LA REPRÉSENTATION LESBIENNE
DANS LES SÉRIES TÉLÉVISÉES
1. Les précurseurs américains.
Une chronique d'Isabelle B. Price, d'Univers-L
The L-Word
Aux États-Unis, la représentation homosexuelle à la télévision s’est initiée dès la fin des années 70 principalement du côté masculin.
Rappelons-nous des personnages secondaires gays introduits dans des séries comme Dallas, Dynastie, Melrose
Place… et elle a tout simplement explosé durant les années 90.
Xena, Princesse Guerrière débarque sur les écrans américains en 1995.
Spin-off (série dérivée) de la série Hercule, elle conte les histoires de Xena (Lucy Lawless), une prestigieuse princesse autrefois cruelle et
maléfique qui lutte aujourd’hui pour la protection de la veuve et de l’orphelin. En quête de rédemption, elle parcourt la Grèce
Antique aux côtés de Gabrielle (Reneé O'Connor), sa meilleure amie, une barde bavarde et maladroite. Xena est une femme forte, stoïque,
calme, calculatrice et meurtrière. À son opposé, Gabrielle est douce, sensible, bavarde, gauche et refuse de tuer. Leur dichotomie fait leur force et le public lesbien est rapidement séduit par
ces deux héroïnes.
Les auteurs prennent conscience du potentiel de cette relation particulière. Seulement, ne pouvant prendre le risque de s’attirer les foudres
des conservateurs, ils vont exceller dans l’utilisation des « subtexts ». Ces « subtexts », comprenez « sous-entendus » en français vont
faire le succès de la série. D’accolades en déclarations d’amour voilées, Xena et Gabrielle ouvrent la voie à une plus grande visibilité.
Mais le coming-out tant attendu intervient dans une autre série télévisées à succès, Ellen. Nous sommes en avril 1997 et Ellen
DeGeneres est l’héroïne depuis quatre saisons de son sitcom. Seulement l’audience est en perte de vitesse et la jeune femme, productrice de la série, propose alors un « coup
médiatique » à la chaîne. Elle souhaite faire son coming-out depuis quelques temps déjà et a imaginé de le faire grâce à son personnage. L’idée séduit ABC qui accepte. Durant le double
épisode « The Puppy Episode », Ellen déclare à l’Amérique entière « Yes. I’m gay ».
La machine est lancée. Il est trop tard pour faire marche arrière. Les annonceurs et la chaîne retiennent leur souffle alors que le public
plébiscite ce double épisode. Le succès est à la fois communautaire et financier. Pour la première fois, une série télévisée offre la possibilité de parler ouvertement d’homosexualité. Même si
Ellen est annulée une année plus tard, la révolution est en marche.
Beaucoup moins médiatique et toujours oubliée, c’est la même année que la série Relativity nous offre le premier baiser lesbien entre
deux personnages récurrents. Créée par Jason Katims à qui l’on doit Roswell et produite par Edward Zwick et Marshall Herskovitz (Angela 15 ans et Once & Again),
Relativity est une série américaine centrée sur Isabel Lukens (Kimberly Williams) et Léo Roth (David Conrad), un jeune couple qui s’est rencontré lors de vacances en Italie. Autour d’eux
gravitent famille et amis dont Rhonda (Lisa Edelstein), la sœur lesbienne de Léo. Rhonda est le premier personnage lesbien récurrent présenté comme tel dès le début et appartenant à la
distribution principale !
Malgré ses nombreuses qualités, Relativity peine à séduire le public et ses épisodes sont diffusés sans attirer l’attention, dans une
indifférence totale. Pourtant, ce 11 janvier 1997 durant l’épisode « The Day the Earth Moved », a lieu le premier baiser lesbien dans une série télévisée. Rhonda et Suzanne s’embrassent
amoureusement, sensuellement et naturellement sans aucune forme de sensationnalisme ou de fantasme masculin. Le pari est gagné et le tollé général n’a pas lieu. En effet, la série comme les
autres productions de Zwick et Herskovitz prêche à des convaincus qui ne sont ni offusqués ni offensés. Les conservateurs se plaignent mais leurs attaques sont loin d’être aussi virulentes que
celles à l’encontre d’Ellen.
