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LIBRE PAROLE

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 SEXION D'ASSAUT, WHAT THE F... ?

par  Juju du blog I-love-Juju

 

  Les médias électroniques en ont fait un de leurs sujets favoris depuis maintenant plusieurs semaines. suite aux propos homophobes hallucinants du leader du groupe Sexion d’Assaut, la toile française vibre depuis plusieurs semaines au rythme des annulations de concert ponctuées des excuses pathétiques du groupe de hip hop qui domine actuellement la scène française.

Tout le monde a forcément en tête le morceau « Désolé », gueulard à souhait et au texte pour le moins retardé, mais dont la mélodie et le rythme sont carrément bons. Cela fait nombre d’années que la scène hip hop traine de sales relents de misogynie et d’homophobie que certains artistes tentent de combattre (comme par exemple l’ultra gay-friendly Kanye West) avec plus ou moins de succès dans le public, toujours plus important, friand de cette musique.

C’est en surfant sur Tetu.com que je suis tombé sur les extraits de l’interview scandale. Si vous voulez lire l’intégralité de l’interview, c’est par ici. Effectivement, les propos homophobes tenus sont révoltants, mais à y regarder de plus près, une bonne partie de l’interview pue du fion et pas qu’un peu. Islamisme radical même pas caché, machisme total, bref, tous les clichés du genre y passent, sans oublier la fausse nostalgie d’une Afrique idéalisée, alors que sa réalité sociale n’est pas « idéale » pour tous, loin s’en faut.

Au choc ont succédé les réactions, en cascade. Une salle, puis deux, puis dix, ont fait le choix d’annuler les concerts du groupe, réponse directe à la violence de propos intolérables. Face à cette avalanche, le groupe s’est embourbé dans des mea culpa surprenants de nullité, directement pondus par la maison de disque et recrachés par cœur. Quand bien même l’interview eut été pipée (sans mauvais jeu de mot), il n’en reste pas moins que plusieurs chansons du groupe dégoulinent de propos homophobes puants, certains incitant même à la violence physique ou au meurtre.

Je dirais la même chose qu’en 2002 ou en 2007. J’ai mal à ma France… la France BBB de 1998 était-elle une belle illusion ? Je n’ai jamais cru à cette théorie selon laquelle une « majorité » oppresse des « minorités ». La majorité n’existe pas en tant qu’ensemble compact. La plupart d’entre nous subit, à des degrés divers évidemment, des discriminations d’une forme ou d’une autre. Les femmes sont une minorité. Les gays, lesbiennes, bi et trans sont une minorité. Les arabes sont une minorité. Les asiatiques sont une minorité. Les juifs sont une minorité. Les obèses sont une minorité. Et que toutes les autres minorités qu’abrite notre pays me pardonnent de ne pas les citer. Trop longtemps, on a cru que la somme de ces minorités formait une « super minorité » victime d’une « majorité » dans laquelle se trouvent donc, ipso facto, des hommes hétérosexuels blancs, riches et cathos… quand bien même leur pouvoir économique est réel, ce ne sont certainement pas eux qui soufflaient les paroles dans l’oreille du groupe Sexion d’Assaut pendant leurs compo…

La réalité, c’est que le phénomène de discrimination est mouvant, selon la cible. Chaque minorité est victime à sa manière, mais peut également devenir elle-même discriminante (cf. l’affaire du Paris Foot Gay/Bebel Créteil), de même que les minorités ne sont pas homogènes dans leur position. C’est ainsi qu’un groupe de jeunes cons, majoritairement noirs, donc a priori dans un groupe victime de discriminations, se retrouve à déblatérer des propos qui ferait applaudir un Vanneste et se pâmer un Le Pen. On notera au passage le choix du nom du groupe, qui n’est pas sans rappeler les « Sections d’Assaut » (SturmAbteilungen SA) de la seconde guerre mondiale, dont Hitler avait fait zigouiller une bonne partie lors de la « Nuit des longs couteaux ». Encore une référence ? Ou encore une « connerie plus grosse » qu’eux, comme s’est défendu le membre du groupe qui avait proféré ces horreurs homophobes.

Bref, encore un merveilleux étron sur la tombe du modèle français de l’intégration. Le pire là dedans, c’est que Sexion d’Assaut cartonne chez les jeunes, qui sont totalement poreux aux messages véhiculés par la musique. Chacun de ces jeunes a autour de lui un ou plusieurs ados homosexuels, certainement mal dans leur peau ou en recherche d’eux-mêmes et entend dans ses écouteurs des messages de haine, plutôt que d’ouverture.

Bref, je ne pleurerai pas sur le sort de la Sexion. Certains s’émeuvent de la « dureté » de la sanction. Personnellement, je la trouve très douce. Si les propos avaient été de nature raciste plutôt qu’homophobe, j’affirme sans l’ombre d’un doute que les conséquences auraient été beaucoup plus lourdes. À ce titre, la Sexion s’en tire plutôt bien. Quand on devient le groupe phare de la scène musicale française, on se doit d’assumer la conséquence de ses propos sans tenter de s’abriter derrière de l’ignorance. Perso, je retourne écouter Kanye West.

 

Article initialement publié le 13 octobre 2010 sur le site www.i-love-juju.com

et reproduit avec l'autorisation de l'auteur et ami, le grand Juju.

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ELISABETH LÉVY ET LAURENT GERRA DEVRAIENT DÉFENDRE SEXION D'ASSAUT

par  Grégory Protche

 

 Grégory Protche est rédacteur en chef du site Le Gri-Gri International. Le Gri-Gri International est un journal satirique bimensuel panafricain d’origine gabonaise édité en France. Il a été créé en juillet 2001 par Michel Ongoundou Loundah. On peut le trouver en kiosques en France, en Suisse et en Belgique, il est aussi distribué par abonnement en Afrique. Il a été interdit par Omar Bongo au Gabon et a également été interdit au Cameroun, dans la République du Congo et la République démocratique du Congo. Le journal travaille avec un réseau de pigistes et de journalistes en Afrique. Il dénonce les violations des Droits de l'homme en Afrique, et les atteintes à la liberté d'expression, ainsi que les scandales et les réseaux pétroliers franco-africains. Le directeur du journal est aujourd'hui exilé en France.

 

Pendant la coupe du monde de foot, on a accusé les bleus de ne pas aimer la France, d’être mal éduqués, des symptômes de la faillite de l’intégration. Une piste fut peu explorée… qui était pourtant – pour ceux qui ont pratiqué le foot en club – tout à fait évidente…

Si Gourcuff ne plaisait pas à certains joueurs… Ribéry, Anelka, etc. Ce n’est pas parce qu’eux étaient des cailleras converties et lui un bouffon coq gaulois… mais, peut-être, parce que Gourcuff est un fils de dirigeant, race honnie des footballeurs… qu’ayant répondu à une interview de Têtu et ronaldisé jusqu’à l’indécence dans les pubs, il est devenu une “icône gay”… ce qui est à peu près aussi apprécié dans un vestiaire qu’un fils de dirigeant…

Pourquoi cette possible explication est-elle si peu sortie ? Pour la même raison que peinent à tomber les vraies-vraies condamnations contre Sexion d’assaut. C’est pas que l’homophobie soit populaire. C’est que le combat contre elle est pas fédérateur… Stalinienne dialectique de l’intérêt général face aux revendications catégorielles. Occupons-nous d’abord des pauvres (et donc des pédés pauvres aussi). Car ils sont plus nombreux.

Est-ce que je défends Sexion d’Assaut ? Je serais tenté de répondre, avec le cynisme décomplexé du sarko-lepéniste cocu que, comme TF1, j’ai un public à nourrir et que je suis pas convaincu qu’il ait, en la matière, les pudeurs des chroniqueurs de Morandini.

Alors que le groupe perdait le soutien de Fun radio Belgique (lol), des spots de pub Sexion d’assaut lardaient les programmes de TF1… L’homophobie, comme le racisme, quand ça rapporte, ça devient presque une opinion, non ? Si TF1 ne les lâche pas encore complètement à l’heure où j’écris ces lignes (lundi 11 octobre, à 6H49), c’est qu’ils continuent, eux, de rapporter plus qu’ils ne coûtent…

Messieurs les gais censeurs, commercialement, dans la France de 2010, vous pesez moins que Sexion d’assaut…

C’est pourtant pas faute, de la part des gitons morandiniens, d’appeler chaque soir à des sanctions. Un seul mot d’ordre : au trou les marabouts ! Chez Morandini, sur les gays et l’homophobie, on a le sourire décalé qui se fige en rictus… Allez savoir pourquoi.

Et les apôtres de la liberté d’expression, les Zemmour, sont-ils prêts à défendre celle-là, de “libre” expression ? Et Finkielkraut, Frèche, Vanneste, Pétré-Grenouillau et leurs “souteneurs” anonymes ! J’espère bientôt les retrouver à mes côtés. Et Elisabeth Lévy ? On a bien besoin de son abattage, de sa fougue et de son entregent.

Même Didier Bourdon, qui trouvait et chantait “qu’on ne peut plus rien dire”… ça aurait du poids le soutien d’une Folle en cage… Patrick Sébastien… Et tous les laïcards qui “ripostent” en crachant des mollards de petits blancs humiliés à l’école qui leur retombent sur les pieds… viendront-ils défendre la liberté d’expression des rappeurs noirs pas pro-gays ? Pas de loi Gayssot à redouter, les copains… même pas besoin d’être courageux. Suffit d’être conséquent et cohérent. Si c’est un principe : s’y tenir. Si Redeker a le droit de parler et de dire ce qu’il veut, Sexion d’Assaut aussi.

Si je défends Sexion d’assaut, c’est, en premier lieu, pour contrer le discours des milices communautaires à indignations sélectives et méthodes gerbantes… j’ai plus de larmes… Après le raciste et l’antisémite, l’homophobe… L’homophobe noir et rappeur. En grattant un peu, on finira bien par prendre un des Sexion d’assaut en flagrant délit de musulmanisme…

Difficile, convenez-en, de résister au devoir moral, pour un journal satirique, de se retrouver en face d’Act Up… (oui, je sais, c’est pas Act Up là qui est en jeu, mais c’est tellement pareil… J’ajoute que, de l’aveu même d’ancien dirigeant d’Act up, les milices gays peinent à trouver le courage d’aller en banlieue discuter, débattre et confronter… faire chanter les médias et les annonceurs coûte tellement moins…)

Pour finir, a priori les poursuites ne concerneront que les propos rapportés en interview… ceux contenus dans les disques (comme dans trois-quarts des disques de rap) seront couverts par la licence poétique, qui depuis Flaubert et Baudelaire protège les auteurs dans la plupart des cas. Et par la prescription (l’utile idiot député Grosdidier s’en souvient sûrement…)

La première fois que j’ai entendu Sexion d’Assaut, c’était dans la bouche d’un enfant de 7 ans. L’âge où l’on commence, dans les cours de récréation normalement constituées, à se traiter de con, de salaud et de… pédé… sans qu’il n’y ait ni homophobie ni homosexualité en jeu.

