LA REPRÉSENTATION LESBIENNE
DANS LES SÉRIES TÉLÉVISÉES
2. Des Britanniques sans
tabou...
Une chronique d'Isabelle B. Price, d'Univers-L
Même si la plupart des français considèrent les américains comme les maîtres actuels en matière de séries télévisées, la production anglaise
est cependant loin d’être médiocre… au contraire. Moins victime de la censure omniprésente aux États-Unis, elle a tout autant contribué à la visibilité homosexuelle sur le petit
écran. En effet, les réalisations sont plus dépendantes des producteurs et des chaînes qui les achètent que des publicitaires diffusant leurs annonces. Cet état de fait a rapidement amené les
britanniques à créer des séries de qualités extrêmement décomplexées.
Dans une Angleterre conservatrice et rigide où l’homosexualité a pourtant était dépénalisée en 1967, parler de relations entre personnes du
même sexe reste un énorme tabou. Et pourtant, en 1999, Russel T. Davies ose la série Queer As Folk. Cette mini série basée sur un groupe d’amis trentenaires homosexuels révolutionne la
représentation gay anglaise. Un grand pas pour l’homme et une invisibilité monstrueuse pour les lesbiennes. Alors que Stuart (Aidan Gillen) et Nathan (Charlie Hunnam) s’affichent dans de longues
scènes de sexe sans tabou ni complexe, les deux lesbiennes de la série, Romey (Ester Hall) et Lisa (Saira Todd) sont ennuyeuses, moralisatrices et conservatrices. Un comble pour cette série
audacieuse et maîtrisée de bout en bout.
Diffusée sur Channel 4 dès le 23 Février 1999, la série fait un véritable tabac mais s’attire les foudres des groupes chrétiens conservateurs. Les hommes politiques sont quant à eux choqués par
l’âge de Nathan, le personnage principal d’à peine 15 ans. À l’époque, la loi interdit toute relation homosexuelle aux moins de 16 ans alors que les relations hétérosexuelles sont autorisées dès
14 ans. La communauté gay s’insurge également contre ce qu’elle considère comme une caricature et s’oppose à la série. Mais le succès est au rendez-vous et une seconde saison voit le jour. Durant
ce double épisode, les lesbiennes sont plus absentes que jamais.
Heureusement, la même année apparaît sur les écrans britanniques la série Bad Girls traduite Les Condamnées chez nous. Créée
par Ann MacManus, Eileen Gallagher et Maureen Chadwick, elle se déroule à Larkhall, une prison anglaise où se côtoient détenues et gardiens. Les prisonnières telles Shaz, Denny, Shell, Zandra ont
commis des actes plus ou moins graves allant du simple vol à la fraude en passant par le meurtre. Enfermées, elles découvrent un univers où leur vie dépend autant de leur force que des gardiens
qui les surveillent.
Cette série, plusieurs fois vainqueur aux Quick TV Awards et écrite tel un soap opéra, présente tout au long de ses huit années d’existence
plusieurs personnages lesbiens. Parmi eux, Nikki (Mandana Jones), une lesbienne courageuse et fière condamnée à la prison à vie pour l’assassinat d’un policier qui s’apprêtait à violer sa petite
amie. Nikki est une femme solitaire et intelligente qui assume sa sexualité et possède un réel pouvoir sur les autres détenues qui l’écoutent. Elle se rapproche sensiblement de la nouvelle
directrice, Helen Stewart (Simone Lahbib), et finit par tomber amoureuse de cette dernière. Helen, séduite malgré elle par la prisonnière, annule son mariage et démissionne pour que ses actes
soient en accord avec ses principes. Elle reviendra à Larkhall après avoir accepté ses sentiments pour Nikki et mettra tout en œuvre pour la faire libérer. Harcelée par Jim Fenner (Jack
Ellis), un gardien manipulateur et arrogant, Helen rompt plusieurs fois avec Nikki avant de réaliser qu’elle aime profondément la détenue.
