Si j'étais droitière...
Isabelle B. Price
Pour la onzième livraison de cette série de textes basée sur les hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour
nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, je ne vous présenterai pas mon invitée, tant en quelques mois elle a marqué de sa présence
notre blog : Isabelle B. Price. Isa est la fondatrice d'un des rares sites lesbiens intelligents, documentés, curieux, innovants... Pour tout vous dire, Univers-L.com me titille l'intellect et me conforte dans l'idée que nous ne connaissons pas (nous, pédés) nos sœurs lesbiennes, et surtout que notre cause commune est
intimement liée à la cause de la femme en général. Isa, c'est une infirmière brillante, une cuisinière hors pair et une esthète question chaussures (pour celles et ceux qui ne comprendraient pas,
lisez sa
chronique sur ce blog). En tout cas, j'ai un intense plaisir à la lire, à lui écrire
et à lui avouer qu'elle a déjà gagné mon amitié et mon affection (et bientôt mes petits plats). Isa, continue à nous régaler (bon, pas avec des pizzas surgelées au four) !
Si j’étais hétérosexuelle… je crois que je serais la même.
Je sais, c’est une honte. Je m’étonne moi aussi que ce soit la première chose qui me soit venue à l’esprit. Mais je pense que quelque part
c’est un peu vrai. Enfin peut-être pas tant que ça. Parce que si j’étais hétéro, je serais quand même différente.
Dernièrement une connaissance m’a fait découvrir une interview de Alexandra David-Neel où cette dernière expliquait une chose magnifique qui
m’a marqué plus que je ne m’y attendais. « Faut jamais dire si j’avais été là, à cette époque-là, et dans cet âge-là, j’aurais fait ça. Mais non mon bel ami, ce que vous auriez été
de cette façon-là, dans tel entourage, à tel âge, etc. etc., vous auriez été celui-là ! Vous n’auriez pas été celui que vous êtes maintenant et vous n’auriez pas pensé la même chose. Vous
auriez fait exactement ce que l’autre a fait parce que vous auriez été lui à ce moment-là. »
En conséquence, comment répondre à cette question ? Pourquoi même se la poser ?
Pour jouer ? Alors jouons.
Si j’avais été hétérosexuelle, oui, ce temps-là me convient mieux, désolée, je suis ennuyeuse, je sais. Si j’avais été hétérosexuelle, mes
trois meilleurs amis n’auraient certainement pas été des garçons. J’aurais certainement pris part, dès la primaire à ces luttes de sexe que l’on reprenait après les avoir vu, à la télé ou dans
nos familles. J’aurais alors certainement cherché à savoir faire l’équilibre contre le mur du préfabriqué plutôt que tirer au centre de la cible avec le ballon de foot. J’aurais certainement aimé
me pavaner pour attirer le regard des garçons au lieu de jouer aux billes et de me salir comme aucune fille n’en a jamais été capable.
J’aurais été invitée chez Emilie pour jouer à la poupée plutôt que de parcourir les rues de la ville sur mon BMX jaune fluo avec mes deux
meilleurs copains. J’aurais aussi moins pleuré quand cette imbécile de truc-machin-bidule-chouette a dit qu’elle ne parlait plus aux filles parce qu’elles n’en valaient pas la peine au lieu de
mettre en place un putsch visant à la destituer de son pouvoir. Putsch qui soit dit en passant s’est très rapidement retourné contre moi. Qu’est-ce que les gamines peuvent être bêtes quand elles
le veulent !
Je serais sortie avec Thomas au collège quand il me l’a demandé au lieu de préférer rester la copine de Céline. Et ça, ça aurait certainement
tout changé.
Peut-être que j’aurais porté des robes, que j’aurais eu les cheveux longs, que je me serais plus aimée à l’adolescence, si tant est qu’un
adolescent puisse s’aimer. Peut-être que j’aurais fait d’autres études, peut-être que j’aurais choisi un autre métier, peut-être que j’aurais eu une vie totalement différente.
Peut-être mais je ne le crois pas. Je crois que j’aurais été la même mais qu’au lieu d’avoir le cœur qui bat à la vue d’Angelina Jolie,
j’aurais vanté toutes les qualités de Brad Pitt. Peut-être qu’au lieu de fantasmer sur Scully, j’aurais fantasmé sur Mulder. Et qu’est-ce que ça aurait changé ?
Je suis certaine que j’aurais adoré jouer aux Lego* de la même manière, tout comme j’aurais été fan des Schtroumpfs avec lesquels j’ai vécu
autant d’aventures passionnantes, Gargamel relégué sous mon lit, à mille lieux de ma belle cité. J’aurais autant rêvé sur le chemin de l’école. J’aurais inventé autant d’histoires durant ma
jeunesse. J’aurais eu un monde imaginaire aussi riche et vivant que celui qui m’habite encore aujourd’hui.
Je suis certaine que j’aurais quand même détesté mettre des robes. Que j’aurais passé mon adolescence à mettre des jeans dix fois trop grands
pour moi et des t-shirts XXL parce que je n’aurais pas supporté les changements de mon corps. Je suis persuadée que j’aurais été influencée de la même manière par mes parents et leur engagement
associatif au point de me tourner vers le même métier et le même engagement actuel.
Je suis certaine que j’aurais eu cette même réserve, ce même recul vis-à-vis des autres. Je suis persuadée que j’aurais eu autant de mal à
faire confiance et que j’aurais plus vécu dans ma tête que dans la réalité.
Qu’est-ce que ça aurait changé alors ? Mes flirts n’auraient pas été les mêmes, mes premières fois non plus. Je n’aurais certainement
jamais cherché à connaître la sous culture homo - pour quoi faire ? Je n’aurais pas créé de site internet et je n’aurais pas les mêmes amis. Ma relation avec
les autres serait différente, ni pire ni meilleure, simplement différente.
Et pourtant c’est marrant, je ne peux m’empêcher de penser que si j’avais été hétéro, un jour je me serais demandée si je n’étais pas bi. C’est
con la vie des fois.
Afin de vous expliquer le pourquoi du comment cet article est aussi nul, il faut que vous compreniez mon éducation et ma vision du monde. Je
considère le fait d’être gay aussi important ou insignifiant que le fait d’avoir les pieds plats et d’être gauchère.
C’est comme si vous m’aviez posé la question : « Et si j’étais droitière… »
… Ben si j’étais droitière, je saurais découper une feuille de papier droit parce que ce serait facile avec les ciseaux. Je n’aurais pas de
problème pour écrire avec un stylo plume ou sur un tableau quelconque. Je ne gênerais personne à table à cause de mon bras gauche….
Et si je n’avais pas les pieds plats ? Non mais, vous allez arrêter avec vos questions débiles !!!
Isabelle B. Price
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