 

Grégory Protche
Rédacteur en chef du Gri-Gri International

http://www.legrigriinternational.com

 

Article initialement publié le 15 octobre 2010 sur le site www.enquete-debat.fr

et reproduit avec l'autorisation de l'auteur.

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LA FIERTÉ DE MARCHER

par  Jean-Paul Tapie

 

Jean-Paul Tapie est un écrivain français, auteur d'une dizaine de romans et nouvelles. Il a aussi publié sous le pseudonyme de Zaïn Gadol des romans érotiques. Fasciné par les thèmes de la virilité et de l'homosexualité, Jean-Paul Tapie décline dans ses œuvres ses désirs et ses contradictions.

Né à Bordeaux dans une famille de la petite bourgeoisie, il grandit ensuite en Vendée, à La Roche-sur-Yon. Une adolescence difficile lui laissera à jamais un souvenir amer de cette ville et de cette région. Après des études de journalisme, il part en Israël où il passe un an dans un kibboutz. Il y apprend non seulement l'hébreu, mais aussi que l'on peut être heureux en acceptant d'être ce que l'on est. La parution de son premier roman, Dolce Roma, en 1974, marque le début de son acceptation de son homosexualité et de son épanouissement personnel. Pendant les années qui suivent, déçu par l'échec de son premier, puis de son deuxième roman (Le bal des soupirs, 1982), il se consacre très intensément à la recherche du plaisir et à l'exploration de ses fantasmes. Ce n'est qu'en 1996 qu'il écrit son troisième roman, Le désir du cannibale. A partir de là, il va écrire et publier au moins un livre par an, toujours avec le même insuccès, à l'exception de Dix petits phoques en 1998. Il se décrit lui-même comme un auteur de "worst sellers". En 2000, il part s'installer à la Réunion, où il vit toujours. Il décrit cette installation comme « la plus grande connerie de sa vie », mais affirme ne pas regretter de l'avoir faite. En dehors de la littérature et du plaisir, il a consacré une grande partie de sa vie au sport : ski nautique, parachutisme, course à pied, course de montagne, escalade, randonnée, musculation.

 

 

Hier, c'était la Gay Pride. C'était aussi l'anniversaire de ma meilleure amie et j'en profite de le lui re-souhaiter (bisous, Marie !).

Je n'ai jamais caché l'agacement que provoque en moi la Gay Pride, ravivé à bon escient par la lecture d'un article de blog dans lequel l'auteur s'emploie à justifier cette manifestation aux yeux d'un ami sceptique en lui rappelant toutes les agressions homophobes dans le monde, et notamment dans les pays de l'Est. Au bout de trois lignes, j'avais envie de dire à l'auteur : si c'est pour cette raison que tu marches, chéri, au lieu de marcher boulevard Voltaire, va parcourir la Perspective Nevski ou Vaclaské Namesty. Va te faire caillasser à Varsovie ou à Moscou. Je me demande quel est le pourcentage de "marcheurs" qui ont conscience de le faire pour lutter contre la violence homophobe, ou même simplement pour les droits des homosexuels (mariage, adoption). J'y ai participé plusieurs fois (quand je militais à Aides, qui nous demandait de venir y faire de la visibilité) et j'ai vu davantage une foule de teufeurs qu'une horde de militants revendicatifs. Franchement, les gays ont-ils besoin d'une fausse bonne raison pour faire la fête ? Qu'on baptise cela la Gay Parade et je viendrai y faire un tour. Peut-être même m'exhiberai-je nu sur un char, avec une plume dans le cul ‒ jusqu'à ce qu'on me lapide !

Mais bon, au fond, ça ne me dérange pas plus que ça que les gays marchent dans Paris. Mais qu'ils le fassent pour défendre leurs droits et non pour affirmer leur fierté. Il n'y a rien de plus con que la fierté d'être ce que l'on est sans jamais avoir décidé de l'être, ou sans avoir pu ne l'être plus si cela ne nous plait pas. C'est comme la fierté d'être Français chère à Besson et Sarko. Fierté mon cul ! Les seuls Français qui peuvent se dire fiers de l'être sont ceux qui le sont devenus par choix, autrement dit des étrangers de naissance. Une minorité qui se dit fière de ce qu'elle est autorise la majorité opposée à le dire aussi ‒ et quand les majorités commencent à proclamer leur fierté d'être ce qu'elles sont, on sait comment ça se termine !

Moi, ma seule fierté, c'est la fierté de marcher, d'avoir marché, d'avoir parcouru des milliers de kilomètres à pied sous toutes les latitudes, partout dans le monde, sous le soleil ou sous la pluie, à midi ou à minuit, il y a tout c'que vous voulez…

 


Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur (27 juin 2010)

Première publication : http://jeanpaul-tapie.com/

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Comptine à l'adresse des gays qui n'aiment pas la Gaypride.

Une histoire de baston !

  

par  Jan Le Bris de Kerne 

 


Jan Le Bris de Kerne a 32 ans, vit et travaille à Paris. Tzigane de l'audiovisuel, il a travaillé comme journaliste, chroniqueur, blogueur, communicant, etc. Gitan et aventurier par nature, au-delà de sa vie professionnelle de jour, il a été très actif dans la presse magazine gay et a participé au lancement de Pink TV. Aujourd'hui, il publie dans PREF Magazine en kiosques une chronique appelée « Vodka Pimenta » ! Il tient aussi le blog Jan de Kerne dans le Lisbonne gay.

 


Je fus passablement courroucé lorsqu’il advint qu’un de mes amis m’énonçât avec le toupet habituel des gens qui profèrent des absurdités, qu’il jugeait la Gaypride, ou Marche des Fiertés, inutile voire contreproductive, tant celle-ci était provocante et désormais commerciale. Cet ami égaré prétendait que par ces temps si paisibles pour les homosexuels à Paris, cette manifestation parmi les plus nombreuses de France, avait perdu tout intérêt. J’en fus révulsé. Mais plutôt que m’asseoir et pleurer, j’entrepris de monter au front et de lui offrir un « update » fort nécessaire. Voici ce que je lui dis ce jour-là.


Rassemblement après les émeutes de Stonewall  

 

Mon cher ami, commençais-je, la Marche des Fierté même si on l’a perdu de vue, est somme toute une histoire de baston. De castagne. Et si l’on y trouve autant de plumes plantée ou l’on sait c’est parce que sans répit, les hordes homophobes ont de tout temps trouvé amusant d’y voler. Dans ces plumes. La Gaypride c’est une claque bouddhique. Une réponse ferme, colorée et visible, mais non violente, à la somme d’agressions que les homosexuels subissent sous toutes les formes. C’est vrai qu’on n’y brûle ni ne casse rien. Faudrait-il le souhaiter pour que l’une des manifestations les plus importante du pays passe du statut « d’amusante » à celui de « okay, okay, on a compris, on va voter des lois pour vous calmer » ? En tout cas à ce jour, la Marche des Fiertés reste notre crochet du droit à la tibétaine, en réponse aux haines et aux violences que nous rencontrons souvent.

Oui, la Gaypride était une affaire de castagne et quelques pays pas trop lointains nous en donnait l’illustration chaque année : en Russie, n’était-elle pas prohibée, commentaires injurieux du Maire de Moscou et de Petersbourg brochant sur le tout ? Les homosexuels russes, et de différents pays de l’Est, prenant leurs couilles à deux mains n’aillaient-ils pas au devant des skinheads-matraques-cailloux-œufs dans d’épiques bagarres sous l’œil distrait des policiers ? Quand eux-mêmes ne prenaient pas part au désastre… Il fallait rappeler au souvenir de mon ami que si l’on était 700.000 à Paris à danser de char en char, à quelques centaines de kilomètres, c’était de tout petits groupes de gays presque kamikazes qui jouaient leur vie pour hurler dans leur pays : « oui, nous existons, oui nous voulons aimer et vivre comme vous ! »

La baston, c’est mythe fondateur de toutes les Marches des Fiertés du monde.

Devant l’air hébété de mon ami, je sentis qu’il fallait que je développasse. Ignorant ! bramais-je. Stonewall en juin 1969, rue Christopher Street à New York, ça ne te dit rien ? À l’époque le simple rassemblement dans un bar d’homosexuels était interdit. Mais lassées des descentes de police et exaspérées par un Nième contrôle et l’arrestation menottée d’une copine travestie, des folles hystériques se jetèrent, glapissantes, sur les policiers et le fourgon, déclenchant ainsi trois jours d’émeutes sanglantes à New York. Ce fut l’acte fondateur de la conscience politique gay et la Marche des Fiertés fut désormais la célébration de l’anniversaire des émeutes du Stonewall.

Les homosexuels avaient alors répondu à la violence par la violence, se faisant du même coup entendre de manière spectaculaire. Mon ami tirait une tronche oblique, manière particulière qu’il avait de me signifier qu’il n’était pas encore convaincu de l’utilité aujourd’hui d’une telle manifestation. Tremblant de fureur, je brandis alors mon Iphone, cliquotais frénétiquement, claviotais comme un possédé et lui mis sous le nez plusieurs articles de presse évoquant pour cette seule année, une montagne de guet-apens à Paris où des homosexuels comme lui et moi, en plein Marais se faisaient casser la gueule par des dizaines de sauvageons haineux. Je lui montrais les tortures abominables en province, les meurtres (brûlé vif dans sa voiture, crâne éclaté au marteau, couple enterré vivant, roué de coup, etc.), sans compter les milliers de cas de harcèlement au travail, en famille, à l’école.

Je sentis bien à ce moment, que mon ami commençait à revenir à la raison. Mais l’on n’y était pas encore tout à fait. Je compris qu’à ce stade, je devais jouer la carte de l’emportement lyrique, ce que j’entrepris donc. Le rouge me monta aux joues lorsque je m’exclamais, la bave aux lèvres, qu’au sein même de la Marche des Fiertés, des casseurs trop heureux de pouvoir venir se déchaîner contre des homosexuels, venaient donner libre cours à leur rage criminelle. Lors de l’avant-dernière gaypride, on avait par exemple assisté à ce spectacle effarant de grappes de jeunes fonçant dans la foule des marcheurs, frappant, poussant, bousculant, tandis que les CRS s’ébranlaient à leur tour pour empêcher de nuire ces agresseurs. C’était dire à quel point on faisait peu de cas des homosexuels pour qu’à Paris aujourd’hui, on puise oser sans retenue aucune, venir se battre contre eux, au milieux d’eux, et aux yeux de tout le monde.

