Cinquième article de la série consacrée à la place des gays et des lesbiennes dans la
société française. Cet article formule une théorie pour comprendre comment lutter contre l'homophobie. Par notre collaborateur : Kim, 31 ans.
A partir de ce que nous avons dit dans les deux articles précédents, nous pouvons désormais proposer un modèle théorique des facteurs pouvant
expliquer la progression de l’acceptation de l’homosexualité dans une société (ou au contraire le maintien d’une forte homophobie). Elle n’est applicable bien sûr que si l’homophobie a existé
ou existe dans la société étudiée. On peut considérer qu’il existe trois catégories de facteurs : le degré des droits et libertés dont disposent les gays et les lesbiennes accordés par le pays,
le degré des mentalités de la population de ce pays sur l’homosexualité, et les communautés gays et lesbiennes elles-mêmes qui doivent se caractériser par leur degré de visibilité. Chacun
influe sur le degré d’acceptation de l’homosexualité dans un pays et par ricochet sur les deux autres facteurs. Ils sont donc tous interdépendants : en effet, seul un ensemble de facteurs
systémiques, c'est-à-dire reliés et dépendants les uns des autres, peut expliquer un phénomène si complexe.
Chaque facteur explicatif est lui-même le résultat de plusieurs composantes.
Le degré de droits et de libertés dont disposent les populations homosexuelles dépend des droits et libertés fondamentales accordées par
l’Etat : ceux favorisant le débat pour confronter les préjugés à la réalité (libertés d’opinion, d’expression, liberté de la presse), ceux favorisant la revendication de l’accord de droits vers
l’égalité (libertés de réunion, d’association et de manifestation), et ceux favorisant l’extension du débat et des revendications d’une minorité à l’ensemble d’une société (pluralisme politique
et souveraineté nationale).
Le degré de visibilité des gays et des lesbiennes dépend de facteurs individuels (proportion de gays et de lesbiennes affirmées et outées),
communautaires (avec notamment l’inscription spatiale de quartiers gays dans la ville) et médiatiques (l’homosexualité est représentée dans la culture de masse par sa présence dans les
médias).
Le degré des mentalités de la société sur l’homosexualité dépend bien sûr du degré de connaissances sur l’homosexualité (un péché ? une
anomalie de la nature ? une maladie ? un exemple de diversité ? innée ? une forme de sexualité innée ou acquise ou les deux ? tous des « folles » ? des gens comme tout le monde ? peuvent-ils
élever des enfants ? etc..). L’ignorance est d’ailleurs la base de l’existence de l’homophobie quand même. Si les mentalités sont progressistes, ou s’il existe une confrontation entre idées
traditionnalistes homophobes et idées plus progressistes, alors, cela peut permettre l’évolution du degré des mentalités sur l’homosexualité, si cela est combinée avec une scolarisation
importante et un programme scolaire adaptée soit pour permettre l’acquisition d’une culture scientifique, de la maitrise de l’argumentation et de la rationalité, voir la mise en place de
prévention contre l’homophobie.
Tout ceci est représenté schématiquement sur le document 1 ci-dessous.
Document 1
Il existe toutefois des variables qui peuvent perturber le modèle théorique de transition vers l’acceptation de l’homosexualité.
Il y a tout d’abord l’intensité de la foi religieuse (si elle est élevée) qui peuvent fausser l’état des connaissances sur l’homosexualité
transmises à la population : c’est ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis par exemple, où la foi religieuse est encore importante, à tel point par exemple que fait rage le débat entre
créationnisme et darwinisme, c’est dire. C’est pour cela que l’homophobie y est plus importante que de ce côté-ci de l’Atlantique. Il ne faut pas négliger l’état des connaissances scientifiques
sur l’homosexualité (si elles sont fausses ou désuètes) qui peuvent aussi fausser les opinions de la population : c’est ce qui se passait en France il y a 40 ans lorsque l’homosexualité était
considérée comme une maladie (il en reste d’ailleurs encore des résidus de cette croyance même aujourd’hui...)
