell, une caractéristique qui le différencie nettement de ses voisins européens, où les homosexuels sont persécutés, parfois mis à mort. Tout change au XIXe siècle, après les courts règnes de Napoléon 1er, qui n'en avait pas grand chose à faire, et de Louis XVIII, qui aimait les garçons. C'est l'émergence, sous Charles X, d'une morale rigoriste et bigote, toute bourgeoise, dont nous subissons encore les effets, notamment en France, où les droits des gays sont désormais en retrait par rapport à d'autres pays européens. Et je ne parle pas des maigres avancées sur les questions de société ou des droits plus généraux, en nette régression depuis quelques années, qui concernent la population tout entière...

 

Voit-on à une époque un rapprochement entre libertins et bardaches ?

Les deux termes ne sont pas synonymes : on peut être bardache et cul-béni, fût-ce à notre époque ! Libertin dans le sens de la liberté des mœurs, sans doute ‒ encore que certains libertins hétérosexuels méprisent les « pêcheurs d'étrons ». Mais pas systématiquement dans l'idée d'un refus du dogmatisme ou de l'ordre établi. En dehors des jeux sexuels et à l'instar d'autres catégories, homos des villes et homos des champs, homos bobos et homo prolos cohabitent rarement, même aujourd'hui... Les héros principaux de ma saga ne font pas exception et sont, à cet égard, représentatifs de leur époque : on punira sévèrement quiconque sort sans permission de la condition dans laquelle il est né. Que l'on croie ou non en Dieu ou au destin n'y change rien. Le système des castes n'a jamais existé en tant que tel dans notre pays - pas dans sa complexité à la mode indienne ‒ mais on peut considérer que les fameux trois états de la société d'ancien régime en sont l'équivalent. Des formes insidieuses de cette ségrégation ont traversé les siècles jusqu'aux barrières sociales actuelles, dont la plus glaçante illustration est le fameux « plafond de verre » qui empêche certaines catégories d'accéder à un statut socioprofessionnel différent de celui défini par l'establishment. Alors oui, hélas, on peut tout à fait être libertin et réac ; l'inclination sexuelle ne rejoint pas l'orientation politique.

 

Les Petites Tuileries, ce lieu où tout n'est que débauches dans un cadre de luxe, calme et volupté pour les hommes qui aiment leurs semblables sont-elles le fruit de votre imagination ou ont-elles vraiment existé ?

Je ne voudrais pas décevoir mes chers lecteurs mais il est, en effet, inutile de rechercher en bordure de forêt de Montmorency... Croyez bien que le regrette ! C'est peut-être pour cela, d'ailleurs, que je les ai créées, ces Petites Tuileries... Plus généralement, les lieux qui apparaissent dans ma saga existent ou ont existé pour le décor d'ensemble, mais sont pure invention ou recréation en ce qui concerne les espaces privés. Disons qu'ils auraient pu/dû exister.

 

Avez-vous l'intention de mener cette saga jusqu'à nos jours ?

S'il plaît à H&O, je conduirai même Les Mémoires d'un bardache jusque dans le futur ! Traverser ainsi les siècles est une volupté que j'espère partager longtemps encore avec mes lecteurs-complices.  

 

Tous nos vœux vous accompagnent ! Et merci pour cette interview. Je sais que notre rédacteur en chef vénéré, Daniel Conrad, vous sera redevable et se courbera devant vous… (rires)

 

(1) Voir la troisième recension dans http://www.lestoilesroses.net/article-30742717.html

 Site de nos amis des éditions H&O (les meilleurs !)

 

Note de Daniel C. Hall : Si les éditeurs ou les auteurs (auto-édités ou non) souhaitent envoyer un service de presse à Gérard en vue d’une critique sur ce blog, merci de prendre contact avec le chef Daniel C. Hall qui vous communiquera ses coordonnées : lestoilesroses@hotmail.fr.


TO BE CONTINUED…


 

Le Père Docu s'appelle Gérard Coudougnan, il est né en 1962 et a pour qualification « enseignant-documentaliste », vous savez la dame qui râle au C.D.I. (centre de documentation et d'information) : c'est lui. Pour des raisons indépendantes de sa volonté, il est en ce moment éloigné de son lieu de travail habituel mais a toujours un C.D.I. (contrat à durée indéterminée) avec les bouquins pour qui il a une vraie A.L.D. (affection de longue durée).

Au hasard de ses lectures, il a croisé Marc-Jean Filaire puis Môssieur Daniel C. Hall (« The Boss ») qui lui a proposé de regrouper ici quelques « recensions » d'ouvrages à thématique LGBT.

Toute remarque, toute suggestion sera la bienvenue. Les avis, sous forme de commentaires, pour échanger des points de vue encore plus !

La bibliothèque rose est ouverte… vous avez lu Le Club des Cinq d'Enid Blyton ? Claude, le « garçon manqué » est peut-être alors votre première rencontre avec une petite lesbienne ou une future transgenre ? Ah bon, vous n'avez pas connu les Bibliothèques Rose et Verte ? Qu'importe, entrez (couverts !) ici et faites ce que vous voulez entre les rayons, ne soyez pas sages ...

 

en collaboration avec  homo6  

 

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Aimé Corbaz, L'Homophobie expliquée à ma filleule, Vevey : Le Cadratin, 2010, 129 p. ‒ 40 Francs Suisses

 

La collection « ... expliqué(e) à ma fille » éditée par le Seuil compte à ce jour une quinzaine de titres. C'est « Le racisme expliqué à ma fille » de Tahar Ben Jelloun (1998) qui a marqué Aimé Corbaz. Il s'est inspiré de ce titre et de cette formule pour rédiger une série de lettres à sa filleule âgée de quatre ans en 2010.

Ce journaliste suisse, né en 1956, a déjà raconté ses relations tumultueuses avec l'alcool dans La Peau du homard où nous avions croisé Franck, un ami précieux, qui l'avait fait parrain de sa fille Béatrice. C'est donc à elle qu'Aimé s'adresse aujourd'hui.

Ces seize lettres théoriquement écrites pour être lues par une jeune fille à ses dix-huit ans en 2024 ont toute leur force en 2010. Avec les caractéristiques du style épistolaire, « plus vivant que didactique », le parrain emploie un langage sans ambiguïtés pour décrire à de jeunes adultes ses craintes, ses révoltes, ses espoirs.

Superbe ment édité par un atelier de typographie aux méthodes artisanales, le livre d'Aimé Corbaz est un constat complet et lucide de notre situation à l'entrée de la deuxième décennie du XXIe siècle. Écrit par un quinquagénaire qui a une « culture Stonewall » (1) et une vraie relation avec le cinéma et la littérature, c'est pour nous une balise indispensable dans le bilan de nos avancées et la préparation des combats qui nous restent à mener.

Centré sur la Suisse, et souvent sur le Valais, c'est un l'œuvre d'un journaliste européen qui fut souvent à Paris, Londres, Bruxelles ou New York. Cette mise en perspective du local par rapport au mondial est l'un des atouts supplémentaires de ce livre.

Il ne nous reste plus à attendre que L'Homophobie expliquée à ma filleule soit facilement disponible en France : malgré un prix élevé (environ 30€), il y a là, en plus d'une lecture personnelle, matière à offrir à tant de personnes de notre entourage qui ne cessent de nous répéter que « les homos n'ont presque plus de problèmes aujourd'hui ». PRESQUE ?

 

(1) cf. notre dossier http://www.lestoilesroses.net/categorie-10955105.html

 

Pour en savoir plus :

Le Nouvelliste (08/11/2010) :

http://lenouvelliste.ch/fr/news/invite/etre-gay-quelque-part-ici-et-maintenant-862-233055

20 minutes ch (09/11/2010) : http://www.20min.ch/ro/life/lifestyle/story/24419774

Un éditeur pas comme les autres : http://www.lecadratin.ch/Bienvenue.html

 

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Aimé Corbaz interviewé par Gérard Coudougnan :

« Les gays suisses ne vivent pas en démocratie. »

 

Les Toiles Roses :Bonjour Aimé, je viens d'achever la lecture de L'Homophobie expliquée à ma filleule et j'aimerais savoir s'il y a eu récemment en Suisse des événements, des polémiques qui t'ont poussé à prendre la plume pour rédiger ces lettres ?

Aimé Corbaz :Bonjour Gérard ! Plusieurs choses, en fait… Pêle-mêle : les insultes d’un jeune politicien d’extrême droite valaisan traitant les gays de déviants, le 17 mai 2009, journée mondiale contre l’homophobie ; quelques électrochocs que je me suis payé au cours des premières Assises contre l’homophobie à Genève, en automne de l’an passé… Peut-être surtout à cause d’un sentiment d’injustice ignoble que je ressens depuis toujours ; une lassitude d’entendre plein de gens, même des amis, nous dire : « Mais arrêtez de vous plaindre, les pédés, vous n’avez plus de problèmes aujourd’hui. » Sans oublier cette espèce de fièvre égoïste et jubilatoire qui me prend quand j’écris.

 

Ne ressens-tu pas, comme certains de mes amis helvètes, une certaine fierté à être citoyen du seul et unique État au monde chez qui la reconnaissance du statut des couples de même sexe a eu lieu par décision populaire (référendum ou « votation ») ?

Pas vraiment. Notre système politique est très démocratique mais aussi très complexe, compliqué, lent. Comme militant plutôt intransigeant, je ne suis pas particulièrement fier de mes compatriotes qui, pour 42 % d’entre eux, ont refusé en 2005 que les couples homos soient reconnus. Comme tu le sais, je parle d’apartheid invisible dans mon bouquin. Je paie mes impôts comme tout le monde, j’ai même fait mon armée ! Mais je n’ai ni droit à un mariage conventionnel (seulement un partenariat), ni à l’adoption. Je ne suis pas non plus protégé par une loi contre l’homophobie, comme la loi Nouchet en France. Les gays suisses ne vivent pas en démocratie.

 

Tu es, depuis que tu as quitté le journalisme, thérapeute pour ceux qui souffrent de diverses sortes de « mal de vivre ». Dans le respect du secret professionnel, l'homophobie fait-elle partie de tes domaines d'intervention ?

Bien sûr que je pourrais intervenir sur ce sujet mais le cas ne s’est pas présenté jusqu’ici. En revanche, j’ai des patients gays et je ressens presque toujours ce paradoxe qu’on peut vérifier chaque jour : si notre situation s’est considérablement améliorée, beaucoup d’entre nous souffrent de malaises existentiels, d’où une consommation sans modération de mecs, de produits divers, de médics. Je constate aussi des blessures d’adolescence qui restent des plaies ouvertes. Mais les gays ne sont pas toujours faciles à aider : beaucoup ont tendance à nier leurs douleurs passées, à faire avec, en cultivant l’humour, l’autodérision, le sens de la fête…

 

En 2008, nous avons ici reçu (1) Pascal Pellegrino, le premier Papa gay suisse a avoir exposé son vécu de père homosexuel : la situation de l'homoparentalité a-t-elle évolué depuis ?

Pas que je sache. Ce qui me frappe, à ce propos, c’est qu’on pousse les gens à tricher. Et qu’on ne se préoccupe pas de l’essentiel : donner un statut clair aux enfants qui vivent avec deux parents du même sexe. Pour le reste, on ne me fera pas croire qu’on va assister à une vague d’adoption sans précédent en cas de loi le permettant. Je suspecte, moi, que c’est l’égalité des droits qui fait terriblement peur aux hétéros. Tant qu’on reste des citoyens de seconde zone, on veut bien nous tolérer, voire nous accepter. Mais qu’on ne s’aventure pas à réclamer une équivalence. On reste quand même des pédés !

 

Toi qui durant ta carrière de journaliste a beaucoup voyagé, perçois-tu de grandes différences dans les pays européens en ce qui concerne l'homophobie ?

