Accueil

Ensembles-copie-1.jpg
pedeblog_kek_logo2.png
Blog LGBT du rédac' chef :
Daniel Conrad

twitter_logo_header.png

Daniel Hall


secondé par :

Gérard Coudougnan


L'équipe des "piliers" en exclusivité
ou en reprise autorisée :

Jean Yves
, Bernard Alapetite, Zanzi, Neil, Kim,
Matoo, Mérovingien02, Juju, Chori,
Shangols, Boris Bastide, Stéphane Riethauser,
 
Niklas,
Robert Wagner,
 Jag1366, Hari3669, Maykel Stone,
Marc-Jean Filaire,
Isabelle B. Price, Psykokwak,
Rémi Lange
, Henry Victoire, Didier Roth-Bettoni
et
BBJane Hudson...

Mais aussi, depuis, Cyril Legann,
Gérard Coudougnan (Livres), Voisin Blogueur,
Nicolas Maille, Sullivan Le Postec, Vincy Thomas,
Jann Halexander, Tom Peeping
, Lucian Durden,
Papy Potter, Nico Bally, Marie Fritsch,
Sir Francisco, Laurent Fialaix
et Hugo Rozenberg.

Special Guest Star : Philippe Arino.

Un grand merci à Francis Moury,
Olivier Nicklaus et à
Yann Gonzalez.
Et en special guest star gay-friendly... Dr Orlof !


et bien d'autres depuis le début et d'autres à venir...

Ce blog est partenaire de

Dreampress.com

Avec l'aide graphique de

Calendrier

Avril 2024
L M M J V S D
1 2 3 4 5 6 7
8 9 10 11 12 13 14
15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28
29 30          
<< < > >>

Recherche

W3C

  • Flux RSS des articles

POUR SURFER SUR CE BLOG...

Les Toiles Roses  est un blog collaboratif, indépendant et bénévole optimisé pour Mozilla Firefox (cliquer ici pour le télécharger)

TOUTES LES CRITIQUES DE FILMS : ICI
LES CRITIQUES DE LIVRES (Gérard Coudougnan) : ICI
Nos chroniques vedettes : Zanzi and the City (Zanzi), Et les filles alors ? (Isabelle B. Price),
Derrière les masques : Homollywood (Marc-Jean Filaire),
Merci Bernard (Bernard Alapetite),
Le Bazar de l'Homo Vincy (Vincy Thomas),
L'Histoire de l'homosexualité,
Dans l'ombre de Jann Halexander (Jann Halexander), Spécial Abdellah Taïa (Daniel C. Hall),
La Crypte aux gays (BBJane Hudson), Certains l'aiment camp (Tom Peeping),
 
Le Chaudron rose (Papy Potter), Petits Contes Dark-en-ciel (Nico Bally),
Marie de traverse (Marie Fritsch), Spécial Salim Kechiouche, Si j'étais homo ou hétéro...,
Spécial Stonewall, 40 ans, La gâterie du chef (Daniel Conrad Hall), La Garac'Ademy (Jean-Louis Garac)
A tort ou à travers (Laurent Fialaix), Rencontres de tous les types (Hugo Rozenberg),
 
Le Phil de l'araignée (Special Guest Star : Philippe Ariño),
Dossier et chronique-soutien
à l'association "Le Refuge" (Daniel C. Hall).

Venez rejoindre la rédaction, les lectrices et lecteurs sur le groupe Facebook :
http://www.facebook.com/group.php?gid=61890249500#/group.php?gid=61890249500

Derrière les masques :


FURYO (1983) de NAGISA OSHIMA
ou L'ORDRE militaire À l'ÉPREUVE DE L'HOMOSEXUALITÉ

 

Un film analysé et décrypté par
Marc-Jean Filaire

Enseignant en Lettres modernes à l’université de Nîmes

 

 


Fiche technique :
Avec David Bowie, Tom Conti, Ryuichi Sakamoto, Takeshi Kitano, Ja
ck Thompson, Johnny Okura et Alistair Browning. Réalisé par Nagisa Oshima. Scénario de Nagisa Oshima et Paul Mayersberg. Directeur de la photographie : Toichiro Narushima. Compositeur : Ryuichi Sakamoto.

Durée : 122 mn. Disponible en VO et VOST.



