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Article publié par notre ami  Jean Yves

 


G. Macé, ancien chef du service de la Sûreté parisienne, a écrit plusieurs livres de souvenirs : Mon premier crimeUn joli mondeGibier de Saint-Lazare. La présentation au préfet de police, dans la prison de Mazas, d'une bande de prostitués mâles raflés dans les bois de Boulogne et de Vincennes est tirée de Mes lundis en prison. (1)



Une bande d'antiphysiques


Le rapport que vous m'avez demandé sur les formes que revêt de nos jours le monde de la prostitution ne détaille que la débauche féminine. Volontairement, j'ai jeté un voile sur la débauche masculine, partie intégrante de la première, et je vous ai dit au sujet des antiphysiques : « Les Bois de Boulogne et de Vincennes, leurs principaux lieux de rendez-vous sont à peu près propres ; on vient d'y détruire deux nids de pédérastes ; vous verrez les oiseaux en cage, au repos, à Mazas. » Les voici. Permettez-moi de vous présenter cet horrible bouquet de fleurs... vénéneuses, formé de Bec de Gaz, la Turquie, la Petite Anglaise, la Grosse Allemande, Tire-Bijoux et la Vrille. Ce sont les chefs qui avaient pour affiliés la Pépette, Peau de Satin, la Truqueuse, l'Araignée, ainsi appelée à cause de la longueur de ses pieds et de ses mains ; enfin la Chatte, dont vous voyez même ici les manières câlines. L'énumération de pareils sobriquets indique les agissements des individus qui les portent, et tous les pareils de ces êtres immondes circulent le soir au centre de Paris et le jour sur nos promenades publiques. Leurs allures efféminées les font facilement reconnaître car ils imitent la marche des filles soumises. Leurs effets sont taillés de façon à mouler leurs formes, leur cou est découvert, leurs yeux sont agrandis par un coup de crayon, et leur figure, couverte de poudre de riz, attire l'attention des promeneurs et la risée des femmes de débauche. Presque tous, imberbes ou fraîchement rasés, ne fument jamais et se promènent par couple, en riant très fort comme des prostituées.


— Je constate avec regret, dit le Préfet, que Bec de Gaz et ses congénères ont à peine vingt ans.

 

— Et tous sont instruits. L'un d'eux est licencié en droit et surnommé par les pédérastes de profession : « Cordonnier de campagne » parce qu'il travaille pour hommes et pour femmes. Avec sa voix douce, ses manières polies, il s'introduisit, en prenant le titre de vicomte, dans un ménage de rentiers avec l'intention d'y préparer un vol. Devenu l'amant de la femme et la maîtresse du mari, il put facilement indiquer à ses complices les moyens d'enlever les valeurs du coffre-fort. A la suite d'une fausse manœuvre, les malfaiteurs furent surpris et l'indicateur arrêté. On voulut le fouiller, il résista ; les agents le déshabillèrent et l'on trouva sur lui des lettres de la femme et du mari, ne laissant aucun doute sur la nature de ses relations avec eux. En les conservant, il se ménageait un futur chantage.

 

Détail comique, son pied droit avait une chaussette et le gauche un bas, chaussette et bas en soie couleur chair marqués aux initiales (les époux rentiers. L'inspecteur principal Monsin, qui assistait à l'opération, se leva et de sa large main il appliqua une forte claque au bas des reins du Cordonnier de campagne » en lui disant : « A qui ai-je l'honneur de parler, au vicomte ou à madame la vicomtesse ? »

 

L'inculpé fit la révérence et dit : « Côté face au vicomte, côté pile à la vicomtesse. »

 

Je fus obligé de représenter certaines parties des vêtements de ce double personnage à leurs propriétaires.

 

— Tiens, s'écria la femme en fixant son mari, ta chaussette.

 

— C'était pour faire pendant à ton bas, répondit-il.

 

— Les pédérastes comme les souteneurs doivent se diviser en plusieurs catégories ? demanda le Préfet.

 

— On en compte sept, et la plus dangereuse, celle que la police surveille, comprend les malfaiteurs que vous avez devant vous. Dans les autres classes figurent les pédérastes ayant de la fortune et se livrant par passion. Ceux-là deviennent victimes de manœuvres de chantage pratiquées par les sodomites professionnels. Ces derniers savent que les gens aux goûts dépravés ne reculent devant aucun obstacle pour se satisfaire. Il n'est pas rare de rencontrer parmi les riches débauchés des membres les plus influents de l'échelle sociale ; et récemment un financier de haut vol a laissé des papiers intimes au domicile d'un bijou (2) qu'il est obligé d'entretenir.

