Quatrième article de la série consacrée à la place des gays et des lesbiennes dans la
société française. Cette deuxième partie analyse les réelles causes de la persistance de l'homophobie. Par notre collaborateur : Kim, 31 ans.
Dans notre article précédent, nous formulions une nouvelle problématique pour étudier l’homophobie et son évolution vers plus de tolérance et
d’acceptation dans une société. Il ne fallait pas se concentrer sur la religion, mais sur l’intensité de la foi religieuse d’une population.
Nous citions comme exemple à l’aide du graphique ci-dessous la diversité des situations des pays chrétiens ou d’héritage chrétien (document
1) : que de différences en effet entre les pays d’Europe occidentale, où l’intensité de la foi religieuse est faible (< à 30 %) et où la tolérance de l’homosexualité est élevée (>
à 70 %), l’Amérique latine et surtout les Philippines, où l’intensité de la foi religieuse est forte voir très forte (entre 60 et 92 %) et où la tolérance de l’homosexualité
(entre 40 % et 64%) est plus élevée que ne laisserait envisager cette forte intensité de la foi religieuse, et des pays de l’ancien bloc communiste comme la Russie, la Bulgarie ou la
Pologne, où la tolérance de l’homosexualité (entre 20 et 40 %) est bien inférieure à ce que laisserait penser leur faible intensité de foi religieuse (< à 40 %). Rien que ce simple
constat permet de démontrer que les croyances et doctrines religieuses ne peuvent expliquer à elles seules l’homophobie, vu la diversité des cas présentés, puisque le christianisme est commun à
tous ces pays.
Document 1 (repris de l’article précédent).
Alors bien sûr, certains pourraient objecter qu’il existe différentes formes de christianisme et que cela peut permettre de faire évoluer les
variables. Pas tant que cela visiblement : rien qu’en regardant les situations dans les pays catholiques, quelles différences énormes entre le Honduras, les Philippines, la Pologne et la
France, par exemple ! Et malgré des échantillons bien moindres, on voit aussi que les situations sont tout aussi diverses entre pays orthodoxes et entre pays protestants…
Non, la religion n’influe pas sur l’intensité de la foi religieuse, ni donc par conséquence sur le niveau de tolérance et d’acceptation de
l’homosexualité et des homosexuels par les sociétés. Il faut donc chercher une autre explication. Mais laquelle ?
Dans ce type de graphique, il est plus intéressant d’étudier les écarts à la moyenne, qui sont en général toujours plus riches en
enseignements, que les cas entrant parfaitement dans la corrélation. Mais pour faciliter la tâche, modifions le graphique en remplaçant les symboles de couleurs représentants les différentes
religions par d’autres symboles colorés représentants un autre découpage du monde, cette fois-ci non centré sur les religions, mais sur les grandes aires géopolitiques/civilisationnelles. Sont
ainsi représentés :
- en bleu les pays de la civilisation occidentale (Europe occidentale, Amérique du Nord) ;
- en rouge l’ancien bloc de l’Est communiste (Europe centrale et orientale, pays issus de la dislocation de l’ancienne URSS) ;
- en orange le monde latino-américain ;
- en vert les pays de la civilisation musulmane. Seul l’Ouzbékistan a donc été exclu de cette catégorie, au profit de celui des anciens pays
communistes, et à l’inverse, certains pays y ont été inclus, come le Nigéria, car plus de la moitié de la population y est musulmane ;
- en marron les pays d’Afrique subsaharienne n’appartenant pas à la civilisation musulmane ;
- et enfin en jaune les pays asiatiques non musulmans. Je suis conscient que cette dernière catégorie n’est pas homogène, et sert un peu de
fourre-tout vu la diversité des pays qui la composent : quoi de commun en effet entre l’Inde, les Philippines, la Corée du Sud et le Japon (que j’aurais pu – j’ai hésité - mettre dans le monde
occidental) ? Mais l’échantillon est si faible que je me suis résolu à les regrouper artificiellement.
Ceci donne alors le document 2 ci-dessous.
Nous obtenons ainsi une nouvelle grille de lecture pour nous permettre d’interpréter les écarts au modèle.