Je n’ai pas tant voyagé que ça pour le boulot… Mais je garde un souvenir émerveillé d’Amsterdam, il y a trente ans, et d’un petit couple de mecs se tenant par le cou, dans la rue, et sur lequel personne ne se retournait. Après, il y a eu souvent Paris où je faisais pis que pendre dans le Marais : je baisais et buvais jusqu’à ne plus savoir qui j’étais. D’autres capitales, encore, mais je crois que tout le monde sait ça : dans les villes occidentales, ça passe facilement, dans les campagnes, ça peut être l’horreur, aujourd’hui encore. Être gay à Paris ou Genève, ce n’est pas insurmontable. Mais je peux imaginer que dans un petit bled du Limousin ou ici à Sion, en Valais, c’est une toute autre histoire.

 

L'actualité est riche et variée : entre le pape qui retire la capote de l'index, l'ONU qui raye les LGBT de la résolution qui condamne les exécutions arbitraires (2) et des coups de barres de fer contre un client d'un bar gay de Saint-Etienne (3), on est forcé de constater que ton combat, notre combat est loin d'être gagné, même si nous vivons dans l'une des régions les moins difficiles du monde pour nous…

Les choses ont changé, c’est indéniable. Je me souviens de mes vingt ans où il y avait encore un vigile à l’entrée du bar gay de Lausanne. Aujourd’hui, les mecs fument leurs clopes devant la porte, juste à côté d’un établissement 100 % hétéro ! En gros, on vit dans un paradoxe phénoménal. Il y a presque toujours une petite tapette de service dans les séries ou émissions de télé-réalité, tandis que des stars comme Laurent Ruquier ou Jean-Paul Gaultier, ne dissimulent rien de leurs vie et envies. Bref, on flotte dans une ambiance très gay friendly, du style, « c’est fou ce qu’ils sont drôles, gentils, bien élevés. » Mais quand c’est son fils qui rentre un soir et dit à ses parents : je suis amoureux de Sébastien et je vais vivre avec lui, la famille pète les plombs, vole en éclats. Ce qu’il faut continuer à dire, c’est que l’homophobie provoque des montagnes de souffrances inutiles. Probablement que le combat ne sera jamais gagné, que nous resterons toujours dans une certaine étrangeté. Et c’est pour ça qu’il faut se battre sur des droits, sur des lois, sur des règles, et qu’il y a urgence de faire de la pédagogie à l’école, le plus tôt possible. La société civile suivra, comme les pays de l’Europe du nord ou du Québec en ont fait l’expérience.

 

Nous sommes sur un site qui fait de la culture en général et du cinéma et de la littérature en particulier des instruments de progrès : tu as raconté dans tes livres l'importance qu'avaient eu pour toi écrivains et écrans noirs : y a-t-il dans les œuvres récentes des titres qui t'ont spécialement touché ?

Le militantisme n’est plus ce qu’il était ! Et je reste nostalgique d’un Jean-Louis Bory ou d’un Guy Hocquenghem qui ont forcé des portes avec courage et drôlerie. Aujourd’hui, un Didier Eribon fait un travail formidable, tout comme Louis-Georges Tin et son Dictionnaire de l’homophobie, mais ce sont des travaux très pointus, peu accessibles. À l’inverse, il y a une littérature plus légère, romanesque, avec un Philippe Cassand et ses polars gay. On trouve aussi des bizarreries comme Des aveux de La Tour Mossart (4) que je trouve affecté et d’un autre âge. Côté cinéma, Le secret de Brokeback Mountain d’Ang Lee a ébranlé pas mal de gens, mais aussi Les témoins de Téchiné qui dépasse l’histoire du sida, divers téléfilms, et tout ce que je ne connais pas. En écrivant mon livre, j’ai consulté ce que je trouvais sur l’homophobie mais c’est souvent austère, avec plein de chiffres, de statistiques… Expérience faite, je peux te dire que le sujet est difficile parce que ça va dans tous les sens et qu’on tombe fatalement dans des clichés.

 

Sans aucune flagornerie, j'ai trouvé ton livre vraiment excellent. Cependant un doute me taraude l'esprit quand je vois que tu l'as fait publier par un (excellent !) atelier d'impression : est-il édité à compte d'éditeur ou d'auteur ?

C’est à compte d’éditeur. Mais c’est un éditeur particulier, unique. Jean-Renaud Dagon est un poète de l’imprimerie ! C’est après avoir passé dans une émission de radio qu’il m’a contacté ; je crois que c’est d’abord le côté hors norme du sujet l’intéressait. Et ça donne un livre artisanal, un bel objet au papier de qualité, à la typographie impeccable. Bien sûr, la distribution est médiocre mais faire un livre qui ne soit pas noyé dans la grande distribution, et qui réponde à un désir plutôt qu’au hasard d’une balade en libraire, ça me séduisait. Être différents, c’est bien là ce qui nous caractérise, nous amuse et nous flatte aussi, tu ne penses pas ? Mon rêve serait que des gays offrent ce petit bouquin à leurs parents pour Noël, en leur disant : j’ai vécu des trucs un peu comme ce petit Suisse. Ainsi des liens pourraient être renoués, des dialogues rétablis, qui sait ? Pour moi, c’est une façon de soigner une vieille blessure, puisque je ne suis pas parvenu à faire ça avec mes parents.

 

Oui, c'est une excellente idée pour partager son vécu ! On peut donc le commander chez Le Cadratin : dagon@vtx.ch, (site: http://www.lecadratin.ch/Bienvenue.html)... et aussi découvrir tes multiples activités sur ton site http://pascaleric.wordpress.com/. Merci Aimé et bravo !

 

(1) http://www.lestoilesroses.net/article-32836968.html

(2) http://www.lestoilesroses.net/article-onu-les-lgbt-rayes-de-la-resolution-qui-condamne-les-executions-arbitraires-61370285.html

(3) http://www.liberation.fr/societe/01012303278-un-homosexuel-tabasse-a-la-barre-de-fer-a-saint-etienne

(4) Troisième recension dans http://www.lestoilesroses.net/article-33227040.html

 


Note de Daniel C. Hall : Si les éditeurs ou les auteurs (auto-édités ou non) souhaitent envoyer un service de presse à Gérard en vue d’une critique sur ce blog, merci de prendre contact avec le chef Daniel C. Hall qui vous communiquera ses coordonnées : lestoilesroses@hotmail.fr.


TO BE CONTINUED…

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David & Jonathan, mouvement homosexuel chrétien, est consterné par les propos de Benoît XVI dans son livre La Lumière du monde qui paraît aujourd’hui en France, aux éditions Bayard. Nous ne trouvons aucune inflexion significative dans les propos du pape sur la sexualité ou le sida, tout au plus une petite avancée concernant l’usage du préservatif, vite démentie. Bien plus, ses formules semblent expliciter l’esprit de ses précédentes déclarations sur le sujet, en novembre 2005 et mars 2009, mais d’une manière plus abrupte.

Ce livre, au ton sévère, au regard désespéré sur le monde contemporain, est – sur ces thèmes – péremptoire, scandaleux, méprisant et mensonger. Il condamne l’homosexualité comme contraire à la volonté de Dieu. Il juge aussi comme imparfaites en humanité bon nombre de vies affectives et sexuelles. Il méprise enfin les actrices et acteurs de la prévention du sida et les militant-e-s des droits humains.

Mensonger sur les mouvements d’émancipation. Pour le pape, soutenir la lutte contre les discriminations faites aux femmes et aux homosexuel-le-s revient à déployer une intolérance totalitaire envers l’Église et ses convictions (pp. 77-78) ou à s’éloigner de la vraie foi (pp. 128-129). Dans le combat pour les droits humains, nous pensons au contraire que ce sont les autorités ecclésiastiques qui veulent imposer leurs positions à la société civile, autant que cela leur est possible ! Si ces autorités sont attaquées, c’est en raison de leur obstruction à tout mouvement d’émancipation – en particulier des femmes – et non pour l’expression de leurs valeurs religieuses.

Méprisant envers les actrices et acteurs de terrain. Dans la lutte contre le sida, il présente l’Église comme « la seule institution à se tenir concrètement tout près des hommes », et qui « en fait plus que les autres parce qu’elle ne se contente pas de faire des discours dans les journaux, mais aide les sœurs et les frères sur le terrain » (p. 159). Quel mépris à l’égard des autres acteurs de la prévention et de leur travail ! Les catholiques qui luttent avec eux ne peuvent se reconnaître dans une telle prétention.

Tordant l’esprit des programmes contre le VIH qui valorisent l’abstinence et la fidélité à côté du préservatif, le pape fait de celui-ci un pis-aller inadapté qui « banaliserait » la sexualité, la plongeant dans l’addiction. Celles et ceux qui utilisent le préservatif seront heureuses et heureux d’apprendre qu’ils sont en fait des drogué-e-s du sexe ! Ils seraient des millions, rien qu’en France…

Le prétendu vagabondage sexuel existe indépendamment du préservatif, qui est loin d’être « à la disposition » de toutes et tous (pp. 160-161). Face à la pandémie, nous affirmons que mettre un préservatif est un acte responsable pour que l’amour entre deux êtres puisse rester une rencontre de vie ! Son usage est une solution, éminemment morale, n’excluant pas l’abstinence et la fidélité, selon les choix de chacun-e.

Une scandaleuse vision de la sexualité. Sa fameuse « humanisation » de la sexualité (p. 160), cette « rénovation spirituelle et humaine qui entraîne un nouveau comportement dans les relations entre les êtres » (p. 248), suppose en fait que certain-e-s doivent évoluer en abandonnant une sexualité amorale et infra-humaine (pp. 159-161). Or, la sexualité de chaque personne est humaine de fait (y compris celle des prostitué-e-s) et chacun-e peut puiser en elle-même, en lui-même, des ressources pour encore plus d’humanité, de responsabilité, de liberté.

Des jugements péremptoires sur l’homosexualité. Selon le pape, « l’homosexualité n’est pas conciliable avec la vocation de prêtres » (p. 201). Or, toute vocation ne relève-t-elle pas de la seule initiative de Dieu, sans distinction de personnes ? Dieu ne se prive pas d’ailleurs d’appeler des homosexuel-le-s, y compris au sacerdoce. Quelles seraient les aptitudes qui leur manqueraient pour être appelé-e-s ? Est-ce que « leur orientation sexuelle les éloigne du véritable rôle de père, du cœur même de la prêtrise » (p. 201) ? En effet, qui mieux que des célibataires sans enfants peuvent être de véritables pères ! Et de nombreux exemples attestent que les gays et les lesbiennes sont d’aussi bons parents que les autres.

Se proclamant l’interprète de Dieu, il prétend que l’homosexualité « s’oppose à l’essence même de ce que Dieu a voulu à l’origine », sans savoir si elle est innée ou acquise (p. 200). Si, à tout hasard, l’homosexualité était innée, comment Dieu pourrait-il créer certaines de ses créatures dans une condition aussi contraire à sa volonté ? À moins d’imaginer un dieu pervers. Est-ce que les homosexuel-le-s seraient plus marqué-e-s que les autres par le péché originel ?Selon cette logique, certaines sexualités seraient en soi conformes à la volonté divine et d’autres s’y opposeraient. Le pape récuse ainsi la conviction qu’homosexualité et hétérosexualité ont même valeur (p. 193). Nous croyons à l’inverse de lui (p. 199) que la diversité des sexualités témoigne de la richesse de l’acte créateur de Dieu.

 

Elisabeth MASSET, co-présidente et Patrick SANGUINETTI, co-président et porte-parole,

Contact : 06 73 60 98 04, communication@davidetjonathan.com


(Merci à Thibaut Dézé)

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http://www.telsquels.be/cms/

 

Numéro de septembre 2010 :

 

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JEAN-PAUL TAPIE

Interviewé par Tapie Jean-Paul

« Il est évident qu’avec une telle adolescence, je n’allais pas écrire des romans d’amour à la Guillaume Musso ! »

 

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Après avoir longuement hésité, j’ai finalement accepté de me donner une interview. Je me suis reçu chez moi, c’était plus pratique. Je me suis proposé quelque chose à boire. Comme je savais que je n’avais rien dans le frigo, je me suis demandé de l’eau. Je ne l’ai pas bue, elle venait du robinet. Je me suis dit que ça commençait mal.