 


Comment est exploitée l’image de l’hypervirilité militaire ?

Traditionnellement, le monde militaire se caractérise comme un monde d’hommes par son absence de femmes, bien qu’elles puissent parfois apparaître aux marges de cet univers en tant que cantinières dans les films historiques, ou plus couramment comme prostituées, mais quasiment jamais dans les rangs des soldats. Quant aux victimes des abus sexuels, le cinéma préfère le plus souvent rester elliptique. Néanmoins, l’exclusion militaire des femmes qui suppose une réduction de l’activité sexuelle courante n’induit pas la réduction du désir sexuel des hommes. Le contexte crée donc une situation dans laquelle le désir est détourné vers des objets masculins. Le film Furyo s’ouvre sur une situation de crise dans un camp japonais basé à Java en 1942 : un soldat coréen est puni pour le viol d’un prisonnier hollandais. Pourtant, la victime explique que pendant les trois jours précédant l’agression, le Coréen était gentil et s’occupait de lui changer ses pansements. L’espace militaire a ainsi transformé un homme en criminel, métamorphosant son énergie à rendre la vie en une force destructrice. L’hypervirilité, dont se targue le monde soldatesque, s’affirme dans la violence et par l’humiliation du vaincu. La violence se fait alors garantie de la masculinité, mais garantie incertaine et temporaire, toujours reconduite et jamais définitive. Il semble qu’être un homme soit perpétuellement à prouver par des actes où s’affirment la domination et le rejet de tout ce qui pourrait s’assimiler au féminin ; et en l’absence des femmes, victimes culturellement désignées de la violence guerrière, les hommes, notamment des prisonniers de guerre en situation d’humiliation politique, sont des proies tout aussi valables.



Pour répondre aux attentes de l’image puissante de l’homme soldat, il convient d’avoir un physique dont la puissance est visible : le corps du soldat se définit par une imagerie cinématographique figée, et l’excellence ne peut peut venir que d’un corps aux proportions supérieures à celles du commun. On peut penser aux acteurs qui ont multiplié les images de combattants, il n’en est guère de petit et de fluet : Arnold Schwarzenneger, Sylvester Stallone, Jean-Claude Van Damme, Clint Eastwood... Les apparences extérieures deviennent une garantie de la virilité. En choisissant David Bowie pour jouer Jack Celliers, Nagisa Oshima se met délibérément en porte-à-faux avec l’image héroïque du soldat, d’autant plus que l’image de la rock star est marquée par le personnage androgyne de Ziggy Stardust qu’il a interprété au début des années 70. Le fait que le personnage intrépide, voire téméraire, de Celliers n’ait pas un corps à forte musculature ne le rend pas moins érotique et la scène au tribunal le prouve : pour montrer qu’il a été maltraité, le major défait sa chemise et donne à voir son dos nu balafré de cicatrices, le jeune capitaine Yonoi en est visiblement troublé. Le refus d’une image convenue de soldat héroïque dit assez combien le film interroge la définition de la masculinité.

Dans le cadre militaire, essayer de cerner les limites de la virilité signifie comprendre comment les hommes se situent par rapport à la violence. John Lawrence, en tant que médecin, s’y refuse complètement et ne se laisse entraîner par elle que poussé par la fatigue et le désespoir. En revanche, le sergent Hara s’adonne à des comportement brutaux parfois de façon absolument gratuite, comme lors de la première image d’agressivité du film, lorsqu’il frappe un officier anglais ; de plus, il accuse les Anglais de faiblesse dans des situations où, en tant que Japonais, il considère que le suicide est la seule issue honorable et les considère tous comme des « pédés ». Entre Lawrence et Hara, Celliers occupe une posture ambivalente : si la violence se présente, il n’a aucune peine à riposter, mais à d’autres moments il affiche un comportement ouvertement pacifiste ; lorsqu’un soldat l’attaque de nuit dans sa cellule, il se défend comme il le faisait déjà enfant pour protéger son petit frère, mais il tend une fleur au capitaine Yonoi ou l’embrasse lorsqu’il cherche à protéger la vie d’autres prisonniers. Ainsi, se dessine une nouvelle forme d’héroïsme guerrier qui englobe tout autant des valeurs traditionnelles machistes qu’une inversion de ces valeurs par des attitudes considérées comme féminines. Une telle subversion de valeurs est amplifiée par l’ambiguïté érotique que suscite le jeune capitaine japonais.


furyoP8.jpg

 
Comment l’homosexualité se manifeste-t-elle dans l’armée ?

