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La baguette magique

Jean-Pierre Andrevon

 

Pour la dixième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, je déroule le tapis rouge à un de mes maîtres en littérature, à un de nos très grands écrivains français (40 ans de carrière et plus de 170 romans, recueils, adaptations au cinéma et à la télévision et autres facéties artistiques), le sphynx grenoblois : Jean-Pierre Andrevon. Mon Von (c'est le petit surnom amical que je lui donne) est une référence pour moi et, cadeau magnifique, un ami de longue date que je vénére. En grand amoureux des femmes, il n'a pas pu se résoudre à aborder ce défi comme les autres... C'est pour cela qu'il nous fait ce cadeau qui me touche beaucoup : une fiction inédite. Et quelle fiction ! Je ne saurais trop conseiller à celles et ceux qui n'auraient jamais lu un seul ouvrage d'Andrevon de le faire avant de mourir idiot(e). Mon Von, merci pour ta gentillesse, je t'envoie plein de baisers gluants.


Je me suis réveillée avec une sensation bizarre. Il faisait encore nuit ou, plutôt, l’aube n’était qu’une pâte grise à travers la fente des volets mal fermés. Mais en hiver c’est trompeur, il était peut-être bien sept heures, quelque chose comme ça. J’ai un peu remué, mon coude a heurté les côtes de Fred, qui ronflait à côté de moi, tourné sur un côté, le mauvais. Enfin il ne ronflait pas vraiment, mais il avait son habituelle respiration lourde de mec trop bien nourri et qui commence à faire du lard. Il ne s’est pas réveillé, il aurait fallu la bombe atomique. En moi, la sensation bizarre s’est accentuée. J’ai pensé qu’en fait, c’est cette sensation qui m’avait réveillée. Comme un mal de dents soudain, ou un pet de travers, coincé entre le rectum et l’anus. Je me suis redressée sur les coudes. Ça venait… oui, ça venait du bas de mon buste. Une lourdeur, comme… sur le moment, je n’ai pas su préciser, même si, un court moment, j’ai pensé à mes Anglais, débarquant avec deux jours d’avance. Mais ce n’était pas ça. C’est en voulant croiser les jambes que j’ai véritablement compris que quelque chose d’anormal se passait en moi. Entre mes jambes, il y avait quelque chose. La lourdeur venait de là. Une pelote de laine, oubliée dans le lit et qui était venue se nicher sous ma chatte ? J’ai avancé la main droite, j’ai tâté. Et j’ai touché la… chose. Ce n’était pas une pelote de laine, pas du tout. C’était tiède, mou, ça m’a glissé entre les doigts. D’un seul coup, j’ai paniqué et j’ai retiré la main, comme si je l’avais mise dans une merde de chien. Seulement ce n’était pas une merde de chien (nous n’avons pas de chien, pas d’enfant non plus). C’était de la chair. Une protubérance de chair qui serait venue me pousser entre les cuisses. J’ai paniqué. J’ai pensé à ce qu’on pense dans ces cas-là : une tumeur, un cancer fulgurant, né pendant la nuit. Pendant un moment, j’ai entendu ma propre respiration me siffler aux tympans, aussi lourde et rauque que celle de Fred. Mon cœur cognait sous mon sein gauche. Je me suis efforcée de me calmer, de dire couche panier à l’adrénaline qui ruait dans mes artères. J’y suis parvenue. Une tumeur pubienne à croissance instantanée ? Allons. J’ai à nouveau descendu la main, cette fois avec un prudence reptilienne, je l’ai infiltrée sous l’élastique de mon pantalon de pyjama. Et j’ai pris tout mon temps. En ne croyant pas mes sensations tactiles. Et en y croyant pourtant, bien obligé.

 

