La bite ne fait pas la nonne
Patrick Cardon
Pour la seizième livraison de cette série de textes basée sur les
hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gay hétéro-friendly, j'ouvre grand les portes des Toiles
Roses à une figure légendaire du milieu culturel et militant LGBT : l'incroyable, décalé, déjanté, fou furieux et talentueux Patrick Cardon !
Né en 1952 dans un estaminet de Tourcoing, Patrick Cardon décide à 20 ans
de poursuivre ses études à Aix en Provence où il obtient un diplôme de sciences politiques et un doctorat de Lettres. Ce faisant, il ne cesse de participer aux associations de militance
homosexuelle. Au fur et à mesure de ses réflexions, il s’établit efféministe, prône une culture et un point de vue « transgenre » (queer). C’est à Lille, au retour de cinq années d’enseignement
au Maroc et en Algérie (1982-1987) qu’il fonde en 1989 au sein de l’association GaykitschCamp une maison d’édition (QuestionDeGenre/GKC) spécialisée
dans la présentation scientifique de textes devenus introuvables de l’histoire culturelle des gays et lesbiennes où il publia les premières études LGBT dirigées par Rommel Mendès-Leite et le
premier témoignage d’un gay tunisien (Eyet-Chékib Djaziri) ; puis un festival annuel de films (Festival international QuestionDeGenre, 15 éditions de 1991 à 2005), des semaines culturelles
Lesbian&GayPride pendant lesquelles il se réincarne en comtesse de Flandre ; enfin, le premier centre de documentation sur les sexualités plurielles et les interculturalités ouvert au public
(2000-2005). Il vit actuellement à Montpellier pour poursuivre son travail d’édition.
Si j’étais hétérosexuelLE, je serai une femme. Une fille à pd pour la solidarité mais une fâme (contraire de infâme je crois), une vraie. Une star. D’ailleurs, la
condition n’existe que dans la question car je suis une femme. Mais pas au sens hétérosexuel du terme, je le répète une vraie femme. En gros, ma mère telle qu’elle aurait voulu être. Ma mère m’a
donné une mission, celle de continuer à pleurer sa mère, décédée trop jeune. Alors je branche M6 et je me mets à pleurer abondamment à chaque bon sentiment distribué. Histoire d’irriguer mes
rides toujours plus creuses. Mon père préférait l’expression « pleurer comme une madeleine ». Il me disait, en songeant à elle et en prenant vis à vis de moi une posture
socratique : « La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a » et encore « Ne te maries jamais ». Alors, je ne me suis jamais mariée et je suis devenue la
plus belle femme du monde. Transgenre sans l’être (dixit Hazéra à Quimper, je n’en ai pas les habits), séropo sans l’être (dixit Dustan à Valencia), lesbienne sans l’être (il me manquerait un
corps de « femme »), lettrée sans lettres (pas d’initiales ni de poste à l’Université), lettrée, oui (j’ai des références, j’écris même bien, sauf pour les profs de français). ConfusE,
décousuE, me disaient-ils et me disent encore.
Ma mère cousait sur une machine Singer. Je continue son travail. Pénélope était-elle hétérosexuelle ?
J’en doute. Elle baisait avec tous ses prétendants réduits à des godemichés vivants puis elle finit par les faire tuer par le dernier, Ulysse. Ulysse, c’était la fin de sa sexualité, la fin de sa
vie de « fille » et de la libre disposition de son corps, le mariage. Ma mère a regretté cette histoire toute sa vie et elle m’a donné la mission d’en débrouiller les fils (fis).
J’aurais pu être le fils du facteur disait-elle dans une de ces dernières blagues. Ou les fils (fil) ? J’ai cru me défaire de cette mission en devenant une fille, mais je me suis retrouvéE
avec les mêmes fils, les mêmes fils (fis). Un fil des fils ; une fille, des garçons, une garçonne, des fils. Je ne m’en s’en sortais plus. Ça m’a rendue folle. Quand un garçon me touche, je
deviens folle de lui, de son corps et du mien. Appelez cela comme vous voudrez mais ce n’est ni hétéro ni homo ni même sexuel, c’est de la magie.
Si j’étais un homme, je serai ACTIF (c’est bizarre, ce terme n’existe pas chez les hommes hétérosexuels ; chez eux ça signifie en âge et
aptitude à « travailler »). J’épuiserai la douce virilité du monde masculin selon les canons les plus répandus. Je me ferai un harem de jeunes efféminés folles ou pas folles et de
jeunes garçons virils et timides ou arrogants. Je serai le chef de leur syndicat. Je me ferai sucer par des vieux et je donnerai du bonheur à touTEs. Je serai le gode vivant sur terre comme on
représente le christ sur la croix ou comme on porte la vierge en procession. Le cul(ménisme) en action. La PASSIVITÉ en action. La PASSION. Tiens, c’est bizarre, mon goût porterait surtout sur
les « garçons ». Il faut bien conclure. Si j’étais un homme, je serai homosexuel.
Être sa mère et l’amant de sa mère, donc peut-être son père, c’est l’histoire toute simple de la Sainte
Famille et de la queer nation (je ne développerai pas le raccourci, je fais confiance à l’intelligence et à la culture de mes éventuels lecteurs – Je sais, j’ai tort).
Si j’étais moi, je m’ennuierais à en mourir. Ce qui est fait.
Patrick
Cardon
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