 


Un curieux bijou


Un autre bijou surnommé « La Folle » a longtemps exploité cet ancien ministre qui avait eu l'imprudence de la recevoir trop passivement. Les sodomites en belle situation ont des appartements luxueux, où ils se livrent à toutes sortes d'orgies, et dans ces débauches-là, le vice de l'homme dépasse de beaucoup celui de la femme. Quelques-uns forment une société distincte, se marient entre eux pour six mois, un an, et malheur à celui qui voudrait s'emparer de la maîtresse de l'autre ; tôt ou tard il devient la victime d'un vol ou d'un guet-apens dont il n'osera jamais se plaindre à la justice. Ces débauchés sont généralement lâches, affaiblis et peu susceptibles d'actes énergiques, ce qui atténue, dans une certaine mesure, leurs moyens de nuire.



Il n'en est pas de même des pédérastes qui n'ont d'autres ressources pour vivre que le trafic de leur vice honteux ; tout leur est bon, le banquier, l'écrivain, l'artiste, le soldat, pourvu que leur victime ait de l'argent et occupe une position l'empêchant de se plaindre. Ces pédérastes se divisent en « petits ménages » et les horribles couples s'entendent, forment des bandes et opèrent dans un rayon déterminé ; ils organisent une police de renseignements et dès qu'ils ont réussi à trouver l'homme à passions ayant de la fortune, on peut dire qu'il est complètement perdu et que son existence même ne tient plus qu'à un fil. Celui qui s'est laissé prendre ne tarde pas à voir disparaître de son domicile ce qui peut s'emporter facilement : bijoux, argenterie, effets, linge, sont distribués aux complices du favori.


Lorsque les fonds commencent à manquer, les lettres anonymes sont lancées contre lui, et le chantage commence.

 

J'ai plusieurs fois mis à la disposition du Parquet des individus ayant poussé l'audace jusqu'à prendre la qualité de commissaire de police. Ceints de l'écharpe tricolore, ils avaient osé venir au domicile des sodomites, les avaient menacés d'arrestation pour avoir entretenu des rapports contre nature avec un de leurs complices et avaient obtenu ainsi d'assez fortes sommes.

 

Du chantage au crime, il n'y a qu'un pas, d'autant plus que le véritable sodomite est toujours dissimulé. Il étudie à l'avance le caractère, les habitudes et les relations de celui qu'il veut frapper. On a vu des pédérastes vivre pendant des années avec la même personne, être entretenus par elle et ne pas se départir une minute de la plus stricte réserve, au point qu'on ne pouvait établir à leur charge le moindre acte délictueux.

 

Puis, un jour, la famille apprend la disparition, la ruine ou la mort d'un de ses membres. L'enquête ordonnée établit alors que le coupable n'était autre que le pédéraste ayant vécu dans l'intimité de la victime.

 

Tout sodomite est intelligent, mais son esprit se porte au mal. A son actif, on ne trouve aucune bonne action.

 

— On peut, dit le Préfet, remettre dans leur cellule ces gens-là qui, tout en ne procréant pas, ont une tendance à se multiplier. Le vice se popularise, la lèpre s'étend, il y a lieu de prendre de vigoureuses mesures pour en arrêter les progrès.

 


Les hommes-modistes


Dès que la cellule fut vidée, je dis au Préfet : A côté de ces vulgaires sodomites et à côté de ceux qu'ils exploitent, existent des associations de dépravés. Ces individus curieux à connaître, sur lesquels on ne fournit que de favorables renseignements, sont enclins à la débauche la plus honteuse. Connus sous la désignation d'hommes-modistes, ils se recrutent dans le haut commerce spécial à tout ce qui a rapport à l'arsenal de la coquetterie féminine : robes, lingerie, coiffure, chignons, tresses, fleurs, plumes, rubans. Il n'y a pas de femmes capables de leur faire concurrence ou de lutter avec eux pour donner le cachet et l'élégance aux variétés de garnitures de tête que les mondaines et les demi-mondaines recherchent tant à Paris.


Quelques-uns ont acquis une véritable renommée : ils se considèrent comme des artistes dans leurs magasins et ateliers, installés avec luxe, où les parfums dominent ; sans être galants avec les dames ils conservent une attitude réservée qui prédispose en leur faveur.


Les mains ordinairement belles, soignées mettent tant de légèreté à essayer les modèles sur la tête des coquettes clientes que celles-ci, enthousiasmées, leur font tout de suite une notoriété d'adresse et de haut chic incomparable. Leur situation est d'autant plus enviée dans le commerce que la vie privée paraît régulière.

Toutes leurs précautions sont prises pour ne pas laisser deviner leurs mœurs.