Ainsi, on peut remarquer que les Etats-Unis se démarquent du reste des pays du monde occidental, Canada compris. Ils ont en
effet une foi religieuse bien plus élevée (58 %) en comparaison des autres pays de ce groupe (entre 13 et 33 %), ce qui explique la plus faible tolérance de l’homosexualité (qui atteint
difficilement les 51 % d’avis favorables en 2002). Le cas des Etats-Unis permet de confirmer le modèle de corrélation entre les deux variables : dans ce pays où le poids de la religion est bien
plus important que dans les autres pays occidentaux, c’est visiblement clairement l’intensité de la foi religieuse qui sert d’explication à la relative intolérance envers
l’homosexualité.
Les autres pays occidentaux connaissent à l’inverse une progression de la laïcisation, ce qui peut expliquer la faible intensité de la foi
religieuse et donc la plus forte tolérance de l’homosexualité (> à 70 %). Doit-on en conclure que l’acceptation de l’homosexualité progresse avec la laïcisation ? Pas sûr en fait d’après ce
qui suit.
On peut en effet remarquer qu’un certains nombre de pays de l’ancien bloc soviétique, comme la Russie, la Bulgarie ou la
Pologne, ont une ferveur religieuse faible, mais tolèrent peu l’homosexualité. Alors, on pourrait bien sûr dire que c’est normal que ces pays ont une ferveur religieuse faible : leur
passé de dictature totalitaire communiste a été marqué par des décennies d’athéisme forcé qui ont laissé des traces. Mais dans ce cas, pourquoi ce recul de la foi religieuse ne s’est pas
traduit avec une meilleure tolérance de l’homosexualité comme dans les pays de l’Europe occidentale qui connaissent une intensité de la foi religieuse comparable ? De plus, pourquoi l’ensemble
des anciens pays du bloc communiste ne sont-ils pas tous dans la même situation ? Car à l’inverse de la Russie, de la Bulgarie ou de la Pologne, des pays comme la Slovénie ou la
République Tchèque ont une faible foi religieuse et une grande tolérance de l’homosexualité, se rapprochant ainsi des pays occidentaux ; et l’Ouzbékistan ou l’Ukraine ont
une forte foi religieuse et témoignent d’une forte homophobie. Leur passé commun de laïcisation forcée par les régimes totalitaires communistes, avec certes un degré moindre pour la Pologne
chrétienne et l’Ouzbékistan musulman, n’est donc pas l’élément d’explication du degré de tolérance de l’homosexualité dans ces pays, ou au minimum pas le seul.
L’observation des situations des pays d’Amérique latine et des Philippines confirme quand à lui que le niveau d’intensité de la
foi religieuse ne peut servir à lui seul de facteur explicatif du degré de tolérance de l’homosexualité par une société. En effet, déjà, ces pays ont une forte intensité de la foi religieuse,
supérieure à 60 %, comparable à nombre de pays musulmans ou d’Afrique subsaharienne. Pourtant, leur degré de tolérance de l’homosexualité y est en comparaison jusqu’à 4 à 6 fois
supérieur, puisque compris entre 41 et 64 %. Ces pays, et surtout les Philippines, sont donc bien plus tolérance que ne le suggérerait l’importance de leur foi religieuse.
Tout cela prouve que l’intensité de la foi religieuse n’est pas le seul facteur explicatif de tolérance de l’homosexualité. Mais dans ce cas,
quel facteur peut provoquer à la fois la baisse de l’intensité de la foi religieuse et la hausse de la tolérance de l’homosexualité ? Il faut donc clairement aller chercher une autre
explication ailleurs…
Une première hypothèse est l’accès au savoir, à la science, à la philosophie. Ces derniers peuvent en effet permettre de construire des
esprits plus axés sur la critique rationnelle que sur la foi, ce qui peut remettre en cause l’intensité de la foi religieuse. Ils peuvent aussi permettre de remettre en cause les idées
véhiculés par les religions, comme par exemple sur les explications de l’origine de l’homme : il n’y a qu’à voir l’opposition entre créationnisme et darwinisme par exemple. Qui est capable
d’argumenter face à une personne qui croit au créationnisme est capable d’argumenter contre les préjugés religieux homophobes (d’où l’augmentation de la tolérance de l’homosexualité), non ?
Vérifions.
La tolérance de l’homosexualité est en partie positivement liée avec le niveau d’instruction de la
population.
Pour vérifier cette hypothèse, on peut analyser les résultats d’un sondage réalisé par IFOP en 2006/2007, qui a demandé à des Français quelle
était leur opinion à propos de la proposition suivante : « L’homosexualité est une manière acceptable de vivre sa sexualité ». Les réponses ont été analysé selon différents critères,
dont celui du niveau d’étude des sondés. Les résultats de ce sondage ont été mis en graphique dans le document 3 ci-dessous.