Les relations entre l’armée et l’homosexualité sont complexes car la coexistence d’hommes dans un état de promiscuité constant nourrit un homoérotisme évident et inévitable. Cependant, une telle pratique charnelle ne peut être ouvertement admise sans remettre en cause le fonctionnement ancestral du corps militaire. L’un des dialogues entre Lawrence et Hara fait apparaître la posture paradoxale de refus apparent et de tolérance discrète que le sergent japonais assume : « Tous les Anglais sont pédés [...] Vous avez tous peur des pédés. Un samouraï n’en a pas peur » ; à cela le médecin répond : « La guerre renforce l’amitié entre les hommes. Mais tous les hommes ne deviennent pas pédés », ce qui laisse comprendre que sous l’appellation d’amitié l’homosexualité trouve une forme d’existence tacite. Il convient, en outre, de ne pas rendre publiques ces pratiques érotiques car l’humiliation est de rigueur quand la divulgation s’est produite. Ainsi, Lawrence demande à ce que Hara déplace le Hollandais après son agression. Notons que la notion de viol est ici incertaine et qu’elle cache peut-être plutôt une relation homosexuelle entre prisonnier occidental et geôlier asiatique ; en effet, on ne sait comment interpréter la phrase de Hara (« Un prisonnier qui s’est laissé violer ») ni les regards que s’échangent le Coréen et Karel De Jong, ni même le suicide de celui-ci lors du seppuku de celui-là. Y avait-il une relation amoureuse entre les deux hommes ? L’accusation de viol ne dissimule-t-elle pas l’homosexualité, inacceptable lorsqu’elle sort de l’ombre ? Il est impossible de trancher définitivement et l’incertitude demeure.

Ainsi, l’ambiguïté plane perpétuellement sur le tabou de l’homosexualité et instaure un discours des plus paradoxal. Le discours officiel est caractérisé par le désaveu, la désapprobation et la condamnation, ce qui se retrouve dans la décision de Yonoi qui officialise le suicide du possible violeur mais aussi dans les blagues potaches des prisonniers lorsqu’on annonce que « le colonel Lawrence va passer quelques nuits » dans le baraquement de l’infirmerie : des sifflets évocateurs et la remarque « Il en serait pas ? » accompagnent la nouvelle, avant qu’un autre commentaire s’ajoute à celui-ci (« Vous voulez mes gants de boxe ? ») et confirme le rapport étroit qu’entretiennent sexualité et brutalité dans le cadre militaire. En être signifie automatiquement être un homosexuel passif qui doit se défendre contre des non-homosexuels actifs, lesquels abusent nécessairement de leur puissance. À aucun moment il n’est question de sentiment amoureux entre les prisonniers ; s’il existe, il ne peut être que tu et dissimulé. Le malaise qui se lit sur le visage de Karel De Jong après ces blagues est soit dû au souvenir de son agression soit peut-être aussi au sentiment amoureux, inavouable en ce contexte, qui le liait à son gardien coréen.

Seul ce qui réfère à la sexualité peut donc être mis en mots sous la forme de la condamnation officielle ou humoristique, les sentiments sont, quant à eux, relégués au silence et à l’inavouable. Le capitaine Yonoi se trouve ainsi pris au piège de ce qu’il ne peut pas dire mais que tous comprennent néanmoins : son désir pour Jack Celliers est inenvisageable officiellement puisqu’il romprait l’ordre hiérarchique et ethnique qui impose la séparation entre prisonniers et geôliers, entre Japonais et non-Japonais. La frontière entre les deux mondes est donc mise à mal par la provocation de Celliers et le désir de Yonoi, lesquels bouleversent les valeurs fondatrices de l’armée.



Comment l’homosexualité remet-elle en cause les valeurs et l’ordre militaires ?