Je me suis trouvé vieilli, l’air fatigué, un peu amer. Je me suis demandé si j’allais bien. J’ai esquivé en me répondant : « Oui, oui, ça va ! » Je n’ai pas trop aimé le ton sur lequel je me suis répondu, mais j’ai décidé de passer outre et j’ai attaqué bille en tête avec ma première question.

 

Moi : — Jean-Paul Tapie, on vous reproche souvent de prendre pour héros des garçons jeunes, beaux et musclés. Est-ce parce que vous êtes vous-même vieux, plutôt moche, et apparemment plus très en forme ?

Jean-Paul Tapie : — Je vous trouve dur avec moi, mais tout n’est pas faux dans votre remarque. Je ne suis plus très jeune, c’est vrai. Je suis né en 1949 et je suis mort en 2005, ou 2006, par là. Ce qui explique, d’une part, l’état physique un peu délabré dans lequel je me trouve, et d’autre part, ce goût, sans doute immodéré, pour les beaux garçons athlétiques qui abondent au fil de mes récits. Mais je me permets de signaler que je ne suis pas le seul à les aimer, heureusement.


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© D. R.

 

— Les sujets les plus récurrents de vos premiers livres trouvent-ils une explication dans le fait que vous avez été profondément malheureux de vous découvrir homosexuel, et que vous n’avez jamais tout à fait surmonté le chagrin de l’être ?

— C’est vrai, l’homosexualité a été, au cours de mon adolescence, une terrible souffrance. J’étais très efféminé – encore plus qu’aujourd’hui – et mes condisciples ne m’ont pas raté. Mon nom incitait à la moquerie : « Tapie Tapette ! » Une véritable aubaine pour ces enfants de salauds. Moi, j’y ai vu un signe de malédiction puisque mon nom lui-même encourageait l’injure et participait de mon tourment. Il est évident qu’avec une telle adolescence, je n’allais pas écrire des romans d’amour à la Guillaume Musso !

 

— Vous croyez franchement que vos chagrins d’adolescent intéressent beaucoup de monde ?

— D’abord, je dirai que me lit qui veut. Ensuite, j’ai cherché, à travers ces livres, à répondre aux questions que je m’étais posées, et que d’autres, en même temps que moi et après moi, du moins je l’imaginais, se posaient aussi. J’avais cherché en vain les réponses dans des livres qui n’existaient pas, ou que je n’avais pas su trouver, alors j’ai voulu en faire partager quelques-unes que j’avais élaborées moi-même. Je pensais pouvoir ainsi aider les autres. Si j’en crois les lettres, aujourd’hui les mails que m’envoient certains lecteurs, j’y suis parfois parvenu, et c’est malgré tout une satisfaction quand, comme moi, on a des tirages assez démoralisants.


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— Si l’on considère l’ensemble de votre œuvre… Excusez-moi, mais j’ai du mal à prononcer sans avoir envie de rire une expression aussi pompeuse… Disons que, si l’on considère vos différents romans, on constate qu’ils abordent toute une série de thèmes dans un désordre un peu déconcertant. Les deux premiers, Dolce Roma et Le bal des soupirs, tournent un peu autour du pot, si j’ose dire, alors que le troisième, Le désir du cannibale, prend enfin le taureau par les cornes.

— Entre le deuxième et le troisième, quatorze ans se sont écoulés.

 

— Pardonnez-moi de vous dire cela, mais la qualité littéraire de votre troisième ouvrage ne justifie pas un aussi long intervalle pour l’écrire…

— Je n’ai pas beaucoup écrit durant cette période. J’ai beaucoup voyagé, beaucoup fait de sport, beaucoup dansé et beaucoup baisé. D’une certaine manière, j’accumulais de la matière pour plus tard. C’est mon côté proustien. Le seul.


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— Votre quatrième livre, Dix petits phoques, est une pochade difficile à situer…

— Je l’ai écrit pour me distraire, sans y croire vraiment, et comme souvent dans ces cas-là, c’est celui de mes romans qui s’est le plus vendu.


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— Votre cinquième livre, Le fils de Jean, publié chez Gallimard, je le rappelle, aborde un thème plus personnel et aussi plus provocateur : l’amour et le désir d’un fils pour son père – encore une fois, un homme très beau, très musclé, gna gna gna… Évidemment, la première question qui s’impose, c’est : dans quelle mesure ce roman est-il autobiographique ?

— Il ne l’est pas. Il s’agit d’autofiction et non d’autobiographie. Je n’ai pas empoisonné ma mère avec de la mort aux rats, même si j’en ai souvent caressé le projet, et je n’ai pas tenté de violer mon père. Simplement, plus jeune, j’étais très attiré par lui, et j’ai constaté avec l’âge que cette obsession ne s’était pas complètement effacée. Je dois à mon père de m’avoir inoculé, définitivement semble-t-il, le goût des hommes virils et musclés, souvent poilus, parfois bien montés. Pas forcément beaux, mais toujours athlétiques et toujours très masculins. Les judokas, les rugbymen…

 

— Les footballeurs…

— Non, j’ai précisé : virils et masculins. Donc, pas les footballeurs… Mon goût pour une certaine catégorie d’hommes s’est forgé au contact de mon père, dans les vestiaires du club de judo et sur les plages girondines de l’océan. J’avais douze ans. Je n’ai pas changé de goût depuis lors. Peut-être que s’il avait été coiffeur pour hommes ou tailleur pour dames, je me serais fait une autre image de la virilité. Mais elle n’aurait pas été moins caricaturale que celle que l’on me reproche d’illustrer. Pour moi, le gay qui vit dans le Marais, parle de son mec en disant « mon mari » et fait la queue devant le Cox, c’est aussi une caricature. Il y a trente ans, la caricature homo, c’était la folle. Trente ans plus tard, c’est l’ahtlétasse, moitié athlète moitié pétasse. En fait, on est toujours la caricature homo d’un autre homo. Ce n’est certainement pas ce dont les gays peuvent être le plus fiers.


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— Vous publiez alors un livre assez étrange, Le garçon qui voulait être juif. Pourquoi cet amalgame entre juif et homosexuel qui semble avoir choqué certains juifs ?

— Il me semblait qu’il y avait une identité d’épreuve entre les uns et les autres, le fait d’être rejeté a priori par des gens qui ne vous soupçonnent pas d’être différent. Bien des juifs, comme bien des homos, ont fait l’expérience d’entendre quelqu’un cracher sur ce qu’ils sont sans deviner qu’ils le sont, parce que la différence ne saute pas aux yeux. Sauf que, depuis la shoah, être juif est une différence devenue acceptable dont les juifs ne se cachent plus. Arthur, le héros du livre, se fait passer pour juif parce qu’il n’ose pas revendiquer une différence qu’il considère alors comme moins acceptable.


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— Vous écrivez ensuite le roman que vous considérez comme le plus autobiographique, Un goûter d’anniversaire.

— C’est pour écrire ce roman que je me suis mis un jour à écrire, oui.

 

— Quand on considère le résultat, on se dit que ce n’était peut-être pas la peine…

— Merci !... Le seul problème, c’est que, poussé par le directeur littéraire de l’éditeur, j’ai dû changer la fin initialement prévue, et je n’aime pas celle qu’il m’a suggérée. Alors, il y a quelques années, j’ai réécrit cette histoire, sous un autre angle. Le roman doit paraître prochainement, sous le titre Ils m’appelaient Fanchette.


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— On est positivement impatient de le lire !... Mais assez ri ! Vous publiez, à cette époque, un roman, L’arbre du voyageur, dont le héros est hétérosexuel. Là, on n’est plus dans l’autofiction du tout. J’oserai presque dire qu’on est dans la science-fiction !

— L’année précédente, j’avais remporté ce qui est à ce jour mon seul prix littéraire…


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— Quoi ? Un seul ? On se pince…

— J’avais participé à un concours de nouvelles, le Prix de l’Océan Indien, et je l’ai remporté avec une nouvelle intitulée Putain de Roche Écrite ! Elle racontait l’histoire d’un garçon d’une trentaine d’années, atteint du sida, qui décide de participer au Grand Raid de la Réunion, une course à pied de 130 kilomètres à travers toute l’île. C’est le seul de mes livres qui aborde franchement le problème du sida.

 

— Une méchante langue pourrait qualifier cette nouvelle de dommage collatéral de la maladie… Passons. Pourquoi évoquer le sida cette fois seulement ?

— Parce que la chance a voulu, et veut toujours que je sois séronégatif. Malgré mon volontariat à Aides pendant quelques années, je ne me sens pas le droit d’aborder ce problème que tant d’autres vivent dans leur chair. Un peu comme avec la Shoah. Je pense qu’il y a des drames dont seuls peuvent parler, et ont le droit de parler, ceux qui les vivent, ou les ont vécus.


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— C’est tout à votre honneur… Après le père, la mère. Vous publiez Un goût de cendres, un roman que d’aucuns ont jugé morbide.

— Il s’agit de l’histoire d’un garçon qui n’aime pas sa mère, qui ne lui a jamais pardonné son silence à propos de son homosexualité et qui se venge d’elle, après sa mort, en disposant de ses cendres de cent façons différentes, notamment en les mangeant… Je précise, avant que vous ne me posiez la question, que ma mère a été inhumée, et non incinérée.


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— Vient ensuite un livre étrange, Le chasseur d’antilopes. La confession d’un homophobe très violent qui casse du pédé pour se distraire.

— J’ai voulu me mettre dans la peau d’un homophobe, car je pense qu’on se comprend mieux en tentant de comprendre les motivations de l’ennemi.

 

— On vous a reproché une certaine complaisance vis-à-vis du personnage central…

— Ce n’est sans doute pas faux. Je suis fasciné par les hétéros, et les homos, parfois, me dérangent, m’agacent même, voire m’exaspèrent. J’ai pu me laisser aller en décrivant le personnage de Fabien Meyer. J’ai assez bien connu l’adjudant Pierre Chanal qui a été mon instructeur quand je faisais du parachutisme sportif à Mourmelon. Sa personnalité m’a interpellé, c’est sûr. Il avait le profil idéal du casseur de pédés, mais aussi le profil idéal du pédé à problèmes qui fait payer aux autres ce qu’il considère comme son vice. Ce qui n’est pas le cas du héros de mon livre. Sa motivation – si on peut parler de motivation – est autre.

 

— Ce livre est le dernier – du moins on l’espère ! – inspiré de votre propre expérience. Après cela, vous publiez le premier tome de Dolko, L’odyssée de l’esclave. Mais avant d’en parler, j’aimerais que vous nous disiez un mot de Zaïn Gadol.

— Zaïn Gadol est le pseudonyme sous lequel j’ai publié quelques romans à caractère érotique…


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— Il serait plus juste de dire pornographique !

— Si vous voulez. Je n’ai pas de problème avec ça. La pornographie est un style littéraire comme un autre.


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— Tout dépend de celui qui l’écrit !... Pourquoi un pseudo ? Vous pensiez que votre célébrité était telle qu’elle risquait de souffrir de livres aussi crus ?

— Mon éditeur le pensait, c’est lui qui m’a suggéré de prendre un pseudo.


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— Pourquoi Zaïn Gadol ?

— J’ai dit à mon éditeur que Zaïn Gadol était l’anagramme du nom de ma grand-mère, Zaïna Gold. En fait, il a eu la surprise de le découvrir plus tard au Salon du livre en voyant un couple d’israéliens s’esclaffer devant la couverture : Zaïn Gadol, en hébreu, signifie grosse queue !


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— On reconnait là votre humour proverbial… Revenons plutôt à Dolko. D’où vous est venue cette idée d’écrire une telle saga ?

— J’avais toujours rêvé d’écrire un roman de cape et d’épée. J’ai découvert la littérature avec Dumas père. Je voulais écrire les aventures hors du commun d’un personnage plus grand que nature, bigger than life, comme disent les Américains. J’ai commencé Dolko sans trop savoir où j’allais, et très vite je me suis rendu compte que je tenais tous les éléments de la saga que je rêvais d’écrire depuis tout petit…


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— On écrase une larme et on poursuit : là encore, plein de garçons musclés, beaux, virils, dotés de membres exceptionnels… Ce n’est pas un peu trop ?