En observant ce graphique, on constate que le degré de tolérance de l’homosexualité est lié au niveau d’étude. Ainsi l’opinion « tout à
fait d’accord » augmente en même temps que le niveau d’étude des personnes interrogées. Inversement, l’opinion « Pas du tout d’accord » diminue en même temps que le niveau d’étude
des sondés. Pourquoi un tel lien ?
La poursuite vers des études supérieures reste à priori le symbole du triomphe de la raison sur la foi ou les préjugés. L’acquisition de
connaissances de niveau universitaire vient donc battre en brèche les opinions plus traditionnalistes, basées notamment sur les croyances religieuses, souvent en contradiction (voir l’article
précédent).
Mais on peut aller plus loin : l’instruction universitaire peut permettre de donner un niveau de culture générale et un mode de
fonctionnement intellectuel basé sur la recherche d’informations et la confrontation des sources, ce qui facilite la remise en cause des opinions, basée sur la vérification et l’argumentation…
Elle favorise la rationalité.
Pour résumer, la connaissance et la rationalité peuvent renverser les préjugés homophobes des domaines religieux (l’homosexualité est un
péché), cliniques (l’homosexualité est un problème médical) et libéraux (l’homosexualité est un problème exclusivement réservé au domaine de la vie privée).
Confirmons cette hypothèse cette fois-ci au niveau mondial. Nous avons d’abord réalisé un graphique liant le taux de scolarisation à celui du
degré de tolérance de l’homosexualité (document 4). L’indice de corrélation est positif et élevé, atteignant 0,70. Mais les écarts de tolérance envers l’homosexualité sont
tellement nombreux et importants à niveau de scolarisation comparable que cela en devient difficile à expliquer.
Nous avons alors décidé de nous concentrer sur la scolarisation dans l’enseignement supérieur, suite à l’enseignement du document 3. Ainsi,
le document 5 ci-dessous croise la variable du degré de tolérance de l’homosexualité avec cette fois-ci la variable du taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur, pris sur le site de
l’UNESCO.
Document 5
remarque : pas de données pour le Sénégal et la Côté d’Ivoire
On observe là encore sur ce graphique un lien entre les deux variables, même s’il est moins net que sur le graphique précédent. Le
coefficient de corrélation le confirme puisqu’il n’est que de 0,58. La corrélation entre niveau d’étude et degré d’acceptation de l’homosexualité reste toutefois
confirmée.
Ainsi, les pays occidentaux (à l’exception des Etats-Unis) se caractérisent par un taux de scolarisation dans le supérieur et un degré
de tolérance de l’homosexualité élevés.
De même les pays du monde musulman se caractérisent par un taux de scolarisation dans le supérieur et un degré de tolérance de
l’homosexualité faibles. On peut donc comprendre que la foi religieuse reste élevée dans ces pays puisque les savoirs universitaires plus fondés sur la raison et la science sont moins
dispensés. On remarquera que la Turquie est le pays musulman de ce sondage le plus tolérant parce qu’il possède un taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur bien plus important
que ces congénères.
Toutefois, il est clair que le facteur explicatif du niveau d’étude dans la progression de la tolérance envers l’homosexualité est moins
important que le précédent. Il faut dire qu’il existe là encore des écarts au modèle. Et de sacrés écarts cette fois-ci ! Ce sont ceux-ci qui nous intéressent.
Ainsi, des pays aussi dissemblables comme la Russie, l’Ukraine, la Pologne, les Etats-Unis ou la Corée du
Sud, sont beaucoup moins tolérants que ne laisseraient présager leurs taux de scolarisation dans le supérieur. Ces pays sont donc à l’écart par rapport à l’ensemble des autres pays du
monde. Mais ils sont aussi à l’écart de leur groupe régional (les Etats-Unis se décrochent largement du reste de l’Occident ; la Russie et l’Ukraine se détachent totalement des autres pays
anciennement communistes comme la Bulgarie, la République Tchèque ou la Bulgarie, eux même très disparates entre eux…). Et enfin il est difficile de trouver un point commun entre ces états :
quoi de commun entre les Etats-Unis et l’URSS ? Car si on peut expliquer l’écart des Etats-Unis au coefficient de corrélation par l’intensité de sa foi religieuse qui reste vivace (voir
document 2), le même argument ne peut être utilisé pour les pays anciennement communistes comme la Russie ou l’Ukraine qui ont au contraire une faible foi religieuse suite à leur passé
totalitaire communiste de laïcisation forcée.
