Les humeurs apériodiques de Bernard Alapetite
Remarque préalable : toutes les images de cette chronique sont cliquables pour être
agrandies.
Si Platt Lynes a connu la célébrité en tant que portraitiste et surtout photographe de mode, son travail le plus personnel se trouve dans ses photos de danse et surtout dans ses nus
masculins.
Il est né à Orange, New Jersey, en 1907. Il passe son enfance dans le New Jersey mais fréquente la
Berkshire School dans le Massachusetts. Ses parents l'envoie à Paris en 1925 pour mieux le préparer à l'université. Sa vie change irrémédiablement avec les amis qu'il se fait durant ce périple.
Il est subjugué par le style de vie de Gertrude Stein. Il rentre aux États-Unis avec l'idée d'y faire une carrière littéraire. Il ouvre
même une librairie à Englewood (New Jersey) en 1927. Cette même année, il rencontre le jeune romancier Glenway Wescott et son
amant Monroe Wheeler. Lynes commence une relation passionnée avec Monroe, ce qui ne semble pas gêner Wescott... Un livre témoigne de cette relation (When we were three : the travel albums of
George Platt Lynes, Monroe Wheeler, and Glenway Wescott , 1925-1935).
On peut penser que c'est à Paris qu'il rencontre ce couple de
jeunes intellectuels américains ; Monroe Wheeler deviendra critique d'art. Jean Cocteau les évoque dans sa préface à sa réédition
d'Opéra : « Et je me vois encore circuler entre ma chambre et celles de Glenway Wescott et de Monroe Wheeler pour leur lire les textes du "Musée secret" , textes
ou je donnais à nos énigmes la froide allure d'un procès-verbal. » Il renonce à ses ambitions littéraires, probablement sur la suggestion de
Gertude Stein dont le portrait a été une des premières photos du jeune homme à être publiée en 1931.
Wescott
Platt Lynes commence à s'intéresser à la photographie en prenant des photos de ses amis et en les exposant dans sa boutique. De retour en France l'année
suivante, en compagnie de Wescott et Wheeler, il parcourt l'Europe pendant plusieurs années, toujours l'appareil photo à la main. Il se fit des amis proches parmi un grand cercle d'artistes, dont
Jean Cocteau et Julien Levy, le marchand d'art et critique. Ce dernier organise, en 1932, la première exposition individuelle de Platt Lynes dans sa galerie, la Leggett gallery à New York. Cette
même année, Platt Lynes ouvre son studio de photos. Il reçoit vite des commandes de Harper's Bazaar, Town & Country... Il fait une couverture du prestigieux magazine Vogue avec celle
qui fut un des premiers mannequins vedettes, Lisa Fonssagrives.
Dès 1933, Lynes était une figure centrale dans le monde de la photographie de mode à New York. Il est rapidement devenu célèbre pour ses images fortement stylisées, caractérisées par leur
éclairage expressionniste, leurs appuis verticaux surréalistes, et leur mise en scène suggestive. Wescott, Wheeler et Platt Lynes se sont installés ensemble à New York. Pendant cette période,
Lynes vit confortablement.
Très beau lui-même, il s’ entoure de beaux garçons qui semblent enlever de bonne grâce leurs vêtements
devant son appareil-photo. Pour ces images, Lynes emploie un éclairage, venant du cinéma expressionniste allemand, qui dramatise les images. Les décors sont minimalistes pour que le regard se
focalise sur le corps masculin comme objet charnel, sensuel, de désir. Il met en scène ses modèles dans des poses stylisées, ses photographies expriment souvent un désir profond d'intimité
érotique avec eux. Si beaucoup de ses images sont fort discrètes, quant à la représentation des organes génitaux masculins, elles le seront beaucoup moins dans les années 50, quelques unes se
concentrent clairement sur ceux-ci, et quelques unes aussi présentent des couples d’hommes s’ embrassant...
Les photographies, qu’aujourd’hui on associe le plus volontiers au nom de Platt Lynes, sont souvent les
images de nus d’hommes de cette époque, élaborées étape par étape, dans un studio, dans lesquelles le moindre petit détail est sous contrôle. Ces images, réalisées à l’aide d’un Rolleiflex,
montrent son utilisation inventive de l'éclairage diffusé qui semble venir de partout et de nulle part. Les corps des hommes sont idéalisés, leurs visages sont sculptés par la lumière et les
ombres. Ils se découpent avec précision sur des fonds neutres.