Devant tant de brutalité physique et morale, résignés aussi à ne pas voir cette année 2010 venir l’égalité des droits tant espérée depuis des siècles, les organisateurs de la Marche des Fiertés s’étaient donc mis d’accord sur un mot d’ordre qui nous plongeait de nouveau dans les heures les plus noires de notre histoire : « Violences, discriminations : assez ! Liberté, égalité : partout et toujours ! » Toisant mon amis dans le blanc de son œil vitreux, j’ajoutais que si l’on en était revenu là, alors que le Président de la République en campagne promettait le « presque mariage » et autres confiseries, alors que le Portugal catholique et tradi était le 6ème pays d’Europe à légaliser le mariage homosexuel, si l’on en était revenu à devoir à nouveau faire front contre la stupide violence physique et la discrimination, et bien c’était aussi grâce à la contribution molle de gays pas corporates comme lui, qui avec leur mine aigre marquaient contre leur camp, laissant les homophobes agir et jugeant que leur répondre avec notre Marche était ringard.

Puis, cédant à l’émotion, ingrédient indispensable de tout bon plaidoyer, je lui racontais comment la foule, presque un million d’hommes et de femmes, se couchait par terre, à même le sol, en silence pendant une minute en mémoire des morts du Sida, une autre de nos guerres. A l’appel de ce qu’Act Up avait appelé un « Die In » (mourir sur place). Ce silence épais, chargé de sens, tout le monde se taisant à l’unisson, allongé en communion avec nos morts. Soixante longues secondes. Puis le son puissant de la sirène traversant la couche d’air, déchirant le calme, la foule se relevant parfois les yeux rougis par l’émotion, les chars réarmant la musique techno et les cris des homos pour chasser la tristesse et marcher de plus belle.

Piqué au vif, mon ami se redressa, fier à nouveau d’être gay, il couru louer un costume de centurion romain, mignonne petite jupe rouge, et se déclara prêt à devenir le nouveau martyr de la cause gay sur le champ de bataille parisien. Il fallait croire que les homos n’étaient pas les plus mauvais à la guerre, puisqu’outre les quelques grands noms célèbres de vénérables et authentiques maréchaux homosexuels (Lyautey, Galliéni, de Lattre de Tassigny), même dans la prude amérique, le président Obama travaillait à abroger la loi « don’t ask don’t tell » interdisant aux gays de servir dans l’armée. Les américains s’étaient en effet rendu compte qu’ils risquaient de se priver de leurs meilleurs éléments y compris chez les plus hauts gradés. On allait enfin laisser en paix faire la guerre, les tatas belliqueuses. Oui la gaypride c’était vraiment une histoire de baston. Mon ami et moi, heureux, nous levâmes d’une détente en direction de la Marche, fiévreux et enthousiastes, livrer une autre guerre à la bêtise crasse de l’humanité.

 

Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur (26 juin 2010)

Première publication : http://www.novo-ideo.org

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Voici venu le temps de

l'Idéologie Gay !

  

par Sabrina Shami Lafourcade de  Les Anti-culture gay

 

 

Après avoir opportunément libéré la sexualité de ses entraves et inventé de nouveaux modes de vie, les homosexuels français s'attellent désormais depuis ces deux dernières décennies à la construction d'une communauté gay.

Du coup, le mouvement homosexuel, polarisé jusqu'à présent contre le sida, réinvestit le terrain identitaire. La Lesbian & Gay Pride, marche annuelle homosexuelle, l'atteste : entre les pom pom girls, les go-go-dancers, les drag queens et les chars décorés aux couleurs arc-en-ciel (emblème gay), on attend chaque année à Paris, plus de 200 000 homosexuels venus de toute l'Europe pour défiler, le cœur léger, et affirmer leur « fierté gay ».

De même, on observe l'émergence d'une culture gay, avec son lot de films dédiés, de séries pour nous les dames (The L Word), de romans spécifiques... Ce mouvement culturaliste a trouvé son penseur : le sociologue Pierre Bourdieu (éminemment connu des étudiants en Sciences de l'éducation comme moi !), qui se proposait d'insuffler en France les « Gay & Lesbian studies », c'est-à-dire d'imaginer des départements universitaires ou des laboratoires de recherche consacrés à la culture gay. Étonnant itinéraire : après avoir défendu les revendications corporatistes des cheminots, le théoricien intuitif de la « reproduction scolaire » s'ait mis à rêver secrètement d'un « bac pédé »!

Voici donc l'idéologie gay. Quand elle consiste à défendre un folklore amusant ou la très conceptuelle Gay Pride, quand elle prend la forme d'un simple culte pour les sous-vêtements ou d'une passion folle pour la techno, cela ne porte pas à conséquence (quoi que cela me fasse doucement rire !). Mais quand cette idéologie débouche sur des messages d'injonction, incite les identités individuelles à se figer et les cloisons entre les groupes à se durcir, quand elle encourage la désignation de porte-parole, demande aux individus d'« avouer » leur homosexualité, d'en être fier ou de faire leur coming out, il est possible de se poser des questions.

S'interroger tout d'abord sur le sens des revendications. Pourquoi réunir plus de 200 000 gays et lesbiennes à Paris, si on se contente de brandir comme slogan un consensuel et creux « Pour une vraie citoyenneté européenne » et afficher par contre aux yeux de tous une image de dépravation (mecs à moitié à poil déguisés en bonne sœurs, filles exhibant des godes à la ceinture) qui restera celle collée aux homos par la masse populaire ??? Pourquoi prétendre promouvoir le monde associatif et le militantisme, quand la Gay Pride devient une opération de super-consommation, qu'elle est organisée par une société commerciale aux objectifs moins militants qu'économiques et quand, en lieu et place de revendications, on trouve le merchandising : des tee-shirts, des montres et des serviettes de bain aux couleurs arc-en-ciel ???

S'interroger ensuite sur le sens de la culture gay. Faut-il voir d'un bon œil cette folie hypermoderne qui consiste à créer un ghetto culturel ? Faut-il approuver un projet qui participe à l'enfermement et non au dialogue, au cloisonnement et non à l'ouverture sur le monde ? S'interroger enfin sur les ambiguïtés de la communauté gay. Ne présuppose-t-on pas, en la célébrant, que la minorité homosexuelle est forcément bonne, idyllique, et surtout homogène ? N'oublie-t-on pas que les parcours d'entrée et de sortie dans l'homosexualité sont extrêmement variables, les uns passant par la bisexualité, d'autres se mariant et d'autres en effet qui le sont, comme moi, depuis la naissance et qui ne se privent pas pour autant des questions originelles de cette homosexualité : l'étais-je ou le suis-je devenue en mode réactionnel à un héritage social (Bourdieu, là encore !) ?

En définitive, loin de la propagande de l'idéologie gay et des impasses de la culture gay, il est peut-être temps de défendre concrètement et efficacement les droits des homosexuels et pour cela privilégier l'individu avec son libre choix, plutôt que le groupe et son caractère parfois aliénant. Chaque homosexuel doit se construire lui-même, être capable de maîtriser seul son rapport au monde, y compris, comme moi, s'il le souhaite, en restant en dehors de la communauté gay ‒ ou au contraire en s'y insérant. Mais, si l'on parle d'insertion, ne serait-il pas idéal de chercher avant tout l'insertion à la société globale, la société dans son ensemble où la frontière hétéro/gay serait enfin gommée ??!!!!

 

Article reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.

Lesbiennes sous le IIIe Reich :

disparaître ou mourir


Par  Edna Castello

 


Bien peu d’historiens se sont intéressés au sort réservé aux lesbiennes durant le IIIe Reich. Rafles, internement, viols, « thérapies » par la prostitution, tel était leur lot sous le régime nazi. Les travaux d’une chercheuse allemande, Claudia Schoppmann, révèlent des pratiques peu connues du grand public.

Une partie de l’Europe fête le 65e anniversaire de la libération de l’occupation nazie. Pour l’occasion, on édite de nouveaux ouvrages sur cette période, de nouvelles analyses et de nouvelles biographies. Pourtant un aspect du régime nazi reste obscur, une page de l’histoire du IIIe Reich n’a pas été lue. Que sait-on de la vie des lesbiennes sous le régime nazi ? Pratiquement rien. Le sort des lesbiennes a rarement intéressé les chercheurs. On dit même souvent qu’elles n’auraient pas souffert. Étonnant quand on sait que l’idéologie nationale-socialiste considérait l’homosexualité comme une tare et que toute femme ne respectant pas son rôle de femme mariée et de mère pour perpétuer la race pure, attirait les soupçons.

Rendre compte de la persécution des lesbiennes, en l’absence de documents concrets, de lettres, de témoignages, reste un défi pour les historiens. Presque seule à s’intéresser à ce versant de l’Histoire, une chercheuse allemande, Claudia Schoppmann, nous livre pourtant de précieuses informations (1). Faute de données, Claudia Schoppmann se tourne en effet vers le témoignage pour restituer une image de l’histoire collective des lesbiennes qui, autrement, risquerait de se perdre. L’un de ses ouvrages, Zeit der Maskierung: Lebensgeschichten lesbischer Frauen im «Dritten Reich», traduit en anglais (2) mais malheureusement pas encore en français, est un recueil de récits poignants qui dessinent une histoire de la répression des lesbiennes allemandes sous le joug nazi. Dans ces témoignages, on retrouve l’effervescence et l’ambiance euphorique du Berlin lesbien des années 20. La ville compte un nombre impressionnant de bars, de clubs, d’associations, de magazines destinés aux lesbiennes. Cet essor et ce dynamisme se heurtent malgré tout à de virulentes attaques lesbophobes. Dès 1909, le gouvernement essaie d’inclure les femmes dans le fameux paragraphe 175, qui condamne les activités homosexuelles entre hommes. Plus tard, pendant des années, des juristes, des criminologues, des théoriciens du parti nazi font de nouveau pression pour que l’homosexualité féminine entre dans le paragraphe 175. Pour eux c’est « une menace morale à la pureté de la race », une façon de « soustraire les femmes aux hommes et à l’institution du mariage ».