Inversement, un certains nombre de pays d’Amérique latine, ou les Philippines, ou la République Tchèque, ont un degré de
tolérance de l’homosexualité bien supérieur à ce que laisserait suggérer leurs plus faibles taux de scolarisation supérieure.
Enfin, il ne faut pas nier que l’enseignement n’est pas le même partout dans le monde. Il peut d’ailleurs être profondément contrôlé par les
religieux ou les croyances religieuses, pas toujours en phase avec les connaissances scientifiques. Je me rappelle après tout avoir déjà vu un documentaire scientifique algérien qui réfutait la
théorie de l’évolution au profit du créationnisme. Il en existe de même aux Etats-Unis. Et pour terminer, les connaissances scientifiques ne sont pas forcément des vérités (lorsque l’on dépasse
la simple observation), mais l’état des recherches à un moment donné (lorsque l’on lance des hypothèses explicatives pas forcement facilement vérifiables) : or elles peuvent se tromper (il n’y
a qu’à penser à la croyance que l’homosexualité était une maladie mentale par exemple pendant presque un siècle et demi en Occident par exemple – voir article 2). Tout ceci influe aussi sur
cette variable.
Mais bon, malgré cela, de manière générale, l’éducation des populations permet effectivement de faire progresser la tolérance de
l’homosexualité (c’est bien pour cela que le débat en France porte notamment sur la nécessité de la prévention de l’homophobie, notamment en milieu scolaire). Mais cela ne suffit pas. Il est
donc clair qu'il existe au moins un autre facteur explicatif de la tolérance de l’homosexualité en dehors de l’intensité de la foi religieuse et l’éducation. Lequel ? Qu’est-ce qui peut encore
faire reculer les préjugés homophobes en dehors de l’éducation ? Poursuivons l’enquête en formulant une nouvelle hypothèse.
On peut dire que bien souvent des gens ont des préjugés homophobes … alors qu’ils ne connaissent aucun homosexuel déclaré dans leur
entourage. Souvent, des personnes connaissant des homosexuels sont plus tolérantes envers l’homosexualité, car ils ont pu constater que les préjugés homophobes ne correspondaient pas à la
réalité. Alors, bien sûr, on peut nuancer ce propos en disant que cela n’est pas systématique. Certes. Mais il s’agit d’une tendance, non ? Sinon comment expliquer les mouvements qui affirment
que les coming-outs sont une bonne chose pour faire progresser les mentalités ? Que certains approuvent les outings pour faire progresser les mentalités à n’importe quel prix ? Que beaucoup de
gays et de lesbiennes en France se plaignent que peu de personnalités des médias, des arts ou du sport restent dans le placard ?
Et si, pour expliquer la progression de la tolérance de l’homosexualité, il fallait tenir en compte le niveau de visibilité des gays et des
lesbiennes dans la société, aussi bien dans la vie de tous les jours que dans les médias ? Cela parait d’une certaine évidence. Mais comment chiffrer ce facteur ? Là est le véritable problème.
A moins que…
La tolérance de l’homosexualité est en partie positivement liée avec la visibilité de l’homosexualité, ici symbolisé par
le niveau d’urbanisation.
Il n’existe pas à ma connaissance de statistiques permettant d’évaluer la visibilité de l’homosexualité dans les sociétés des pays du monde.
Mais on peut imaginer les conditions favorisant cette visibilité.
En France, beaucoup d’homosexuel(le)s rêvent de monter à Paris pour plus facilement vivre leur homosexualité. Pourquoi la ville, et tout
spécialement la très grande ville, permettrait de mieux vivre ses préférences sentimentales et sexuelles ? Parce que la très grande ville permet plus facilement l’anonymat. Dans les sociétés
traditionnelles rurales, chacun est observé et donc jugé par la communauté villageoise, d’où l’impossibilité de pouvoir exprimer son homosexualité dans un environnement homophobe. Par contre,
dans une société urbaine, même s’il peut exister aussi une grande homophobie en ville, les liens sociaux sont totalement différents. La multitude d’habitants ne permet pas le mode de
fonctionnement des sociétés rurales traditionnelles : chacun peut évoluer plus facilement en dehors du regard des autres. Moins de regards provoquent moins de jugements, et donc plus de
libertés d’agir et d’être, et donc plus de possibilité de visibilité. Cette visibilité peut prendre plusieurs formes : constitutions de quartiers homosexuels, mise en place de code de
reconnaissance ou d’appartenance (par la mode notamment), démonstrations d’affection en public (se tenir la main, s’embrasser en public), organisations de manifestations culturels ou politiques
homosexuelles comme les gayprides ou des festivals, et tout simplement coming-outs auprès de l’entourage hétérosexuel…
Cette visibilité traduit donc une affirmation de l’homosexualité, cette dernière pouvant, si elle atteint le stade de la majorité de gays et
de lesbiennes outés, renverser les préjugés homophobes et faire accroitre la tolérance de l’homosexualité.