Il y a aussi le degré d’urbanisation, qui est le facteur nécessaire à la création de communautés homosexuelles, favorisant ainsi leur
visibilité. C’est ce qui explique pourquoi la dépénalisation de la sodomie (et donc de l’homosexualité) en France en 1791 n’a pas pu transformer en profondeur les mentalités, car cela fut fait
au moment où le pays était encore essentiellement rural, et où seule une minorité était instruite (quand on vous dit que la France était en avance sur son temps…).
Et il y a bien évidemment le régime politique de l’Etat : une dictature accorde un degré faible ou nul de droits politiques et de libertés
civiles à ses citoyens. Voilà pourquoi les sociétés homophobes sont le plus souvent celles vivant sous une dictature, comme nous l’avions constaté dans notre article précédent.
On constatera au passage que ces trois variables de perturbation au modèle peuvent être influées en partie par le niveau de vie de la
population : en effet, la transition de la pauvreté vers un haut niveau de vie influe sur le niveau d’instruction de la population (les parents n’ont plus un besoin vital d’envoyer leurs
enfants travailler pour rapporter de l’argent au foyer au lieu d’aller à l’école), et favorise, même si ce n’est pas systématique, la décrue de la foi religieuse (le confort matériel et les
meilleures conditions de vie réduisent les occasions de se tourner vers Dieu) et la transition démocratique (c’est le cas actuellement des Nouveaux Pays Industrialisés). Aider un pays à se
développer favoriserait donc indirectement l’acceptation de l’homosexualité par sa population.
Ceci peut se démontrer à l’aide de la mise en corrélation entre niveau de vie et tolérance de l’homosexualité (document 2) : le coefficient
de corrélation entre revenu par habitant et tolérance de l’homosexualité est en effet de 0,72 !
Mais vous allez me dire : il manque quelque chose, on sait tous que l’homophobie est liée au sexisme ! Plus une société est sexiste, plus
elle est homophobe ! Et inversement. Alors pourquoi ne pas en parler ? Nous ne nions pas que le fait de rendre une société moins sexiste facilite de rendre une société moins
homophobe.
Mais en fait, le sexisme n’est ni plus ni moins que le résultat d’un manque de démocratie et d’un ensemble de préjugés sexistes (les femmes
ne peuvent pas voter, elles n’y connaissent rien en politique voyons, leurs rôles et de s’occuper du foyer, de la famille ; elles ne sont pas capables de faire les mêmes choses que les hommes,
elles sont inférieures, etc…). Le sexisme et l’homophobie sont donc à mon sens liés non parce que l’un conduit à l’autre mais parce qu’eux deux ont les mêmes origines (la prédominance du
machisme due par un déficit démocratique et une méconnaissance de ce qui n’est pas un homme hétérosexuel) ! L’homophobie est donc plus un problème de manque de connaissance et de déficit
démocratique plus que de machisme, même si c’est ce dernier qui peut expliquer en partie ces méconnaissances et ce déficit démocratique.
Mais il est vrai que le poids des préjugés est plus fort dans l’homophobie que dans le sexisme car l’un des préjugés sur les homosexuels est
quand même que ce sont des « hommes qui font les femmes » (sic), et que donc les préjugés sexistes et homophobes sont corrélés.
Bon, alors, ce modèle, comment ça marche ?
On peut partir de n’importe quel facteur du modèle pour que celui-ci influe sur les autres facteurs.
Ainsi, par exemple, si l’Etat accorde un degré de droits et de libertés faible aux populations homosexuelles, ces dernières se feront
discrètes ou invisibles. Cette invisibilité rend impossible le renversement des préjugés homophobes de la société car il n’y a aucune confrontation entre les préjugés et la réalité. L’inertie
des préjugés homophobes facilite dès lors le maintien de lois répressives homophobes. C’est ce qui se passe par exemple en Iran (qui a été noté 6/7 par Freedom house) où ont été exécutés deux
jeunes homosexuels en 2005..
A l’inverse, si l’Etat accorde un degré de droits et de libertés élevé aux populations homosexuelles, ces dernières peuvent se faire plus
visibles. Cette visibilité rend dès lors possible la confrontation des préjugés homophobes avec la réalité, permettant le renversement de ces préjugés si les résistances ne sont pas trop
fortes. C’est ce qui se passe actuellement en Afrique du Sud, favorisé il est vrai par des conditions favorables que sont un niveau de développement (favorisant le niveau d’instruction des
Sud-africains) et d’urbanisation (favorisant le communautarisme) plus élevé que sur le reste du continent africain.