 

Les hommes-modistes échappent aux surveillances ; ils se réunissent trois ou quatre dans leur appartement ou au domicile des fournisseurs célibataires partageant leurs goûts antiphysiques.

 

Une enquête faite récemment a confirmé cette règle adoptée par eux.

 

Pour le commerce comme pour la débauche, ils s'entendent à merveille ; ne sont-ils pas unis d'une manière étroite par l'intérêt et par le vice ?

 

Contrairement aux habitudes des autres pédérastes, ils ne se trahissent jamais. Expérimentés dans l'art de feindre, tous sont instruits, distingués, et leur importance commerciale, leur manière de vivre empêchent qu'on remarque les rendez-vous nocturnes.

 

Il est donc matériellement impossible aux personnes honnêtes de s'imaginer qu'elles se trouvent en présence de pédérastes. Il faut à la police des circonstances exceptionnelles pour les démasquer, et si elle arrive à constater des excitations de mineurs à la débauche, elle doit compter avec les hautes protections que les coupables ont su se créer parmi leurs clientes, qui n'admettent jamais que ces hommes, les habillant, les coiffant mieux que des couturières et modistes, soient les pires ennemis du sexe féminin.

 



Les bains de vapeur


Ce matin, dit le Préfet, j'ai entendu chez le Ministre un bijoutier de la rue de la Paix se plaindre d'actes contraires aux mœurs, dont il aurait été témoin dans divers bains de vapeur. Ces établissements, comme tous ceux qui sont publics ou payants, sont l'objet de votre surveillance ?


— Les coupables sont difficiles à prendre, et pour vous en expliquer la raison, permettez-moi d'entrer dans quelques détails.

 

Au bord de la mer, les bains mixtes permettent aux amateurs de détailler à loisir les charmes physiques des filles galantes, et l'air salin, les senteurs du varech ont sur certains tempéraments une influence directe qui... porte au mariage. Les pédérastes fréquentent peu les plages adoptées, à la mode, où règnent les jolies femmes ; ils préfèrent les bains de vapeur ; là, les hommes se promènent dans une nudité complète, et le petit tablier réglementaire a même le don de les gêner.

 

Heureusement que les établissements de cette nature ne sont pas tous le théâtre de scènes ordurières. Les propriétaires soucieux de la bonne tenue de leurs maisons choisissent des employés à l'abri de reproches ; mais lorsque les garçons de bains pratiquent et favorisent la débauche, c'est par séries que des actes ignobles se commettent dans les salles affectées aux douches et aux fumigations. L'épaisse vapeur remplace l'air salin, et les plantes aromatiques l'odeur du varech. La situation est particulièrement délicate pour les agents chargés des surveillances ; mêlés aux baigneurs, ils deviennent l'objet de provocations, et si les flagrants délits d'outrage à la pudeur ne manquent pas autour d'eux, quelle valeur pourrait avoir en justice leur constatation officielle en costume de bain ?

 

A la police correctionnelle les avocats auraient le beau rôle en faisant, sans grands efforts d'imagination, de l'esprit à la vapeur sur le nouveau costume des défenseurs de la morale outragée, et le sourire des juges sauverait leurs clients. On se borne à suivre les débauchés ayant la plupart d'importantes maisons commerciales et industrielles.

 

En dehors des gens qui se rendent aux bains de vapeur pour satisfaire leurs passions, il y a la clientèle courante que l'hygiène amène seule et où figurent des individus connus sous le nom de « curieux ». Ils n'aiment pas les femmes, n'ont aucun goût pour les plaisirs contre nature, et cependant ils séjournent des journées entières dans ces établissements ; ils mangent, boivent, fument, circulent dans les salles et semblent heureux d'entendre des paroles obscènes, de coudoyer les sodomites et d'assister à leurs actes répugnants. C'est là une curiosité maladive, assez commune, qui charme leurs oreilles et satisfait leur vue.

 

Parmi les établissements de bains plus modestes, beaucoup laissent encore à désirer. La séparation sévère des sexes n'empêche pas deux hommes ou deux femmes, à n'importe quel âge, de se baigner dans le même cabinet. Lesbos et Sodome s'y donnent rendez-vous.

 

Le dernier procès retentissant remonte au 17 Juin 1786, il concerne l'une des maisons de bains du IXe arrondissement ; six personnes ont été poursuivies et condamnées pour excitation habituelle de mineurs à la débauche : le propriétaire à deux ans de prison, les garçons de bains à six mois, et les amateurs des deux sexes, à trois mois.

