LIRE AU LIT,
LE MATIN, AU RÉVEIL
Un billet d'humeur d'Isabelle B. Price, d'Univers-L
(c) D.
R.
Traîner au lit n’est pas dans mes habitudes. Pour plein de raisons dont j’ai conscience, de
nombreuses autres que j’ignore et certainement aussi à cause ou grâce à mon éducation. J’ai appris très jeune que l’on pouvait faire énormément de choses le matin et j’ai toujours gardé cela en
mémoire.
Quand on était petits, mon père nous réveillait tôt le matin, avec mes frères, pendant les
week-ends. On ne devait pas rester au lit après 10h. À l’adolescence, c’est super désagréable quand vous vous rebellez contre tout et que votre souhait le plus cher est de vous coucher à minuit
et de vous lever à midi. Je crois que jamais personne ne comprendra l’importance pour les enfants d’avoir des parents qui travaillent le matin pendant les week-ends. Ils ont une paix royale sans
parents, la liberté assurée.
Bref, mon père nous réveillait donc tôt quand nous étions petits et comme j’étais l’aînée,
j’ai servi de test. Moi je me levais tôt en tout cas. En vieillissant, il a changé d’idée. Il n’a jamais sorti Titou du lit, mon père. Du coup, Titou, vous pouvez attendre avant qu’il décolle. Il
n’est jamais debout avant 10h30-11h00 les week-ends. Mais moi, aussi marrant que cela paraisse et certainement aussi à cause de mes horaires et de mon métier, les week-ends, je peux aussi bien
être levée à 7h qu’à 9h sans la moindre difficulté. 9h étant pour moi une grasse matinée.
Bref, à 9h vous avez toute la journée quand vous vous levez. Bien sûr, ensuite, il vous suffit
de traîner, c’est le week-end après tout. Un petit déjeuner en paix, comme Stéphane Eicher l’a si bien décrit, une douche et en avant pour un week-end de travail…
Il y a une autre option, une option détente et farniente. Une option que je mets plus
facilement en pratique quand je suis réveillée à 7h du matin parce que je sais que cela donnera le même résultat que si je m’étais levée à 9h. Et cette option, c’est de lire au lit.
Lire au lit, le matin, juste après s’être réveillé, c’est assez magique.
Lire au lit, le matin, c’est s’étirer en douceur sous sa couette en jetant un regard
ensommeillé au radio-réveil parce qu’un rayon de lumière a osé pointer son nez entre les interstices des rideaux. C’est être ébloui par les chiffres verts de ce foutu appareil comme par ce rayon
de soleil et c’est réaliser, quand votre regard commence à s’accommoder à la lumière, qu’il est tôt, qu’il est très tôt.
Lire au lit, le matin, c’est se retourner sur son matelas en replongeant la tête dans le
traversin et en retirant la couette sur son visage pour cacher le soleil. C’est prendre le temps de bâiller et de s’étirer en se frottant les yeux. C’est essayer de se rendormir tout en sachant
qu’on a eu son compte d’heures de sommeil. C’est donc se réveiller en douceur, calmement, tranquillement, parce qu’on sait que rien ne nous presse.
Lire au lit, le matin, c’est s’emparer du bouquin que vous avez commencé, un jour, une
semaine, ou un mois plus tôt et qui est posé à côté du radio-réveil. C’est faire un faux mouvement et prendre le réveil parce qu’il est encore trop tôt pour ouvrir complètement les yeux. Puis
c’est le reposer et tâtonner pour trouver le livre. C’est coller le livre sous la couette à côté de vous pendant quelques minutes, le temps de vous convaincre que oui, vous pouvez affronter le
froid de votre chambre pour allumer la lumière.
Lire au lit, le matin, c’est prendre une grande inspiration pour ne pas perdre toute la
chaleur qu’on a soigneusement accumulée au cours de la nuit et se lever en courant pour atteindre l’interrupteur, tout en se maudissant de ne pas avoir avancé plus dans les travaux. Parce que si
on avait avancé plus dans les travaux, l’interrupteur serait juste à côté de la table de nuit. C’est ensuite se précipiter de nouveau sous la couette en soufflant comme si on venait de courir un
100 mètres en moins de 10 secondes. C’est écrabouiller le bouquin qu’on avait mis au chaud, avec nous, comme s’il était vivant. C’est se recroqueviller en tirant la couette sous son cou pour
retrouver un peu de cette volupté qu’on vient d’abandonner.
Lire au lit, le matin, c’est refermer les yeux alors que la lumière vous arrive en plein
visage. C’est se recacher sous la couette jusqu’à ce qu’on s’habitue au fait que oui, on est réveillé, parfaitement réveillé. C’est reculer la couette petit à petit pour s’habituer à la clarté
jusqu’à ce qu’on soit capable de garder les yeux ouverts suffisamment longtemps pour lire. C’est s’emparer du livre qui est gentiment resté à nos côtés et retrouver le marque-page.
Lire au lit, le matin, c’est commencer sa lecture sur le côté gauche, puis au bout de dix
minutes se tourner sur le côté droit, avant de revenir sur le dos en pliant le traversin en deux. C’est recommencer le même manège pendant un moment parce que c’est super difficile de trouver une
position confortable pour lire, dans son lit.
Lire au lit, le matin, c’est quitter volontairement la réalité pour intégrer le monde
imaginaire de quelqu’un d’autre. C’est se laisser emporter par une histoire, par des personnages. C’est oublier l’heure, le temps, les obligations, la vie, les devoirs. C’est voyager sans bouger,
c’est se perdre sans prendre de risque, c’est aimer sans connaître…
Lire au lit, le matin, au réveil, c’est profiter de cet instant rare, ce petit moment où les
rêves se sont terminés mais où la réalité ne s’est pas encore imposée à nous. C’est modifier l’écoulement du temps, sa vitesse et son impact sur nous. C’est s’évader l’espace de quelques minutes
dans un autre univers…
Je ne sais pas si vous avez déjà essayé mais moi je sais qu’à chaque fois, je me lève ensuite
avec le sentiment étrange d’être en vacances. Ou mieux, avec le sentiment étrange de maîtriser le temps…
Bonne lecture à vous.
Isabelle B. Price (29 Mars 2009)
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