QUEL METIER TU FERAS
QUAND TU SERAS GRANDE ?
Un billet d'humeur d'Isabelle B. Price, d'Univers-L
(c) D. R.
Quand j’étais jeune et qu’on me demandait ce que je voudrais faire quand je serais grande, je répondais très facilement :
« infirmière-écrivain-à-moto ». Ma mère le disait parfois, au travail, quand elle soignait des personnes âgées qui lui demandaient presque en suppliant de leur parler de ses enfants.
Certaines étaient amusées, d’autres intéressées, d’autres se perdaient dans leur propre passé. Mais qu’était ce désir de devenir infirmière-écrivain-à-moto si ce n’est un rêve ? Un très beau
rêve mais un rêve quand même.
Je suis devenue infirmière, certes, 33,33333333…% de réalisé me direz-vous. Oui, je sais, pas mal pour un rêve d’enfant. Je me félicite encore
moi-même des fois. Concernant la moto, mon scooter en a déjà tellement bavé avec moi… Le prix de l’essence ayant flambé… Après calcul du prix du permis et de l’engin de mes rêves… Vu que j’ai
acheté un appartement… Bref, le côté moto s’est rapidement transformé en vélo. C’est un deux roues, ça ne pollue absolument pas notre chère Mère Nature et c’est beaucoup plus économique. Tous les
mois, avec l’argent économisé en allant au boulot en vélo, je me dis que je peux m’acheter un nouvel interrupteur pour mon chez moi. Il faut savoir se contenter de peu.
Le côté écrivain, là, ça coince un tout petit peu plus. Déjà, j’ai vite réalisé que dire écrivain ne convenait pas du tout à ma position
féministe actuelle. Ben oui, écrivain c’est masculin. Mais au féminin, « écrivaine », c’est très moche à entendre. La sonorité est pire que les joueurs de rugby entonnant la
Marseillaise avant un match. C’est peut-être la raison pour laquelle depuis quelques temps, j’apprécie beaucoup plus le terme « auteure ». Vous pouvez lui coller un « e »,
sans qu’il ne se plaigne ou ne sonne faux. C’est énorme. Premier point donc s’opposant à mon rêve d’écrivain, ma position féministe.
Deuxième point : saviez-vous que les écrivains dans les films ou séries télévisées faisaient en fait de la publicité mensongère ?
Non ? Eh bien moi je vous le dis, si comme moi vous vous êtes mis en tête de devenir écrivain parce que c’était trop la classe quand les autres l’étaient, ce n’est même pas la peine de
poursuivre. Je vais vous expliquer très succinctement pourquoi.
— L’écran de l’ordinateur. L’écran de l’ordinateur il brille. Cela ne gêne en rien ces faux auteurs de pacotille mais je peux vous dire
qu’en vrai, au bout d’un moment ça fait des papillons devant les yeux et ça vous oblige à prendre rendez-vous chez l’ophtalmologue parce que vous avez des maux de tête dès que vous restez plus de
6 heures devant votre machine (rendez-vous pour août soit dit en passant, non on ne peut pas plus tôt). Et les maux de têtes, ils ne passent pas avec deux Doliprane™, ils passent quand vous vous
allongez sur le lit dans votre chambre toute noire.
— L’ordinateur portable. Déjà c’est tous des américains et ils ont tous les derniers ordinateurs à la mode. Vous avez déjà essayé
d’écrire pendant 4 heures de suite assis sur votre lit avec votre ordinateur portable ? Non. Bien, moi non plus. Mon PC a quatre ans, il pèse pas loin de 10 kilos et il est fixé au
magnifique bureau fabriqué par mon père. Je vais m’acheter un ordinateur portable mais je sais déjà qu’il faudra que j’économise la batterie si je veux qu’elle tienne plus de deux ans et si je ne
veux pas en racheter une dans l’année. Ensuite s’asseoir en tailleur sur son lit, il n’y a rien de pire pour le dos. Bref, ça c’est infaisable en vrai. Faut pas pousser. Comme le dit le proverbe,
« qui veut voyager loin ménage sa monture. » Je ne peux pas avoir des problèmes de dos chroniques à 25 ans quand même !