Ainsi, si nous ne disposons pas à l’heure actuelle de statistiques mondiales sur la visibilité homosexuelle, ont peut imaginer que les
chiffres de l’urbanisation permettent indirectement et partiellement de la représenter. De plus, il ne faut pas oublier que la ville, et particulièrement la grande ville, permet plus facilement
de rencontrer des personnes ayant fait des études, notamment supérieures, ou tout simplement des personnes plus éclairées, ou anti-conformistes … ce qui peut permettre aussi de faire reculer la
foi religieuse (à un degré difficilement évaluable il est vrai à ma connaissance).
Le document 6 représente donc le lien entre urbanisation et tolérance de l’homosexualité. Cela semble probant. L’indice de corrélation
qui est de 0,73 semble le confirmer si nous ne nous sommes pas trompé d’hypothèse (rappelons que corrélation ne signifie pas causalité).
Ainsi, les sociétés les plus homophobes sont les sociétés encore majoritairement rurales, qui s’avèrent être les pays du monde
musulman et de l’Afrique subsaharienne, sans oublier l’Inde. Les pays de ces zones qui se dégagent de leur groupe, soit la Turquie et l’Afrique du Sud, ont
d’ailleurs justement des niveaux d’urbanisation et de tolérance envers l’homosexualité bien plus grands justement.
Il est par contre plus difficile d’interpréter les situations dans les sociétés urbaines, vu la multiplicité des situations : que de
variations du degré de tolérance de l’homosexualité à niveau d’urbanisation comparable ! N’ayant pas d’explication, il faut lancer de nouvelles hypothèses…
Nous avons dit que la visibilité homosexuelle pouvait s’accroitre avec l’urbanisation qui casse les modes de vie traditionnelle. Mais
qu’est-ce qui pourrait l’accroitre, ou la faire régresser, en dehors du mode de vie urbain ?
On peut formuler sans se tromper que si les autorités interdisent l’homosexualité, les gays et les lesbiennes seront plus discrets pour
éviter les foudres policières. Vivre une vie d’homosexuel est en effet bien plus difficile lorsqu’il existe une répression politique et policière. On peut se souvenir par exemple de
l’arrestation de cinquante-deux homosexuels en Egypte en 2001, ou de l’exécution de deux jeunes homosexuels en Iran en 2005, qui ont été largement médiatisés. Ainsi, si les gays et les
lesbiennes n’ont pas de libertés ni de droits, et si en plus ils sont persécutés, leur visibilité au sein de la société ne peut qu’être limitée. Inversement, s’ils ont des droits, il y a plus
de chances qu’ils soient plus visibles. Mais peut-on le vérifier ?
La tolérance et l’acceptation de l’homosexualité est en partie positivement liée à la démocratie et au respect des
libertés.
Document 7 : la législation sur l’homosexualité dans le monde en 2007.
Document 7 : world laws on homosexuality in 2007
Le document 7 ci-dessus représente les différentes législations concernant les homosexuels dans les différents pays du monde en 2007. Les
législations ont été regroupées en deux grandes catégories : « l’homosexualité légalisée » et « l’homosexualité illégale ».
Dans la catégorie « homosexualité légalisée », il existe une grande diversité de situations, allant de la simple légalité de
l’homosexualité mais sans aucune reconnaissance ou protection (voir avec de la répression), aux droits au mariage et à l’adoption, en passant par l’étape intermédiaire de la protection contre
les discriminations et les crimes homophobes.
