Fiche technique :
Avec Edward D. Wood Jr, Bela Lugosi, Dolores Fuller, Lyle Talbot, Timothy Farrell, Tommy Haynes et Charles Carfts. Réalisé par Ed Wood. Scénario : Edward D. Wood Jr..
Durée : 67 mn. Disponible en VO et VOST.
Résumé :
La lutte intérieure d'un être pour savoir qui l'emportera en lui, l'homme ou la femme.
L'avis de Philippe Serve :
C'est une affaire entendue, Edward D. Wood Jr est définitivement considéré comme « le plus mauvais réalisateur » de l'Histoire du cinéma et ses films les pires jamais tournés. Et comme la nullité n'attend pas le nombre des années, Glen or Glenda, son premier opus, frappait déjà très fort.
Et pourtant… Malgré une réalisation catastrophique, des dialogues indigents, une interprétation inexistante (Ed Wood, jouant sous le pseudo de Daniel Davis, s'avère de loin l'acteur le plus « naturel ») et des « trouvailles » confondantes, Glen or Glenda mérite mieux que d'être rejeté définitivement dans les poubelles de l'Histoire. Ne serait-ce que par son audace scénaristique.
Nous sommes en 1953, en pleine période de guerre froide et de conservatisme politique mais aussi et peut-être surtout moral. L'homosexualité est tabou et tout ce qui pourrait y faire ouvertement allusion banni d'Hollywood où les cinéastes se retrouvent dans l'obligation de multiplier ellipses et sous-entendus tandis que les acteurs cachent leur « déviance », tel Rock Hudson (voir sur cette période l'excellent documentaire de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, The Celluloid Closet, 1995). Et voilà qu'un total inconnu, un rêveur, un doux dingue qui souhaite juste « raconter des histoires » comme le lui fera dire Tim Burton dans son superbe film-hommage Ed Wood (1994), voilà que ce type sorti de nulle part se lance dans un vibrant plaidoyer en forme de (faux) documentaire sur la noblesse du tavestisme dont il était lui-même adepte. Afin de bien enfoncer le clou de ce film autobiographique, il joue lui-même le « héros » et engage à ses côtés sa petite amie actrice Dolores Fuller, le vétéran de deuxième zone Lyle Talbot et surtout Be'la Ferenc Dezso Blasko alias Bela Lugosi, l'éternel Dracula (Todd Browning, 1930) devenu un « has been » morphinomane ! Oui, il fallait un certain courage pour oser ainsi affronter l'Amérique bien pensante et puritaine d'Eisenhower. On peut donc se moquer du cinéaste Ed Wood mais plus difficilement de l'homme qui eut le mérite, au moins dans son premier film, de parler d'un sujet plus que tabou. Si Ed Wood avait été un grand réalisateur, son film eût été de toutes manières un échec à l'époque, le public n'étant pas prêt à l'accepter. Le film serait alors devenu culte avec le temps. Ironie suprême : Glen or Glenda et son auteur finirent tout de même par atteindre à la célébrité et au mythe, mais pour des raisons totalement inverses !
Si le discours tenu par Ed Wood dans son film tient à peu près la route avec son hymne à la tolérance et son « cours » délivré par le psy sur le travestisme, l'hermaphrodisme et le pseudo-hermaphrodisme, la forme, elle, empile les catastrophes. À commencer par Bela Lugosi dans le rôle d'un… d'un quoi exactement ? Le générique le qualifie de « scientifique » mais il apparaît ailleurs en tant qu'« esprit ». Certains y ont vu Dieu lui-même. En fait, il représente celui qui tire les ficelles de l'histoire (« Pull the strings ! Pull the strings ! » hurle-t-il sur fond de charge incongrue d'un troupeau de buffles !). Il surjoue tellement que le spectateur ne peut que s'interroger : s'autocaricature-t-il en pleine conscience ? La réponse, hélas, s'avère négative. Mais qui ne se délectera de l'entendre avertir de son inimitable accent hongrois : « Beware ! Beware ! » (prononcez ici « Bivère ! ») avant de l'écouter, subjugué, se lancer dans un discours inoubliable : « Prenez garde au gros dragon vert assis sur votre seuil. Il mange les petits garçons, la queue des petits chiots et les escargots gras ! Bivère ! Take care ! Bivère ! », le tout sur force grondement de tonnerre… Du grand art dans le genre !
Aux séquences Bela Lugosi intercalées tout au long du film, Ed Wood ajoute des inserts tous plus improbables les uns que les autres (éclairs orageux, trafic autoroutier), composés de « stock shots » abandonnés par les studios (images de guerre). On peut d'ailleurs penser qu'il écrivit en partie son scénario à partir de la pellicule qu'on lui avait donné. Ainsi de cette scène où se succède des plans d'une usine de fonderie tandis que deux ouvriers discutent en voix off des problèmes posés par le changement de sexe et la tolérance à y porter. Ed Wood n'hésite pas non plus à réutiliser les mêmes plans à quelques minutes d'intervalle. Comme dans tous ses films, les décors sont d'une pauvreté extraordinaire, le sommet étant sans doute atteint avec son autre « chef d'œuvre » : Plan 9 From Outer Space (1959).
Le plus étonnant reste cette longue séquence de rêve où Ed Wood parvient à faire toujours plus incroyable que le plan précédent. Après une allégorie montrant la fiancée de Glen écrasée par un arbre dans… le salon (!) et que Glenda ne parvient pas à secourir mais que Glen, lui, sauve, le spectateur assiste, médusé, à une scène de mariage avec pasteur secondé par un démon à cornes, une succession de plans présentant des femmes plus ou moins dénudées (mais toujours « décentes ») se faisant fouettées ou se contorsionnant avec sensualité (?) sur un divan (l'une d'elles ressemble à la future Marilyn Monroe), tout ça sur une musique passant allégrement du jazz à la musique russe via le tango. Puis Glen se retrouve chez lui montré du doigt par une foule menaçante de gens qui l'entourent (dont le démon à cornes). Sa métamorphose en Glenda les repousse, scène filmée au ralenti avec musique sirupeuse…
D'une certaine manière, il faut le voir pour le croire.
La solution au problème posé à ceux qui souffrent de « double personnalités » et de travestisme ? L'Amour, nous répond ce rêveur de Ed Wood. Avec sa femme Barbara qui lui offre enfin son pull angora dont il rêvait tant, Glen trouve une « sœur, une mère et Glenda toutes réunies ».
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