Mais quand même...
Nicolas Raviere (alias
Querelle)
Pour la neuvième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour
nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, je reçois un garçon lyonnais dont la plume toute particulière me fascine depuis des mois :
Nicolas Raviere. Nicolas tient le blog Querelle, un blog
surprenant qui serpente entre auto-fiction et fiction avant-gardiste (voire proche du collage littéraire) et qui auto-publie ses livres, sans parler de
la publication de ses dessins et
tableaux... Bref, un artiste complet, complexe et tout sauf complaisant. Pour lui avoir parlé au
téléphone, Nicolas est un homme libre, un écorché et un créateur/créatif pathologique... J'ai l'immense plaisir de vous faire découvrir son univers et toute l'étendue de ses talents. Merci
Nicolas.
Adolescent, je m’imaginais, plus tard, plus loin dans la vie, sans visage mais marié, avec une femme – je n’avais, je l’avoue,
aucune idée au sujet du genre de femme qu’elle pourrait être – une petite femme menue et réservée, brune, peau diaphane, une grande blonde au corps élastique, exubérante – et trois enfants : deux
garçons, et une fille. Pour la parité. J’avais cette idée qui me trottait dans la tête parfois, quand on me posait cette simple question : que feras-tu plus tard ? Je ne pensais pas : pourquoi
pas tel ou tel métier. Je pensais famille. Et puis, un jour, j’ai cessé de penser à tout ça.
De même je n’ai jamais pensé : et si, par le plus grand, le plus fortuit des hasards (…), j’étais membre de cette
étrange confrérie qu’on appelle les sodomites ? Je n’ai jamais mis de « si » car, comme le disait si bien ma mère : avec les « si », on ne fait rien et je crois bien qu’elle avait raison.
Maintenant que les dés sont pipés, pourquoi ne pas penser tout autrement : quelle aurait été ma vie, si, justement, ou injustement, je n’étais pas affilié à cette curieuse fratrie, cette société
millénaire de moins en moins secrète ?
Si j’étais hétérosexuel, sans doute serais-je plus normé, moins ouvert, plus dispersé, parmi mes semblables, sans doute
choisirais-je des accointances aussi variées mais moins extrêmes, sans doute les sexualités possibles ne m’intéresseraient pas tant, les pratiques, les ambiances. Vraiment ? Pas si sûr !
La preuve : si j’étais hétérosexuel, j’écouterais la même musique, à l’identique, une musique qui n’est pas marquée par qui
la consomme ; je lirais les mêmes livres, aimerais les mêmes auteurs, visionnerais les mêmes films. Un peu moins de films concernant l’inversion sexuelle, sans doute, mais je suis certain que
j’aurais la curiosité d’en regarder quelques-uns, mû par cette curiosité qui vous pousse parfois à faire des choses qui ne vous ressemblent pas, pour vous dire, par fierté, par stupidité, voire
par goût de nouveauté : tiens, j’ai expérimenté telle ou telle chose. Par exemple, si j’étais hétéro, je coucherais avec un mec, rien qu’une fois, juste pour voir comment ça fait. Et pour être
sûr, évidemment, de ce que je suis. Je voudrais savoir ce que cela fait, que de toucher un autre sexe que le mien. Je pourrais toujours me rassurer en évoquant l’alibi qu’il est nécessaire,
d’après des recommandations médicales strictes et rigoureuses, de se faire masser, de temps en temps, la prostate.
Si j’étais hétérosexuel, je ne prendrais pas pour modèles ces gens de ma famille ou ces amis du temps jadis, perdus de vue, qui
se marient, s’enlisent dans un quotidien étrange et délavé, se photocopiant incessamment, en donnant la vie, trouvant dans cette formule millénaire équilibre et bonheur. Je m’y sentirais confiné,
étouffé, enferré.
Du coup, si j’étais hétérosexuel, je vivrais seul, que je sois célibataire ou en couple ; j’aurais mon appart, elle aurait son
appart, ce qui nous ferait deux maisons, pour deux fois plus de plaisir, la possibilité de ne pas empiéter l’un sur l’autre, d’être parfois seul avec soi-même, de pouvoir écrire sans être
dérangé, autrement dit : d’être libre. Ainsi, je ne souhaiterais pas avoir d’enfant. Je serais tout autant que maintenant mon propre enfant, celui que je surveille, afin qu’il ne fasse pas
trop de bêtises – et c’est déjà bien suffisant.
Ma vie serait sans doute à peu près la même, comme au travers d’un miroir, un miroir vaguement fêlé, légèrement déformant, si
j’étais hétérosexuel. J’aimerais peu ou prou les mêmes choses, aurais les mêmes goûts en tout, les mêmes vêtements, le même mode de vie, les mêmes croyances, tant politiques que religieuses, je
conserverais ce côté électron libre qui ne me rattache qu’à moi-même et, bien évidemment, je serais encore et toujours végétarien
Mais quand même… si j’étais hétérosexuel, je n’aurais certainement pas vécu cette agression homophobe qui fait qu’en tous lieux
tous endroits, lorsque je suis parfaitement sobre, j’ai les yeux qui traînent un peu partout, une méfiance terriblement aléatoire du genre humain. Tard, dans le silence étouffant de la nuit, en
certains lieux plus ou moins mal fréquentés, de jour et en soirée, je me dirais moins, je ne me dirais pas : la violence peut éclater n’importe où, n’importe quand, comme une comète qui tombe du
ciel, sans crier gare. Je ne me soucierais pas de cette question : est-ce que la sexualité de mon compère, ainsi que la mienne, n’est pas trop visible dans la façon même dont nous nous
comportons, notre gestuelle, les mots que nous prononçons, leur amplitude ? Sans doute serais-je ainsi un peu plus libre.
Querelle, alias Nicolas Raviere
Commentaires