On voit ainsi à partir de cette carte que l’Occident (en dehors d’une grande partie des Etats-Unis) et l’Afrique du Sud sont à la
pointe de la tolérance et de l’acceptation de l’homosexualité, puisque ces pays reconnaissent le plus souvent les couples homosexuels, soit sous la forme de l’union civile (comme le PaCS en
France par exemple), soit sous la forme du mariage (à l’heure actuel ouvert en 2007 aux homosexuels de cinq pays : les Pays-Bas,
la Belgique, l’Espagne, le Canada et l’Afrique du Sud, groupe auquel il faudrait ajouter comme sixième membre l’Etat du Massachussetts aux Etats-Unis).
Beaucoup accordent déjà même l’adoption, même si généralement cela concerne surtout l’adoption simple, c’est à dire l’adoption de l’enfant du
partenaire homosexuel : seuls en 2007 les Pays Bas, la Belgique, l’Espagne, Andorre (liée à l’Espagne), le Royaume-Uni, le Canada, l’Afrique du
Sud, et quelques Etats fédéraux des Etats-Unis et d’Australie accordent le droit à l’adoption par des couples homosexuels. Bien évidemment, les gays et les lesbiennes y sont aussi
protégés légalement des discriminations.
L’Europe centrale qui a intégrée l’Union Européenne, une partie des Etats-Unis, le Japon et une grande partie de l’Amérique latine ne
vont en règle générale pas aussi loin mais au moins protègent les gays et les lesbiennes des discriminations, et parfois leur accordent l’union civile.
Une grande partie de l’Afrique francophone, de l’Asie du Sud-Est et de l’Est, et de l’ancienne Union Soviétique se sont contenté de
légaliser l’homosexualité. Mais même si elle n’est pas condamnée officiellement pénalement, l’homosexualité continue d’être réprimée dans des pays comme l’Egypte, la Chine, la
Turquie ou l’Irak).
Dans la catégorie « homosexualité illégale », les pays condamnent généralement l’homosexualité à des peines de prison plus ou moins
longues, qui peuvent aller d’un an de prison à la prison à vie. Une minorité vont jusqu’à la peine de mort : la Mauritanie, les Etats du nord du Nigéria, le Soudan,
l’Arabie Saoudite, le Yémen, les Emirats Arabes Unis, l’Afghanistan et le Pakistan). Ces pays où l’homosexualité reste illégale se concentrent sur une grande
partie de l’Afrique, du Moyen Orient et de l’Asie du Sud, auxquels il faudrait rajouter quelques Etats bordant les Caraïbes et de l’Asie du Sud-Est.
Mais comment chiffrer des législations ? La solution vient par la notation selon des critères précis. C’est ce que fait annuellement
l’organisation américaine non gouvernementale « Freedom House », et là je cite en partie pour expliquer leur travail et leur méthode un article de l’Atlas du Monde diplomatique, dont la
vocation est d’évaluer les libertés politiques, civiles et religieuses dans le monde. Elle présente sur son site web (www.freddomhouse.org) les résultats de ses enquêtes annuelles sur la
situation des libertés dans 192 pays et 60 territoires autonomes ou sous tutelle. Chaque pays est passé au crible de nombreux indicateurs (élections libres, présence d’un parlement, liberté de
culte, liberté de la presse, etc..) pour chacun desquels elle donne deux notes entre 1 et 7 qui permettent de classer les pays en trois
catégories : libre pour les pays notés entre 1 et 2,5 (respect quasi-total des libertés publiques), partiellement libre pour les pays notés entre 3 et 5,5 (quelques
restrictions sur les libertés publiques,), et absence de liberté pour les pays notés entre 5,5 et 7 (non-respect des droits fondamentaux, système politique strictement
contrôlé).
Personnellement, nous avons fait pour chaque pays une moyenne des deux notes, la première portant sur les libertés politiques, la deuxième
portant sur les libertés civiles. Cela nous donne le résultat suivant.
Ce graphique nous permet de tirer deux enseignements.
Le premier enseignement de ce graphique est qu’il existe effectivement un lien entre démocratie et tolérance de l’homosexualité. Le
coefficient de corrélation est de - 0,66, ce qui est assez élevé. Ainsi il existe bien une corrélation positive entre le niveau de libertés démocratiques et la tolérance de l’homosexualité
: plus un pays évolue vers la démocratie, plus la tolérance de l’homosexualité est importante. A l’inverse, plus un pays tend vers la suppression des libertés démocratiques et plus la tolérance
de l’homosexualité est faible. Comment expliquer cela ?