Cette première relation lesbienne marque la série de son empreinte et cette dernière devient une référence en matière de représentation
lesbienne. À la fois romance tendre et sensuelle, elle doit se heurter à l’horreur de la prison et du pouvoir. La relation lesbienne suivante entre Roisin (Siobhan McCarthy) et Cassie (Kellie
Bright) n’atteint jamais le même niveau. Il est bien sûr question d’amour, de famille, de coming-out et de drogue mais l’on est moins touché. Après de nombreux autres personnages gays, plus
variés et complexes que jamais, la série offre, en fin de course, la superbe romance entre Pat (Liz May Brice), une bisexuelle condamnées pour meurtre et Sheena (Laura Rogers), une douce jeune
femme emprisonnée à cause de la drogue. La première refuse de tomber amoureuse de peur de souffrir alors que la seconde accepte d’explorer ses sentiments jusqu’au bout.
Pour la première fois une série basée sur un grand nombre de personnages ose proposer plusieurs lesbiennes successives abordées de la même
manière que les personnages hétéros. Un traitement identique, des histoires complexes et passionnantes, des personnages profonds et variés, sont autant de qualités qui font le succès de la
série.
Deux ans plus tard, en 2001, l’Angleterre renoue avec le style mini série comme pour Queer As Folk. Créée par Rikki Beaddle-Blair,
Metrosexuality est une série riche et décomplexée avec des personnages hauts en couleurs. Kwame (Noel Clarke) a 17 ans et deux pères séparés, Max (Rikki Beadle Blair) et Jordan (Karl
Collins) qu’il tente par tous les moyens de réconcilier. Malheureusement Jordan est amoureux d’un nouvel homme et cela complique bien les choses. Metrosexuality est certes principalement
centrée sur des hommes, mais a l’avantage de présenter deux couples de lesbiennes. Il y a d’abord la sœur de Max, Cindy (Carleen Beadle) qui vit en couple avec Doris (Dee Dee Samuels) et leurs
deux enfants. Lorsqu’elles parviennent à se séparer de leur progéniture pour le week-end, leur premier réflexe est de faire l’amour dans toute la maison.
En plus de Doris et de Cindy, il y a Jaye (Pui Fan Lee) et Flora (Preeya Kalidas). Deux jeunes filles qui rêvent de ne pas s’impliquer et de
baiser en toute liberté, « comme les mecs ». Et même si leurs histoires ne sont pas au centre de la série, elles ont le mérite d’être là et de présenter des lesbiennes comme on n’en a
jamais vu. Deux femmes ensemble avec des enfants qu’elles ont désirés et deux adolescentes ensemble sans l’être réellement. Homoparentalité et prévention des MST chez les lesbiennes sont ici
abordées sans complexe ni pudeur.
Ce traitement, loin de la morale bien pensante et des schémas traditionnels, se retrouve dans la série Hex, la Malédiction sortie en 2004. Thelma (Jemima Rooper) est une adolescente amoureuse de sa
meilleure amie, Cassie (Christina Cole). Elle rêve que leur relation devienne plus qu’amicale mais Cassie, même si elle connaît les sentiments de Thelma, ne le souhaite pas. Lorsque Thelma est
assassinée par un ange maléfique, elle devient un fantôme et découvre les pouvoirs magiques de Cassie.
En tant que fantôme, Thelma se met à hanter la faculté, à s’immiscer dans les rêves de Cassie et à la mâter sous la douche. Elle adore faire
des blagues nulles sur les hommes et rencontre un jour une autre fantôme lesbienne dont elle tombe amoureuse. Empreinte de fantastique, d’ésotérisme, de magie et d’humour, Hex obtient un
succès mérité lors de sa première saison avant de totalement se perdre en intrigues incompréhensibles lors de la seconde. Avec son look particulier hésitant entre punk et gothique, son humour
décapant et sa noirceur désenchantée, Hex, la Malédiction s’adresse aux jeunes de manière intelligente ce que peu de séries savent faire.