Un de ses modèles préférés est alors un garçon de 20 ans, George Tichenor. Lynes s’entiche de lui, mais c'est apparemment un amour non partagé. Quand Tichenor
est tué, pendant la deuxième guerre mondiale, Lynes est dévasté, bien qu'il soit à cette période avec un des jeunes frères de Tichenor, Jonathan ; cette mort a marqué le commencement du
déclin professionnel de Lynes.
En 1935, il fait ses premières photographie de danseurs pour la toute récente compagnie de l'American Ballet fondée par Lincoln Kirstein, le beau-frère de son ami, le peintre Paul Cadmus, et George Balanchine, aujourd’hui le New York City Ballet. Le photographe mène alors grand train. Il gagne beaucoup d’argent mais en dépense encore plus. Parallèlement à
son travail commercial, il réalise des images homo érotiques. Il photographie surtout ses amis dont le jeune Yul Brynner, les peintres Paul
Cadmus et Jared French dont il influence le travail par ses photos de nus.
En raison de la censure pendant la deuxième guerre mondiale (et ensuite), Lynes a limité la circulation
de son travail sur le corps masculin à ses amis et à quelques admirateurs. Il faut se souvenir que les photos de nus de Platt Lynes n’ont été publiées seulement à l'étranger, dans le
magasine homo érotique allemand "Der Kries", et seulement sous les pseudonymes de Roberto Rolf et de Robert Orville. A partir du début des années 40, ses succès dans le portrait et les photos de
mode ont commencé à diminuer à New York.
Il part à Los Angeles. En 1946, il prend le poste de photographe en chef des studios Vogue. Il photographie des stars de cinéma comme Katharine Hepburn,
Rosalind Russell, Gloria Swanson et Orson Welles... Il réalise aussi les portraits d'autres artistes parmi lesquels Aldous Huxley, Igor Stravinski, Thomas Mann, Edward Hopper... Il sera lui-même
un charmant modèle pour Man Ray et Paul Cadmus. C'est un succès artistique mais un échec financier.
Edward Hopper
Auden
Balanchine
En 1948, ses embarras financiers le conduisent à revenir à New York.
Malheureusement il s’aperçoit qu’il est difficile pour lui de retrouver le succès d’hier. D'autres photographes comme Richard Avedon, Edgar de Evia et Irving
Penn (sur ce site un Irving Penn insolite) ont pris sa place dans le monde de la mode. Allié à son désintérêt croissant
pour le travail commercial, cette concurrence le rendit incapable de retrouver la notoriété qu’il avait connu avant-guerre. Il commence à consacrer sa vie photographique à l'imagerie homo
érotique. En 1951, des retards dans le règlement de ses impôts amène l’Etat à lui confisquer son studio et à vendre aux enchères ses appareils-photos. A partir de ce moment, ses mise en scène
pour ses images de nu deviennent moins sophistiquées pour arriver à une esthétique plus naturaliste. En 1949, Lynes entame une relation amicale et professionnelle avec le Dr. Alfred C. Kinsey. Ce dernier a édité son étude controversée sur la sexualité masculine l'année précédente.
En 1949, Kinsey commençait sa recherche sur l'homosexualité et l'érotisme masculin gay. Bien qu'alors acheter et vendre des photographies de nus d’hommes ait été illégal, Kinsey achète plus de
six cents tirages à Lynes et plusieurs centaines de négatifs pour ses nouvelles archives, ce qui les a sauvé d’une probable destruction. Alfred Kinsey a rassemblé les photographies de Lynes en
tant qu'élément de ses recherches obsédantes sur la sexualité humaine. Il les a retenues, non seulement pour leur qualité mais aussi pour ce qu’elles disaient de l’esthétique homosexuelle au
milieu du vingtième siècle.
Après qu’on ait diagnostiqué à Lynes un cancer du poumon en 1954, le photographe détruit
plusieurs de ses négatifs et de ses tirages, aussi bien des photographies de mode, que des nus. Après un dernier voyage en Europe, Lynes revient à New York où il meurt. Bien que Lynes ait semblé
craindre la façon dont ses images pourraient être reçues dans le futur, il serait sûrement heureux de savoir que ses photos de nus sont des documents uniques sur la vie gay de son époque et
qu’elles ont été des modèles influents pour le travail des photographes qui l’ont suivi comme Herb Ritts, Bruce Weber et Robert Mapplethorpe, et que
beaucoup de ses travaux ont non seulement survécu, mais continuent à trouver de nouveaux admirateurs. Il faut compter au minimum 4000 $ pour accrocher une photo (dans un tirage moderne) de Platt
Lynes à son mur.
Jean Babilée dans L'Amour et son Amour, 1951
ce blog devient de plus en plus sexy.
Merci Bernard !