Le lesbianisme n’entrera pourtant jamais dans le paragraphe 175, pour plusieurs raisons : dans la société allemande, les femmes sont exclues des postes politiques et administratifs importants. Leur influence est donc peu redoutée. De plus, d’après des conclusions médicales de la fin du XIXe siècle, l’homosexualité féminine ne serait pas antinomique avec le désir de se marier et de fonder une famille. Cette théorie conforte l’idéologie nazie qui préfère croire que l’homosexualité se soigne. La thèse d’une homosexualité innée répandue en Allemagne pourrait mettre à mal le concept de « race maîtresse pure ». Enfin, les relations « intimes » entre femmes sont trop courantes, trop difficiles à identifier. Le meilleur moyen de ne pas « encourager la diffusion de l’épidémie » chez les femmes est donc de la passer sous silence. Les lesbiennes échappent ainsi aux graves condamnations infligées aux hommes homosexuels : 50 000 d’entre eux sont condamnés sous le paragraphe 175, parmi eux, 15 000 sont internés en camps de concentration et les deux tiers n’en reviennent pas. En revanche, ce silence autour des lesbiennes ne permet pas de mesurer l’étendue de leur persécution, le plus souvent cachée sous des prétextes divers, ni de dégager des chiffres.

 

Rafles dans les bars

L’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933 frappe de plein fouet la communauté lesbienne. Les rafles dans les lieux lesbiens sont si fréquentes qu’ils ferment tous rapidement. À Berlin, seuls deux ou trois bars – des arrières salles – ouvriront dans la clandestinité. La presse lesbienne est interdite, les associations dissoutes et un témoignage prouve que les nazis dressent des listes de lesbiennes. De nombreux témoignages recueillis par Claudia Schoppmann montrent que les lesbiennes vivent dans la peur des dénonciations. Elles craignent également, à juste titre, les licenciements, car les lesbiennes sont licenciées quand elles sont « découvertes » sur leur lieu de travail. La plupart des femmes interrogées racontent qu’afin de passer inaperçues, elles changent leur apparence et adoptent une allure féminine correspondant aux canons nazis. La pression sociale sur les lesbiennes est telle que nombreuses sont celles qui se marient, certaines avec des homosexuels. Finalement, le seul moyen de ne pas être persécutée en tant que lesbienne, c’est de rentrer dans le rang… et de ne plus l’être.

On sait que de nombreuses lesbiennes sont pourtant arrêtées, emprisonnées ou envoyées en camps de concentration. On trouve dans Zeit der Maskierung le récit de Lotte Hahm, une des plus grandes militantes lesbiennes berlinoises, arrêtée avant la guerre et envoyée en camp de travail pendant plusieurs années en raison de ses activités, entre autres la gestion d’associations et de clubs. La présence de blocs réservés aux lesbiennes est attestée dans certains camps, comme à Bützow (ex-R.D.A.) où les lesbiennes étaient maltraitées et humiliées. Les SS incitaient les prisonniers du camp à les violer. Dans le camp de femmes de Ravensbrück, les lesbiennes portaient un triangle rose avec le sigle « LL » (Lesbische Liebe, amour lesbien) (3). Mais le plus souvent, les lesbiennes portent le triangle rouge des « asociales ». Ce terme désigne tous ceux qui ne se conforment pas aux normes ; il comprend les sans abris, les chômeurs, les prostituées, les homosexuels, les tsiganes.


Photos d’identité de Henny Schermann, vendeuse dans une boutique de Francfort sur le Main. En 1940 la police arrêta Henny, qui était Juive et lesbienne, et la déporta vers le camp de concentration pour femmes de Ravensbrück. Elle fut assassinée en 1942. Ravensbrück, Allemagne, 1941.


Contraintes à la prostitution

Claudia Schoppmann rapporte le témoignage d’un homosexuel (4), Erich H, qui a rencontré Else (on ne connaît pas son nom de famille) dans un camp. Elle travaillait à Potsdam comme serveuse et vivait avec son amante. Elle est arrêtée apparemment en raison de son homosexualité mais est enregistrée à Ravensbrück comme « asociale ». Elle est ensuite emmenée au camp de Flossenbürg où la plupart des prisonniers sont des hommes « asociaux » ou « criminels ». C’est au bordel du camp qu’ils se rencontrent, en 1943. Des bordels sont en effet mis en place, à partir de 1942, dans bon nombre de camps de concentration. On y voyait le moyen d’accroître l’efficacité des travailleurs forcés dans l’industrie de l’armement. D’après Claudia Schoppmann, Himmler considérait aussi les bordels comme un moyen de combattre l’homosexualité masculine. Un grand nombre de prisonnières sont forcées d’entrer dans les bordels des camps. D’après Erich H « les nazis aimaient tout particulièrement faire travailler des lesbiennes dans les bordels. Ils pensaient que ça les remettait dans le droit chemin. » Après avoir passé plusieurs mois au bordel de Flossenbürg, on pense qu’Else a ensuite été déportée dans un camp d’extermination (Auschwitz) et qu’elle y est morte. C’était en effet le sort réservé au bout de six mois à toutes celles qui étaient envoyées dans les bordels.

Si elles ont le malheur d’être juives, les lesbiennes sont évidemment particulièrement menacées. Claudia Schoppmann évoque le cas d’Henny Schermann internée en mars 1940 et de Mary Pünjer internée en octobre 1940, toutes deux à Ravensbrück. Elles sont sélectionnées par Friedrich Mennecke, qui les déclare « indignes de vivre », comme des dizaines de milliers d’autres « patients ». Le « diagnostic » d’Henny Schermann la décrit ainsi : « lesbienne compulsive ; fréquentant seulement ce genre de bars et de clubs. N’utilisait pas son prénom Sara. Juive apatride (5). » Quant à son avis sur Mary Pünjer : « Lesbienne très active. Fréquente sans cesse les clubs lesbiens et s’exhibe avec ses congénères. » Elles sont envoyées à la chambre à gaz au début de 1942.

Combien de lesbiennes ont-elles été tuées comme elles sous le IIIe Reich ? Combien ont été violées, combien ont dû se cacher parce qu’elles étaient lesbiennes ? La lesbophobie, qui n’est pas une prérogative du IIIe Reich, rend aujourd’hui toute évaluation impossible. Pourtant, il serait dangereux de minimiser la persécution des lesbiennes, sous prétexte qu’elle a été effacée par leurs tortionnaires et par l’Histoire. À quand d’autres ouvrages aussi intéressants que ceux de Claudia Schoppmann ?

 

(1) Lire aussi les travaux en allemand de la sociologue Ilse Kokula.

(2) Days of Masquerade: Life stories of lesbians during the Third Reich.

(3) Ilse Kokula, Der Kampf gegen Unterdrückung, Verlag Frauenoffensive.

(4) Tiré de Ganz normal anders. Auskünfte schwuler Männer aus der DDR de Jürgen Lemke.

(5) À partir de 1941, tous les juifs sont déchus de la nationalité allemande.

 

© Edna Castello.

Première publication : 360° Magazine.

Reproduit sur Les Toiles Roses avec l’aimable autorisation d’Edna Castello.

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Interview de Benjamin Abt-Schiemann

  

par Pierre Lepori pour Hétérographe

 

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Vice-président de ProCoRé (Prostitution – Collectif – Réflexion : ONG suisse qui défend les intérêts des travailleuses et travailleurs du sexe) et prostitué depuis l’âge de 14 ans, Benjamin Abt-Schiemann allie une vaste expérience de lutte sur le terrain à un regard de grande profondeur sur les enjeux de la prostitution masculine et féminine dans le monde contemporain.

 

Vous avez connu et fréquenté Grisélidis Réal (1929-2005), écrivaine flamboyante et pionnière de la défense des droits des prostitué.e.s. Quel souvenir en gardez-vous et, surtout, quel est aujourd’hui son héritage : au-delà de l’immense qualité littéraire de ses écrits, peut-elle encore servir de boussole dans le militantisme contemporain ?

Grisélidis a été, pour moi, d’abord, une vielle dame qui promenait ses chiens aux Pâquis : on m’avait dit « c’est une prostituée, celle-là », et j’étais impressionné. Je me demandais comment les gens pouvaient le savoir, alors que moi je faisais tout pour le cacher : seulement plus tard, quand j’ai pu faire mon coming out de prostitué (ce qui m’a permis également de m’accepter en tant qu’homosexuel et d’arrêter la double vie), je suis entré en contact avec Aspasie et Grisélidis. J’étais un petit squatteur à la crête iroquoise et je n’avais rien à cirer des luttes pour que la prostitution soit reconnue en tant que travail. Mes revendications était anarchistes, sexuelles. Petit à petit j’ai découvert qu’il y avait une réelle dimension politique dans ces combats, que ça recoupait mes préoccupations. Avec les amis du squat gay et lesbien « chez Brigitte » de Genève, nous avons participé à une manif « étoile », en janvier 1995, où les cortèges des différents squats se rejoignaient sur la place Neuve : il y avait le ministre de justice et police Ramseyer qui voulait fermer des bars-squats sous prétexte, entre autres, de prostitution et nous arborions des pancartes qui clamaient « nous sommes prêts à faire des passes gratuites pour Ramseyer ». C’est la première fois où j’ai crié haut et fort mes droits de prostitué, en créant un lien entre engagement et prostitution. En même temps, je fréquentais l’Uni en lettres et un ami avait fait un travail sur les œuvres littéraires de Grisélidis Réal, que je commençais à fréquenter. Les pièces du puzzle s’assemblaient pour donner un dessin. Quant à savoir si ces prises de positions et ces combats ont encore de la valeur aujourd’hui, je crois que Grisélidis a surtout ouvert une brèche. Mais c’était une époque dans laquelle on avait encore des idées extrêmement figées sur les genres ; Grisélidis n’était certainement pas pionnière de la déconstruction du genre. Elle avait une vision assez binaire, mais cela était lié à sa manière de dire, de nommer les choses. Aujourd’hui on utiliserait d’autres expressions et d’autres arguments. C’était inhérent à son rôle de pionnière : elle ne pouvait se référer à aucune histoire terminologique ou littéraire de la prostitution, tout simplement parce que cela n’existait pas. Elle a tout fait elle-même, et elle avait un souci de radicaliser son discours et son approche. Si on est scientifique ou universitaire ‒ si on est politiquement correct ‒ on perd la provocation dont elle avait besoin alors pour être entendue. Mais aujourd’hui encore, n’importe quel prostitué qui serait à la fois écrivain et activiste ferait la même chose pour être provocateur.