Même si la visibilité lesbienne a mis plus longtemps à apparaître sur le petit écran, le premier baiser homosexuel sera féminin. Inégalités
entre les hommes et les femmes, fantasme masculin, acceptation différente sont autant de spécificités qui entraînent des dichotomies dans les représentations gays et lesbiennes. Cela d’autant
plus qu’aujourd’hui encore, les relations lesbiennes tendent à être niées sexuellement par certains qui s’imaginent que deux femmes ensemble le sont parce qu’elles n’ont pas trouvé l’homme qui
leur convient…
Et pourtant, malgré tous ces obstacles, la télévision américaine connaît une visibilité lesbienne accrue au cours des années 2000. Tout d’abord
grâce à la magnifique série Buffy contre les Vampires créée par Joss Whedon. Apparue sur les écrans américains en 1997, cette série met en scène les aventures de Buffy Summers (Sarah
Michelle Gellar), l’élue qui a été choisie pour combattre les vampires, démons et autres forces de l’ombre. Elle est aidée dans sa bataille par ses meilleurs amis, Alex (Nicholas Brendon) et
Willow (Alyson Hannigan). Willow est une adolescente timide, secrète, réservée et amoureuse d’Alex depuis toujours. N’ayant aucune chance avec lui, elle tombe sous le charme d’Oz (Seth Green), un
joueur de basse et informaticien de génie à ses heures perdues. Mais Oz est un loup-garou qui la quitte pour apprendre à maîtriser son pouvoir. Entrée à la faculté et devenue une sorcière ne
demandant qu’à apprendre, Willow intègre un groupe de magie. Là, elle fait la rencontre de Tara (Amber Benson) durant l’épisode 10 de la saison 4 « Hush ». Nous sommes en 1999.
Durant le reste de la quatrième saison, la relation entre Willow et Tara se développe sans que rien ne soit montré. Tout est sous-entendu mais
l’audience gay a compris. La scène du sort de la rose, qui semble vouloir dire au premier abord que le sortilège est difficile, apparaît d’un autre côté comme la
métaphore d’un puissant orgasme. Cette représentation métaphorique est un exemple flagrant de la mise en scène de leur relation. Le premier baiser entre les deux jeunes femmes passe
totalement inaperçu en février 2001 dans l’épisode « The Body ». Tara rassure la personne qu’elle aime avec un baiser doux et tendre qui empêche Willow de sombrer après le décès de
Joyce (Kristine Sutherland), la mère de Buffy et seule figure maternelle de la série. En 2002, la série déménage sur la chaîne UPN et les auteurs deviennent moins frileux. La relation Willow-Tara
est mise à égalité avec les autres. Point culminant de cette visibilité, Willow devient folle et menace de détruire le monde après avoir perdue Tara, la femme qu’elle aime. Allant encore plus
loin, la septième et dernière saison offre un montage durant l’épisode « Touched » où Willow et Kennedy (Iyari Limon) font l’amour passionnément en même temps que Alex et Anya (Emma
Caulfield), Faith (Eliza Dushku) et Wood (D.B Woodside) alors que Buffy s’endort gentiment dans les bras de Spike (James Marsters). Tout cela à grand renfort de piercing sur la langue…
En mars 2002, Zwick et Herskovitz, encore eux, offrent également un couple lesbien dans la série Once & Again. Katie (Mischa
Barton), seize ans avoue son amour à Jessie (Evan Rachel Wood), quinze ans, à travers une lettre et l’adolescente est perturbée et bouleversée par cette découverte. Confrontée à ses sentiments,
elle embrasse sa meilleure amie dans un épisode magnifique et inoubliable. Malheureusement, la série sera arrêtée quelques mois plus tard, ne laissant pas aux auteurs le temps de développer cette
histoire.