 

On m'a signalé récemment une maison du nouveau Paris qui possède des salles pourvues de baignoires réservées aux dames aimant la compagnie. Les cloisons séparatives, au lieu d'être en briques, sont garnies de « trous révélateurs » habilement dissimulés. Les cabinets contigus à ces salles sont loués à la semaine ou au mois à des amateurs qui plongent des regards indiscrets sur les baigneuses.

 

Vous recevrez demain le rapport contenant les noms de ces débauchés. Il y a notamment deux anciens officiers ministériels et un juge de paix.

 

— Parmi les exhibitionnistes, trouvez-vous des gens adonnés à la sodomie ? demanda le Préfet.

 

— Quelques-uns, mais nous les classons dans la catégorie des aberrés professionnels. L'arrestation d'un petit nombre de détenus en ce moment à Mazas n'a pas eu lieu sans difficulté.

 


Le grand frisé se défend


Avant d'étaler sa pourriture au soleil, l'homme aux cheveux longs, frisés, était un type parmi les pédérastes à passions. On suppose que sa cervelle est dérangée et des personnes influentes cherchent à en faire un cas pathologique. Son juge l'a soumis à un examen médical et on le croit jusqu'ici responsable de ses actes. Il appartient à une famille riche et honorable de province, qui n'a rien négligé pour lui inculquer les meilleurs principes. Objet des vues ambitieuses de son père, il commença ses études au lycée de sa ville natale, et à leur achèvement il fut envoyé dans diverses contrées de l'Europe. Son intelligence, sa facilité à retenir ce qu'il apprenait, flattant la vanité paternelle, firent oublier son caractère tantôt rêveur, tantôt emporté. Il possédait une de ces natures qui passent indifféremment, et avec une extrême rapidité, du bien au mal. Ayant visité en détail l'Italie et l'Orient, il rapporta de ces deux pays des goûts de dissipation et de plaisir qui affaiblirent en lui le sentiment de la vie réelle.


Son père en mourut de chagrin.

 

Il hérita et vint à Paris pour échapper aux indiscrétions que soulève dans les villes de provinces secondaires une existence licencieuse. Il voulut jouir en repos des plaisirs infâmes qu'il se promettait, car depuis longtemps il portait dans son sein les germes du fléau qui devait anéantir ses ressources, détruire sa santé et le livrer enfin à la justice.

 

A Paris, comme dans les grands centres, la débauche est ingénieuse à trouver des aliments pour les fantaisies les plus folles. En la cultivant, notre pédéraste provincial ne tarda guère à faire partie d'un cercle, dont les membres appartenant aux différentes classes de la société se pliaient à la dégradante égalité du vice. Ces gens forment des réunions à part, et le local loué à cet effet ne s'entr'ouvre qu'aux affiliés munis du mot de passe. Des adolescents que l'appât du gain, l'aversion du travail ont menés dans ces cavernes y sont entretenus avec un certain luxe jusqu'au moment où une rumeur inquiétante donne l'éveil à la bande.

 

L'enquête exigée par le Procureur de la République sur le compte de ce détenu reconnaît sa probité rigoureuse. « Il rougirait, mentionne le rapport, de commettre la moindre indélicatesse d'argent. Serviable, causeur élégant, il avoue sans honte les pernicieuses habitudes contractées dans ses voyages d'Italie et d'Orient. »

 

— Conduisez-nous à sa cellule, dit le Préfet, au sous-brigadier des surveillants.

 

Ce fonctionnaire nous fit monter au premier étage de la deuxième division et ouvrit la porte quatre-vingt-onze.

 

L'homme aux cheveux longs frisés, au pantalon gris clair, la terreur des jeunes filles au bois de Boulogne, où il circulait tenant à la main un journal déplié, se leva à notre entrée, inclina la tête et attendit.

 

Dans sa figure pâle, ridée, anémiée, sans barbe, le regard seul possède une ardente vivacité. Ses mouvements sont efféminés.

 

Le Préfet déclina sa qualité.

 

L'inculpé salua de nouveau et répondit à ses questions d'une voix faible, mais soutenue.

 

— Reconnaissez-vous les actes qui vous sont reprochés ?

 

— Nier serait mentir et je laisse le mensonge à mes domestiques.

 

— Les médecins concluent à votre responsabilité.

 

— Ils font preuve, cette fois, de réelles connaissances. Les juges doivent me frapper pour les délits d'outrage public à la pudeur ; mais je leur interdis d'accoler à mon nom des épithètes injurieuses en me reprochant de socratiser ou d'alcibiadiser mes semblables.

 

La pédérastie est aussi vieille que le monde ; on la trouve au début des sociétés comme au déclin de la nôtre.