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L’une des grandes résistances publiques à la lutte pour la reconnaissance des droits des prostitué.e.s se fonde sur le rôle de la femme : qu’elles viennent des féministes prohibitionnistes (qui prônent l’interdiction pure et simple, sans souci des dégâts collatéraux), ou d’une réflexion plus pertinente sur la domination masculine (le « continuum sexuo-économique » de l’anthropologue Paola Tabet), les critiques à l’encontre de la prostitution dénoncent le fait qu’elle confirme sinon renforce l’inégalité des genres. Est-ce que la prostitution masculine ‒ librement assumée, comme dans votre cas ‒ pourrait mettre en échec cette impasse théorique, ou sa situation minoritaire l’en empêche-t-elle ?

Tout d’abord, mon militantisme en tant que prostitué ne dépend pas du sexe du client ou de la cliente ni de la personne prostituée. Depuis 1992, en Suisse, tout individu ‒ peu importe son genre ou ses attirances ‒ a le droit de se prostituer ou de recourir à des services prostitutionnels. C’est une question de travail et quand on parle de travail, les droits sont syndicaux. C’est pour ceux-là que je me bats, finalement, pour des conditions de travail dignes de ce nom. Dans notre société, il n’y a pas de distinction de sexe au travail : chez les infirmiers et infirmières, le contingent masculin est également assez réduit, cela n’engendre certes pas des différences de perception ou de traitement. Ce serait stigmatisant pour les infirmières de dire qu’il s’agit d’un «travail de femmes». Dans la prostitution, par contre, même les études scientifiques ont de la difficulté à sortir d’une vision genrée : l’enquête Marché du sexe en Suisse, réalisée à l’Université de Genève par Géraldine Bugnon, Milena Chimienti et Laure Chiquet sur mandat de l’Office Fédéral de la Santé Publique se cantonne au genre grammatical féminin, comme si le marché s’y réduisait.

 

Serait-ce l’effet d’une certaine homophobie latente ? Non seulement l’image de la «pute» est féminine dans son histoire (du moins la plus connue), mais la méconnaissance sociale de l’homosexualité a empêché l’imaginaire d’intégrer d’autres paramètres : jusqu’à 1992, le Code Pénal Suisse interdisait tout simplement la prostitution masculine pour cause d’immoralité. Vous avez pourtant dit dans un entretien que les prostitués hommes vous paraissent moins lourdement stigmatisés que leurs collègues femmes…

C’est une stigmatisation différente. Historiquement, les homosexuels hommes ont souvent été marqués par une vision négative qui en faisait de facto des prostitués ou des clients : le mouvement homosexuel masculin s’est battu pendant des années pour dissocier les deux. Le prostitué homme n’était pas perçu comme un travailleur du sexe, il n’était pas plus «pervers» (ou différent) que tout autre homo. Alors que pour la femme, on a eu besoin de bien séparer la pute de la vertueuse, pour des raisons évidentes. Il n’y a donc pas une homophobie en plus, mais une homophobie structurale.

 

Ce qui est frappant, en lisant les rares livres de témoignages qui ont trait à la prostitution masculine (notamment I mignotti de Riccardo Reim, en Italie), c’est de découvrir dans ce milieu une présence assez prononcée de l’homophobie, spécialement de la part de prostitués qui méprisent leurs clients et se déclarent hétérosexuels. Avez-vous constaté ce phénomène, dans votre travail ?

C’est un problème aux implications profondes. La prostitution n’est pas un moyen facile de faire de l’argent, mais un moyen rapide. Et dans le besoin, on peut aller chercher l’argent là où il y en a, en l’occurrence chez les pédés. Je ne veux pas généraliser ni donner l’impression d’être moraliste, mais il faut prendre le temps de bien faire la part des choses. Un beau mec ‒ même homophobe ‒ bien masculin et un peu méprisant correspond à un idéal érotique homosexuel assez répandu (culturellement induit, bien évidemment : il s’agit de l’image parallèle, bien qu’inversée, de la femme soumise ou libérée qui attire certains hétéros chez les prostituées). Cet idéal introjecté est encore plus fort pour les clients qui n’ont pas encore réussi leur coming-out, qui ne veulent pas être mêlés aux autres homos, qui sont peut-être mariés et pères de famille (il s’agit quand même de la moitié de ma clientèle). Des clients qui vont essayer de trouver quelqu’un qui ne soit pas trop pédé selon leurs propres préjugés. Dans ce contexte, ni le client ni le tapin ne s’assument, ce qui augmente la vulnérabilité des deux. C’est un effet miroir qui crée une tension presque insoutenable et, en même temps, une dépendance. Cette situation émotionnelle très tendue mène à la violence et renforce l’homophobie. Dans la prostitution masculine homosexuelle, le lien le plus fort entre le prostitué et son client, c’est ce qu’ils ont très souvent en commun : la double vie. Et la double vie vise à ne surtout pas faire évoluer les choses.


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Double vie et silence, ce qui a été longtemps le lot de tout homosexuel.le occidental.e, avec des retombées sur le vécu individuel et sur la sociabilité qui ont encore de la peine à s’estomper. Ce qui explique peut-être aussi le manque assez frappant de livres consacrés à la prostitution masculine (homosexuelle), alors que sur la prostitution féminine (hétérosexuelle) nous trouvons aujourd’hui une large bibliographie et un débat nourri…

Au niveau français nous passons de Les Garçons de passe de Jean-Luc Hennig en 1978 à Doubles vies d’Hervé Latapie qui est sorti en novembre 2009 : aucune autre enquête n’a été publiée entre deux, ce qui est frappant dans une époque de revendication. À la même période, en Allemagne par exemple, vous trouvez une pléthore de publications en la matière. C’est vraiment un problème des Latins de ne pas avoir produit de la littérature spécialisée, et ce qui n’est pas dit dans l’espace public crée de l’exclusion, du déni violent.

 

Pourtant la prostitution est un lieu où certains injonctions sociales explosent ou essaient d’exploser, avec des zones d’ombre, violentes, et de nouvelles ouvertures : sentez-vous la confrontation des désirs et des règles travailler en profondeur dans votre activité prostitutionnelle ?

Ce que je constate ‒ mais je ne peux m’exprimer qu’à partir de mon expérience personnelle ‒ après des années d’activité, c’est que mes clients, dans leur grande majorité, ne m’ont jamais vu comme simple objet sexuel. Ils m’ont certes idéalisé, pour la liberté de vivre ma sexualité qu’ils n’arrivaient pas à se donner eux-mêmes, mais j’ai occupé bien d’autres rôles que celui de l’objet sexuel. Pour les uns je suis le remplaçant d’une relation d’amour, pour les autres j’incarne une liberté de dire ma sexualité. Pour beaucoup, je suis le seul interlocuteur pour parler sexualité, c’est presqu’un rôle thérapeutique, loin de la pute qu’on utilise et qu’on jette. Ces clients me donnent une vraie place dans leur vie sexuelle et sentimentale, par rapport à laquelle j’ai une responsabilité. Sans compter que dans la société contemporaine, le culte de la jeunesse et de la beauté crée des laissés-pour-compte de la sexualité (les gros, les moches, les vieux, les handicapés) qui viennent voir les prositué.e.s, un phénomène qui est encore plus visible dans les milieux homosexuels.

 

Depuis des dizaines d’années les prostitué.e.s s’organisent, revendiquent des droits et une visibilité publique longtemps niée au nom de la morale (souvent d’une double morale par ailleurs) : des organisations comme Aspasie en Suisse, Le Lucciole en Italie, ou même des groupes militants comme Les Putes en France structurent une présence publique des travailleurs et travailleuses du sexe qui empêche leur parole d’être confisquée par les savoirs étatiques (que ça soit la police ou l’université) ou les morales religieuses. Cela pose évidemment la question de la représentativité de cette prise de parole, qui est née en dépit de la stigmatisation : vous-même vous avez fait des études de lettres et de linguistique, vous avez donc une facilité à vous exprimer qui vous met au premier plan, dans les revendications, alors que d’autres prostitué.e.s ne peuvent ou ne veulent pas se manifester. Vous sentez-vous une légitimité dans les positions que vous exprimez au nom de la « masse silencieuse » ?

Regardons d’autres militantismes, l’homosexualité, notamment masculine. Ceux qui ont milité pour faire avancer les choses dans les années soixante-dix étaient souvent des folles, des personnalités excessives. Les mecs qui faisait bien mec se faufilaient sans donner une visibilité à l’homosexualité, et ils étaient peut-être les premiers à chier sur les folles et à se distancier de la Gay Pride par peur d’amalgames. Mais aujourd’hui ils peuvent se pacser. Grâce à qui ? Grâce aux folles et autres non conformistes qui se sont cassé le cul pour militer. Nous avons le même phénomène dans le cadre de la prostitution : ceux qui agissent en première personne ‒ en mettant en avant leur vécu et leur histoire ‒ et ceux qui ne s’y intéressent même pas. Cette disparité est compliquée par la présence de beaucoup d’étrangers dans la prostitution (comme tant d’autres travaux méprisés) ; un étranger qui vient travailler en Suisse en tant qu’indépendant ne peut rester que quatre-vingt-dix jours. Pendant cette période, il a tout intérêt à gagner le plus possible plutôt que de participer à des séances et des groupes de revendication. Le problème est l’accueil des étrangers, qui entraîne un manque de parole. Si ces personnes étaient plus intégrées en Suisse, si elles pouvaient tisser des liens sociaux, probablement elles réagiraient différemment.

 

Dans la «Charte» de ProCoRé, le collectif de réflexion et militantisme sur les droits des prostitué.e.s dont vous êtes le vice-président, vous insistez sur la « multiplicité des réalités que recouvre le marché du sexe », sur la promotion de la santé et de la solidarité, et sur la nécessité de « distinguer le travail du sexe exercé librement de celui exercé de manière forcée ». Mais dans des conditions fortement sujettes au marché, comment savoir où s’arrête cette liberté de choix ?