— Écoutez, si vous rêvez de lire les aventures d’un gay moche, mal foutu avec une petite bite, je peux vous suggérer quelques titres…


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— Non, merci, on les connaît tous !... Revenons à Dolko… Pourquoi un héros aussi obsédé par le sexe, qui saute sur tout ce qui bouge ?

— Je dirais plutôt : enfin un héros romanesque, au sens le plus classique du terme, homo et content de l’être !... C’était mon ambition avec Dolko, créer un héros de saga, comme D’Artagnan, Tintin ou Zorro. J’en avais un peu marre de tous ces super héros hétérosexuels ou asexués. J’ai voulu en créer un qui aime les garçons et à qui cela ne pose aucun problème existentiel. Dolko est un homme libre dans un monde où très peu d’hommes le sont. Il est moderne dans l’approche de ses rapports avec autrui et avec lui-même. Il a quelque chose d’intemporel. J’aimerais pouvoir dire : d’immortel.


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— Vous ne croyez tout de même pas que Dolko vous survivra !

— Si je meurs dans une semaine ou deux, il lui reste une chance !... Sérieusement, je ne crois pas à la postérité de la littérature gay. Les seuls romans gays qui survivront seront ceux, s’il y en a, qui appartiennent d’abord au patrimoine de la littérature générale. Les mœurs évoluent très vite, trop vite pour qu’un roman gay ne se démode pas en quelques années. Qui peut lire aujourd’hui, sans sourire, Les amitiés particulières ? Quand j’avais vingt ans, j’ai entendu un oncle me dire à l’issue d’une discussion politique orageuse : « L’opinion de tapettes dans ton genre, on n’en a rien à foutre ! » Et à la même époque, mon beau-frère affirmait que « les pédés, il fallait tous les fusiller ! » On le voit, je l’ai échappé belle… Personne n’oserait aujourd’hui proférer des choses pareilles. Et c’était il y a quarante ans seulement.

 

— Donc, tous vos romans sont promis à l’oubli… C’est une bonne nouvelle pour les générations futures !

— Les seuls qui ont une chance de survivre, ce sont justement ces livres que je qualifie de porn’érotiques, comme Dolko ou Amaury. L’érotisme et la pornographie, ne se démoderont jamais. La honte d’être homo est en voie de disparaître et l’homophobie n’en a plus pour longtemps, du moins publiquement.

 

— Cette bifurcation dans votre inspiration n’a pas été du goût de tout le monde…

— Non, certains intellectuels gays – qu’on me pardonne cet oxymore – m’ont reproché de céder aux sirènes commerciales. J’aurais bien aimé qu’ils aient raison mais, même si Dolko a été un succès, et continue de l’être, c’est un succès modeste, comme d’ailleurs la plupart des romans gays. J’aime rappeler cette phrase de Dustan : « Je suis un best seller gay et je tire à 4000 exemplaires ! »


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— Malgré cette demi-déception, vous avez persévéré, puisque, après les autres tomes de Dolko, vous publiez le premier tome d’une nouvelle saga, Amaury ou les chemins de Paris.

— Il s’agit cette fois d’une histoire en trois tomes qui se déroule à l’époque de la Quatrième Croisade et de la prise de Constantinople par les Croisés. Les héros s’appellent Amaury et Bertrand. Le deuxième tome, Bertrand ou les chemins de la Terre Sainte, doit paraître l’an prochain.

 

— Toujours chez H&O ?

— Toujours chez H&O. J’ai eu l’occasion d’essayer un autre éditeur gay et je n’ai eu aucune raison de m’en féliciter. H&O me suit depuis Dix petits phoques, ce qui prouve à la fois leur confiance et leur optimisme !


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— C’est quand même moins flatteur que Gallimard ou Grasset, non ?

— En apparence, seulement. Mon passage chez Gallimard est aussi mon expérience la plus décevante dans le monde de l’édition. Qu’on le veuille ou non, il existe un problème relationnel délicat entre homosexualité et édition. En fait, un roman ouvertement gay a du mal à convaincre au-delà de la clientèle homosexuelle. C’est le même problème que pour un acteur qui fait son coming out : il ne parvient plus à convaincre le public dans un rôle d’hétérosexuel. Je n’ai pas besoin de vous dire à qui je pense.

 

— Vous vous plaignez souvent du manque d’écho que vous soulevez dans la presse gay…

— C’est exact. En quinze ans, j’ai publié une douzaine d’ouvrages strictement gays. J’ai eu droit, dans Têtu, en tout et pour tout, à une interview pour la sortie du Fils de Jean. Et encore l’intervieweur a réussi le tour de force de ne même pas parler du livre. Ses préoccupations étaient ailleurs, comme le prouve sa dernière question : « Vous avez l’air obsédé par les gros sexes ? »… Ce qui est d’un intérêt captivant pour un éventuel lecteur, il faut bien l’admettre. Après ça, j’ai eu droit à une interview sur le site tetu.com au sujet de la saga Dolko, mais elle n’a pas été jugée digne d’être publiée dans les colonnes du magazine, entre le énième article sur Mylène Farmer et une enquête sur : « Les gays bronzent-ils mieux que les hétéros ? »


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— Vous semblez considérer comme allant de soi qu’un magazine gay soutienne un écrivain gay…

— Exactement. Je pense que quand on ose parler de communauté, d’esprit communautaire, il doit y avoir un soutien automatique. Je n’ai jamais demandé à Têtu ou Sensitif ou à PREFmag d’encenser des romans qu’ils n’appréciaient pas, mais les passer systématiquement sous silence, oui, je trouve cela injuste, et même immérité. Je ne suis pas un grand écrivain, c’est entendu, mais quand même pas si mauvais que ça non plus ! Au moins, Gay Pied m’avait toujours soutenu.

 

— Peut-être que si vous vous montriez moins critique au sujet de manifestations comme la Gay Pride ou les Gay Games, vous seriez plus populaire auprès de ces élites gays – pardonnez-moi aussi cet oxymore !

— Vous avez sans doute raison. Mais je ne vois aucune raison d’être fier de mon homosexualité, puisqu’elle n’est pas un choix, mais une simple spécificité que j’ai finalement décidé d’assumer, non sans difficulté. Ou alors, autant être fier de mesurer 1m84, ou d’avoir les yeux verts, ou d’être blanc. Ou encore d’être hétéro. Or, quand les majorités commencent à être fières d’être ce qu’elles sont, on sait comment ça finit… Quant aux Gays Games, je les rejette au nom de l’olympisme, qui est une valeur universelle refusant les différences raciales, religieuses, sexuelles ou autres. Et aussi au nom du refus de l’homophobie, car il faut être homophobe pour penser que les gays ne peuvent remporter des compétitions sportives qu’en concourant entre eux, et non à égalité avec des hétéros. Que je sache, Greg Louganis ou Matthew Mitcham ont gagné leurs médailles d’or à la loyale. J’aime trop le sport pour le pratiquer avec une étiquette dans le dos.

 

— Il est certain qu’avec de telles explications, vous allez vous rallier un grand nombre de supporters !... Vous êtes aigri depuis toujours, ou c’est quelque chose de plutôt récent ?

— Je crois que c’est depuis l’adolescence ! Comme un imbécile, j’ai cru que parce que j’avais souffert d’être ce que j’étais, je m’étais acquitté d’arrhes importantes sur le bonheur à venir. Je me suis trompé. Mais finalement, j’aime bien ma colère. Elle permet de conserver une certaine lucidité. Par instants, elle est quand même un peu pénible à vivre, à commencer pour moi.


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Dans votre blog, vous faites souvent allusion à votre prochain suicide. Êtes-vous de ceux qui préfèrent en parler que de passer aux actes ?

— Je le crains, oui. Mais vous savez, il ne faut jamais désespérer. Ma fin est peut-être plus proche que vous ne semblez le croire…

 

— Eh bien, nous terminerons sur cette note d’espoir !

 

 

[Ajouts 19h00 de Daniel Conrad Hall :]

Plusieurs lecteurs et membres du groupe Facebook de Les Toiles Roses me signalent qu'une interview de Jean-Paul concernant Dix petits phoques est disponible en cliquant sur ce lien.

D'autres, spécialistes de films très chauds, m'ont appris que le jeune homme posant pour les couvertures de la quadrilogie Dolko est Damien Crosse, une star du porno gay US. Je tiens à préciser que l'on prend sept minutes de plaisir (moyenne officielle pour les amateurs de porno [authentique !]) avec un film de Damien alors qu'avec un livre de Jean-Paul, ce sont plusieurs heures. Donc un conseil : lisez... et pas que d'une main... (rires)

Merci pour ces infos.

  

© Jean-Paul Tapie, août 2010, pour Les Toiles Roses.

Tous droits réservés. Reproduction interdite sans l’accord de l’auteur.

