Fiche technique :
Avec Gao Yang, Liang Hao Bin, Qiao Bin et Ge Ying Han. Réalisation : Cui Zi’En. Images : Zhang Hui Lin. Son : Yuan De Qiang.
Durée : 85 mn. Disponible en VO et VOST.
Résumé :
Night Scene est une suite d’interviews de jeunes gigolos dans le Pékin d’aujourd’hui. La plupart de ces garçons, peu instruits, viennent de la campagne où il est difficile de vivre leur homosexualité. Les bouleversements économiques de la nouvelle Chine leur offrent peu de choix… à par celui de se prostituer. Ces témoignages recueillis (et/ou joués ?) dans les lieux de drague et dans des clubs, où certains sont danseurs, nous renseignent sur une partie de la vie gay en Chine en ce début du XXIe siècle.
L’avis de Bernard Alapetite :
On ne dira jamais assez combien est importante l’amorce d’un film. Night scene débute de bien belle façon par la confession d’un jeune et mignon gigolo, filmée à travers un aquarium. Ainsi les poissons qui passent et repassent, oblitèrent le visage du garçon, le temps de leur musardise hésitante. Les situations crues, décrites par l’interviewé, sont en complet décalage avec la belle image apaisante sur l’écran. Dès cette première séquence, on peut vérifier avec quel soin le personnage est mis en scène dans l’espace et avec quelle inventivité a été choisi le cadre de son épanchement. Cette qualité de l’image ne se démentira pas durant tout le film. On remarquera aussi avec quel raffinement chaque interview est traitée, dans une gamme de couleurs différente des autres.
En voyant les premières séquences, on peut espérer que l’on est en présence d’une sorte de Cléo de 5 à 7 chinois. La référence à la Nouvelle Vague française est tout sauf gratuite, tant son influence est patente dans tout le film, en particulier en ce qui concerne le traitement du son… très godardien. Malheureusement, à l’inverse d’Agnès Varda qui ne lâche pas sa Cléo pendant tout son film, Zi’En abandonne trop vite Yangyang qui aurait pu être le fil rouge de Night Scene, reliant par sa présence ce patchwork de confidences.
Il est curieux que le point faible du film soit le scénario et non l’image pour un cinéaste qui vient de l’écrit. Il est l’auteur du scénario du Protégé de madame Qing dans lequel il mêlait habilement fiction et documentaire.
Zi’En n’est pas le premier cinéaste à nous présenter un film entre fiction et documentaire, composé d’une mosaïque de fragments d’interviews de gigolos. La démarche du polonais Grodecki dans Body without soul et Angels we’re not angels est semblable. Il est bon de se remettre ces deux films européens en mémoire pour s’apercevoir que le regard porté sur les protagonistes est le véritable enjeu de ces films. Mais alors que celui de Grodecki sur les jeunes prostitués praguois est salace, celui du réalisateur chinois – s’il n’est pas dénué de désir – est surtout rempli de sympathie.
Il ne faut jamais perdre de vue que Night scene s’attaque à un des plus grands tabous en Chine contemporaine : la prostitution masculine dans la rue. Zi’En nous donne un portrait unique d'un monde crépusculaire de parcs en clubs à mi-chemin entre le documentaire et la fiction. Il a filmé de vrais gigolos et des acteurs qui jouent les prostitués, sans préciser qui est vraiment un gigolo et qui ne l’est pas. Il ressort du film qu’il semble n'y avoir aucune distinction stricte entre les homosexuels et les prostitués ! On n’y trouvera pas de jugement moral.