 

— Grâce à vous et à vos pareils.

 

— C'est possible. Je continue : Gomorrhe et Sodome, aux premières époques de la civilisation, laissèrent des souvenirs qui nous sont parvenus avec les traditions léguées par le monde romain à sa décadence. Des empereurs affichèrent publiquement leur intimité avec des affranchis qu'ils élevèrent aux plus hauts emplois ; Henri III eut ses mignons ; le duc d'Orléans, frère de Louis le Grand, connut une vive passion pour le chevalier de Lorraine et la pédérastie n'a jamais été considérée comme un crime. En Orient, elle est acceptée sans murmure ; c'est même la seule prostitution. Citez-moi donc une loi qui la condamne.

 

L'adultère est prévu, justement réprimé, puisqu'il trouble l'unité de la famille. Mais, lorsqu'il n'y a pas de préjudice, où trouver le délit ? Les législateurs l'ont compris, en n'atteignant que les individus accomplissant comme moi en public des actes lascifs.

 

Parmi les nombreuses personnes que vous connaissez, les unes ont semé la désunion dans un paisible ménage, et les conséquences en retombent sur d'innocentes victimes, les autres ont ravi l'honneur d'une jeune fille, l'ont enlevée du foyer paternel, compromettant son avenir pour l'abandonner ensuite. Quelle peine ces gens subissent-ils ? Les séducteurs, aux yeux de bien du monde, deviennent des hommes à bonnes fortunes et l'on accorde de l'indulgence pour leurs exploits galants.

 

Par une étrange contradiction, on vilipende les pédérastes qui ne s'adressent cependant qu'à des êtres tourmentés par des habitudes sans conséquence et semblables aux leurs. Des individus majeurs aussi dissolus que moi, répondant à mes désirs, où existe la corruption ? Il y a, j'en conviens, un préjudice causé à l'accroissement du pays, la nature ayant destiné l'homme et la femme à faire œuvre commune ; le motif est sérieux, il a sa force, mais je puis répondre que la société n'a pas le droit de m'imposer cette contrainte. Je suis maître de ma personne et je lui imprime la direction qui convient à mes goûts. Que l'on supprime la liberté individuelle achetée au prix de tant de sang versé, et je me soumets. Si le célibat est un crime de lèse-humanité, il faut obliger les célibataires au mariage. Je me résume par cet axiome de droit : « Ce qui n'est pas défendu est permis ».

 


La mort d'une tante


A quel nombre estimez-vous à Paris les sodomites de toutes les catégories ?


— Quatre mille, dont les deux tiers sont connus. Depuis 1872, une brigade composée de huit agents des mœurs était chargée de les surveiller ; mais j'ai dû dissoudre ce service dirigé par un brigadier qui cherchait à s'imposer. Pour montrer l'importance de sa mission, la nécessité de l'étendre, il s'oubliait jusqu'à commettre des abus. Les véritables pédérastes de profession ne suffisant plus à alimenter ses archives ; il formait des dossiers à l'aide de renseignements officieux sur des personnages politiques, objets de rancunes ou de vengeances particulières. La destruction de ces fiches, de ces dossiers, n'ayant au-cuir caractère officiel, m'a paru indispensable (surtout avec les changements successifs de fonctionnaires) ; elles auraient pu tomber entre les mains de gens ayant intérêt à les considérer comme sérieuses. Aujourd'hui, le personnel en général participe à la répression des outrages publics à la pudeur, et ce nouveau fonctionnement m'a permis d'entendre des indicateurs, parmi lesquels trônait un comte authentique, rejeté par sa famille, et qui affichait volontiers sa passion pour la sodomie. Je l'ai vu deux fois : vivant et mort. A son domicile, rue de Grenelle, il me reçut dans sa chambre à coucher garnie d'étoffes et de tapisseries noires. Assis sur un épais et large matelas recouvert d'un drap de soie blanche, il eut le cynisme de présenter à son ami, le brigadier, que j'accompagnais, deux individus partageant sa couche et qui n'étaient autres que des porteurs aux pompes funèbres. Mort, il était étendu sur le sol de la salle mortuaire de la Morgue ; la cervelle manquant sous son crâne brisé était restée dans les latrines de la berge du quai Malaquais.

 

— Quelle horrible mort !

 

— Pas nouvelle, et qui se reproduira.

 


in Le Crapouillot n°30, « Les Homosexuels », août 1955, pp. 23 à 26



(1) Gustave Macé, La police parisienne. Mes lundis en prison, Paris, Editeur G. Charpentier, 1888, 415 p.

(2) Jeune homme débauché tenant la place entre le petit jésus et le maître chanteur.

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