C’est le souci, justement, de ProCoRé de dire clairement que la prostitution est un travail, une profession qui peut être choisie. Et le reste ce n’est pas de la prostitution, c’est de l’exploitation. Les esclaves dans les champs de coton du sud des États-Unis au XIXe, on ne les appelait pas des agriculteurs. Les gens qui sont forcés de travailler dans la prostitution, ce sont des esclaves. Nous n’essayons pas de minimiser ce problème. Mais ce n’est pas parce que dans une profession il y a des abus, que cette profession doit être interdite, comme le pensent les abolitionnistes par rapport à la prostitution. Le citoyen-consommateur doit en être conscient, au lieu d’essayer d’éliminer le problème par des moyens trop simplistes qui ne marchent jamais. Regardons le marché du café : aujourd’hui, en Suisse, vous avez la possibilité d’acheter un produit avec le label Max Havelaar, qui vous garantit que les producteurs ne sont pas exploités (et c’est une exploitation qui porte une très grave atteinte aux droits humains les plus essentiels, même si nous avons tendance à l’oublier, car cela se passe loin de chez nous). Les clients des prostitué.e.s n’ont pas d’intérêt ‒ sinon bassement économique ‒ à avoir recours à des esclaves pour des services sexuels. Je ne veux pas non plus verser dans l’angélisme : je sais très bien que dans le monde actuel le bas-de-gamme (sans souci éthique, d’ailleurs) a largement sa place. Et cela pose des problèmes même dans les cas où la prostitution est entièrement décriminalisée (comme en Allemagne ou en Nouvelle Zélande). Car les travailleurs du sexe exploités ne sont pas en Chine, mais sous nos yeux, dans nos villes et nos quartiers. Alors que c’est difficile de se rappeler le travail des mineurs ou l’exploitation des masses travailleuses étrangères ‒ profondément ancrés dans le modèle économique mondialisé ‒ quand vous êtes dans un joli magasin de jouets fabriqués en Chine.

 

Mais le commerce ‒ qu’il soit éthique ou pas ‒ est régi par un cadre normatif assez solide (quoique pas toujours transparent ni respecté), alors que la prostitution a longtemps vécu dans une zone grise (et dans l’illégalité qui découle souvent de sa criminalisation dans plusieurs pays, y compris la France actuelle et bientôt l’Italie) qui ne garantit pas d’échapper à la spirale de l’exploitation…

Justement : la loi veut protéger des personnes susceptibles d’être exploitées, en rendant plus difficiles les conditions du travail prostitutionnel. On oublie trop souvent que les résultats d’une politique de prohibition et de l’abolitionnisme selon le modèle suédois sont abominables : cela mène à des violations des droits humains (pour un pays comme la Suède qui s’est toujours proclamé à l’avant-garde, notamment pour les droits des homosexuels et des femmes, cela est bien hypocrite). Et la criminalisation des clients mène au marché noir et à l’abandon de la prévention des maladies et des acquis de santé.


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En Suisse, par contre, la prostitution est légale depuis 1942 (la masculine, comme on l’a dit, depuis 1992), même si sa réglementation découle du code pénal (avec le choix pour chaque canton de promulguer une loi et des ordonnances). Est-ce que cela améliore vraiment le cadre de travail et la reconnaissance humaine des prostitué.e.s ?

En Suisse le Code Pénal interdit la prostitution forcée, mais laisse la liberté d’exercer ce métier en tant qu’indépendants. La loi française, au contraire, est totalement restrictive, notamment en interdisant d’une manière absolue le proxénétisme (ce qui revient à dire qu’un.e prostitué.e.s n’a pas le droit d’élever des enfants, car ils vivraient du revenu du père ou de la mère prostitué.e.s). En Suisse je constate moins de violence ‒ car il est possible de la dénoncer, alors que la mise hors la loi de la prostitution l’empêche ‒ et une reconnaissance de la dignité des travailleurs et travailleuses du sexe. Il y a pourtant un problème au niveau du code des obligations, qui parle encore d’immoralité par rapport à la prostitution. Ce qui fait que le contrat oral avec le client est valable mais difficilement défendable dans le cas d’un différend. Si un client ou une cliente ne veut pas payer, il est possible d’appeler la police, mais devant un juge nous avons du mal à faire valoir nos revendications financières.

 

Une hypothèse qui est souvent évoquée par les milieux réglementaristes par rapport à la difficile cohabitation entre prostitution et vie sociale est la réouverture des maisons closes (qui donnerait des garanties de santé publique et de respect des droits humains, tant aux clients qu’aux travailleurs et travailleurs du sexe). Mais ne s’agit-il pas encore une fois d’une mise à l’écart dans un ghetto, qui renforcerait la stigmatisation des personnes ?

Je suis clairement en faveur de la levée de l’interdiction française de ce qu’on appelle les maisons closes. En Suisse nous n’avons pas besoin de ce débat puisqu’ici, chaque travailleur ou travailleuse du sexe est libre dans ces choix et a la possibilité, selon les endroits, de trouver ses client-e-s dans la rue ou de les recevoir dans son salon de massage, de louer un espace publicitaire dans un quotidien, ou encore de mettre des annonces sur la toile. Nul est le besoin de dicter une seule forme de travail qui ne tiendrait pas compte de l’autodétermination de l’individu. Quant aux questions sanitaires, les chiffres récents de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) démontrent qu’en matière d’infections sexuellement transmissibles, les prostitué-e-s ne sont pas plus malade que la population générale. Et l’Aide suisse contre le SIDA (ASS) trouve que les personnes dans les métiers sexuels jouent un rôle important comme acteurs de prévention et d’éducation sexuelle. Où est donc le problème ? Les droits humais ont d’ailleurs besoin de trouver leur respect partout et non seulement dans quelques salons de massage (et c’est le terme qu’on utilise en Suisse pour désigner les maisons closes).

 

Première publication : Hétérographe n°3, printemps 2010.

Revue des homolittératures ou pas.

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Interview de Samir Bargachi

fondateur du premier magazine homosexuel marocain, Mithly

 

par Djamel Belayachi pour Afrik.com

 

Samir Bargachi n’a pas froid aux yeux. Ce jeune marocain, âgé d’à peine 23 ans, ne se contente pas de vivre son homosexualité à visage découvert dans un pays où elle est considérée comme un crime. Il dirige depuis 6 ans déjà la première association d’homosexuels marocains, Kif-kif. Et il y a tout juste un mois, le 1er avril, il a jeté un véritable pavé dans la mare : Mithly, le premier mensuel gay du monde arabe. Certains l’exècrent franchement. D’autres restent admiratifs devant tant de courage.

 

Il est le fondateur du 1er magazine gay du monde arabe, Mithly, qui n’en finit pas de défrayer la chronique depuis sa sortie le 1er avril. Samir Bargachi, coordinateur général de Kif-Kif, une association de défense des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels (LGBT) marocains, créée en 2004, a lancé ce mensuel pour que les homosexuels aient eux aussi le droit de s’exprimer, exposer leur point de vue. Les milieux conservateurs marocains, hostiles à l’homosexualité, qu’ils considèrent comme une déviance, ne voient pas l’arrivée de cet ovni journalistique d’un très bon œil. L’Etat considère lui l’homosexualité comme un délit. Les gays marocains sont ainsi pris entre le marteau de l’appareil judiciaire et l’enclume du courroux islamiste. C’est pour cette raison que la rédaction de Mithly et le siège de Kif-Kif sont basés à Madrid, en Espagne. La presse indépendante et les associations ont « globalement bien accueilli » le magazine, tient toutefois à préciser Samir Bargachi. Le premier numéro a été imprimé et distribué clandestinement à Rabat. Les concepteurs du projet souhaitent concentrer leurs efforts sur la version Internet, pour des raisons de commodité. Le 1er numéro de Mithly consacre plusieurs articles au chanteur britannique Elton John, dont la participation au festival Mawazine, prévu du 21 au 29 mai à rabat, a suscité l’ire des islamistes, en raison de son homosexualité. Le chanteur devrait rencontrer les militants de Kif-Kif avant de monter sur scène. Samir Bargachi y voit une de reconnaissance implicite par les autorités du mouvement gay au Maroc. « Nous avons remporté une bataille », jubile-t-il.

 

Afrik.com : Comment avez-vous eu l’idée de créer un magazine homosexuel ?

Samir Bargachi : Il existe, depuis 5 ans, un débat autour de l’homosexualité au Maroc. Mais les médias traditionnels ont tendance à faire dans le sensationnel quand il s’agit de traiter de ce sujet. Avec Mithly, nous avons la possibilité de donner le point de vue des homosexuels, l‘opportunité de dialoguer directement avec la société.

 

Le premier numéro de votre magazine a été distribué sous le manteau au Maroc, selon plusieurs journaux. Comment cela s’est-il passé ?

Nous avons imprimé 200 exemplaires que nous avons distribués à des gens que nous connaissions déjà. Mais nous n’avons fait cela que pour laisser une empreinte dans l’histoire du militantisme gay au Maroc ‒ nous souhaitons nous concentrer sur la version Internet. Cela s’est passé dans des conditions difficiles, dans la mesure où il est existe des lois très strictes réprimant l’homosexualité (de 6 mois à 3 ans d’emprisonnement ainsi qu’une amende). Mais, heureusement, nous n’avons pas rencontré de problèmes. Nous prévoyons de faire la même chose avec le prochain numéro. Nous allons distribuer 200 exemplaires à un public cible. Cette idée n’a toutefois pas d’avenir.


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Avez-vous effectué des démarches officielles pour obtenir l’autorisation de publier ?

Nous n’avons pas officiellement demandé l’autorisation de publier. Par contre, nous avons eu des contacts indirects avec les autorités, qui sont restés sans réponse. Nous en avons donc conclu que nous n’aurions pas d’autorisation. Nous n’avons pas d’existence au plan officiel au Maroc. Nous travaillons avec beaucoup d’associations, mais l’Etat refuse de reconnaitre notre existence.

 

Votre parcours en tant que militant pour la cause gay a commencé bien avant Mithly. Avec le mouvement Kif-Kif, dont vous êtes membre fondateur...

L’idée de créer Kif-Kif est née à la suite d’un incident survenu en 2004 à Titouane. La police avait arrêté 42 homosexuels lors d’une fête d’anniversaire. L’affaire avait fait scandale dans la presse. Les associations, qui avaient l’habitude d’intervenir sur des questions de droits de l’homme, s’étaient malheureusement tues. Des étudiants ont été chassés des universités, des jeunes de leurs maisons. Nous nous sommes dits, avec des amis qui militaient dans diverses associations, qu’il fallait faire en sorte que cela n’arrive jamais plus. Nous avons tenu notre congrès constitutif à Tanger deux mois après les faits, et mis en place un plan pour essayer de réintégrer ces jeunes dans la société.

 

En quoi consistent les activités de Kif-kif ?

Nous menons plus de 90% de nos activités au Maroc. Des activités culturelles, éducatives, des cours d’éducation sexuelle. Nous travaillons aussi avec des psychologues, des médecins. Parfois, les homosexuels sont mal accueillis par les médecins. Alors, nous les orientons vers des médecins qui travaillent avec nous. Notre travail consiste en outre à aider à faire émerger une culture de l’homosexualité au Grand Maghreb, où elle est inexistante. Il faut dire que nous démarrons de zéro. Tout est à faire (rire).

 

Votre magazine a suscité l’indignation d’une partie de la presse marocaine, et de certaines personnalités politiques. Y a-t-il une compagne médiatique contre Mithly ?