Une forte visibilité des gays et des lesbiennes peut faire augmenter le degré de droits et libertés accordés par l’Etat et le degré des
mentalités sur l’homosexualité. C’est ce qui se passe actuellement au Royaume-Uni. La forte visibilité de l’homosexualité, notamment médiatique, aura donc précédé la conquête de l’union civile
et du droit à l’adoption et influée sur les mentalités pour conduire à moins d’homophobie. On peut considérer que la France aussi se situe dans ce cas de figure, les mentalités ayant beaucoup
évoluées avec la dépénalisation de l’homosexualité en 1981 et avec le vote du PaCS en 1999.
En théorie, un haut degré d’acceptation de l’homosexualité influe sur la législation : après tout, pourquoi mettre en place des lois
homophobes si personne ne se plaint de l’homosexualité ? Ainsi une population sensibilisée à l’homosexualité et à l’homophobie refuse les lois homophobes et approuvent les lois vers l’égalité
entre hétérosexuels et homosexuels. Toutefois, et c’est que nous allons montrer plus loin, en règle générale, les mentalités sont en retard par rapport aux autres facteurs…
Pour le prouver, il va falloir évaluer, chiffrer chaque facteur. C’est ce que nous allons faire dans notre prochain article.
Pour conclure :
Vous voulez combattre l’homophobie ? Il faut dans ce cas agir sur les différents facteurs de la théorie de la transition vers l’acceptation
de l’homosexualité dans une société.
Si vous voulez combattre l’homophobie dans le monde, en plus d’aider ponctuellement les cas d’homophobie (manifester contre une condamnation
à mort ou un procès par exemple), il faut agir sur les freins du modèle. Il faut donc agir pour favoriser le développement économique et la transition démocratique des pays en question. Que les
politiques entendent ce message…
Et si vous voulez combattre l’homophobie en France, il faut :
- augmenter le degré des mentalités en influant sur le contenu des enseignements, par exemple par l’éducation à la prévention de
l’homophobie, par l’incorporation de l’homosexualité dans les enseignements pour briser l’hétérocentrisme (sans forcément aller jusqu’aux gay studies, un simple énoncé de maths avec Paul et
Mouloud au lieu de Paul et Julie, une étude d’un roman, ça peut le faire quand c’est bien fait) – allez les profs, un peu de courage, et si l’Education Nationale pouvait s’y mettre aussi, cela
ne serait pas plus mal ;
- augmenter le degré des droits et des libertés des gays et des lesbiennes en militant à une échelle plus ou moins grande. Si vous n’avez pas
envie d’adhérer à un parti politique ou une association luttant contre l’homophobie, manifestez au moins à la marche des Fiertés pour vous faire entendre ! Ce n’est qu’une fois par an, et c’est
amusant alors … Ah sinon, il y a toujours le vote (c’est d’actualité) ;
- augmenter le degré de visibilité des gays et des lesbiennes dans la société. Il s’agit déjà d’une part désormais de plus améliorer
qualitativement qu’augmenter la présence de l’homosexualité dans les médias. Encore que si les personnages médiatiques homosexuels pouvaient enfin tous sortir du placard, cela serait bien. Mais
hors de question de ne compter que sur eux, hein : car vous aussi, en faisant votre coming-out, vous contribuer à faire évoluer positivement le modèle vers plus d’acceptation de l’homosexualité
dans la société.
Bref, vous l’aurez compris, il n’y a pas de petits combats. Même vous, à votre échelle, pouvez faire quelque chose. Alors faites-le
!
Bibliographie :
* statistiques sur les revenus par habitant : rapport mondial sur le développement humain, édition 2004 (déjà cité)
http://hdr.undp.org/reports/global/2004/francais/pdf/hdr04_fr_HDI.pdf
* sondage sur la tolérance de l’homosexualité dans le monde : sondage de Pew Global (déjà cité)
http://pewglobal.org/reports/pdf/185topline.pdf
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