 
L’auteur :
Tatiana Potard est née le 10 novembre 1972. Après avoir passé son enfance et son adolescence en Picardie, le cœur léger et le bagage mince, elle décide de quitter sa province pour conquérir le gay Paris. Elle découvre alors le milieu de la nuit, où les rires et les paillettes font danser les absences. Elle collabore depuis à la rédaction de divers magazines et sites LGBT. Avec Sex Addict, son premier roman, elle nous plonge sans détour dans l’univers festif et déluré des jeunes lesbiennes.
L'avis de Matoo :
Tatiana Potard, célèbre blogueuse lesbienne devant l’Éternel, m’a dédicacé son bébé la dernière fois au Blue Book. Il s’agit d’un petit roman sans prétention, et qui ne va pas révolutionner la littérature. Mais il a deux qualités : il m’a bien fait rire, et il m’a appris plein de choses sur le sexe entre les filles.
Si vous pensez que deux filles dans un lit s’emmerdent, alors lisez ce bouquin et vous serez convaincus du contraire. « Oh là là ! » Comment elle se lâche la Tatiana dans les descriptions, c’est terrible. Elle n’hésite pas à faire le récit circonstancié de plans cul et on en voit de toutes les couleurs. Un peu de crudité, et parfois un brin trash, mais toujours cet humour et cette ironie dont elle nimbe les choses. Et on a droit à un éventail de pratiques carrément indécentes et follement décadentes auxquelles je ne peux qu’adhérer.
Là où je n’ai pas été super emballé c’est finalement dans le choix narratif du blog. L’auteur (et narratrice) se met dans la peau d’une blogueuse et le roman est écrit comme l’agrégation des articles du blog de l’héroïne, Alex. Cette dernière a trente balais, mais agit plutôt comme une maraisienne de 22 ans. Et le ton des posts va avec, alors que je pense qu’un roman, à la forme plus classique, aurait été mieux tourné. On suit les tribulations amoureuses, amicales et professionnelles de cette goudou survoltée tout au long de son blog qui lui sert d’exutoire. Et en gros, elle sort avec ses potes dans le milieu gay, elle picole, fait la teuf, baise des nanas, parfois tombe amoureuse, et a de temps en temps des chagrins d’amour. Rien que de très classique et de très bloguesque donc !
J’y retrouve un peu les accents et la vigueur de Transports parisiens qui avait bien défrayé la chronique à l’époque, ainsi que la familière peinture de la vie dans le Marais que je connais bien. Du coup, entre cette atmosphère et la manière dont elle parle de sexe, sans complexe et sans ambages, je pense que le bouquin pourrait trouver un écho très positif chez de jeunes goudous. Il n’existe pas beaucoup de livres dans ce genre qui montrent des homos si bien dans leurs baskets, à la simple quête de fun, d’amitié ou d’une petite amie.
Le mieux est encore d’en goûter quelques passages comme celui-ci où l’héroïne décode des petites annonces, qui m’ont bien fait rire.
« Jeune femme 42 ans cherche âme sœur cadre supérieure aimant le jardinage, la poterie et le cyclotourisme. Fumeuse, alcoolique, droguée, bi et psychotique s’abstenir. Passez votre chemin ! »
Explication de texte façon Alex :
« Jeune femme 42 ans » : Sans déc’, y’a rien qui vous choque là ?
« Âme sœur cadre supérieure » : Je cherche une femme cultivée et pétée de thunes. Si tu es en profession libérale, que tu es jeune, féministe et surtout très belle, tu m’intéresses…
« Aimant le jardinage, la poterie et le cyclotourisme » : Ma chérie, viens à moi ! Racines de topinambours au déjeuner tu suceras et chèvres angoras dans le Larzac tu élèveras. Beaucoup de thé tu boiras, en macramé tu excelleras, dix chats dans la cuisine tu auras et Barbara en boucle tu écouteras…
« Fumeuse, alcoolique, droguée, bi et psychotique s’abstenir » : Ah oui, alors là, ça va devenir compliqué ! À mon avis, il faudrait au moins s’être fait un bon shoot , avoir vidé une bouteille de vodka, s’être enfumé la tête à coups de paquets de clopes, s’être tapé une bonne queue dans une backroom et être sous régulateur de l’humeur depuis au moins deux ans pour avoir envie de te répondre, darling !
Allez courage, jeune femme de 42 ans, l’espoir fait vivre. Caresses aux chèvres ! »
Et dans le genre trashy et assez hallucinant, ce genre de morceau d’anthologie ! Bon mais souvent, ce sont des descriptions un peu plus sexuellement délectables.
« Une fois, ça m’est arrivé ce genre de plan avec une nana que j’avais draguée au festival de films goudous Cinéfemme. Après la projection de la séance porno, on est allé chez elle et, au moment où je m’apprêtais à la butiner, j’ai senti un truc sur ma langue. Au début, je pensais que c’était une minuscule boulette de morceau de PQ qui était restée logée entre deux lèvres (Oh ça va hein ! Ça nous est arrivé à toutes au moins une fois). Eh bien non ! C’était la ficelle de son tampon. Je vous jure, j’ai failli vomir direct ! »
Et même, ces envolées lyriques assez fascinantes (pour moi) m’ont vraiment scotché.
« J’aime le sexe des femmes, tous les sexes. Ceux qui mouillent trop et t’éclaboussent de miel, les arides qui demandent toute ton application, les béants prêts à t’avaler tout entière, les recroquevillés qui se meurent de peur, les épilés façon ticket de métro ou lisses comme une peau de bébé, et les afros qui te laissent trois poils sur la langue après chacun de tes assauts.
J’aime le cul des femmes, tous les culs. Les rondouillards et les voluptueux que tu bouffes comme un fruit bien juteux. Les musclés aussi durs que la pierre que tu jalouses secrètement et que tu contemples comme un poster Pirelli sur la vitre d’une cabine de routier. Les bronzés 365 jours par an, grillés à coups de carte de fidélité dans le Point Sunshine du Marais ou au contraire, les blancs comme des culs, déjà plus normaux. Et que dire du fripé sous le poids des années ou encore du puceau qui sursaute au passage d’une langue ou d’un doigt en quête d’absolu.
J’aime les seins des femmes, tous les seins. Les poires, les melons, les pastèques, les cerises, les noisettes, les tétons rosés, rouges et les écarlates prêts à exploser. Ceux que tu lèches tendrement et que tu as peur de blesser, ceux que tu pinces et que tu étires jusqu’à les déformer, ceux que tu malaxes comme une pâte de boulanger, ceux que tu embrasses et ceux devant lesquels tu t’agenouilles respectueusement comme devant une icône. »
Et encore il manque l’orgasme, les peaux et les cheveux des femmes à découvrir avec autant de passion et de verve. Ce n’est pas vraiment ma tasse de thé mais je reconnais que ce bouquin peut vraiment plaire à certains, et surtout à certaines. En tout cas, sooooo refreshing !
Pour plus d'informations :

 

L'auteur :
Stephen Spender, considéré comme l’un des plus grands poètes britanniques du XXe siècle, est mort en 1995 à Londres à l’âge de quatre-vingt-six ans.
Il était aux yeux des critiques l’un des trois principaux poètes de son pays, avec Wystan Hugh Auden et Cecil Day Lewis. Tous trois avaient formé le noyau d’un mouvement littéraire influencé par des idées humanistes de gauche. Spender avait adhéré au Parti communiste britannique en 1936 pour démissionner quelques mois plus tard en raison d’un désaccord sur la guerre d’Espagne. Il avait participé au lancement en 1953 du magazine
Encounter, qu’il avait quitté en 1967 lorsqu’il avait appris qu’il bénéficiait d’un financement de l’agence de renseignement américaine CIA. Professeur d’anglais à University College de Londres de 1970 à 1977, il avait été anobli en 1983.
L'avis d’Oli :
Les rencontres d'un jeune étudiant d'Oxford, poète à ses heures perdues, avec d'autres garçons de son âge, à Oxford et en Allemagne, en 1929, dans l'insouciance de cette République de Weimar qui n'arrivera pas à détecter l'arrivée du nazisme.
Ce roman est d'abord une histoire à la thématique « homo » très marquée. Assurément à classer au rayon arc-en-ciel. D'une époque où il était inutile de décrire en termes crus une relation hot pour être mis à l'index, où de simples évocations d'amitié, de lectures de poésie et de plages naturistes au bord du Rhin suffisaient à émoustiller le lecteur et le censeur. C'est très bien écrit et très bien traduit (traduction de Guillaume Villeneuve) d'ailleurs, ce qui donne un cachet particulier à ces histoires entre garçons – on est loin du porno-trash sexuel allant de Bret Easton Ellis aux scripts de porno XXL.
Ecrit en 1929, avant d'être retravaillé un demi-siècle plus tard pour être enfin publié, c'est aussi un témoignage sur l'Allemagne des années folles (sans jeu de mots). Une certaine indolence, un culte du corps et une vie sociale intense pour des jeunes fêtards, c'est un peu l'Amérique des 70's, c'est la tranquillité d'une époque qui constate naïvement l'existence de groupes de gens admirant un petit brun moustachu aux propos incohérents mais galvanisants. On les traite avec le mépris dû à leurs idées, mais on ne se laisse pas tracasser par ça outre mesure. Un témoignage historique aussi, donc.
Je ne suis pas tellement habitué à la lecture d'œuvres du rayon homo (au-delà d'Oscar Wilde), j'ai donc à la fois peu de référents du genre, et une certaine surprise à la découverte du style. Surtout un style imagé d'époque (« L'autre se tortillait rageusement contre lui, luttant pour atteindre l'orgasme » étant une des phrases les plus crues de tout le livre...). Une découverte, donc, mais dont la dimension historique m'a davantage intéressé. Homosexualité soft et Histoire de l'Europe des années folles, ça vous fait deux raisons pour lesquelles vous pourriez lire le livre.

Pour plus d'informations :
Disponible chez Christian Bourgois Editeur et chez 10/18 en poche (France)

 

HOMMAGE À

AMAR BEN BELGACEM

(1979 – 2010)

 

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© Stéphane Brégu


« Ma peinture est une fenêtre qui donne sur un monde de joie, un paradis de bonheur, un printemps éternel et une innocence totale. »

Amar Ben Belgacem

 

 

Site officiel d'Amar

Page Wikipédia

Page Facebook des amis d'Amar

 

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© Damien Dauphin

 

J’ai rencontré Amar le 23 mars 2006, lors de la réception organisée par l’ambassade de Tunisie en l’honneur de la fête nationale. C’est lui qui est venu vers moi, spontané, exubérant, flamboyant et généreux. Un séducteur, un personnage comme il en existe peu. Un tour de buffet et un cocktail plus loin, tout aussi spontanément il me proposa d’aller chez lui, à Fontainebleau, le lendemain. Ce fut chose faite, car il m’arrive aussi d’avoir des élans spontanés. Mais comment résister à ce grand enfant au sourire malicieux et désarmant ? C’était impossible. C’est ainsi que j’eus la chance d’entrer dans son univers, dont il m’ouvrit les portes le temps d’un week-end, deux journées marquantes qui nous ont liés pour toujours.

Chez lui, j’ai découvert un artiste total et original, mais aussi une âme complexe. Dans sa façon d’être, Amar me faisait penser à Salvador Dali. C’était un magicien du pinceau qui donnait de belles couleurs à la vie et répandait du bonheur autour de lui. De la vie, il connaissait les zones d’ombre et la part de malheur. Il y a longtemps, il avait perdu un frère et portait cette blessure en lui.

L’éloignement géographique et nos activités respectives firent que nous avions un contact quelque peu distancié, mais qui n’était pas rompu. Je le vis pour la dernière fois le 25 août 2007, trois ans jour pour jour avant sa mort. Il avait organisé chez lui une fête avant mon départ pour le Canada. Ce fut une belle soirée au cours de laquelle se nouèrent de nouvelles amitiés. J’éprouve beaucoup de peine à la pensée que je ne vais plus le revoir, nous avions encore tant de choses à nous dire et à partager.

Amar, sahbi, tu étais une étoile filante destinée à illuminer nos vies, et comme ces étoiles tu as disparu trop vite. Ton œuvre te survivra, et tu demeureras vivant dans le cœur de ceux qui t’aiment. Me diras-tu pourquoi tu es parti pour un voyage sans retour, toi qui tous les ans faisais le tour du monde avec tes toiles mais finalement revenais toujours, chez toi, à Paris ? La vie, si remplie semble-t-elle, n’est-elle donc qu’une errance ? Que dissimulaient les trompeuses apparences au-delà de la bonne humeur que tu affichais ? Permets-moi de conserver ton sourire dans l’écran de mes souvenirs, comme une rose des sables façonnée par le temps, et par lui inaltérée. Tu vas beaucoup me manquer.

 

Damien Dauphin, diplomate.

 

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© Bert Leatherman


Il était à l'image de ses peintures, simple et lumineux, changeant, voire fantasque, en pointillé comme dans ses décisions, il apparaissait, disparaissait, il était à la fois un grand solitaire et un être sociable. Aujourd'hui, il n'est plus, il nous a fait un joli mais douloureux pied-de-nez en ne nous prévenant pas, en décidant de son propre chef de rejoindre les anges. Peut-être que ces chérubins l'accueilleront mieux que nous ici-bas ; repose en paix, Amar et si tu reçois nos messages attristés, sache que ‒ pour paraphraser un certain Léo Ferré ‒ « on t'aimait bien, tu sais ».

Avec regret.

Affectueusement.

 

Patrick

 

PS : Par chance, tu m'avais dédié une de tes œuvres, je l'ai encadrée, seul souvenir vivant de toi car l'art ne meurt pas, c'est bien connu !

 

Patrick Adler, comédien et imitateur

 

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© D. R.


Il y a des hommes qui font rapidement le tour de la vie. Leur présence devient de trop pour l’univers… ils passent donc à la maturité suprême, celle de la mort !

Porter la vie comme un léger tissu, la manier, la façonner et défier ses péripéties par un raffinement surhumain, c’est en quelque sorte refuser la nature même du rapport entre l’homme et son existence. Tragique, imprévisible, sisyphienne…

Quittant, un jour, le Grand Palais après s’être baladé dans une exposition où prenait part une peintre tunisienne que je voulais lui présenter, il avait remarqué à la sortie de l’expo une fleur géante, blanche comme son cœur, grande comme son âme.

Sans hésitation ni étiquette parisienne artificielle, il l’avait prise de son vase et on a traversé le tout Paris avec une fleur blanche comme son cœur, grande comme son âme...

Et comme rien n’est gratuit, quant on est vraiment spontané, cette fleur a atterrit dans les bras d’une autre peintre tunisienne qui exposait le même jour au centre culturel algérien à Paris. Et à qui il voulait me présenter…

Au côté du « peintre de la joie » comme je l’ai appelé dans mes émissions radio à Paris, on sent que les choses prennent un sens romanesque.

Que les coïncidences, les situations et les paroles orbitent autour d’une autre planète qu’il t’indique d’ailleurs avec son index toujours pointé vers une autre direction. Certainement celle des anges !

L’accueillant pour la première fois à la radio, Amar avait réussit dans l’espace de quelques secondes à apporter une lumière de laquelle sautillaient les sourires entremêlés de l'ensemble des collègues, sans l'avoir décidé, ni médité.

Missionné, il n’avait pas besoin de décider. La lune décide-t-elle de faire jaillir la lumière ?