L’ordre militaire repose sur certaines valeurs qui sont, dans Furyo, représentées principalement par le très aristocratique capitaine Yonoi. Dans son comportement, on retrouve les vertus du samouraï fondées sur le bushidô (« voie des guerriers ») ; il est à la fois courageux, honnête respectueux et bienveillant, selon la définition de Louis Frédéric dans Le Japon Dictionnaire et civilisation (Éd. Robert Laffont, 1996). En tant que chef de camp, il n’abuse ni de son pouvoir ni de ses prérogatives tant qu’il est lui-même respecté par les prisonniers. Sa clémence à l’égard de Celliers entraîne des mouvements d’insubordination car il offre alors aux yeux de tous l’image d’un chef affaibli par ses sentiments. Il incarne les valeurs d’un monde héroïque qui n’a plus guère de place dans la réalité du XXe siècle et qui, avec le second conflit mondial, connaît son chant du cygne, entamé en 1868 avec l’avènement de l’ère Meiji. À la fin du film, il est remplacé par un officier qui se dit moins « sentimental » et qui intervient alors que Yonoi est en train de perdre le contrôle de lui-même et du camp : son dernier acte en tant que commandant du camp est d’imposer à tous les prisonniers un rassemblement, qui entraîne la mort d’un blessé, et il veut exécuter en public le plus gradé d’entre eux parce que celui-ci refuse de lui fournir des informations et donc de trahir sa cause, acte que le code de valeurs de Yonoi devrait considérer comme respectable ; par ces actes, Yonoi est en train de porter atteinte à ses propres valeurs de droiture morale. On peut s’étonner qu’après l’humiliation de son renvoi, il ne choisisse pas le suicide ; Nagisa Oshima s’en explique : « Il n’a pas pu faire hara-kiri parce que, à cause [du geste de Celliers], tout son système de vision du monde s’est effondré, donc la référence au seppuku a disparu » (« Entretien avec Nagisa Oshima », propos recueillis par Bertrand Philibert in « Samouraï », no 9, et cités dans L’Homosexuaité à l’écran, 1984).


furyoP6.jpg


Cependant, une autre réaction de Yonoi peut paraître inattendue : après avoir fait enterrer Celliers jusqu’au cou et en plein soleil, il va, de nuit, couper une mèche de cheveux du rebelle et il salue militairement celui qui a causé sa dégradation. En 1946, quatre ans plus tard, on apprend qu’avant de mourir exécuté il a demandé à Lawrence de consacrer cette mèche sur son propre autel. Il semble reconnaître ainsi à la fois son amour pour Celliers et les qualités de celui-ci : serait-ce une manière d’accepter la fin historique de son propre idéal chevaleresque ? L’homosexualité est ainsi pour ce personnage un danger réel, qui porte un coup fatal à l’ordre recherché dans le bushidô et qui, en même temps, le garantit comme idéal absolu de loyauté des amants l’un envers l’autre, la mort du second étant l’acte amoureux ultime. Le fait que Yonoi ne survive pas à la guerre se comprend comme un suicide lent qui lui permet d’être à nouveau en adéquation avec son idéal tout en étant fidèle à Celliers. Il n’était pas rare qu’à la mort de son amant un samouraï choisisse le seppuku pour ne pas lui survivre. Le suicide de Karel De Jong répond certainement au même ordre de valeur.

Le monde de l’armée est présenté par Nagisa Oshima comme un espace où l’humanité des hommes est en danger et où la beauté du monde ne peut être que flétrie à jamais. Le long flash-back relatif au jeune frère de Celliers est une allégorie de l’amour homosexuel victime de la violence des institutions exclusivement masculines (armée, collège). L’ange atrophié à la voix céleste a les ailes brisées par un bizutage humiliant qui le rend définitivement silencieux : la scène de déshabillage qui révèle sa malformation dorsale n’est qu’une scène de viol collectif déguisée, tout comme la fraternité dissimule un sentiment d’amour homosexuel. En se sacrifiant pour sauver l’officier qui veut tuer Yonoi, Celliers se rachète de n’avoir pas secouru son frère au risque de perdre sa popularité, comme si le fait de se montrer embrassant le capitaine japonais, même sans l’aimer, lui offrait l’occasion d’accepter publiquement une homosexualité qu’il avait rejetée lorsqu’elle était amour pour son frère. Par delà la mort, le couple de Celliers et Yonoi, se retrouve uni dans le sacrifice amoureux tout en renvoyant au monde de la violence guerrière la responsabilité de la destruction des plus belles âmes.

Retour à l'accueil

Catégories

Contact - C.G.U. - Signaler un abus - Articles les plus commentés