En fait, il y a eu deux campagnes. D’une part, beaucoup ont considéré que notre initiative était naturelle, et n’y ont vu aucun problème. Les associations et la presse indépendante ont globalement bien accueilli Mithly. Je pense, entre autres, à l’Association marocaine des droits de l’homme, à l’hebdomadaire Nichan, Tel Quel…Il y a aussi bien sûr une autre presse, conservatrice, avec des préjugés religieux, opposée à l’homosexualité, et qui ne voit pas d’un très bon œil l’arrivée de ce magazine. Mais il s’agit d’une campagne ininterrompue qui dure depuis 2005. Nous y sommes habitués. C’est devenu ordinaire (rire). Je suis en outre assez mécontent de la façon dont une certaine presse occidentale a couvert la sortie du magazine. A les lire, on croirait qu’au Maroc les gens se déplacent encore à dos d’âne. On m’a parfois posé des questions choquantes. Du genre : "Est-ce que vous êtes menacés de mort ? Es-ce qu’on cherche à vous tuer ? ". Il est clair qu’il y a beaucoup de gens qui ne m’aiment pas, mais cela n’a jamais atteint le stade de la violence.


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Le Maroc est un pays à majorité musulmane. Or, Beaucoup de musulmans considèrent que leur religion est contradictoire avec le fait d’être gay. Pensez-vous que l’homosexualité soit compatible avec l’Islam ?

Nous n’avons pas de réponse à ce genre de question. Nous sommes une association moderniste et laïque. En outre, il n’y a pas que des musulmans qui stigmatisent l’homosexualité. En Espagne, il y a seulement 30 ans (sous le régime national-catholique de Franco, ndlr), ils étaient condamnés à mort. A mon avis, il n’y a pas de contradiction entre l’islam et l’homosexualité. Il y a dans notre association des lesbiennes qui portent le voile et qui vivent leur vie normalement, sans se sentir en contradiction avec la religion. Je n’ai en tout cas aucune réponse à cette question. Je ne suis pas un homme de religion.

 

Quels sujets le prochain numéro de Mithly va-t-il aborder ?

Nous allons consacrer notre une au phénomène du suicide chez les homosexuels. Nous avons réalisé une enquête sur le sujet et avons découvert que le taux de suicides est de 20% parmi les gays. Ce qui est vraiment inquiétant. Il faut que l’Etat intervienne. Nous avons aussi prévu un reportage sur une transexuelle algérienne, qui s’appelle Randa, et qui vient de sortir un livre. Sans oublier le festival de Mawazine au Maroc où sera présent le chanteur Elton John.

 

La participation du chanteur britannique Elton John, qui ne fait mystère de son homosexualité, a provoqué la colère des conservateurs récemment. L’un des responsables du Parti de la justice et du développement (PJD), Abdellah Baha, a déclaré que sa venue était une forme d’« incitation » à l’homosexualité au Maroc. Où en sont les choses aujourd’hui ?

Elton John sera présent au festival, et il devrait nous recevoir avant son concert. Les autorités marocaines, trop soucieuses de leur image à l’étranger, ne peuvent pas l’en empêcher. Et c’est une forme de reconnaissance pour le mouvement gay au Maroc. Nous avons remporté une bataille (rire). Elton John devrait d’ailleurs prendre la parole pour parler du sujet avant de chanter. Il y aura des surprises !

 

Article reproduit avec l’autorisation du site Afrik.com (mai 2010).

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DE L'HOMOPHOBIE EN BANLIEUE...

 

Journaliste, Marc Endeweld réalise des enquêtes et des reportages pour de nombreux journaux sur des sujets aussi divers que la vie politique, l’économie, l’actualité sociale, les nouvelles technologies, les médias et leur économie, la lutte contre les discriminations et la question des minorités...


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Depuis plusieurs mois, les projecteurs médiatiques sont tournés une nouvelle fois vers les cités de banlieue à propos de l’homophobie. « Nouveauté » cette fois-ci, deux livres rassemblent des témoignages de jeunes (et moins jeunes) gays et lesbiennes qui habitent (ou ont habité) ces quartiers. Au-delà des émotions légitimes, il serait peut-être temps de nous poser certaines questions autour de l’homophobie en « banlieue ».

 

Quels enjeux ? Quels écueils à éviter ? Quels outils à mettre en place ? Quelles sont nos responsabilités ? Voici en tout cas dix points qui attendent des réponses urgentes et collectives.

 

1. De quelle « banlieue » parle-t-on ?

D’elles, les médias ont l’habitude de parler des « cités », des « quartiers sensibles », ou même des « grands ensembles ». Les habitants y restent souvent invisibles… Depuis trente ans, les signaux d’alerte se multiplient pourtant. Les voitures brûlées s’accumulent, tout comme les « politiques de la ville », avec leurs noms de code : « Zones urbaines sensibles », « quartiers prioritaires »… Et pourtant, rien ne change. Sauf cette incompréhension qui enfle comme cette colère, et cette peur, qui contaminent toute la société.

Et qui parle encore de quartiers populaires ? Quand on évoque « l’omerta » dans ces quartiers, il ne viendrait à personne l’idée de dénoncer ce même silence à Neuilly, ou dans les rallyes de la grande bourgeoisie. Car, là-bas, l’homophobie se fait discrète, ça se règle dans les familles, loin des faits divers tragiques. Ceux-là même qui attirent les médias…

 

2. Des problèmes plus qu’ailleurs ?

Alors la banlieue, territoire de non droit ? Jungle pour les homosexuels ? L’impasse serait justement de ne se focaliser que sur ces territoires, qui, nous dit-on, sont perdus pour la République… Comme si ailleurs, tout était réglé. Comme si, ici comme ailleurs, tout était mis en place pour lutter contre l’homophobie. Bref, il ne faudrait pas que ces banlieues deviennent autant de prétextes pour nous donner bonne conscience, alors que dans pleins d’autres endroits peu de choses ont bougé (l’entreprise, les cours d’école, à la campagne…).

Ce qui ne veut pas dire : ne pas aborder de front la question. Car, bien sûr, les problèmes existent. La rue dans ces quartiers n’est pas facile pour ceux qui apparaissent comme les plus faibles. Et les difficultés sociales conduisent à des manifestations de haine parfois très dures et violentes. D’autant plus que la société toute entière n’envoie généralement qu’un message à ces filles et garçons qui jouent des coudes et parfois des poings : « tu es né racaille ». D’où le danger, pour nous, de nous laisser emporter par ces relents essentialistes, tout simplement réactionnaires, bien que mâtinés d’espoirs humanitaires.

Car les « banlieues » n’ont pas le monopole du sexisme, ni de l’homophobie. Toutes les études le montrent : les violences faites aux femmes existent dans des proportions voisines dans tous les milieux sociaux, et la majeure partie de celles-ci ont lieu dans l’espace privé. En tout cas, concernant l’homophobie, il est urgent de réaliser un diagnostic précis. Car de rares appels au téléphone (à SOS Homophobie, ou Sida Info Service), ou de simples enquêtes par courriel, nous révèlent qu’une chose : la terrible distance sociale entre ces quartiers et l’ensemble des acteurs associatifs.


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3. La politique du bâton ou lutter par l’éducation ?

Car très vite, l’ennemi devient cette « bande de jeunes » qui vient « casser du pédé » sur les lieux de drague. Dans le meilleur des cas, les responsables politiques s’émeuvent aujourd’hui d’un communiqué, mais n’impulsent rien d’autre, attendant toujours qu’il soit trop tard pour s’exprimer. Or, dans cette « bande de jeunes », il y a parfois, et même souvent, des homosexuels, qui ne s’assument pas, qui ont peur d’apparaître comme « un pédé » aux yeux de leurs copains.

Et cette « bande de jeunes » n’est pas toujours celle qui vient de la « cité ». Une bande d’étudiants ou de sportifs peuvent parfois avoir la main lourde après des soirées bien arrosées. À entendre certains, la « banlieue » serait donc d’abord ces « bandes », comme s’il y avait « eux » et « nous », comme si le principal souci par rapport aux « banlieues » était notre tranquillité.

Quoi faire dans ces conditions ? Répondre uniquement par le bâton ? « Augmenter les patrouilles de police sur les lieux de drague », comme le réclamait un jour un responsable associatif ? Pourquoi à une peur (l’homophobie), faudrait-il qu’on réponde par une autre peur (la « bande de jeunes ») ? À un jugement, par un autre jugement ?

C’est là où l’Éducation Nationale, tout comme les associations d’éducation populaire (animateurs, éducateurs…), devraient jouer pleinement leur rôle. Mais trop souvent encore, au sein de ces institutions, le fait même d’évoquer les différences ou de parler de sexualité reste tout simplement tabou….

Dès lors, comment faire pour avancer quand certains professeurs de l’Éducation nationale n’osent toujours pas évoquer leur homosexualité à leurs collègues ? Comment avancer quand, parmi ces collègues, l’argument du « handicap culturel » des élèves est régulièrement invoqué pour expliquer que certains sujets sont trop délicats pour être abordés en classe ? À ce niveau-là de peur, on abandonne tout, et on convoque les avocats ?

 

4. Le débat sur les différences à l’envers ?

Quelle triste ironie quand ceux qui pointent aujourd’hui l’impossible « visibilité » des homosexuels en banlieue sont parfois les mêmes qui en appellent à « l’indifférence » dans la vie politique, et notamment publique. N’est-il pas intolérable pour le coup, de voir si peu d’hommes ou de femmes politiques avoir le courage de faire leur coming out, quand les mêmes dénoncent l’intolérance de ces banlieues à l’égard des différences ? Comment un éducateur qui n’a pas les moyens de faire son coming out, auprès de ses collègues et de sa hiérarchie, pourrait-il avoir une quelconque efficacité auprès de ces « jeunes de banlieues » ? Pour le coup, en appeler à la « banalisation » de l’homosexualité, ça évite de se coltiner les réalités sociales…

 

5. Une simple question de look ?

À Paris, si on était un peu provocateur, le débat pourrait se résumer à jean slim vs jogging basket… En tout cas, derrière tout ça, se joue peut-être d’abord une histoire de codes, révélant, aussi, les barrières sociales. On ne compte plus les histoires où le mec se change dans les toilettes du RER, délaissant son jogging de cité, pour venir en boîte avec son t-shirt moulant.