« Lune » est son prénom comme il voulait toujours le rappeler. Avec un seul « M ».

Comme une fleur géante, il enchante désormais les âmes supérieures de l’au-delà. Les jardins terrestres ne sont pas assez fertiles pour accueillir ces fleurs géantes…

Quant à nous pauvres humains, nous dirons que nous avions rencontré l’homme-lune qui se baladait avec une fleur géante, blanche comme son cœur, grande son âme.

 

Mohamed Al Hani, journaliste

 

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© Michel Giliberti


Amar était un être magique et léger.

De nos après-midi à Sidi Bou Saïd ou à Paris je garde le secret de son sourire et la profondeur de ses grands yeux...

Comme une soie qui agace ou qui conforte, Amar avait cette souplesse d’esprit et d’étonnement que seuls les enfants savent offrir à ceux qui les aiment.

 

Michel Giliberti, écrivain, peintre et photographe

 

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© Bert Leatherman


AMAR ‒ Amor à mort.

Amar. Ce mot AMAR signifie en espagnol AIMER, pour les juifs, ce mot hébreu signifie LA PAROLE, tandis que le prénom arabe signifie LE BATISSEUR.

Quand j’ai rencontré Amar la première fois, j’ai d’abord été surpris. C’était la première fois que je rencontrais un vrai dandy. Qui plus est, un dandy tunisien – car c’est exactement ce qu’il était. Les dandies sont rares, et d’origine maghrébine encore plus. Amar était un garçon qui cultivait cette grâce du raffiné. Un être atypique à la parole distinguée, au verbe bien choisi, avec ce regard qui vous déshabillait, ces longues mains qui vous touche sans timidité, avec cette chaleur propre aux gens du sud… Constamment à l’écoute de « l’Autre ». Attentif.

Je le reverrai toujours, dans notre belle intimité, délicat, me caressant le bras et me disant quinze fois d’affilé et sur un ton différent à chaque fois : « Que tu es beau ». C’était ironiquement drôle et tout à la fois poétique dans la façon de faire. Amar était ce poète clownesque, ce pitre lyrique. Cet être amusant en surface et touchant dans l’intimité, mais qui ne voulait jamais qu’on l’atteigne en profondeur. Il donnait ce sentiment qu’une part de lui devait rester inaccessible.

Amar, pour moi, est comme la Mrs Dalloway de Virginia Woolf. Cet être triste dans l’âme qui donne des réceptions mondaines, des moments de vie pleins de ses rires et de joies pour couvrir le silence, pour tenter d’échapper à ses démons, feignant toujours d’aller bien, pensant pourtant au suicide. Amar, comme de nombreux poètes, était une Clarissa Dalloway, à faire du bruit, à provoquer de la joie, de la bonne humeur, à jouer l’artifice pour couvrir ce silence qui l’effrayait, pour cacher ses peines, ses failles, cette crasse impalpable et noire dans son sang.

Je relirai ce roman en pensant à lui.

Personnellement, je n’ai jamais vraiment aimé son travail de peintre. Je ne lui ai jamais dit, mais il l’a toujours su. La première fois qu’il m’a montré son travail, je pensais qu’il se moquait, que c’était une farce. Ces dessins faits aux feutres de couleurs, tels des gribouillages de maternelle… ça ne pouvait pas être sérieux. Amar n’était jamais vraiment sérieux. Et puis j’ai vu les formes se préciser, la technique du pointillisme s’accentuer avec les années et j’ai, avec le temps, apprécier son travail – sans jamais vraiment l’aimer.

Je me demande aujourd’hui s’il ne s’est pas donné la mort à cause de ça : d’avoir été par nous tous énormément apprécié, sans avoir jamais été réellement aimé, sans avoir jamais donné à l’un d’entre nous la possibilité de le faire réellement.

Il a décidé de partir. On ne peut rien faire contre ça. Amar, je te garderai dans mon cœur.

AMAR ‒ Amo, amas…

 

Samuel Ganes, auteur, comédien, metteur en scène

et journaliste presse théâtre 

 

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© Dominique Massard

 

Il y a deux semaines, j'étais à Tunis. Je pensais à lui. Je ne savais pas encore la terrible nouvelle. Nous nous croisions sur Internet. Nous échangions quelques mots. Il aimait mon univers, j'aimais ses peintures. Le temps qui passe trop vite, jamais le temps de se voir, ni de se croiser au détour d'une exposition. Des regrets forcément. Ce qu'il nous reste de lui... ses peintures... ses œuvres qui sont son âme... Mes condoléances à sa famille, à ses proches...

 

Jann Halexander, chanteur et réalisateur

 

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© Samuel Laroque


J’ai appris lundi soir (6/09) le décès d’un pote, Amar Ben Belgacem, avec qui j’étais parti en vacances. D’après les dernières nouvelles, il aurait mis fin à ses jours. Je ne savais pas si je devais pleurer, ne pas y croire ou me dire qu’après tout ce devait être une mauvaise blague ou une erreur.

« Pourquoi tu ne m'aimes plus? » : lettre à Amar 

Je ne te connaissais pas, Amar, aussi bien que l’on connaît un ami proche, mais j’avais passé assez de temps avec toi durant les vacances pour être autant agacé qu’amusé par ta personne.

Ta petite phrase dès qu'on se croisait était « Pourquoi tu ne m’aimes plus ? », avec ce petit accent distingué qui me faisait sauter au plafond dès que tu ouvrais la bouche. Dans le fond, ça me faisait rire et j’aimais t’envoyer balader, une bataille d’ego entre artistes… plus sérieusement, une marque d’affection. Ne dit-on pas : qui aime bien châtie bien ?

La première nuit, tu m'avais réveillé, tu ne voulais pas dormir tout seul ! Pour m'embêter, tu as tiré sur mes draps jusqu'à ce que je cède, que je change de lit et que je dorme à côté de toi ! Il aura fallu que tu t'en ailles le dos tourné pour que je m'en souvienne ! Salopard !

J’avoue que je n’avais pas été emballé par tes peintures que tu nous avais présentées un soir, le souci de l’art abstrait c’est qu’il plaît ou pas. Tu avais ton monde bien à toi, tes délires, ton « moi je » ultra développé qui faisait rire tout le monde à table, tu étais avec Moncef la "princesse" dans son état le plus éclatant et ça t’amusait quand on te le disait.

À aucun moment personne n’aurait pu imaginer que tu puisses commettre cet acte ; la question qui reste en suspens est « pourquoi ? » Tu n’étais pas quelqu’un de suicidaire, que s’est-il passé ? Le silence est la seule réponse qui nous est donnée pour le moment. Quand j’ai su la triste nouvelle, j’ai levé les yeux au ciel en disant : « T’es un salaud de nous laisser ! »

Dans ces durs moments, on se souvient à quel point la vie nous est chère même si parfois elle nous paraît difficile. Profitons-en pour dire aux gens qui nous entourent que nous les aimons et n’attendons pas qu’ils disparaissent pour le faire !

Pourquoi je ne t’aime plus ? Parce que ce n’était pas ton heure, pas encore, pas tout de suite… Amar, même si je ne supportais pas quand tu faisais ta princesse, tu vas me manquer car ce soir, je ne peux plus prendre ma revanche en te réveillant...

Je t'embrasse affectueusement,

 

Samuel

 

En me préparant au matin de la levée du corps qui a eu lieu jeudi 9 septembre, mon regard s'est fixé sur un paquet de coton. Je lisais ton prénom, orthographié différemment avec un "e" mais prononcé de la même façon, "Amare", qui de plus signifie "aimer" en italien. En fait, sur le paquet était écrit "Amarel" mais le reflet de la lumière ne me permettait pas de voir la lettre "l". Ça peut paraître futile, anodin, lié à la coïncidence, au hasard… Je suis persuadé que tu as fais un signe et je tenais à faire partager cette anecdote aux gens qui t'ont aimé, c'est une façon pour toi, j'en suis sûr, de nous dire : « Je suis toujours là » !

 

Samuel Laroque, comédien et chanteur 

 

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© Bert Leatherman


Adieu l’alchimiste des couleurs…

À l’heure où tout artiste prépare sa rentrée, la sphère picturale… la scène culturelle toute entière perd une figure éminente, un jeune artiste dont le talent et la sensibilité, la gentillesse et la joie de vivre étaient la devise : Amar Ben Belgacem n’est plus. Le peintre nous a quittés le premier week-end du mois de septembre à son domicile à Paris…

Né le 18 juin 1979 à Paris, Amar passe les premières années de son enfance dans la Ville Lumière.

À cinq ans, ses parents décident de l’envoyer en Tunisie, à Hammamet, terre des origines, pour débuter et poursuivre ses études. Avec son diplôme du baccalauréat en poche, Amar retournera en France pour se consacrer à des études artistiques. Très tôt, l’artiste trouve sa voie et impose un style à la fois candide et profond dans l’élaboration des œuvres. Abstraites, ces dernières bannissent toute forme connue pour devenir une représentation du monde tel que le perçoit l’artiste. Des lignes et des cercles concentriques viennent habiter l’espace de la toile, puis c’est la couleur gaie et chatoyante, vive et vivace qui dynamise le travail d’Amar. L’œuvre est ainsi renouvelée à chaque nouvel abord. Interrogé sur ce choix, l’artiste ne cessera d’affirmer que ce qu’il propose au public c’est une vision fraîche du monde, une vision d’espoir et de bonheur qui passe par la couleur. Il voulait que sa peinture soit le reflet d’un printemps éternel, d’une joie de vivre démesurée et communicative.

De Paris à Washington DC, de Rome à Madrid, en passant par Nagoya (Japon), Séoul, Beyrouth, Oslo entre autres et la Tunisie, Amar intrigue à chacune de ses expositions professionnelles, curieux et amateurs d’art plastique. Sa joie de vivre naturelle, son aisance et sa volonté d’aller vers les autres, enfin sa générosité de cœur et le don de soi, marquent l’esprit de ceux qui l’ont côtoyé et connu. Attachant et sincère, l’artiste nous faisait entrer dans son monde sans prétention, disant en toute simplicité ce que son cœur ressentait.

En juin dernier, nous nous sommes vu à Paris. Amar m’a offert son hospitalité et nous avons passé une bonne partie de la nuit à discuter de son art et de ses projets. Avec animation, il parlait de ses futures expositions et de son enthousiasme à surprendre tout le monde avec une exposition de tapisseries inspirées de ses œuvres.

Il disait qu’il avait hâte que ce projet aboutisse en Tunisie. Il parla aussi de ces vacances en Espagne, de la rentrée culturelle. Il confiait qu’il avait été souvent déçu par les gens et que certains continuaient à le décevoir, qu’ils profitaient de sa générosité. Mais, il ne tenait rancune à personne. Alors que Paris s’éveillait, Amar nous a accompagné jusqu’à l’arrêt de la navette qui nous déposera plus tard à l’aéroport, nous nous sommes salués et nous nous sommes donné rendez-vous pour sa prochaine exposition à Tunis. Alors que la navette s’acheminait vers la gare Montparnasse, nous vîmes, pour la dernière fois la silhouette d’Amar, enveloppé dans son manteau fétiche, traverser le parc.

C’est avec une immense douleur que nous avons appris sa disparition tragique à l’âge de 31 ans, dans son havre de paix qu’est Paris. Que garderons-nous d’Amar Ben Belgacem, sinon cette image d’un homme attachant au regard candide mais malicieux, un artiste complet à la sensibilité frémissante à l’égard de la beauté indécelable du monde ? Enfin, ce sourire juvénile d’un enfant qui dit les choses sans complexe. Nous garderons aussi en mémoire, l’image d’un travailleur acharné, d’un alchimiste des couleurs qui sans relâche renouvelle son inspiration et la puise dans les senteurs et les teintes qu’il ramène de ses voyages. Son départ prématuré laissera un grand vide et ne demeurera que son œuvre : trace immuable de son génie et de son talent tel « un Ange, entr'ouvrant les portes, / [qui] Viendra ranimer, fidèle et joyeux, / Les miroirs ternis et les flammes mortes. »

 

Raouf Medelgi, journaliste

 

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© Olivier Lemettais


Daniel Conrad Hall s’associe et remercie les amis d’Amar qui ont accepté de lui rendre hommage sur notre site. Les emails d’Amar vont me manquer et ma peine n’est rien à côté de celle de toutes ses amies et ses amis du monde entier. Je t’embrasse, Amar. Je remercie spécialement Stéphane Brégu et suis de tout cœur avec lui dans cette épreuve.