— Le soleil. Vous avez remarqué que les faux écrivains écrivent toujours au soleil, devant la mer, les doigts de pieds en éventail ou
dans une chambre en regardant pas la fenêtre ou dans la montagne ou bref, vous avez saisi. Là où ils trichent c’est avec le soleil ! Ce put*** de crét** de soleil. Lui, déjà dès qu’il sort,
vous pouvez être certain qu’il se reflète là où vous ne voulez pas qu’il se reflète ! Style en plein sur votre écran. Style en plein sur votre feuille blanche. Genre faut mettre les lunettes
de soleil mais après on ne voit plus ce qu’on écrit. Autant vous dire tout de suite que le soleil n’est pas votre ami. Si vous choisissez comme moi d’écrire dans votre appartement parce que c’est
l’hiver et qu’il fait -5° dehors, vous pouvez quand même être contraint de tirer les volets parce que le soleil a décidé de pointer le bout de son nez et qu’à défaut de se refléter sur la neige
(qui n’est pas encore là), il tape direct sur votre écran parce que votre bureau est orienté plein sud…
— La boisson. Quand vous les regardez dans les films ou les séries, ils ont tous un mug à portée de main et boivent régulièrement une
petite gorgée, par-ci, par-là. Ce qu’on ne vous a jamais dit, c’est que même le plus beau des plus stylisés des mugs ne contient pas tant de gorgées que ça. Ben non ! Déjà il ne se remplit
pas tout seul. Faut se lever pour le remplir. Ensuite, si c’est une boisson chaude, ben elle refroidit. Et si c’est une boisson froide, ben elle se réchauffe (même avec des glaçons, j’ai testé,
ces imbéciles fondent). J’ai pris mes supers grands verres gagnés avec l’achat de menus XXL dans un fast-food. Eh bien même eux se terminent trop vite. En quelques gorgées c’est fini et il faut
se relever. Et là forcément, on perd en concentration !
— Le lieu. Quand ils écrivent pour de faux, les auteurs, vous avez deux catégories. Ceux qui ont leur bar favori et qui écrivent là,
déconnectés du bruit, devant leur café entre deux discussions avec le barman qui est leur super pote (et là vous savez qu’on se fout de vous parce que vous connaissez le prix d’un café dans un
bar ? Si on multiplie par 2 par jour pendant minimum 6 mois, en ajoutant les sirops et autres sodas en été, avec le croissant ou le pain au chocolat… Ting. Jackpot ! Vous êtes Crésus.)
Pas crédible pour deux sous. Vous gardez donc uniquement ceux qui travaillent chez eux dans un souci de réalisme. Eh bien ceux qui travaillent chez eux, ils ne font jamais mais alors jamais le
ménage ! Moi j’ai essayé. J’ai écrit sur du papier, j’ai trouvé ça nul, j’en ai fait des boules que j’ai jetées par terre partout dans mon bureau. C’était beau, comme dans les films. Je n’ai
pas été plus inspirée pour autant et après j’ai dû tout ranger. Depuis j’ai une poubelle et même si c’est beaucoup moins esthétique que les papiers en boule par terre, c’est beaucoup moins de
travail ensuite.
