Hibernatus (c) Pierre Callon
Il y a des moments dans la vie où la vie rencontre la mort, des journées macabres ou la mort rappelle qu’elle fait partie de
la vie. Telle fut ma journée du vendredi 27 février, troisième jour du Carême, qui
restera pour moi comme le « vendredi des cendres ».
L’une de mes attributions à la nonciature consiste à m’occuper des défunts. Étant trop élevé dans la hiérarchie ecclésiastique, je ne m’occupe
point de donner l’extrême-onction et le saint viatique aux agonisants. Mes tâches sont plus administratives, une fois encore. En fait, je n’interviens que lorsque la famille du trépassé
entreprend d’en rapatrier les restes en France. C’est là que les choses deviennent intéressantes. Dans ce genre de situation, à laquelle je fus confronté pour la première fois, je suis censé,
s’il s’agit d’un enterrement classique, de vérifier la concordance entre la dépouille mortelle allongée dans le cercueil, et la photo de la personne sur sa dernière pièce d’identité. Je vous
laisse imaginer dans quelles conditions mes collègues qui exercent leur ministère sous les chaleurs africaines et asiatiques doivent accomplir leur divin sacerdoce !
— Quelqu’un peut-il m’apporter un chasse-mouche ?
— Tenez, Excellence, je vous ai aussi apporté un ventilateur…
Eh oui, pour être nonce, il faut avoir l’estomac bien accroché et des couilles au cul ! Comprenez tout de même que nous préférons, et de
loin, l’inhumation sur place. Donc, une fois contrôlée l’identité du cadavre, il faut encore fermer le cercueil (généralement, c’est l’agent des pompes funèbres qui le fait) et ensuite,
l’entourer d’un joli ruban aux couleurs de la France, comme on emballe un cadeau de Noël, puis faire couler dessus de la cire chaude et rouge sur laquelle il faut apposer le sceau de
la nonciature. Le colis est alors prêt à être expédié à sa destination
finale…
Ce vendredi 27 février, pour ma grande première mondiale, j’eus droit à la version « light ». Il s’agissait de sceller une urne
funéraire à Halifax. Après avoir remis à la veuve les papiers officiels, et reçu son offrande pour mes bonnes œuvres, je fus conduit dans une pièce de service où se trouvait une boîte en bois,
laquelle contenait, dans un sachet plastique, les cendres de feu Monsieur Untel, tout de même incinéré depuis deux mois et demi. Je précise qu’avec le transport de cendres, nous ne travaillons
pas dans l’urgence comme avec un cercueil, pour des raisons bien compréhensibles… La vue de ces cendres me fut un peu désagréable. D’une part elles ressemblaient à de la farine grisâtre, et
d’autre part l’idée qu’il s’agissait des restes de quelqu’un de mon âge (donc, jeune) me contrariait. Qu’on ne s’étonne point que pour m’en remettre je fis ensuite un copieux déjeuner dans une
brasserie belge en arrosant mon repas avec de la bière d’abbaye (pour l’anecdote, il s’agissait de la bière « Affligem », particulièrement de circonstance) !
De retour à Moncton, je m’obligeai à faire un saut à la maison funéraire la plus proche de la nonciature pour rendre hommage à un membre
éminent de la communauté, décédé le mardi précédent après un cancer foudroyant. C’est à cette occasion que me fut révélé un détail relatif aux rites funéraires cariboulandais, auquel jusque là je
n’avais jamais pensé. En effet, le faire-part précisait que l’inhumation se fera… au printemps. La première chose qui me frappe, c’est que nous sommes encore en hiver. D’ailleurs, ici, le
printemps, qui comme en Europe commence nominalement le 21 mars, n’arrive sur le plan météorologique qu’à la fin du mois d’avril voire au début du mois de mai. Je me suis donc posé la question
suivante :
— Que font-ils du cadavre, en attendant ?
Eh bien c’est simple : il est mis au congélateur. Les maisons funéraires sont équipées de chambres froides pouvant accueillir les défunts
de la morte saison, en attendant que le sol des cimetières, non seulement recouvert par deux mètres de neige mais aussi dur que du béton, dégèle… En espérant aussi qu’aucune tempête de glace ne
viendra endommager le réseau électrique et ainsi créer une panne de courant durable et des plus dommageables pour la conservation de la carne.
Merveilleuse fée électricité, que ferait-on sans toi ? Et d’ailleurs, comment faisait-on avant toi ? Je crois que les indiens (sachez
qu’ici on les appelle courtoisement « les premières nations », car « indiens » est un terme de western qui frôle l’injure) rendaient leurs morts au Grand Esprit en les
brûlant. Mais les colons ? J’ai soudain un doute. Après tout, la religion catholique n’admettait pas l’incinération, tout au moins à l’époque que j’évoque, lorsque n’existaient ni les
frigidaires ni l’électricité.
Toute interrogation lugubre mise à part, il ne me reste donc plus, pour être content, qu’à retrouver un exemplaire de Hibernatus et d’un
mammouth laineux, prisonniers des glaces polaires. Gageons que le réchauffement climatique devrait contribuer à révéler quelques artefacts de ce genre dans un proche avenir…
Zanzi, le 3 mars 2009
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