Urgences, la série à succès, « transforme » Kerry Weaver (Laura
Innes), médecin chef et hétéro en lesbienne au cours de la saison 7 avec l’arrivée du Docteur Kim Legaspi (Elizabeth Mitchell). Maggie Doyle (Jorja Fox), plus féministe que lesbienne avait ouvert
la voie quelques années plus tôt. Là, Kerry explore ses sentiments pour Kim dans une saison 7 réussie et complexe. La huitième saison, elle, ne convaincra pas avec la relation de Kerry et Sandy
Lopez (Lisa Vidal), une femme pompier. En manque d’imagination, les auteurs resservent rapidement une recette réchauffée qui ne trompe personne et enlisent Kerry Weaver dans une mythologie peu
intéressante : un désir d’enfant aboutissant à une fausse couche, l’accouchement de Sandy qui refusait de porter un enfant, la mort de Sandy, la bataille de Kerry contre ses beaux-parents
pour la garde de son fils… Seul l’épisode 14 de la 11e saison réussira à réintéresser. Kerry retrouve sa mère naturelle et toutes les deux sont confrontées à la difficile question de
la religion et de l’homosexualité. Et contre toute attente, Kerry rencontrera une productrice télévisée, Courtney Brown (Michelle Hurd) dont elle tombera amoureuse dans la 13e saison.
Elle partira vivre avec elle quand elle sera renvoyée du Cook County par le Docteur Luka Kovac.
Aux États-Unis, les adolescents et les jeunes adultes restent à la fête en matière de représentation homosexuelle et bisexuelle. Que ce soit
avec Newport Beach, Les Frères Scott, Dark Angel et South Of Nowhere, ils sont majoritairement plus représentés.
Mais la véritable révolution en matière de représentation lesbienne à la télévision intervient sur la chaîne Showtime en 2004 avec la série
The L-Word. Centrée exclusivement sur des lesbiennes bourgeoises de Los Angeles, elle conte les histoires de Bette Porter (Jennifer Beals), en couple avec Tina Kennard (Laurel Holloman)
depuis plus de 7 ans et rêvant d’un enfant avant de la tromper, de la perdre et de la retrouver ; de Jenny (Mia Kirshner) qui arrive en ville et retrouve l’homme qu’elle aime, Tim Haspel
(Eric Mabius) avant de succomber au charme de la mystérieuse Marina (Karina Lombard) et de devenir une romancière connue ; d’Alice Pieszecki (Leisha Hailey), la bisexuelle de la bande qui
réalise bientôt qu’elle préfère définitivement les femmes, tombe amoureuse de sa meilleure amie, la perd, fait une grave dépression avant de se reprendre et de tomber amoureuse d’une
militaire ; de Shane (Katherine Moennig), la Don Juan du groupe qui tombe amoureuse d’une femme mariée avant de rencontrer Carmen (Sarah Shahi), une superbe latino qu’elle demande en mariage
mais abandonne aux pieds de l’autel…
Avec The L-Word, Showtime a quadruplé son audience en 2004. Alors que le public a rapidement plébiscité la série, les critiques ont
été moins unanimes. Pourtant, aujourd’hui la 5e saison vient de s’achever outre-atlantique et l’on sait déjà que huit épisodes clôtureront la sixième et dernière saison l’année
prochaine. Le reproche principal ayant été fait à cette série est de ne pas représenter tous les types de lesbiennes, de rester trop communautaire et de ne montrer que des « lipsticks
lesbians ». En même temps, rappelons-nous du début, où les femmes amoureuses n’avaient même pas la possibilité de se tenir par la main sur les écrans américains…
À SUIVRE…
Isabelle B. Price (2008)
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