— L’inspiration. Ah ça, on sait vous en parler du manque d’inspiration, « le syndrome de la page blanche », « l’angoisse
de l’écrivain » etc etc. Mais les faux auteurs de fiction ont l’arme imparable pour corriger le tir et retrouver le goût d’écrire et de vivre. Ils ont l’arme imparable pour régler leurs
problèmes personnels existentiels. Vous savez ce que c’est ? Ils tombent amoureux ! Déjà, je tiens à dire que tomber amoureux, ça ne se commande pas. Sinon ce serait trop simple et je
voudrais bien en profiter moi aussi de cet amour qu’on achèterait au supermarché quand on serait tenté. Non mais sérieusement il n’y a rien de plus chronophage que l’état amoureux ! Vous
pouvez me dire quand mais quand ils arrivent à trouver le temps d’écrire ? Comme si votre « âme sœur » (si ils disent ça dans les films) allait vous laisser passer 10 heures devant
votre ordinateur sans vous déranger et bosser de son côté. Comme si on pouvait résister au désir pendant 10 heures alors que l’autre est assis sur le canapé en train de lire. Comme si… Mon œil
quoi !
— Le téléphone. Le téléphone est déjà en temps normal une arme que je méprise au plus au point. Parce que quand je suis au travail il
permet aux familles, aux médecins, à notre hiérarchie et aux anciens patients de nous joindre 24h/24. Et comme il faut y répondre à ce fichu téléphone bien que souvent on n’en ait vraiment pas
envie, c’est à la bonne poire qui l’a à portée de main d’agir. Et j’ai de grands bras, il est donc souvent à portée de ma main. Quand au téléphone familial mes parents m’ont vite appris
l’essentiel. Pas de répondeur parce que les gens peuvent laisser des messages. Sous-entendu l’hôpital peut appeler pour te demander de travailler sur ton repos ou changer ton roulement. Quand tu
sais qu’il manque quelqu’un et qu’on va te rappeler, surtout ne pas répondre et laisser sonner dans le vide. Après tu regardes qui a appelé et si ce n’est pas la chef, tu rappelles la personne en
question. Et autant dire que j’ai très bien retenu la leçon en ce qui concerne mon téléphone portable. La preuve, il est plus souvent éteint qu’allumé. Et je m’en sers uniquement pour les
urgences. Du genre « Je me suis encore perdue, j’aurai une heure de retard environ », « J’achète le dessert, ne t’en occupe pas », « On avait dit à quel endroit le
rendez-vous ? ». Mais avez-vous remarqué que quand vous êtes très concentré, que vous êtes plongé dans vos pensées et que les mots coulent de source baaammm, c’est le moment que choisit
votre téléphone pour sonner. Ou le moment que choisissent les témoins de Jéhovah pour venir sonner à votre porte. Et comment pouvez-vous donc expliquer à ces importuns que là vous alliez écrire
le texte qui aurait changé la face du monde sans passer pour une illuminée ? Personnellement j’ai renoncé…
— Le bruit de fond. Le bruit de fond ce n’est pas comme le téléphone, ce serait plutôt du genre lancinant comme les poubelles qu’on
sort, le voisin qui fait des essais parce qu’il vient de mettre un nouveau pot d’échappement à son scooter, le vent qui fait bouger les volets… c’est gênant mais ce n’est pas le plus grave.
Pourquoi ? Parce que vous pouvez mettre de la musique par dessus le bruit de fond. Et là, question musique, je suis une professionnelle. Déjà les chansons en français perturbent moins la
concentration m’a dit Thierry. Là, je l’ai écouté. Seulement les artistes français que j’adore ne sont pas non plus excessivement nombreux. Du coup j’ai trouvé la parade. Trouver des chansons en
langue anglaises faciles à comprendre. Et là tout un monde s’est ouvert à moi, celui des Boys Band. Mes CDs de prédilection quand je travaille sont aujourd’hui les mêmes depuis trois ans.
Backstreet Boys, “Greatest Hits – Chapter One”, Worlds Apart, l’album « Here and Now », leur meilleur et Boyzone “Where
We Belong”. C’est calme, c’est doux, ça berce et ça parle d’amour. Des fois j’écoute aussi David Charvet mais ses albums sont trop
courts, ça lasse vite, en une heure j’ai fait le tour du CD.