 

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© Stéphane Brégu

 

L'auteur :
Julie Anne Peters est née en 1952 à Jameston (Etat de New York). Elle est devenue au fil de ses romans, un des meilleurs auteurs de littérature jeunesse.
L'avis de Jean Yves :
Liam est un adolescent qui ne supporte pas qui il est. Si son corps est bien celui d'un garçon, dans sa tête il se sent fille. Il a pris le nom de Luna pour explorer sa véritable nature. Mais il ne peut le faire que la nuit dans le secret de sa chambre. Seule sa sœur, Regan, est au courant et lui prête ses habits féminins et son maquillage. Ce secret inavouable va devenir de plus en plus invivable surtout pour sa sœur, qui en soutenant son frère, sacrifie sa relation amoureuse avec Chris, ses sorties... Quand Luna décide de se montrer en plein jour sous sa forme féminine, les parents, comme on peut s'y attendre, ne sont pas prêts à accepter cette identité de leur fils. Pourtant sa décision à lui est prise : il est tout comme la lune qui doit disparaître avant de se retrouver dans toute sa rondeur. Il sera fille. Pour être totalement Luna, il part donc - en pleine nuit, en cachette - à Seattle se faire opérer définitivement.
Les romans pour adolescents qui abordent la transsexualité sont encore rares pour qu'on ne salue pas ici la publication de cet ouvrage exceptionnel.
Cette histoire racontée de façon fine, sensible et sans aucun pathos nous plonge d'emblée dans la véritable identité de Liam/Luna. Le roman aurait pu se perdre dans les nombreuses interrogations que Liam a dû se poser à un moment de son existence. Là, on est dans l'après. Pour lui la décision est prise. Il veut changer de sexe car il y a eu une « erreur ». Tout est clair dans sa tête et c'est ce qui lui permet de franchir les étapes - passage de sa vie nocturne et cachée de Luna à sa vie diurne et visible - même s'il doit faire face à la pression sociale.
Cette simplicité apparente est sans doute liée au style de narration employée : en effet la narratrice du roman est la sœur de Luna (Le monde de l'édition qui parie généralement sur l'identification du lecteur avec le narrateur acceptera-t-il un jour de publier un roman où ce dernier sera le personnage transsexuel ? Il faut ajouter à sa décharge la loi du 16 juillet 1949 qui régit toujours l'édition jeunesse dont les romans pour adolescents dépendent.) ; il est donc logique que le lecteur se trouve plus directement plongé dans les difficultés de la narratrice que dans celles de Luna. Et des difficultés, elle en rencontre, quand elle nous raconte par exemple sa vision de la sortie de Luna en plein centre commercial : le « travestissement » est tellement flagrant qu'elle doit faire face à l'humiliation des passants pour continuer à soutenir son frère.
J'ai trouvé extraordinaire (et à la fois assez peu réaliste - mais c'est un roman) qu'une sœur sacrifie une part de son existence pour aider son frère dans sa démarche identitaire. Surtout que ce dernier n'est pas toujours facile à vivre. Finalement, la solution du départ de Luna me semble la meilleure des choses qui pouvait arriver à sa sœur Regan : en partant, Luna lui offre - involontairement - la possibilité de vivre enfin pour elle.
Quand Liam/Luna part, Regan perd son frère mais elle sait aussi qu'elle aura désormais une sœur.

Pour plus d'informations :
Disponible chez Milan, collection « Macadam » (France)
Site officiel de Julie Anne Peters (en anglais)
Liste des romans pour adolescents abordant les thèmes LGBT



 


L’auteur :
USA. Pseudonyme. Pas d’autres informations.
L'avis de Jean Yves :
Malone est jeune, beau, américain et avocat. La révélation de son homosexualité le fait brusquement changer de monde et passer de l'austérité puritaine de Wall Street aux bas-fonds clinquants de Manhattan.
En compagnie de Sutherland, une star de haute volée qui lui sert de mentor, il parcourt une trajectoire fulgurante. Sutherland, folle scintillante et superbe, court de bosquets accueillants en fêtes délirantes, cultive l'aphorisme, se défonce avec délectation et lit Ortega y Gasset.
Malone, adulé et désiré, suit un itinéraire suicidaire et fascinant, fait à la fois d'hédonisme et d'insatisfaction, où la vie est conçue comme un spectacle auquel il convient de donner le plus de faste possible : recherche perpétuelle de l'excentrisme, du choquant, de l'exagéré, du démesuré, esthétisme pur, transcendance du sordide en sublime, ivresse au delà du baroque dont ni Malone ni Sutherland ne sont dupes.
« Que dire sur le succès ? Rien, mais les ratés, cette infime sous-espèce d'homosexuels, la folle perdue qui embraye et lance sa voiture par-dessus la falaise : voilà qui me fascine, les tantes qui se méprisent parce qu'elles en sont, et qui sombrent dans le vil et le sordide. »
L'un comme l'autre ont d'innombrables amants, vivent une sorte de surréalité enivrante ; mais le véritable héros de ce livre n'est-il pas aussi la ville de New York dont la sourde pulsation, protéiforme et vénéneuse, en rythme chaque page...
Monde dérisoire que celui d'Andrew Holleran, qui sait de quoi il parle, avec une certaine distance et un regard ironique. Monde en quête d'absolu, malade à mourir de cette recherche mais qui s'habille chez Gucci ou dans la 5ème Avenue, qui passe ses journées dans les saunas ou en folles fêtes. Monde malade de cette recherche et qui ne sait trouver que les artifices du sexe.
Un roman drôle par le regard de dérision aimable, tendre par la fragilité des personnages et émouvant par ces rêves inaccessibles.
Pour plus d'informations :
Éditions 10/18, Collection : Domaine étranger, septembre 2005 (réédition)
Voir la fiche Les Nuits d'Aruba, du même auteur.

 

L’auteur :
USA. Pseudonyme. Pas d’autres informations.
L'avis de Jean Yves :
Ne vous fiez pas à la couverture de la première édition française qui aguiche mais trahit le propos de ce roman. Les Nuits d'Aruba est un superbe roman sur la solitude de l'homosexuel. Lucide et tonifiant.
Andrew Holleran avait déjà écrit un beau livre avec son Danseur de Manhattan. Ce second roman, traduit en français, aborde un thème délicat, au départ peu séduisant : la prise de conscience du vide de sa vie par un gay quadragénaire. On aurait pu craindre un récit pessimiste. Non, il n'est ni larmoyant ni pathétique : c'est l'histoire de Paul qui a choisi de s'assumer, en comprenant que se retirer du tissu social conventionnel le livrerait tôt ou tard aux questions insidieuses du temps.
Ce roman classique se structure autour de trois pôles : le passé hésitant maintenant compris, la vie à New-York où se déroulent les rites de la drague, le retour régulier chez les parents dans une ville morte de province. Remarquable orchestration d'un récit qui puise dans l'amour de la mère, les forces capables de répondre aux premiers assauts de la propre usure du fils.
Les amitiés (le Clam, Vittorio, monsieur Field, le Cuisinier) portent l'écho d'un cérémonial qui s'appauvrit. Rencontrés ou aimés au temps de la splendeur – pendant le service militaire, quand tout était découverte et extase –, les amis portent l'écho angoissant de la sempiternelle drague, de l'éternel balancement entre espoir et déception.
Les pages consacrées aux rencontres, à la fraternité ambiguë de garçons que réunit le seul goût des hommes sont particulièrement émouvantes.
Le meilleur du texte prend ses dimensions courageuses dans ces retraites de plus en plus longues de Paul, venu chercher l'ennui, et une sorte de refuge, dans le vieux couple de ses parents. Le regard qu'il porte sur un père progressivement détaché de la vie, sur une mère qui abuse du simulacre des mondanités, tous deux de plus en plus accrochés à ce fils solitaire (dont ils ne veulent pas savoir le secret), ce regard violente le récit, lui donne ses perspectives intemporelles, l'arrache aux lourdeurs d'un sujet terre à terre.
Une courte partie du roman s'illumine d'un grand amour aussi fulgurant qu'éphémère, une flambée d'amour pour Sal, un garçon pour rêver de durée : chercher l'ennui, et une sorte de refuge, dans le vieux couple de ses parents.
« J'étais allongé au centre du monde, dans une paix à côté de laquelle tout le reste est non-sens... »

Les Nuits d'Aruba n'est pas un roman anodin, il ose les vraies questions. Un lyrisme tenu, vigoureusement mis en écriture.
Pour plus d'informations :
Publié aux Presses de la Renaissance (1984) puis aux éditions 10/18 (2003)

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Berthelot Francis, Hadès Palace, 2005, (grand format) Le Bélial, 263 p, 14 € ; (poche) Folio SF, 337 p., 7,10 €.

 

Présentation de l'éditeur :

Paris, début 1979.

Maxime Algeiba est le mime-serpent, un jeune artiste au talent exceptionnel. Aussi est-il contacté par l'impresario de l'Hadès Palace ‒ demeure tentaculaire au luxe magnétique, palais prestigieux où les grands du monde se pressent pour assister aux représentations du gratin artistique international.

Comment refuser pareille offre : un contrat au sein d'un lieu aussi mythique ? C'est un tremplin, une occasion inespérée. Pourtant, une fois logé dans les dorures du Palace, Maxime ne tarde pas à remarquer des faits étranges. Pourquoi ces hommes armés qui quadrillent théâtres et couloirs ? Et ce malaise qui pétrifie Maxime dès qu'il s'éloigne dans les jardins alentour ; cette terreur sourde qui paraît régner chez les artistes ; ou encore ces « trois cercles » évoqués à demi-mot par certains ? Des questions qui ne trouveront réponse qu'une fois percés les secrets enclos derrière le visage impénétrable du maître du Palace, Bran Hadès. Mais à quel prix ?

Biographie de l'auteur :

Francis Berthelot est né à Paris en 1946. Polytechnicien, docteur en biologie moléculaire, chercheur au CNRS dans le domaine de la théorie littéraire, il a obtenu le Grand Prix de l'Imaginaire à quatre reprises et, fait unique, dans quatre catégories différentes ‒ dont celle du meilleur roman pour Rivage des intouchables, chez Gallimard Folio SF. Hadès Palace, récit subtil aux frontières du merveilleux et d'un fantastique des plus noirs, est son dixième roman.

L’avis de Samuel Minne :

Après avoir chanté les amours masculines dans ses romans de science-fiction, Francis Berthelot s’engage cette fois dans le fantastique pour Hadès Palace.

Son écriture flamboyante et serpentine s’attache à un contorsionniste, Maxime, attiré dans un prestigieux lieu de spectacle. Peu à peu, la demeure luxueuse où son talent est censé s’épanouir s’avère sinistre. Les artistes jugés imparfaits sont voués à un entraînement inhumain, et ceux qu’on considère comme inaptes disparaissent à jamais… Maxime, le mime-serpent, pense troubler Rhad Matteo, le viril chef de la sécurité, et l’un des trois sbires d’Hadès, le maître des lieux. Mais trouvera-t-il un allié en lui ?

Construit en cercles comme l’œuvre de Dante, mais suivant un ordre inversé, du Paradis à l’Enfer, ce roman présente une relecture audacieuse du mythe d’Orphée. Une version à la fois homosexuelle – c’est Rhad (transposition de Rhadamante) qui sauve Maxime d’entre les morts – et chargée d’espoir.

Reprenant les thèmes de sa Ville au fond de l’œil, comme le frère disparu, l’amie sacrifiée ou le bourreau séduisant, Berthelot propose à nouveau, après Rivage des intouchables, un hymne vibrant à l’amour rédempteur.