Sous mon gazon, que je ne me donne pas la peine de tailler d’équerre malgré les réflexions de Fred qui voudrait que je la joue poupée Barbie, il avait un petit tube de chair malléable, à l’extrémité vaguement renflée, que j’ai pincé entre pouce et index, y imprimant un léger mouvement de va-et-vient, acte réflexe, habitude acquise depuis mes treize ans. Sous le tube, s’amarraient deux boules un peu plus grosses qu’une noix (non, pas des mandarines, même si c’est la première comparaison qui m’est venue à l’esprit), assez dures, et qui roulaient à l’intérieur d’un sac fripé de peau hérissée de poils. Je ne suis pas de celles qui refusent, qui rejettent l’évidence quand bien même elle vous saute au nez. Ce que je touchais, c’était une queue et des couilles. Sur moi ? À moi ? La main dans le sac, si je peux dire, la sensation était si familière, si banale, que je me suis laissé aller à penser que j’étais mal réveillée, et qu’il s’agissait du service trois pièces de Fred, empoigné dans un demi-sommeil comme on s’accroche à une bouée. Ça arrive, ça m’arrive, et ça peut même se poursuivre par un petit câlin arraché à sa paresse matutinale. Mais non. C’est entre mes cuisses à moi que je palpais ces incongruités. Impossible. Impossible, et pourtant j’en avais les preuves en main. Sans me lâcher, j’ai allumé de la main gauche ma lampe de chevet perso. Le fin cône de lumière blanche s’est piqué sur mon buste, à hauteur de livre. J’ai repoussé drap et couvertures, j’ai descendu mon corsaire nocturne de cotonnade saumon en travers de mes cuisses, tout en jetant un coup d’œil coulis vers mon mec qui continuait à dormir du sommeil du juste. C’était là. Je ne pouvais plus avoir de doute, c’était là. Une queue, une paire de couilles. À la place de ma pêche de vigne, ma discrète coquille fendue. Une queue et une paire de couilles, poussées pendant la nuit, ou alors apparues d’un coup, comme sous l’effet d’une baguette magique, un bon tour que m’aurait joué une sorcière farceuse. Merde alors.

 


Le pire est que, à force de me tripoter, ça me faisait bander. La queue (que j’avais toujours un peu de mal à appeler “ma” queue) se redressait, triomphante, gland au deux tiers décalotté, d’un joli rose ayant tendance à virer au Bordeaux. Je l’ai lâchée, comme si elle m’avait brûlée. L’appendice n’est pas retombé pour autant, il a simplement oscillé sur sa base, peut-être indécis sur ce qu’il allait bien pouvoir faire, où il allait pouvoir se nicher. Je crois avoir souri, enfin. Cette queue était bien banale, tout à fait normale, ni trop grosse (il y en a), ni trop petite (il y en a), ni tordue ni trapue (il y en a), pas non plus veinulée à l’excès – ce qui en général me répugne (ou parfois m’excite, c’est selon). Je l’ai fixée un bon moment. Cette queue était une queue – je crois en avoir une certaine expérience –, point à la ligne. Une queue qui bandait. Par l’entremise de mes doigts. En somme, je m’étais masturbée sans le vouloir, obtenant un résultat inévitable. L’impression n’était pas désagréable, bien au contraire. Cette queue dressée manifestait son autonomie, mais elle était en même temps pleinement moi, avec cette lourdeur pesante, ce sang que je sentais ruer dans les corps poreux, cet indicible chatouillis partant de sa base et s’élançant le long de la face antérieure du tronc, pour s’épanouir à l’intérieur du gland où baillait l’infime méat, ce volcan pour lilliputiens. Alors voilà ce que ressentait un mec qui bande ? Rien à voir, évidemment, avec le feu doux qui s’évase dans la totalité de notre appareil, autrement plus complexe, quand un doigt (ils sont rares, ceux qui savent) trouve le petit bouton caché sous son capuchon et le manipule comme il faut. Rien à voir mais enfin, pas désagréable. Oui, bon, je n’allais quand même pas poursuivre l’expérience jusqu’à l’acmé et, de quelques pressions supplémentaires, il en faut parfois bien peu, faire jaillir la lave dans les draps. Surtout qu’une autre pression se faisait jour : j’avais envie de pisser.

 

Je me suis levée sans bruit et, dans l’appartement qu’envahissait la transparence montante du petit matin, je me suis dirigée vers la salle de bain. Debout, la pesanteur nouvelle de ces organes superfétatoires s’est faite encore plus prégnante. Un pas après l’autre, il me semblait que j’allais basculer en avant, tirée vers le sol par ces protubérances qui ballottaient. Mais c’est une question d’habitude, de nouveau centre de gravité à apprivoiser. Atteinte la salle d’eau, ça allait déjà mieux. J’ai éclairé a giorno et, dans le grand miroir que mon homme, je sais bien pourquoi, a récemment fait installer au-dessus de la baignoire, j’ai pu enfin me contempler tout à loisir. Entre les pans relevés de ma nuisette et mon bas étiré entre le haut de mes cuisses, tout était bien là. Le reste aussi. Mon mignon visage ovale, mes yeux pervenche, ma bouche style Angelina Jolie, mes bouclettes auburn, ma sveltesse intacte, mes deux seins parfaitement ronds (et crotte à qui les trouverait trop petits !), aux aréoles d’une exquise pâleur rosé, mon nombril qu’on a pu comparer à un sourire indicible (et re-crotte à qui penserait que je m’avantage), mes jambes finement galbée… Tout était là, moi en entier. Je ne m’étais pas transformée en homme (berk), il y avait juste, en plus, ces trucs, là en bas. Soupir. J’ai pivoté vers le trône et, au moment de m’y asseoir, je me suis souvenue que les mecs ne faisaient pas ça. Et c’est debout au-dessus de la cuvette  que j’ai relâché la pression, en ayant pris la précaution de saisir le membre entre pouce et index. L’érection avait eu le temps de fondre pour une bonne moitié, mais ça ne m’a pas empêché d’en mettre partout. Étonnant, cette puissance de jet. Encore une habitude à prendre, ai-je pensé en essuyant une gouttelette perlante avec le pan d’un linge de toilette (à Fred). Pensée qui en a entraîné une autre : est-ce que ce serait permanent ? Je n’y avais jusqu’alors aucunement réfléchi, imaginant peut-être que j’allais me réveiller pour de bon, ou alors que le sort s’effacerait aussi rapidement qu’il était venu. Seulement il ne s’effaçait pas, et plus les minutes s’écoulaient, plus j’avais le sinistre pressentiment que, ainsi j’étais devenue, ainsi je resterais. Une très jolie jeune femme avec des organes sexuels masculins. Bien. S’il me fallait en prendre mon parti, restait à déterminer ce que ça allait changer. En premier lieu mes rapports avec Fred.