— L’emploi du temps. Si l’on vivait dans un monde idéal, on devrait pouvoir écrire où on le veut et quand on le veut. Oui mais voilà,
nous ne vivons pas dans un monde idéal. Parfois j’ai des idées géniales. Je sais que je pourrais rester éveillée toute la nuit à la recherche des renseignements nécessaires pour écrire un
chapitre époustouflant à mon livre qui n’a toujours pas vu le jour. Oui mais non. Je sais aussi que le lendemain je travaille, que j’aurai sous ma responsabilité de huit à douze patients qui ont
besoin d’une professionnelle avec les idées claires et pas d’un fantôme d’infirmière qui a passé la nuit à écrire. J’ai donc régulièrement des bouffées d’envie d’écrire qui arrivent et je sais
que je n’ai matériellement pas le temps de les laisser m’envahir. Il n’y a rien de plus frustrant. Et souvent, quand je suis de mauvaise humeur, ça n’a rien à voir avec mes hormones mais plutôt
avec cette incapacité à pouvoir faire ce que j’ai vraiment envie de faire. À savoir passer 12 ou 14 heures le nez collé à l’écran de mon ordinateur pour écrire un truc horrible et désespérant
mais qui aurait l’avantage de laisser libre cours à mon côté créatif.
Je ne suis pas l’auteure que je voudrais être ni celle que je rêvais d’être. Il parait que c’est ça grandir. C’est confronter ses désirs à la
réalité et avoir le courage de s’accrocher à ses rêves et de continuer.
Je suis donc très loin de l’infirmière-écrivain-à-moto dont je parlais étant enfant. Et pourtant, des fois, j’ai l’impression que j’en suis
très très proche. Peut-être parce qu’un rêve de ce genre se vit au jour le jour, peut-être que parce que quand j’écris ce genre de billet inutile et léger, j’ai l’impression de toucher du bout
des doigts ce que je voulais être. Comme l’enfant qui monte sur la chaise de la cuisine et se met sur la pointe des pieds pour pouvoir plonger sa main dans la boite de gâteaux entreposée en haut
du frigo… Peut-être parce que finalement je suis un peu restée cette enfant…
PS : Il n’empêche BBJane que je veux bien que tu racontes quand, comment et pourquoi tu écris.
Oui, je sais, je suis curieuse.
Isabelle B. Price (23 Février 2009)
[Ajout de Daniel C. Hall à 19h09] : Suite à des milliards d'emails indignés demandant les véritables photographies du bureau de notre quota lesbien notre
Isabelle préférée, ma Zaza m'a envoyé le texte suivant et les photos adéquates (comme Sheila...). N'empêche les lesbiennes, c'est pas comme nous, ça range quand même bien... Bon, faut bien dire
que c'est des femmes à la base et que la machine à laver leur a changé leur vie comme a dit mon poteau Benoît XIII et III (y a un jeu de mots ! Et c'est paraît-il son véritable surnom au sein de
l'église catholique romaine !!!) :
Salut Chef,
J'ai adoré ta gentille
proposition de mettre en ligne des photos de mon bureau. Et comme tu es persuadé qu'il est bien rangé, je me suis fait plaisir en le prenant tel quel. Tout de suite ça te casse sérieusement un
mythe. C'est pas grave, j'assume.
Bisous
Zab (Ouais, elle signe comme ça la d'jeun car nous sommes comme les deux doigts du pied !)
PS 2 : La déco est de moi. (Tu
m'étonnes John - Y a un jeu de mots subtil - ! Mouarf !)
PS 3 : Oui, tu ne pouvais
trouver mieux (Si, Linda de Suza, elle faisait mieux avec juste une valise en
carton !). Une lesbienne avec du goût, il n'y a que ça de vrai. (Non ? C'est pas vrai méééé alors on m'aurait menti à l'insu de mon plein gréééé ! J'aurais
du être lesbienne alors ? J'ai raté ma viiiie !) »
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