 

Le Père Docu s'appelle Gérard Coudougnan, il est né en 1962 et a pour qualification « enseignant-documentaliste », vous savez la dame qui râle au C.D.I. (centre de documentation et d'information) : c'est lui. Pour des raisons indépendantes de sa volonté, il est en ce moment éloigné de son lieu de travail habituel mais a toujours un C.D.I. (contrat à durée indéterminée) avec les bouquins pour qui il a une vraie A.L.D. (affection de longue durée).

Au hasard de ses lectures, il a croisé Marc-Jean Filaire puis Môssieur Daniel C. Hall (« The Boss ») qui lui a proposé de regrouper ici quelques « recensions » d'ouvrages à thématique LGBT.

Toute remarque, toute suggestion sera la bienvenue. Les avis, sous forme de commentaires, pour échanger des points de vue encore plus !

La bibliothèque rose est ouverte… vous avez lu Le Club des Cinq d'Enid Blyton ? Claude, le « garçon manqué » est peut-être alors votre première rencontre avec une petite lesbienne ou une future transgenre ? Ah bon, vous n'avez pas connu les Bibliothèques Rose et Verte ? Qu'importe, entrez (couverts !) ici et faites ce que vous voulez entre les rayons, ne soyez pas sages ...


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 Théâtre : 

MOI, CARAVAGE

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Le 18 juillet dernier, cela faisait exactement quatre siècles que mourrait Le Caravage. Pourtant, en sortant du Théâtre des amants, Place du grand paradis à Avignon, on avait le sentiment d'avoir passé un extraordinaire moment avec cet homme totalement hors normes.

Le beau Cesare Capitani donne vie au peintre maudit avec une fougue et un talent qui touchent un public enthousiaste, qu'il connaisse ou non la vie ou l'œuvre de Michel Angelo Merisi.

Martine Midoux l'accompagne de diverses manières : en chantant a cappella, elle évoque avec une voix de soprano parfois envahissante l'ambiguïté de ce révolté, l'érotisme de ses relations avec les femmes, avec Mario, avec Gregorio.

La lumière est tout naturellement le troisième acteur de ce moment théâtral : le jeu des bougies, des boîtes noires, des étoffes transparentes ou opaques, le discret projecteur de Stanislas Grassian donnent un relief saisissant aux expressions des deux humains qui évoluent sur scène.

Cesare Capitani a su saisir l'essentiel du roman de Dominique Fernandez, La Course à l'abîme, pour faire ressortir la personnalité de l'artiste dont la cohérence et les ambiguïtés sont mises en évidence avec une force faite de gestes et de mots qui frappent.

Quel plaisir de découvrir les affrontements théologiques qui opposent l'idéaliste inventeur du clair-obscur à d'obscurs clercs aux motivations si bassement matérielles !

Ce monologue vivant, tenu par l'artiste sur le lieu même de sa mort, offre un voyage humain en posant des questions qui, quatre siècles plus tard et à travers la perspective de l'auteur de L'Étoile rose, gardent une valeur intemporelle. S'y ajoute un contexte historique finement évoqué qui, sans jamais laisser le spectateur sur sa faim, lui donne envie de plonger dans les livres d'histoire de cette époque, les albums d'art pour donner encore plus d'éléments à toutes les questions posées par Merisi.

Si vous êtes à Avignon, dépêchez-vous de réserver : ce lieu charmant est minuscule (46 places) et la liste d'attente déjà très longue. Sinon, retenez bien ce titre Moi, Caravage et ne tardez pas quand vous le verrez annoncé près de chez vous !

 

Fiche technique :

Collectif Hic et Nunc/Comme il vous plaira

Interprète(s) : Cesare Capitani, Martine Midoux 

Metteur en scène : Stanislas Grassian 

Décorateur : Jacques Courtes 

Costumière : Evelyne Guillin 

Photographe : Béatrice Cruveiller 

Chargée de diffusion : Sabrina Zielinski

Production déléguée : Sophie Lagrange

 

Pour en savoir plus :

Sur Cesare Capitani : http://www.youtube.com/watch?v=eZC6mSiKvCQ

Critique du site « Un fauteuil pour l'orchestre »http://unfauteuilpourlorchestre.com/?p=2016

Biographie wiki du Caravage : http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Caravage

Infos pratiques Avignon Off :

http://www.avignonleoff.com/programmation/2010/public/M/moi_caravage_4860/lieu/amants_theatre_des-_346/

 

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Dominique Fernandez, La Course à l'abîme, Grasset, 2003, 638 p.

ou Le Livre de Poche, 2005, 790 p.,

22 € (grand format) ou 8 € (poche).

 

Dominique Fernandez est un maître du roman. Pas plus que Dans la main de l'ange, il n'avait souhaité de lien absolu entre P.P.P. et Pasolini, il ne revendique ici de vérité historique concernant Merisi, « Le Caravage ».

Pourtant, quel voyage, quelle épopée dans la Rome de la Contre-Réforme où naît un nouveau genre artistique, l'opéra !

Le contexte historique est un vrai bouillon de culture artistique, théologique et humaine. Le fil conducteur est la théorie de l'Académicien Fernandez qui voit en l'homophobie le moteur d'une créativité artistique ou intellectuelle pouvant parfois aboutir à un anéantissement souhaité et perçu comme un sommet de jouissance.

Au lieu d'un morne débat sur le sexe des anges, l'interprétation des toiles de Caravaggio va donner lieu à d'éblouissants morceaux de bravoure : les prostituées servant de modèles à la Vierge Marie, l'ombre du pénis de l'Amour triomphant, les ongles des orteils de saint Matthieu et tant d'autres "détails" vont être passés au crible de théologiens et de monsignori plus pervers, intéressés et hypocrites les uns que les autres.

Deux personnages que l'Église catholique a érigé aux rangs de saints ressortent périodiquement des débats et réflexions : Thérèse d'Avila et son orgasmique dard et Paul de Tarse, qui apparaît ici comme à l'origine des castrats (p. 244 « Que les femmes restent silencieuses à l'église ») et pourfendeur du « vice innommable » (p.432) des sodomites. Pour peindre « La vocation de saint Paul », le Caravage émet une curieuse hypothèse et représente Paul de Tarse « capitulant sous le plaisir » qu'il va ensuite condamner. Le peintre lui donne le visage de celui qui est pénétré et jouit d'être l'élu d'un Dieu qui va le charger d'une nouvelle mission. Ce thème de Paul « sodomite teigneux » a été depuis repris sous la forme d'un brillant thriller par Olivier Delorme dans La Quatrième révélation (H&O, 2005).

Ce roman est baroque comme l'époque qu'il décrit, foisonnant et passionné comme les débats entre protestants et catholiques aux lendemains du concile de Trente (1563) et de la conversion d'Henri IV (1594).

Et l'amour occupe toujours une place centrale avec une sensualité qui donne à ce roman (plus ou moins historique : quelle importance ?) une force supplémentaire.

 

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Eberhard König, Le Caravage, Könemann, 1998, 140 p., 9,89 €.

 

Emporté dans la vie de Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Le Caravage que "raconte" si bien Dominique Fernandez dans La Course à l'abîme, je cherchais un recueil de reproductions des œuvres autour desquelles se nouent tant d'aventures, d'ébats et de débats, théologiques et esthétiques et sensuels.

Ce livre en contient une grande quantité, ordonné par un historien de l'art qui les présente dans une intéressante approche thématique qui apporte un solide complément à la vision historico-romanesque de Fernandez.

 

 

L’auteur :

 Edmund White est né à Cincinnati en 1940. Son œuvre compte des romans et des nouvelles, parmi lesquels Oublier Elena, Nocturnes pour le roi de Naples, Écorché vif, L’Homme marié, une biographie de Jean Genet couronnée par le National Book Critics Circle Award et un recueil d’essais, La Bibliothèque qui brûle. Il enseigne actuellement à l’université de Princeton.

L'avis de Jean Yves :
Un Jeune américain est un titre trompeur. A boy's own story (L'histoire d'un garçon) dit mieux le propos du livre d'Edmund White. Histoire intime d'un enfant de sexe masculin, ce roman décrit une révélation authentique de l'homosexualité. L'adolescent fait l'apprentissage de la solitude et du silence. Ses expériences brutales ou sordides laissent vacant l'espoir plus vaste de l'amour.
« Il est clair pour moi aujourd'hui que ce que je voulais, c'était être aimé par des hommes et les aimer, et non pas devenir homosexuel. »
Cette phrase du narrateur exprime le sens véritable de ce récit. Histoire d'un jeune garçon avant qu'il ne s'admette homosexuel…
Le roman s'ouvre sur la rencontre du narrateur (15 ans) et de Kevin (12 ans). Ils font l'amour ensemble. Le plus jeune est l'initiateur. Il sodomise l'aîné, demande la réciproque, tout cela en évacuant tendresse et commentaires. Kevin se conduit en futur hétéro... et Edmund White marque bien la différence. Etre gay, ce n'est pas jouir avec un homme, c'est savoir définitivement que l'essentiel de la vie se construira autour d'une certitude au départ tragique : dans un monde hétérosexuel je ne peux concevoir le plaisir, la tendresse, la véritable intimité... qu'avec un homme.
« Je rêvais d'un amant qui serait plus âgé que moi, plus riche et plus puissant mais aussi plus fidèle, plus sociable. Il attacherait la plus grande importance à ma sexualité qui était à la fois mon essence et mon attribut que je connaissais mal ; elle était comme le vrai nom d'un orphelin ou l'identité magique que celui-ci ignore totalement jusqu'au moment où on la lui révèle. »
Plus importante que la famille, plus préoccupante que les études, la quête de son identité sexuelle devient, pour le jeune garçon, l'obsession majeure, le fil conducteur, développant un sens particulier qui lui fait rencontrer ceux qui l'aideront (par opposition, sympathie ou répulsion) à se retrouver seul devant l'évidence : je suis homosexuel et je dois découvrir mon équilibre dans cette réalité.
Pas de belle histoire d'amour dans ce roman. La seule qui puisse prétendre à l'exaltation, c'est la rencontre de Helen, la belle fille du campus, qu'il croit aimer, pour ressembler aux autres. Le désir va vers les hommes :
« Dans la journée, je passais mon temps à désirer secrètement les hommes. »
Ce désir est sans équivoque, net et dur comme les corps musclés qu'il convoite. À Eton où son père accepte qu'il soit interne, il ne se passe rien... Il rêve au corps du professeur de gymnastique comme plus jeune il avait rêvé de se blottir dans les bras du répétiteur d'allemand.
D'un côté les amis, Howard, Chu
ck et surtout Tommy avec qui il connaît toutes les nuances de la communication jusqu'au seuil de l'interdit.
De l'autre la sexualité brutale, sordide ou frustrante parce qu'elle supprime l'amour. C'est Ralph. l'obsédé sexuel qu'il sucera furtivement, c'est Kevin avec qui il baise mais qu'il ne faut pas embrasser, c'est aussi M. et Mme Scott, qui le mettront dans leur lit pour une partouze d'intellectuels... Les adultes se dérobent, trichent, répondent par la peur. Le père ne veut pas savoir, la mère, fantasque et fragile, n'est d'aucun secours. M. Scott, le professeur de lettres, semblera comprendre mais cèlera son propre secret : sa liaison avec le père Burke... révélations surprenantes, comme chez Proust arrachées aux événements, mais jamais surgies d'un miracle de l'écoute ou de l'amitié. Il est seul. Contre l'hypocrisie, pour faire exploser sa propre peur, il tend un piège à M. Beattie, jeune musicien drogué. Il le dénonce avant de s'enfermer avec lui pour quelques minutes de sexualité brutale :
« ...Ce déroulement était la formulation idéale de l'impossible désir d'aimer un homme sans être homosexuel. »
Edmund White raconte une enfance sans apitoiement et sans réalisme artificiel. L'enfant qui n'aimera que les hommes n'a pas de références. Assoupli aux exercices du jeu social hétéro, il vole, à l'ombre de ses fantasmes, les ersatz affectifs et sexuels qui l'aident à survivre jusqu'au jour de la déchirure, quand une autre vie commence...
Ce petit d'homme, qui cherche en vain l'amour d'un homme, lucide et courageux, se heurte au silence.

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Publié aux éditions 10/18 (2005)

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