 

J’ai regagné la chambre à pas lents et, sans prendre de précautions particulières, je me suis reglissée dans le lit. L’imbécile chéri dormait toujours. Le sexe avec Fred est plutôt cool – disons que, s’il m’est arrivé de connaître mieux, il m’est arrivé aussi de connaître pire, et je pèse mes mots. Seulement maintenant qu’il me manquait… l’essentiel (je m’étais assurée, grâce à une palpation approfondie, que mon vagin n’avait pas reculé derrière mes bourses : mais non, il avait bel et bien disparu), Fred pouvait légitimement y trouver à redire. Quoique. Parce que mon mec, je dois bien l’avouer, a toujours montré une propension déraisonnable à quémander des rapports anaux. Précision : à essayer, avec beaucoup d’insistance à l’appui, à m’y mener. Ce à quoi je me suis toujours refusée, pour des causes diverses mais convergentes. Toujours, sauf une fois où, revenant ensemble d’une soirée arrosée, je m’étais laissée faire. Ou je l’avais laissé faire, trop dans les vapes pour sérieusement m’y opposer. Et dans ces cas-là, les « Non, non ! » n’y peuvent rien. Parole, je n’ai jamais eu aussi mal de ma vie. Comme si mon rectum avait brusquement été colmaté par une pièce de béton aux arêtes rugueuses, qu’un travailleur de force aurait tenté d’enfoncer davantage, ou alors de retirer, ce qui revenait au même, en me secouant comme un prunier, m’envoyant au travers des entrailles des ondes de douleur rayonnantes qui auraient aussi bien pu être provoquées par des rafales de balles de gros calibre. Quand il a eu fini (je ne suis même pas sûr qu’il ait joui), j’ai serré les fesses, au propre comme au figuré, laissant les ondes de douleur s’apaiser. Elles y ont mis toute la nuit, pendant laquelle, sans fermer l’œil, j’avais juré de me venger. Mais comment puisque, selon moi, le coupable devait être puni par où il avait péché ? Et c’est alors, par ce petit matin blême, et nantie des instruments qu’un sort incompréhensible m’avait octroyés, que j’ai su. En quelques tours de main, j’ai redonné à ma bite la forme et la consistance voulue. Puis j’ai abaissé sur ses cuisses le pantalon de pyjama de Fred, avant d’écarter sans douceur ses fesses poilues. L’orifice recherché n’était pas si facile à trouver, forclos et perdu dans la broussaille culière. Mais j’y suis parvenu. Il ne me restait plus, tandis que ce cher Fred marmonnait dans sa salive les pâteux borborygmes du réveil, qu’à opérer vers l’avant une très vigoureuse poussée pelvienne. Ça s’est enfoncé comme dans du beurre.

 

Il nous a fallu une bonne semaine pour que de nouvelles habitudes s’installent. Fred consent à me branler avec un petit sourire en coin, se remémorant sans doute, dans l’action, les trucs qu’il fait quand je ne suis pas là ; mais il n’a pas encore consenti à me sucer ; ceci dit, j’ai constaté à ma propre surprise être assez souple pour y parvenir. Pour l’instant cependant, ma plus grande satisfaction résonne encore à mes oreilles : ce cri terrible poussé par Fred quand je l’ai enculé.

 

Jean-Pierre Andrevon

(Site : http://jp.andrevon.com/)

 

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