Mais la véritable révolution en matière de séries télévisées et de représentation lesbienne anglaise intervient le 7 juin 2005 avec l’arrivée
de Sugar Rush. Adaptée du roman éponyme de Julie Burchill, la série se concentre sur la vie de Kim (Olivia Hallinan), une adolescente de 15 ans amoureuse de sa meilleure amie, Sugar
(Lenora Crichlow). Malheureusement Sugar est une vraie nymphomane qui couche avec tous les garçons qui croisent sa route. À grands renforts de flashs back et de voix off, Kim nous parle de son
désir pour Sugar, de ses sentiments, de ses peurs, de ses doutes et nous entraîne dans sa vie. La première saison est centrée sur cet amour impossible entre les deux adolescentes et la série
couronnée de succès obtient un International Emmy Awards. Channel 4 (toujours elle) commande donc une seconde saison.
Un an et demi a passé. Kim a aujourd’hui 17 ans et bien qu’elle tente de se convaincre du contraire, rien n’a changé. À part le fait qu’elle
assume d’être lesbienne et qu’elle a définitivement fait une croix sur Sugar. Elle rêve d’amour et rencontre Saint (Sarah-Jane Potts), une jeune femme de 25 ans travaillant dans un sex shop pour
femmes. D’incompréhensions mutuelles en rendez-vous ratés, toutes les deux parviennent finalement à sortir ensemble. Loin des clichés habituels, leur relation est dépeinte avec un naturel et un
réalisme jamais vu pour une relation homosexuelle. Elles se rencontrent, se plaisent, se découvrent, se séparent avant de s’avouer leur amour mutuel.
Même si les sentiments sont au centre de la série, l’aspect sexuel n’est jamais ignoré. Saint travaille dans un sex shop et Kim n’a couché
qu’avec deux femmes auparavant, ce qui fait qu’elle appréhende de ne pas être à la hauteur. Les scènes peu vêtues et les scènes de lit sont nombreuses et ne tombent jamais dans le voyeurisme.
Plus nerveuse, réaliste, amusante et européenne que The L-Word, Sugar Rush est une série séduisante et innovante.
Plus récemment, la chaîne BBC a diffusé en Janvier 2008 une nouvelle série, Mistresses, centrée sur un groupe d’amies trentenaires.
Toutes entretiennent ou ont entretenues des liaisons extraconjugales. Jessica (Shelley Conn), l’un des personnages principaux, est chargée par son patron, un homme marié qui trompe sa femme avec
elle d’organiser un mariage lesbien entre Alex (Anna Torv) et Lisa (Alys Thomas). La relation amicale qui se tisse entre Jess et Alex devient rapidement plus forte et toutes les deux couchent
ensemble. Jessica, qui s’était toujours satisfaite de son rôle de maîtresse, se met à souhaiter plus alors qu’Alex ne peut pas ne pas épouser Lisa. Une situation complexe et romantique,
interprétée avec bio par deux excellentes actrices qui a permis le succès la série, reconduite pour une seconde saison.
Aborder la manière dont les anglais représentent l’homosexualité de façon décomplexée, riche et sans tabou, en omettant les deux adaptations
des romans de Sarah Waters serait une erreur. En 2002, la BBC adapte le livre
Tipping The Velvet. Plébiscitée par le public, cette mini série permet à la chaîne de battre des records d’audience avec plus de 5 millions de téléspectateurs. La série se déroule à la
fin du XIXe siècle dans l’Angleterre victorienne et reprend les grandes lignes du roman. Même si des aménagements ont dû être fait, la série parvient à restituer le climat, les décors, les
sentiments et les combats qui avaient fait le succès du livre.
Après ce pari gagné, la chaîne lance l’adaptation d’un autre roman de Sarah Waters, Fingersmith. Là aussi, le public est conquis par
les aventures de Sue et Maud. Les scénaristes parviennent une nouvelle fois à transposer cette histoire dense tout en préservant son âme. Grâce à ces deux adaptations et à la troisième, en cours
de tournage, les romans lesbiens sortent du placard et deviennent de véritables mines d’or pour les producteurs. Visibilité quand tu nous tiens !
À SUIVRE…
Isabelle B. Price (2008)
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