Un pays démocratique accorde les libertés fondamentales d’opinion et d’expression à ses citoyens. De ce fait, ces derniers peuvent exprimer
leurs désaccords face aux préjugés et lois homophobes sans risquer la censure ou la répression. L’expression de ces désaccords permet la mise en place de débats qui font réfléchir la société
sur les problématiques de l’homosexualité, et peut à terme faire évoluer les mentalités. On peut le prouver avec l’exemple suivant : en 2000, le magazine Têtu avait commandité un sondage auprès
de l’institut de la SOFRES un an après l’adoption du PaCS pour en évaluer les effets auprès de la population (document 9).
Document 9
Le sondage, réitéré d’ailleurs en 2002, indique clairement qu’une majorité de la population considère que le PaCS a permis de faire avancer
les mentalités et de mieux faire accepter l’homosexualité dans la société (55% des sondés en 2000, 59 % en 2002). Mais en fait ce n’est pas le PaCs en lui-même qui a fait progresser les
mentalités : ce sont les débats qui l’ont précédé. Débats entre les politiques bien sûr, mais surtout entre les citoyens. Car on pouvait parler à l’époque de débat national, largement relayé
dans les médias. Et ce sont les débats, les échanges d’arguments, qui permettent de démolir véritablement les préjugés auprès d’un nombre important de personnes. Ce qui a été en partie fait à
ce moment-là.
Les effets sont bien évidemment multipliés par le degré de médiatisation des débats. Or justement ceci ne peut être possible que grâce au
respect de la liberté de la presse et des médias. Les effets peuvent être aussi accélérés grâce au respect des libertés de réunion et d’association : en effet, les gays et les lesbiennes
peuvent eux-mêmes amorcer les débats de manière bien plus efficace grâce aux associations, aux partis politiques. Le respect de la liberté de manifestation permet aux gays et aux lesbiennes,
grâce aux gayprides, de revendiquer de manière visible leurs revendications. Le pluralisme politique peut permettre aussi d’accélérer les débats, car la compétition politique engendre une
volonté de se démarquer des autres partis pour récolter des votes (c’est ce qui se passe actuellement en France par exemple).
A l’inverse, dans une dictature, toute opinion divergente, toute contestation, est censurée voir réprimée. Et l’absence d’opposition et donc
de pluralisme politique favorise l’inertie des débats, lorsqu’il y en a.
Le deuxième enseignement de ce graphique est qu’il est désormais plus facile d’expliquer l’homophobie dans les pays musulmans ou africains :
ces pays ne sont pas des démocraties. Là est, en plus de la forte ruralité (document 6), la principale explication des très mauvaises conditions de vie des gays et des lesbiennes dans ces
sociétés. Le problème n’est pas la religion mais la conservation de modes de vie rurale traditionnelle et la confiscation du pouvoir par une élite qui favorise indirectement l’inertie de la
société. La France absolutiste du XVIIème siècle était dans la même situation !
Pour conclure cette deuxième partie :
Non, non, non, le problème dans la persistance de l’homophobie n’est pas la religion. Rappelons que la science peut être tout aussi néfaste,
comme au temps où la médecine considérait l’homosexualité comme une maladie mentale. L’important à étudier dans l’homophobie n’est pas son origine (religieuse, naturaliste, médicale, libérale,
etc…) mais son degré d’imprégnation dans les mentalités des sociétés.
Aussi, le problème de la persistance de l’homophobie doit être expliqué par un ensemble de facteurs qui favorisent la persistance des
mentalités homophobes. Trouver ses facteurs peuvent permettre pour le coup d’expliquer la progression de la tolérance et de l’acceptation des gays et des lesbiennes dans une société comme celle
de la France.
Pour l’instant, nous pouvons donc dire qu’une faible scolarisation (qui ne permet pas de remettre en cause les préjugés, qu’ils soient
d’origines religieuses, médicales, libérales, etc..), une faible urbanisation (qui ne permet pas la constitution de communautés homosexuelles et donc ne favorise pas leur visibilité), et un
régime politique anti-démocratique (qui peut ne pas permettre ni la remise en cause des préjugés, ni favoriser la visibilité homosexuelle) sont les trois grands facteurs qui expliquent la forte
homophobie dans une société. C’est le cas de nombreux pays du monde musulman et d’Afrique subsaharienne, du sous-continent indien, et de l’ancien monde soviétique.
