Le billet apériodique de Didier Roth-Bettoni
Enjeux de mémoire
Discussion il y a quelques jours avec Olivier Ducastel et Jacques Martineau, un peu désespérés de la difficulté pour leur film, Nés en
68, à trouver son public, notamment du côté gay, comme si le triangle rose d’Act Up sur l’affiche n’était plus un indice suffisant pour dire que l’homosexualité, sans être l’objet unique de
ce (très) long métrage, en était un des thèmes majeurs, et ce sur un mode historique fort (je me répète : allez donc voir le billet précédent).
Ce qui est toujours appréciable chez eux, c’est leur conscience « communautaire » ou « militante » pour utiliser des
grands/gros mots, et la façon qu’ils ont d’utiliser leurs films pour pointer les enjeux du moment.
Ici, ce qui est à l’évidence en cause comme le souligne Jacques, c’est de combattre autant que faire se peut cet irrédentisme pédé qui veut que
tout soit toujours à recommencer, la mémoire gay ayant à mal fou à se transmettre, chaque nouvelle génération d’homos ayant le sentiment d’entamer une page vierge d’un cahier dont les précédentes
auraient été arrachées. C’est d’autant plus frappant et violent concernant la tragédie du sida, dont le pic, entre 1985 et 1995, vit disparaître des milliers de jeunes homosexuels, et dont il
semblerait que les gamins d’aujourd’hui n’aient qu’une conscience toute relative.
On comprend que pour quelqu’un qui, comme Jacques Martineau, a été parmi les premiers à rejoindre Act Up-Paris en 1990, cela soit douloureux,
voire insupportable, et qu’il tente de lutter contre cette amnésie en redonnant un visage aux combattants d’Act Up, aux morts au champ de bataille de la maladie, aux fantômes aimés qui hantent
encore les jours et les nuits des survivants de ce temps pas si lointain. Cette question-là de la mémoire de nos morts, de nos douleurs, de nos combats, de nos blessures, de nos défaites et de
nos victoires intimes et/ou collectives, est essentielle, puisqu’elle explique – et peut-être légitime aux yeux de certains – les droits conquis depuis, pour nos couples et notre reconnaissance
sociale.
Ne serait-ce que parce qu’il ressuscite ce moment fondamental de notre histoire, et quelles que soient les réticences qu’on peut avoir par
ailleurs, il faut aller voir Nés en 68. Vite, avant que le turn-over à l’œuvre dans les salles, ne le rende invisible et se charge de gommer un peu plus notre mémoire trop
défaillante.
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