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Fiche technique :
Avec Takeshi Kitano, Shinji Takeda, Tadanobu Asano, Koji Matoba, Ryuhei Matsuda et Tommy’s Masa. Réalisé par Nagisa Oshima.
Durée : 100 mn. Disponible en VO et VOST.

Résumé :
Kyoto, 1865. Alors que le Japon commence à s'ouvrir vers le Monde, le Shogunat (gouvernement militaire) vit ses dernières heures. Bientôt, l'Empire sera restauré. Une école de samouraïs organisée en milice, le Shinsengumi, recrute. Deux jeunes gens sont retenus: Tashiro (Tadanobu Asano) et Kano (Ryuhei Matsuda).
La beauté androgyne de ce dernier trouble très vite la plupart de ses nouveaux camarades. Tashiro tombe sérieusement amoureux de lui mais c'est un autre qui le possédera charnellement. Le capitaine Hijikata (Beat Takeshi) observe tout ça d'un œil curieux, intéressé et parfois ironique. Mais le Shinsengumi se trouve plongé en eaux troubles lorsque plusieurs de ses membres sont retrouvés assassinés... 

L'avis de Philippe Serve :
Ceux qui espéraient se retrouver devant une version gay de L'Empire des sens du même réalisateur ont dû être déçus... Si la passion, le sexe et la mort sont bien au rendez-vous, les images montrées ne scandaliseront cette fois personne. Et le thème ? Ce sujet « tabou » de l'homosexualité chez les samouraïs ? Pas certain, vu que l'homosexualité y a toujours été connue et reconnue, nous ne sommes pas là en présence d'un scoop...
Tabou est un très beau film mais peut-être pas un chef-d'oeuvre, contrairement à L'Empire des sens pré-cité. On attendait sans doute trop du retour de Nagisa Oshima après 15 ans d'absence d'où un certain sentiment de déception à la sortie du film. Le réalisateur japonais n'a rien perdu, certes, de son talent de « peintre ». Les images, très léchées, sont superbes, pas un poil ne dépasse du cadre (maîtrisé lui-même à la perfection). Tout le film baigne dans une très grande froideur esthétique, souvent à la limite de l'abstraction. Certes, le traitement formel de l'histoire correspond bien au code étroit, dépouillé, sévère de l'ordre des samouraïs et à ce niveau on ne peut qu'approuver Oshima dans son choix. L'insertion d'intertitres, à la manière des films muets, apporte presque une note d'humour. Ainsi celui qui prévient le spectateur: « On doit compatir avec Tashiro » ou bien « Il (Kano) garde sa frange, une provocation pour des hommes sensibles à son charme »... 
Le tournage en studio (en partie du moins) « se voit » et Oshima en joue volontairement, y compris et surtout lors de la scène finale censée se passer à l'extérieur. Le brouillard, les marais, les silhouettes des arbres, les couleurs, la mort qui rôde, tout renvoie à de nombreux films de fantômes japonais. La manière dont Kano s'évanouit littéralement de la pellicule, comme dissous par le brouillard avec qui il se confond alors qu'il s'éloigne à la fin de la scène accentue encore cet effet, l'un des plus beaux du film. Pour un peu on se croirait chez Mizoguchi ou Kobayashi ! Cet aspect fantomatique plane tout au long du film par le biais de ce personnage. Son visage, très blanc, véritable masque de Nô, ne reflète aucune émotion, presque aucune vie. Son regard ne cille jamais et semble éteint, sa démarche même est raide et mécanique. On peut alors se poser la question: Kano existe-t-il vraiment ou n'est-il pas en quelque sorte le phantasme absolu de ces hommes, celui qui vient les hanter et, tel un ange exterminateur, les détruire par le pouvoir de sa seule beauté ? Destruction du Shinsengumi et de là du Shogunat...
Dans ses interviews, Oshima affirme avoir tourné ce film pour « dénoncer la tentation fasciste inhérente à la société japonaise ». Le spectateur occidental non-spécialiste de la civilisation nippone ne fera peut-être pas forcément le rapprochement mais rapporté à un cinéaste aussi politique que l'a toujours été Oshima, grand pourfendeur de la société nippone et de son conservatisme, il ne surprendra pas !
Ce que ce spectateur comprendra en revanche est l'effet dévastateur produit par l'introduction d'un corps étranger dans un groupe fermé et aux principes rigides. La beauté et la féminité de Kano, sa frange ou son costume blanc, les autres samouraïs étant vêtus de noir, illustrent bien cette différence. 
Les personnages ne sont pas approfondis sur le plan psychologique et restent tous des mystères. En tout premier Kano dont les motivations semblent aussi lisses que le visage. Nul ne connaîtra les raisons profondes de son engagement dans le Shinsengumi à seulement 18 ans (« Pour avoir le droit de tuer » affirme-t-il) ou ce qui se cache derrière son explication à vouloir garder sa frange encore enfantine (« J'ai fait un vœu »). Le mystère et la pureté de ce visage fascinent ses camarades car chacun peut y lire ses désirs et phantasmes personnels. Même lorsque, juste après son acceptation au sein du Shinsengumi, il est chargé de décapiter un homme, il ne montre pas la moindre émotion et s'acquitte parfaitement de sa tâche.
Que le spectateur ne cherche aucune trace de réalisme (hors le son très particulier des entraînements de kendo que Oshima a tenu à rendre au plus près) ou guère de reconstitution historique dans ce film (même les uniformes de la milice ont viré au noir esthétique et symbolique). En découvrant Tabou lors de sa sortie, je n'avais guère ressenti d'autre émotion que visuelle ou intellectuelle. En le revoyant deux ans plus tard, je trouve ce film bonifié et passionnant et ce qui me paraissait un handicap (son esthétisme léché) représente aujourd'hui l'une de ses forces. La beauté du film donne corps, un corps purement cinématographique, au thème même du film: la beauté destructrice. Ici, on louera très fort le superbe dernier plan où Oshima déploie toute sa grâce. Pour exprimer sa rage et son impuissance, le capitaine Hijikata tranche d'un coup de sabre bien ajusté un cerisier en fleurs. La beauté de l'image alliée à son sens parabolique restera dans la mémoire du spectateur...
Ajoutons la solidité de l'interprétation avec une mention spéciale pour Beat Takeshi (Kitano), d'une sobriété toujours exemplaire seulement traversée parfois d'un éclair d'humour. Lui aussi possède un visage/masque, effet renforcé par la demi-paralysie faciale dont l'acteur-réalisateur souffre depuis un grave accident de moto. L'impassibilité extraordinaire de ce visage parfois secoué d'un tic ou d'un rire aussi bref qu'inattendu marque ce film et en est comme le point d'ancrage.
Un film à voir et surtout à revoir pour mieux l'apprécier encore.

Note 1: Tabou a été adapté par Nagisa Oshima de deux nouvelles de l'écrivain d'après-guerre Ryotaro Shiba : "Maegami No Sozaburo" et "Sanjogawara Ranjin", toutes deux extraites du recueil "Shinsengumi Keppuroku".
Note 2
: La musique (très belle) est due à Ryuichi Sakamoto, le jeune officier héros de Furyo (et déjà compositeur de la B.O.).

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