A l’inverse, nous pouvons dire qu’une forte scolarisation (qui eut permettre de remettre en cause les préjugés de toutes sortes), une forte
urbanisation (qui peut permettre la constitution de communautés d’homosexuels et donc favoriser leur visibilité) et le respect des principes démocratiques (qui peuvent permettre de remettre en
cause les préjugés homophobes et de favoriser la visibilité homosexuelle) sont les trois grands facteurs qui expliquent la faible homophobie dans une société. C’est ce que l’on constate en
Occident.
On peut considérer que les niveaux intermédiaires de tolérance de l’homosexualité sont présents dans des pays en « transition d’acceptation
de l’homosexualité ». Leurs écarts à la corrélation peuvent s’expliquer par des évolutions parfois divergentes de ces trois facteurs. Un retard dans la « transition d’acceptation de
l’homosexualité » peut alors s’expliquer par le non respect des règles démocratiques comme en Russie ou en Ukraine, ou par une encore faible scolarisation jusqu’au niveau universitaire comme
dans de nombreux pays d’Amérique latine ou les Philippines, ou par une plus faible visibilité des communautés gays et lesbiennes suite à une urbanisation encore insuffisante comme en
Slovénie.
De plus, il ne faut pas oublier que des variables peuvent perturber ces facteurs, héritages de leurs choix politiques et économiques, de
leurs structures sociales, de leur histoire. Ainsi, par exemple, les Etats-Unis ont une tolérance de l’homosexualité relativement faible (51 %) car malgré le haut niveau d’instruction de la
population, la foi religieuse reste de haut niveau à cause de la concurrence des différentes Eglises. Ce marché de la foi, désigné par la théorie « de l’économie de l’offre », stimule la
dévotion (voir dans le Courrier International Hors Série numéro 19 consacré à la religion l’article d’Eduardo Porter, « La foi, c’est affaire d’offre et de demande », p. 51).
Quoiqu’il en soit, nous pouvons désormais dire que la progression de la tolérance de l’homosexualité en France s’est fait en grande partie
depuis que la France est devenue un pays majoritairement urbain, qualitativement instruite, et réellement démocratique (saviez-vous que l’organisation Freedom House n’a donné à la France la
note maximale pour le respect des libertés civiles qu’à partir de 2002 ?).
Dans notre prochain article, nous expliquerons comment influer sur ces facteurs en proposant un modèle théorique de la « transition vers
l’acceptation de l’homosexualité » dans une société et une méthode pour la mesurer.
Petite bibliographie
Les sondages
* L’enquête sur « Que pense le monde en 2002 ? » de Pew Global.
Regarder les questions 39 et 40 sur la foi religieuse et la tolérance de l’homosexualité
http://pewglobal.org/reports/pdf/185topline.pdf
* Le sondage de l’IFOP sur l’adhésion à l’opinion « L’homosexualité est une manière acceptable de vivre sa sexualité » (France 2006) – voir
p. 32 :
http://www.lesechos.fr/medias/2007/0206//300139765.pdf
* Le sondage de la SOFRES sur l’adhésion à différentes opinions sur le PaCS commandé par Têtu (France 2000 et 2002)
http://www.tns-sofres.com/etudes/pol/200202_sexualite_r.htm [/b]
[b]Les statistiques
* Le rapport mondial sur le développement humain, édition 2004.
Ce rapport donne les statistiques mondiales de 2002. Regarder les statistiques sur l’urbanisation, la scolarisation.
http://hdr.undp.org/reports/global/2004/francais/pdf/hdr04_fr_HDI.pdf
* Pour connaitre le taux de scolarisation net dans l’enseignement supérieur en 2002-2003, il vaut mieux consulter les rapports de l’UNESCO
:
http://portal.unesco.org/education/fr/file_download.php/984285dc04a7209458bb243f47b8f0e49participationtertiaryed.pdf
* Les évaluations annuelles de l’organisation Freedom House pour noter le niveau de respect des principes démocratiques des pays du monde est
consultable ici :
http://www.freedomhouse.org/uploads/fiw/FIWAllScores.xls
Les législations des pays du monde sur l’homosexualité
* le site d’Answer.com (en anglais mais très complet)
http://www.answers.com/topic/homosexuality-laws-of-the-world
* Le site de Swissgay.ch (en français – qui détaille un peu mieux les législations sur les unions homosexuelles et l’adoption, mais n’est pas
aussi bien mis à jour que le site précédent)
http://www.swissgay.ch/html/body__out_rage.html
Commentaires