Night scene nous donne des nouvelles de la Chine gay et ce n’est pas son moindre mérite. « Mon homosexualité ? Je la considère comme une source de créativité », affirme Cui Zi’en. Rares sont les homosexuels militants qui, comme lui, assument ouvertement leur identité. En Chine, dans une société qui nie l’aspiration au plaisir et la libre disposition de son corps, l’homosexualité n’est pas punie par la loi, même si le délit de « crime crapuleux », qui punit les rapports sexuels dans les lieux publics, a longtemps servi à réprimer les homosexuels, qui se rencontraient dans les parcs. Ce qu’illustre bien le film East Palace, West Palace. La loi a été abrogée depuis plusieurs années, mais l’attitude du corps médical chinois reste ambiguë. Au nom de la stabilité sociale, la vie sexuelle n’est pas considérée comme une affaire personnelle : l’homosexualité est susceptible de briser les familles et elle est considérée comme un mode privilégié de transmission du sida. Historiquement dans la tradition confucéenne, chaque homme a vocation à fonder une famille, pour s’assurer une descendance mâle qui perpétuera le culte des ancêtres. Si bien qu’aujourd’hui encore, un grand nombre d’homosexuels chinois se marient pour sauver les apparences et vivent une sexualité clandestine. C’est un des thèmes de Lan Yu. En ville, la tradition pèse moins, note la sociologue Li Yinhe, qui met cette évolution sur le compte de la politique de l’enfant unique : quand un couple donne naissance à une fille, le respect de la tradition devient impossible. De plus, la plus grande mobilité professionnelle, dans les métropoles, permet aux jeunes de fuir la pression parentale... « En Occident, on n’a pas le droit de critiquer les homosexuels et encore moins de leur faire sentir qu’ils sont différents, constate Cui Zi’en. Moi, je comprends qu’un hétéro réagisse avec surprise en voyant un homme très efféminé. La société chinoise bouge, mais il y aura toujours des gens qui auront un réflexe de dégoût, de même que certains sursautent devant un serpent. On ne va pas leur dire qu’ils doivent se mettre à aimer les serpents, non ? »
Le cinéaste espérait que son film puisse être diffusé en Chine. Pour cela, il avait envoyé le pitch aux autorités. N’ayant pas obtenu son autorisation, il a changé l’orientation de Night Scene en cours de tournage, ne laissant qu’une partie congrue à la fiction et tirant le film vers le documentaire militant.
Le dit pitch était le suivant : « Un jour, Yangyang découvre accidentellement que son père est gay. Après avoir fouillé dans son passé et tenté de découvrir de vieux secrets, Yangyang confronte le partenaire de son père, Xiaoyong. Alors que tout cela n'apporte aucune réponse à Yangyang, il commence à se questionner lui-même. Étonnamment, il tombe en amour avec un autre homme, Haobin, mais lorsque la véritable profession de ce dernier est découverte, leur amour ne tient plus qu'à un mince fil. » On peut regretter que Zi’En n’en soit pas resté à cette première idée. Il est amusant de noter que c’est ce résumé qui figure au dos de la jaquette de l’édition américaine. De là à penser que certains éditeurs ne visionnent pas les films qu’ils éditent...
Sur la jaquette du DVD français, aux éditions Pêcheurs de rêves, dans lequel Night Scene est en compagnie d’un autre film de Zi’En, An interior view of death, on peut lire : « La naissance du cinéma gay chinois. Il faut tout de même préciser qu’il s’agit de la Chine dite continentale, car à Taiwan, l’homosexualité irrigue toute l’œuvre de Tsai Ming-Liang (La Rivière, DVD chez Films sans frontières). Il en va de même à Hong-Kong pour celle de Stanley Kwan (Center Stage, DVD Canal vidéo) et de Yonfan (Bishonen) ? Deux très beaux films gays chinois qui sont antérieurs ou contemporains à ceux de Zi’En : East Palace, West Palace, (DVD Raimbow) sous-titré, derrière la cité interdite, de Zhang Yuan et Lan Yu (DVD Eklipse) du réalisateur de Hong-Kong Stanley Kwan, mais tourné en partie à Pékin.
Zi’En est avant tout le plus important activiste du mouvement gay en Chine. Il est aussi, professeur, cinéaste, écrivain, acteur. Il a écrit plusieurs pamphlets et des romans gays vendus (forcément) sous le manteau. En 1991, alors qu’il était professeur de littérature à l’institut du cinéma de Pékin, il fut privé de cours et de salaire, empêché d’enseigner pendant dix ans pour cause d’homosexualité avouée. Il a retrouvé ses classes en 2001. Son interdiction formelle d'exercer tout emploi lui permettant de gagner un salaire ne l'aura pas empêché de continuer à militer. Depuis le début des années 90, il est une figure légendaire du mouvement gay. Zi'en a réalise huit films dont The Old Testament (2002) dans lequel des références bibliques accompagnent les trois thèmes principaux : la sexualité, l'homophobie et le sida, Whithered in Blooming Season (2006), une histoire de ménage à trois entre deux garçons et la sœur de l'un d’eux avec pédophilie, inceste et amours homosexuels. Un film destiné à provoquer la pudique Chine et à étaler les démons de son réalisateur sur le grand écran. Il a écrit également le scénario du Protégé de Madame Qing de Liu Bingjian dans lequel il joue.
On peut rattacher le cinéma de Cui Zi’En à l’école dont Jia Zhang-Ke est le chef de file.
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