Fiche technique :
Avec Gary Oldman, Alfred Molina, Vanessa Redgrave, Frances Barber, Janet Dale, Julie Walters, Bert Parnaby, Margaret Tyzack, Lindsay Duncan, Steven Mackintosh et James Grant.
Réalisé par Stephen Frears. Scénario de Alan Bennett. Directeur de la photographie : Oliver Stapleton. Compositeur : Stanley Myers.
Durée : 105 mn. Disponible en VO, VOST et VF.
L'avis de Jean Yves :
Évocation de la vie du célèbre auteur dramatique anglais Joe Orton, assassiné le 9 août 1967 par son ami et amant Kenneth Halliwell, qui à son
tour se donna la mort en avalant une forte dose de barbituriques. C'est en venant identifier les cadavres que l'agent littéraire Peggy Ramsay découvre le journal intime de Joe
Orton...
Prick Up Your Ears s'ouvre sur l'issue fatale des amours de Joe Orton et de Kenneth. En commençant par la fin, en se
débarrassant d'emblée de la mort, Stephen Frears peut ensuite éviter judicieusement une possible tentation de la tragédie permanente, qui aurait été en absolue contradiction avec la nature même
du caractère de Joe.
Prick Up Your Ears apparaît, en réalité, plutôt comme la chronique dédramatisée d'un fait divers tragique dont la
longue genèse a beaucoup plus les accents de la tragi-comédie. Avec raison, Stephen Frears n'a jamais surévalué l'intervention d'un inéluctable destin, même si peu à peu on s'aperçoit que ce
couple terrible devait craquer un jour ou l'autre, car le succès de Joe renvoie inévitablement Kenneth à sa propre impuissance, interdit tout partage du succès, donc entame son désir de
reconnaissance et hypothèque même jusqu'à son identité soudain rejetée dans l'ombre. À ce titre, le film pourrait être une moitié de tragédie : Kenneth seul ressent ce sentiment de tragique.
Cette dédramatisation du drame se traduit par un ton souvent très drôle, imprégné de la personnalité énergique, enjouée et jouisseuse de Joe. Tout ce qui est pour Joe occasion de jubiler est une
souffrance pour son ami, sans qu'il en mesure d'ailleurs réellement la portée. Ces deux pôles de sensibilité ne cessent de se répondre tout au long du film, et trois scènes en particulier
suffisent à illustrer cette situation insoluble :
– celle où Joe drague un homme qu'il suit jusque chez lui et à qui il impose la participation de Kenneth,
– celle de la drague dans la pissotière où Kenneth, traîné là par Joe et emperruqué, est frustré de son plaisir d'une aventure furtive par l'arrivée intempestive des flics (notons au passage
comment un lieu présenté souvent sous un aspect sordide peut changer de couleur quand Stephen Frears en fait le décor d'un épisode plus allègre),
– la scène enfin de l'évasion dans un Maroc présenté par Frears comme une gâterie de clichés homos, comme une parodie fantasmatique d'un lieu privilégié de la mythologie gay.
Dans les trois cas, ce qui est vécu par Joe avec spontanéité, optimisme et sens du plaisir provoque toujours chez Kenneth un sentiment de malaise, de frustration, voire de désespoir.
Après My Beautiful Laundrette, qui s'attachait à montrer
la construction d'un couple homosexuel dans un contexte hostile, Prick Up Your Ears renverse ici les données en montrant la destruction d'un couple
séparé par trop d'incompatibilités fondamentales, dans un milieu pourtant, a priori plus libre, et moins en butte au tabou. Manière pour Stephen Frears de boucler,
provisoirement, la boucle.
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