Surtout ne pas apparaître pédé dans le quartier, et auprès de la famille. Car, le slim, « ça fait pas mec ». Sur un tchat comme Kelma, certains réclament un « mec mec », non parce qu’ils détestent les mecs efféminés, ou qu’ils sont mythos, mais d’abord parce qu’ils se protègent en rencontrant des mecs qui pourront venir dans le quartier sans se faire « griller ». Car, ayant les mêmes codes.


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6. À l’heure d’internet, une vie gay qu’à Paris ?

Avec les tchats, on franchit le périph’ dans les deux sens pour se faire des plans. Preuve que le 93 n’est pas un département en guerre civile comme certains médias aimeraient nous le faire croire. Mais souvent, ça en reste là. À l’inverse, pas facile pour un mec de cité, de se faire accepter dans le milieu. Et à l’heure d’Internet, il semble encore difficile de favoriser un mélange, de permettre des échanges, des rencontres, sans passer systématiquement par le centre de Paris, et sa scène commerciale…

À quand un « Grand Paris » pour les gays et l’ensemble des minorités ? Le fiasco autour de la refonte du quartier des « Halles », où est située l’une des plus grandes gares d’Europe (900 000 voyageurs par jour), montre que l’actuel pouvoir parisien préfère se préoccuper des 18 000 habitants du premier arrondissement – et de quelques associations de riverains – plutôt que de s’inscrire, au delà des mots, dans une réelle perspective métropolitaine…

La « démocratie de caniveau » (lire les réflexions de Laurent Davezies), version métropolitaine du clientélisme électoral, n’est pas le monopole de M. Dassault. Ne l’oublions pas, « les Parisiennes et les Parisiens » vivent également en dehors des arrondissements de « la ville de Paris »… Et ils ont droit à autre chose qu’à des compagnies de CRS, des hypermarchés, ou à des RER qui tombent en panne.

 

7. Quelle place pour les minorités parmi la minorité ?

Alors bien sûr, il existe des associations, mais peu. Et en dehors de quelques espaces associatifs et de quelques bars, il n’y a vraiment pas grand chose. Encore moins pour les Noirs, les Arabes, ou les Asiatiques. La distance sociale entre les associations LGBT s’exprime avec éclat par ce manque d’ouverture. Sans parler des discriminations racistes entre gays.

Eh non, l’univers gay n’est pas aussi rose et tolérant qu’on ne le voudrait… Il suffit de lire les commentaires racistes, xénophobes, sur les sites gays en ce moment en réaction à l’affaire du Paris Foot Gay. Sans parler qu’en dehors des fantasmes et des films de boules, les mecs de banlieue n’ont souvent pas droit de cité…

 

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8. Faire savoir ou savoir-faire ?

La visibilité médiatique, si elle nécessaire au combat des gays et des lesbiennes, ne suffit pas pour régler tous les problèmes… Tant de visibilité, et la seule image qui reste c’est : « les pédés, c’est un truc de bourgeois », on fait quoi ? À l’inverse, il est terriblement difficile, en France, de mettre en place des politiques publiques prenant en compte toute la diversité des publics.

Résultat, les associations, comme les agents de collectivités publiques, manquent cruellement d’outils, et de savoir-faire. « La lutte contre l’homophobie » est un slogan facile à porter en bandoulière, tendance, mais il est plus difficile à le concrétiser…

Fadela Amara, secrétaire d’État chargée de la politique de la ville, qui s’épanchait dans les colonnes de Têtu il y a deux ans (avril 2008), en est encore à parler de l’éventualité de campagnes d’affichages dans Le Parisien… Des campagnes d’affichages ! Bref, en dehors des grandes professions de foi et des grands discours, associations comme responsables politiques dans nos différents territoires semblent à court d’imagination. Les symboles oui, mais le reste ?

 

9. Famille, religion, et l’autonomie alors ?

Dans les petites villes et à la campagne, le prétexte des études permet souvent de fuir une atmosphère étouffante. Dans les cités, l’ascenseur social en panne, les discriminations à l’embauche, coincent les jeunes entre les ragots des voisins, les clichés sexistes des copains, et puis, surtout, la famille.

On parle alors de l’Islam, et de l’influence des intégristes. On dit toujours que ça ne concerne qu’une minorité de familles, mais ça ne fait rien, l’ennemi est tout trouvé : les familles musulmanes. Même si, dans la majorité d’entre-elles, ça ne ressemble qu’à du très banal finalement, ce qui ne veut pas dire que tout va bien.

Mais la vraie question ne serait-elle pas celle de l’autonomie financière des gays et des lesbiennes dans les quartiers populaires ? Pourquoi à 25, 30 ans, certains sont encore obligés de vivre chez papa-maman, avec la promiscuité des frères et sœurs, sans possibilité de s’épanouir dans leur sexualité ? Quelle autonomie pour eux ?

Pourquoi le mouvement gay et lesbien ne pourrait-il pas porter la revendication d’un revenu minimum universel pour les moins de 25 ans dans un pays où les politiques sociales sont largement familialistes ? Mais ça personne ne l’évoque, on préfère pointer les « différences culturelles »…

 

10. Et la question sociale dans tout ça ?

Il est donc peut-être urgent de lier lutte contre l’homophobie, lutte contre les discriminations, et lutte contre les inégalités sociales. À moins, d’aller droit dans le mur. Pourquoi laisser « l’individu » au seul marché ? Quelles solidarités proposons-nous ? On le voit, la question des « banlieues » renvoie d’abord aux limites de nos revendications et de nos priorités. Les principes oui, mais pour qui ? 

 

Car si les gays de Paris luttent d’abord pour les droits civiques, le mariage et l’adoption, les gays populaires luttent d’abord pour pouvoir dire à leurs parents et à leurs amis qu’ils sont homos, ou tout simplement vivre leur vie comme ils l’entendent. Bien sûr, les indignations sont souvent un préalable nécessaire à l’action. Mais aujourd’hui, celles-ci semblent servir avant tout à la machine médiatique… De la difficulté d’assurer un combat politique et collectif quand chacun se réfugie derrière son écran…

 

Première publication : Minorités

Article reproduit avec l'aimable autorisation de Marc Endeweld. 

Tous droits réservés. Merci de ne pas reproduire sans l'autorisation de l'auteur.

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POUR DES GAMES VRAIMENT GAY !

par  Jean-Paul Tapie

 

Jean-Paul Tapie est un écrivain français, auteur d'une dizaine de romans et nouvelles. Il a aussi publié sous le pseudonyme de Zaïn Gadol des romans érotiques. Fasciné par les thèmes de la virilité et de l'homosexualité, Jean-Paul Tapie décline dans ses œuvres ses désirs et ses contradictions.

Né à Bordeaux dans une famille de la petite bourgeoisie, il grandit ensuite en Vendée, à La Roche-sur-Yon. Une adolescence difficile lui laissera à jamais un souvenir amer de cette ville et de cette région. Après des études de journalisme, il part en Israël où il passe un an dans un kibboutz. Il y apprend non seulement l'hébreu, mais aussi que l'on peut être heureux en acceptant d'être ce que l'on est. La parution de son premier roman, Dolce Roma, en 1974, marque le début de son acceptation de son homosexualité et de son épanouissement personnel. Pendant les années qui suivent, déçu par l'échec de son premier, puis de son deuxième roman (Le bal des soupirs, 1982), il se consacre très intensément à la recherche du plaisir et à l'exploration de ses fantasmes. Ce n'est qu'en 1996 qu'il écrit son troisième roman, Le désir du cannibale. A partir de là, il va écrire et publier au moins un livre par an, toujours avec le même insuccès, à l'exception de Dix petits phoques en 1998. Il se décrit lui-même comme un auteur de "worst sellers". En 2000, il part s'installer à la Réunion, où il vit toujours. Il décrit cette installation comme « la plus grande connerie de sa vie », mais affirme ne pas regretter de l'avoir faite. En dehors de la littérature et du plaisir, il a consacré une grande partie de sa vie au sport : ski nautique, parachutisme, course à pied, course de montagne, escalade, randonnée, musculation.


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J’ai regardé d’un œil navré le documentaire consacré à ces trois hétéros invités à assister aux Gay Games de Copenhague (Ramène tes fesses à Copenhague, Canal+, 4 janvier 2010). Je ne m’étendrai pas sur le contenu ambigu de ce doc, les intentions cachées de l’auteur m’échappent encore. Mais il m’a fait réfléchir à ces Gay Games que je condamne depuis leur première édition.

En effet, je déplore que la première manifestation sportive (1) importante encouragée par des gays soit une compétition basée sur la discrimination sexuelle. Baser la participation à un événement sportif, quel qu’il soit, en fonction de la seule sexualité est une condition inacceptable.

Alors, on me dit que les hétéros peuvent participer à ces Jeux s’ils le veulent. Apparemment, ce n’est pas le cas, puisqu’ils sont moins de 10 % à le faire. Et puis, des Jeux sportifs qui acceptent les homos et les hétéros, ça existe déjà, on appelle ça des Jeux Olympiques et ça a lieu tous les quatre ans. Pour le sportif croyant et pratiquant que je suis, les Gay Games sont un déni de l’esprit olympique, et c’est plus que regrettable.


 

J’ai cependant été sensible au plaisir évident que ces garçons et filles semblaient prendre à se retrouver ensemble et prenaient à pratiquer leur sport préféré, même à un très modeste niveau. Il y a dans cette manifestation un aspect festif indéniable. Alors, dans une approche hyper positive d’un événement condamnable dans sa forme actuelle, je propose ceci : et si les Gay Games se positionnaient comme une rencontre sportive internationale à laquelle participeraient des gays du monde entier afin d’y pratiquer leur sport préféré, non pas dans un esprit de compétition, mais pour y rencontrer d’autres gays amateurs du même sport ? On composerait ainsi des équipes de foot (par exemple) avec des joueurs venus du monde entier, qui ne se connaîtraient pas et qui affronteraient d’autres équipes tout aussi hétéroclites (ah, être homo et hétéro en même temps…), un peu comme, dans un club de vacances, on participe à un tournoi de volley ou de pétanque avec des partenaires d’un jour. Ce qui n’empêche pas d’avoir quand même l’envie de gagner.

Je trouverais formidable que les gays contribuent ainsi à une manifestation où l’on exalte le sport, sa pratique, ses plaisirs, ses joies plutôt que d’y encourager le chauvinisme, le nationalisme et autre sentiment xénophobe ou égoïste. On pourrait même ainsi retrouver, à l’état pur, l’esprit de Coubertin : participer sans souci de gagner.

Vous savez quoi ? Il se pourrait même que j’assiste à de tels Gay Games !

 


(1) En fait, la deuxième, puisque, avant cela, il y a eu les Macchabiades en Israël, des jeux réservés aux sportifs juifs.

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